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L’Encyclopédie/1re édition/DIVERTISSEMENT

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DIVERTISSEMENT, s. m. (Jurispr.) est lorsque l’on détourne quelques effets d’une communauté ou d’une succession. On joint ordinairement les termes de recelé & divertissement comme synonymes, quoiqu’ils ayent chacun leur objet différent. Divertissement est l’enlevement des effets que l’on détourne ; recelé est la précaution que l’on a de les cacher. Cependant comme dans l’usage on fait précéder le terme de recelé, & que ces termes sont réputés synonymes, nous expliquerons ce qui concerne cette matiere au mot Recelé. Voyez aussi ci-devant Divertir. (A)

Divertissement, (Belles-Lettres.) c’est un terme générique, dont on se sert également pour désigner tous les petits poëmes mis en musique, qu’on exécute sur le théatre ou en concert ; & les danses mêlées de chant, qu’on place quelquefois à la fin des comédies de deux actes ou d’un acte.

La grote de Versailles, l’idylle de Sceaux, sont des divertissemens de la premiere espece.

On donne ce nom plus particulierement aux danses & aux chants, qu’on introduit episodiquement dans les actes d’opéra. Le triomphe de Thesée est un divertissement fort noble. L’enchantement d’Amadis est un divertissement très-agréable ; mais le plus ingénieux divertissement des opéra anciens, est celui du quatrieme acte de Rolland.

L’art d’amener les divertissemens est une partie fort rare au théatre lyrique ; ceux mêmes, pour la plûpart, qui paroissent les mieux amenés, ont quelquefois des défauts dans la forme qu’on leur donne. La grande regle est qu’ils naissent du sujet, qu’ils fassent partie de l’action, en un mot qu’on n’y danse pas seulement pour danser. Tout divertissement est plus ou moins estimable, selon qu’il est plus ou moins nécessaire à la marche théatrale du sujet : quelque agréable qu’il paroisse, il est vicieux & peche contre la premiere regle, lorsque l’action peut marcher sans lui, & que la suppression de cette partie ne laisseroit point de vuide dans l’ensemble de l’ouvrage. Le dernier divertissement, qui pour l’ordinaire termine l’opéra, paroît ne pas devoir être assujetti à cette regle aussi scrupuleusement que tous les autres ; ce n’est qu’une fête, un mariage, un couronnement, &c. qui ne doit avoir que la joie publique pour objet.

Si les divertissemens des grands opéra sont soûmis à cette loi établie par le bon sens, qui exige que toutes les parties d’un ouvrage y soient nécessaires pour former les proportions de l’ensemble ; à combien plus forte raison doit-elle être invariable dans les ballets ?

Des divertissemens en action sont le vrai fond des différentes entrées du ballet : telle est son origine. Le chant, dans ces compositions modernes, occupe une partie de la place qu’occupoit la danse dans les anciennes : pour être parfaites, il faut que la danse & le chant y soient liés ensemble, & partagent toute l’action. Rien n’y doit être oisif ; tout ce qu’on y fait paroître d’inutile, & qui ne concourt pas à la marche, au progrès, au développement, n’est qu’un agrément froid & insipide. On peut dire d’une entrée de ballet, ce qu’on a dit souvent du sonnet : la plus legere tache défigure cette espece d’ouvrage, bien plus difficile encore que le sonnet même, qui n’est qu’un simple récit ; le ballet doit être tout entier en action.

La grande erreur sur cette partie dramatique est que quelques madrigaux suffisent pour la rendre agréable. L’action est la derniere chose dont on parle, & celle à laquelle on pense le moins : c’est pourtant l’action intéressante, vive, pressée, qui fait le grand mérite de ce genre.

Il faut donc pour former une bonne entrée de ballet, 1°. une action : 2°. que le chant & la danse concourent également à la former, à la développer, à la dénoüer : 3°. que tous les agrémens naissent du sujet même. Tous ces objets ne sont rien moins qu’aisés à remplir : mais que de beautés résultent aussi dans ces sortes d’ouvrages de la difficulté vaincue ! Voyez Ballet, Coupe, Danse, Opéra. (B)

Divertissement, Amusement, Recréation, Réjouissance, (Grammaire.) ces quatre mots sont synonymes, & ont la dissipation ou le plaisir pour fondement. Amusement est une occupation legere de peu d’importance & qui plaît ; divertissement est accompagné de plaisirs plus vifs, plus étendus ; recréation désigne un terme court de délassement : c’est un simple passe-tems pour distraire l’esprit de ses fatigues ; réjoüissance se marque par des actions extérieures, des danses, des cris de joie, des acclamations de plusieurs personnes. La comédie fut toûjours la recréation ou le délassement des grands hommes, le divertissement des gens polis, & l’amusement du peuple ; elle fait une partie des réjoüissances publiques dans certains évenemens.

Amusement, suivant l’idée que je m’en fais encore, porte sur des occupations faciles & agréables qu’on prend pour éviter l’ennui, pour moins penser à soi-même. Recréation appartient plus que l’amusement au délassement de l’esprit, & indique un besoin de l’ame plus marqué. Réjoüissance est affecté aux fêtes publiques du monde & de l’église. Divertissement est le terme générique qui renferme les amusemens, les recréations, & les réjoüissances particulieres.

Tous les divertissemens qui n’ont pas pour but des choses utiles ou nécessaires, sont les fruits de l’oisiveté, de l’amour pour le plaisir, & varient chez les divers peuples du monde, suivant les mœurs & les climats. Ce n’est pas ici le lieu de le prouver ; mais le lecteur sera peut-être bien aise de savoir ce qu’une Peruvienne, si connue par la finesse de son goût & par la justesse de son discernement, pense des divertissemens de notre nation, de tous ces plaisirs qu’on tâchoit de lui procurer, & dont tout le monde lui paroissoit enivré.

« Les divertissemens de ce pays (écrit-elle à son cher Aza) me semblent aussi peu naturels que les mœurs. Ils consistent dans une gaieté violente excitée par des ris éclatans, auxquels l’ame ne paroît prendre aucune part ; dans des jeux insipides, dont l’or fait tout le plaisir ; dans une conversation si frivole & si répétée, qu’elle ressemble bien davantage au gasouillement des oiseaux, qu’à l’entretien d’une assemblée d’êtres pensans ; ou dans la fréquentation de deux spectacles, dont l’un humilie l’humanité, & l’autre exprime toûjours la joie & la tristesse indifféremment par des chants & des danses. Ils tâchent envain par de tels moyens de se procurer des divertissemens réels, un amusement agréable, de donner quelque distraction à leurs chagrins, quelque recréation à leur esprit ; cela n’est pas possible : leurs réjoüissances même n’ont d’attraits que pour le peuple, & ne sont point consacrées comme les nôtres au culte du Soleil : leurs regards, leurs discours, leurs réflexions ne se tournent jamais à l’honneur de cet astre divin : enfin leurs froids amusemens, leurs puériles recréations, leurs divertissemens affectés, leurs ridicules réjoüissances, loin de m’égayer, de me plaire, de me convenir, me rappellent encore avec plus de regret, la différence des jours heureux que je passois avec toi ». Article de M. le Chevalier de Jaucourt.