L’Encyclopédie/1re édition/ENREGISTREMENT
ENREGISTREMENT, s. m. (Jurisprud.) signifie en général la transcription d’un acte dans un registre, soit en entier ou par extrait. Cette formalité a pour objet de conserver la teneur d’un acte dont il peut importer au Roi, ou au public, ou à quelque particulier, d’avoir connoissance.
Les marchands & négocians, banquiers & agens de change sont obligés, suivant l’ordonnance du commerce, d’avoir des livres ou registres, & d’y enregistrer (ou écrire) tout leur négoce, leurs lettres de change, dettes actives & passives.
On enregistre les baptêmes, mariages & sépultures, vêtures, professions en religion, en inscrivant les actes sur des registres publics destinés à cet effet.
Les actes sujets au contrôle, insinuation, centieme denier ou autre droit, sont enregistrés, c’est-à-dire transcrits en entier ou par extrait sur les registres destinés pour ces formalités.
On enregistre aussi les saisies réelles, les criées, les substitutions, des bulles & provisions, &c. (A)
Enregistrement des ordonnances, édits, déclarations, & autres lettres patentes, pris dans le sens littéral, n’est autre chose que la transcription de ces nouveaux reglemens que le greffier des jurisdictions, soit supérieures ou inférieures, fait sur les registres du tribunal en conséquence de la vérification qui en a été faite précédemment par les tribunaux supérieurs qui ont le droit & le pouvoir de vérifier les nouvelles lois.
Néanmoins dans l’usage, on entend aussi par le terme d’enregistrement la vérification que les cours font des nouvelles ordonnances, l’arrêt ou jugement qui en ordonne l’enregistrement, l’admission qui est faite en conséquence par le greffier, du nouveau réglement au nombre des minutes du tribunal, le procès-verbal qu’il dresse de cet enregistrement, la mention qu’il en fait par extrait sur le repli des lettres : on confond souvent dans le discours toutes ces opérations, quoiqu’elles soient fort différentes les unes des autres.
La vérification est un examen que les cours font des lettres qui leur sont adressées par le Roi, tant pour vérifier par les formes nationales si le projet de loi qui est présenté est émané du prince, ou si au contraire les lettres ne sont point supposées ou falsifiées, que pour délibérer sur la publication & enregistrement d’icelles, & consentir au nom de la nation que le projet de loi soit registré & exécute, au cas qu’il y ait lieu de l’approuver.
L’arrêt d’enregistrement est le jugement qui, en conséquence de la vérification qui a été faite & du consentement donné à l’exécution de la loi, ordonne qu’elle sera mise au nombre des minutes du tribunal, & transcrite dans ses registres.
L’admission du nouveau réglement au nombre des minutes du tribunal, & qui est le véritable enregistrement, a pour objet de marquer que la loi a été vérifiée & reçûe, & en même tems de constater cette loi, en la conservant dans un dépôt public où elle soit permanente, & où l’on puisse recourir au besoin & vérifier sur l’original la teneur de ses dispositions. Elle est différente de la transcription qui se fait de ce même réglement sur les registres en parchemin pour en mieux assûrer la conservation.
Le procès-verbal d’enregistrement est la relation que fait le greffier de ce qui s’est passé à l’occasion de la vérification & enregistrement, & de l’admission qui a été faite en conséquence du nouveau réglement entre les minutes du tribunal.
La mention de l’enregistrement que le greffier met sur le repli des lettres, est un certificat sommaire par lequel il atteste qu’en conséquence de l’arrêt de vérification & enregistrement, il a mis le réglement au nombre des minutes & registres du tribunal.
La transcription sur les registres en parchemin n’est qu’une suite de l’enregistrement, & une opération qui ne se fait quelquefois que long-tems après, pour la police du greffe & pour suppléer au besoin la minute du réglement.
On conçoit, par ce qui vient d’être dit, combien la vérification est différente de la simple transcription qui se fait dans les registres ; mais comme le style des cours, lorsqu’elles ont vérifié une loi, est d’ordonner qu’elle sera registrée dans leur greffe, il est arrivé de-là que dans l’usage, lorsqu’on veut exprimer qu’une loi a été vérifiée, on dit communément qu’elle a été enregistrée ; ce qui dans cette occasion ne signifie pas simplement que la loi a été insérée dans les registres, on entend principalement par-là que la vérification qui précede nécessairement cet enregistrement a été faite.
Toutes les différentes opérations dont on vient de parler, se rapportent à deux objets principaux ; l’un est la vérification du nouveau réglement, l’autre est son admission dans les registres du tribunal : c’est pourquoi l’on se fixera ici à ces deux objets ; c’est-à-dire que l’on expliquera d’abord ce qui concerne l’enregistrement en tant qu’il est pris pour la vérification, & ensuite l’enregistrement en tant qu’il signifie l’admission ou transcription du réglement dans les minutes & registres du tribunal.
Avant d’expliquer de quelle maniere on procede à la vérification & enregistrement d’une loi, il est à propos de remonter à l’origine des vérifications & enregistremens, & de rappeller ce qui se pratiquoit auparavant pour donner aux nouvelles lois le caractere d’autorité nécessaire pour leur exécution.
On a toûjours eu l’attention chez toutes les nations policées, de faire examiner les nouvelles lois que le prince propose, par ceux qu’il a lui-même chargés du soin de les faire exécuter. La loi viij. au code de legibus, fait mention que les nouvelles lois devoient être proposées en présence de tous les grands officiers du palais & des sénateurs : Vopiscus dit de l’empereur Probus qu’il permit aux sénateurs ut leges quas ipse ederet senatus consultis propriis consecrarent, ce qui ressemble parfaitement à nos arrêts d’enregistrement.
En France on a pareillement toûjours reconnu la nécessité de faire approuver les nouvelles lois par la nation, ou par les cours souveraines qui la représentent en cette partie, & qui étant dépositaires de l’autorité royale, exercent à cet égard un pouvoir naturel, émané du Roi même par la force de la loi ; c’est ainsi que s’expliquoit le chancelier Olivier dans un discours fait au parlement en 1559.
Il est vrai que jusqu’au treizieme siecle il n’est point parlé de vérifications ni d’enregistremens, mais il y avoit alors d’autres formes équipolentes.
Sous les deux premieres races, lorsque nos rois vouloient faire quelque loi nouvelle, ils la proposoient ou faisoient proposer par quelque personne de considération dans un de ces parlemens généraux ou assemblées de la nation, qui se tenoient tous les ans, d’abord au mois de Mars, & que Pepin transféra au mois de Mai.
Ces assemblées étoient d’abord composées de toute la nation, des grands & du peuple ; mais sous ce nom de peuple, on ne comprenoit que les Francs, c’est-à-dire ceux qui composoient originairement la nation françoise, ou qui étoient descendus d’eux, & ceux qui étoient ingénus, c’est-à-dire libres.
Chacun dans ces assemblées avoit droit de suffrage : on frappoit sur ses armes pour marquer que l’on agréoit la loi qui étoit proposée ; ou s’il s’élevoit un murmure général, elle étoit rejettée.
Lorsque l’on écrivit & que l’on réforma la loi salique sous Clovis, cette affaire fut traitée dans un parlement, de concert avec les Francs, comme le marque le préambule de cette loi : Clodoveus una cum Francis pertractavit ut ad titulos aliquid amplius adderet ; c’est aussi de-là qu’on lui donna le nom de pacte de la loi salique. On voit en effet que n’est qu’un composé d’arrêtés faits successivement dans les différens parlemens : elle porte entr’autres choses, que les Francs seroient juges les uns des autres avec le prince, & qu’ils décerneroient ensemble les lois à l’avenir, selon les occasions qui se présenteroient, soit qu’il fallût garder en entier ou réformer les anciennes coûtumes venues d’Allemagne.
Aussi Childebert en usa-t-il de cette sorte, lorsqu’il fit de nouvelles additions à cette loi : Childebertus tractavit, est-il dit, cum Francis suis.
Ce même prince, dans un decret qui contient encore d’autres additions, déclare qu’elles sont le résultat d’un parlement composé des grands & des personnes de toutes conditions, ce qui ne doit néanmoins être entendu que de personnes franches & libres : Cum nos omnes, calendis Martii (congregati) de quibuscumque conditionibus, una cum nostris optimatibus pertractavimus. Ces additions furent même faites en différens parlemens ; l’une est datée du champ de Mars d’Atigny, l’autre du champ de Mars suivant, une autre du champ de Mars tenu à Maestricht, &c.
Les autres lois anciennes furent faites de la même maniere : celle des Allemands, par exemple, porte en titre dans les anciennes éditions, qu’elle a été établie par ses princes ou juges, & même par tout le peuple : Quæ temporibus Clotarii regis, una cum principibus suis, id sunt 34 episcopis, & 34 ducibus, & 72 comitibus, vel cætero populo constituta est.
On lit aussi dans la loi des Bavarois, qui fut dressée par Thierry, & revûe successivement par Childebert, Clotaire & Dagobert, qu’elle fut résolue par le roi & ses princes, & par tout le peuple : Hoc decretum est apud regem & principes ejus, & apud cunctum populum christianum, qui intra regnum Mervengorum constant.
Toutes les autres lois de ce tems font mention du consentement général de la nation, à peu-près dans les mêmes termes : Placuit atque convenit inter Francos & eorum proceres ; ita convenit & placuit leudis nostris. Ce terme leudes comprenoit alors non seulelement les grands, mais en général tous les Francs, comme il est dit dans l’appendix de Grégoire de Tours, in universis leudis, tam sublimibus quam pauperibus. Pour ce qui est de l’ancienne formule, ita placuit & convenit nobis, il est visible que c’est de là qu’est venue cette clause de style dans les lettres patentes, car tel est notre plaisir, &c.
Les assemblées générales de la nation étant devenues trop nombreuses, on n’y admit plus indistinctement toutes les personnes franches : on assembloit les Francs dans chaque province ou canton pour avoir leur suffrage, & le vœu de chaque assemblée particuliere étoit ensuite rapporté par des députés à l’assemblée générale, qui n’étoit plus composée que des grands du royaume & des autres personnes qui avoient caractere pour y assister, tels que les premiers sénateurs ou conseillers.
C’est ainsi que Charlemagne, l’un de nos plus grands & de nos plus puissans monarques, en usa, lorsqu’il voulut faire une addition à la loi salique ; il ordonna que l’on demanderoit l’avis du peuple, & que s’il consentoit à l’addition nouvellement faite, chaque particulier y mît son seing ou son sceau : Ut populus interrogetur de capitulis quæ in lege noviter addita sunt, & postquam omnes consenserint, suscriptiones vel manu firmationes suas in ipsis capitulis faciant. Cette ordonnance fut insérée dans la loi salique, & autorisée de nouveau par Charles le Chauve, lequel la fit insérer dans l’épitome qu’il donna de cette loi.
Plusieurs des capitulaires de Charles le Chauve portent pareillement qu’ils ont été faits ex consensu populi & constitutione regis, notamment ceux des années 844 & 864.
C’est donc de ces assemblées générales de la nation que se sont formés les anciens parlemens tenus sous la seconde race ; lesquels, d’ambulatoires qu’ils étoient d’abord, furent rendus sédentaires à Paris sous la troisieme race, du tems de Philippe le Bel.
Lorsque les parlemens généraux furent réduits aux seuls grands du royaume, & autres personnes qui avoient caractere pour y assister, tous les Francs étoient censés y délibérer par l’organe de ceux qui les y représentoient.
Les nouvelles ordonnances étoient alors délibérées en parlement, le roi y séant, ou autre personne qualifiée de par lui, c’est-à-dire qu’elles étoient dressées dans le parlement même, au lieu que dans la suite on en a rédigé le projet dans le conseil du roi.
La délibération en parlement tenoit lieu de la vérification & enregistrement, dont l’usage a été introduit depuis. Cette délibération étoit d’autant plus nécessaire pour donner force aux nouvelles lois, que suivant la police qui s’observoit alors pour les fiefs, les barons ou grands vassaux de la couronne qui étoient tous membres du parlement, étoient chacun maîtres dans leurs domaines, qui composoient au moins les deux tiers du royaume ; ils s’étoient même arrogé le droit d’y faire des réglemens ; & le roi n’y pouvoit rien ordonner que de leur consentement, c’est pourquoi il en fait mention dans plusieurs ordonnances qui devoient avoir lieu dans les terres de ces barons.
Tels sont deux établissemens ou ordonnances faites par Philippe-Auguste ; l’une du premier Mai 1209, touchant les fiefs du royaume, où il est dit que le roi, le duc de Bourgogne, les comtes de Nevers, de Boulogne & de Saint-Paul, le seigneur de Dompierre, & plusieurs autres grands du royaume, convinrent unanimement de cet établissement : convenerunt & assensu publico formaverunt, ut a primo die Maii in posterum ita sit de feodalibus tenementis ; l’autre ordonnance, qui est sans date, est un accord entre le roi, les clercs, & les barons.
On trouve aussi un établissement de Louis VIII. en 1223, où il dit : Noveritis quod per voluntatem & assensum archiepiscoporum, episcoporum, comitum, baronum & militum regni Franciæ...fecimus stabilimentum per judæos.
Joinville, en son histoire de S. Louis, fait mention des parlemens que tenoit ce prince pour faire ses nouveaux établissemens. Il suffit d’en donner quelques exemples, tels que son ordonnance du mois de Mai 1246, où il dit : Hæc autem omnia.... de communi consilio & assensu dictorum baronum & militum, volumus & præcipimus, &c... & ce qu’il fit touchant le cours des esterlins, à la fin de laquelle il est dit, facta fuit hæc ordinatio in parlamento omnium Sanctorum, anno Domini millesimo ducentesimo sexagesimo quinto.
Le regne de Philippe III. dit le Hardi, nous offre une foule d’ordonnances faites par ce prince en parlement, notamment celles qu’il fit aux parlemens de l’Ascension en 1272, de l’octave de la Toussaints de la même année, de la Pentecôte de l’année suivante, de l’Assomption en 1274, de la Toussaints ou de Noël en 1275, de l’Epiphanie en 1277, & de la Toussaints en 1283. Les ordonnances ainsi délibérées en parlement, étoient regardées en quelque sorte comme son ouvrage, de même que ses arrêts ; c’est pourquoi on les inscrivoit au nombre des arrêts de la cour, comme il est dit à la fin des ordonnances de 1283 : Hæc ordinatio registrata est inter judicia, consilia & arresta expedita in parlamento omnium Sanctorum, anno Domini 1283. La même chose se trouve à la fin d’une ordonnance de 1287, & aussi de deux autres de 1327 & de 1331, & de plusieurs autres.
Philippe le Bel fit aussi plusieurs ordonnances en parlement dans les années 1287, 1288, 1290, 1291, 1296. La premiere de ces ordonnances, qui est celle de 1287, commence par ces mots, c’est l’ordonnance faite par la cour de notre seigneur le Roi & de son commandement ; & à la fin il est dit qu’elle fut faite au parlement, & qu’elle seroit publiée en chaque baillie en la premiere assise, &c.
A la fin de celle de 1288, il est dit que si quelqu’un y trouve de la difficulté, on consultera la cour du roi & les maîtres (du parlement).
Il s’en trouve aussi plusieurs du même prince, faites en parlement depuis qu’il eut rendu cette cour sédentaire à Paris en 1302 ; entr’autres celle du 3 Octob. 1303, faite avec une partie seulement des barons ; parce que, dit Philippe le Bel, il ne pouvoit pas avoir à ce conseil & à cette délibération les autres prélats & barons si-tôt que la nécessité le requerroit ; & les barons dans leur souscription s’énoncent ainsi : nous, parce que ladite ordonnance nous semble convenable & profitable à la besogne, & si peu greveuse… que nul ne la doit refuser, nous y consentons. L’ordonnance de ce prince du 28 Février 1308, deux autres du jeudi avant les Rameaux de la même année, & une autre du premier Mai 1313, sont faites en plein parlement.
Il s’en trouve de semblables de Philippe VI. dit de Valois, des 24 Juillet 1333, 10 Juillet 1336, 17 Mai 1345, & après la S. Martin d’hyver en 1347.
Il y a encore bien d’autres ordonnances du tems de ces mêmes princes, lesquelles furent aussi délibérées en parlement, quoique cela n’y soit pas dit précisément ; mais il est aisé de le reconnoître à l’époque de ces ordonnances, qui sont presque toutes datées des tems voisins des grandes fêtes auxquels on tenoit alors le parlement.
On trouve encore, du tems de Charles VI. un exemple de lettres du 5 Mars 1388, qui furent données en parlement.
Quelques-uns croyent que l’on en usa ainsi jusqu’au regne du roi Jean, par rapport à la maniere de former les nouvelles lois dans l’assemblée du parlement, & que ce fut ce prince qui changea cet usage par une de ses ordonnances, portant que les lois ne seroient plus délibérées au parlement, lorsque l’on en formoit le projet. Le chancelier Olivier, dans un discours qu’il prononça au parlement en 1559, cite cette ordonnance sans la dater ; il y a apparence qu’il avoit en vûe l’ordonnance faite le 27 Janvier 1359, pendant la captivité du roi, par Charles régent du royaume, & qui fut depuis le roi Charles V. il dit (art. 29.) que dorénavant il ne fera plus aucune ordonnance, ni n’octroiera aucun privilége, que ce ne soit par délibération de ceux de son conseil.
Mais l’usage de former les nouvelles ordonnances dans le conseil du roi est beaucoup plus ancien que celle de 1359 ; il s’étoit introduit peu-à-peu dès le tems de Philippe III. & de ses successeurs. La plûpart des nouvelles ordonnances commencerent à être délibérées dans le conseil du roi, qui étoit aussi appellé le grand conseil du roi, & on les envoyoit ensuite au parlement pour les vérifier & enregistrer, comme il se pratique encore présentement.
Il faut néanmoins prendre garde que dans les premiers tems où les ordonnances commencerent à être délibérées dans le conseil, plusieurs des ordonnances qui sont dites faites ainsi, par le roi ou son conseil, ou par le conseil le roi présent, ne laissoient pas d’être délibérées en parlement, attendu que le roi tenoit souvent son conseil en parlement. C’est ainsi que l’ordonnance de Philippe III. dit le Hardi, touchant les amortissemens qui seroient accordés par les pairs, commence par ces mots : ordinatum fuit per consilium de regis, rege presente ; ce qui n’empêche pas qu’elle n’ait été faite au parlement de l’Epiphanie en 1277.
On a déjà vû que dès l’année 1283, il est fait mention d’enregistrement au bas de quelques ordonnances. Il est vrai que la plûpart de celles où cette mention se trouve avoient été délibérées en parlement ; de sorte que cet enregistrement exprimé par le mot registrata, se rapportoit moins à une vérification telle qu’on l’entend aujourd’hui par le terme d’enregistrement, qu’à une simple transcription de la piece sur les registres ; la délibération faite en parlement tenoit lieu de vérification.
La plus ancienne ordonnance que j’aye trouvée du nombre de celles qui n’avoient pas été délibérées en parlement, & où il soit fait mention d’un enregistrement qui emporte en même tems la vérification de la piece ; c’est l’ordonnance de Philippe-de-Valois, du mois d’Octobre 1334, touchant la régale. Ce prince mande à ses amés & féaux les gens qui tiendront le prochain parlement, & aux gens des comptes, que à perpétuelle mémoire ils fassent ces présentes enregistrer ès chambres de parlement & des comptes, & garder pour original au thrésor des chartes.
On lit aussi au bas des lettres du même prince, du 10 Juillet 1336, concernant l’évêque d’Amiens, lecta per cameram, registrata in curiâ parlamenti in libro ordinationum regiarum, fol. 50, anno nono. Ce mot lecta fait connoître qu’il étoit dès lors d’usage de faire la lecture & publication des lettres avant de les enregistrer : celles-ci à la vérité furent données en parlement. Et les autres mots registrata....in libro ordinationum, justifient qu’il y avoit déjà des registres particuliers destinés à transcrire les ordonnances.
L’usage de la lecture & publication qui précede l’enregistrement, continua de s’affermir sous les regnes suivans. Il paroît par une ordonnance du roi Jean, du mois de Mai 1355, par laquelle il confirme pour la seconde fois celle de Philippe-le-Bel, du 23 Mars 1302, pour la réformation du royaume. Il est fait mention au bas de ces lettres, qu’elles ont été lûes & publiées solennellement en parlement, en présence de l’archevêque de Roüen chancelier, de plusieurs autres prélats, barons, présidens, & conseillers du roi au parlement, & en présence de tous ceux qui voulurent s’y trouver ; ce qui justifie que cette lecture se faisoit publiquement.
Charles V. dans une ordonnance du 14 Août 1374, mande aux gens de son parlement, afin que personne ne prétende cause d’ignorance de ladite ordonnance, de la faire publier & registrer tant à ladite cour, que dans les lieux principaux & accoûtumés des sénéchaussées dont cette ordonnance fait mention.
Dans le même mois fut enregistrée la fameuse ordonnance qui fixe la majorité des rois de France à l’âge de quatorze ans. Il est dit qu’elle fut lûe & publiée en la chambre du parlement, en présence du roi tenant son lit de justice, & en présence de plusieurs notables personnages, dont les principaux sont dénommés ; qu’elle fut écrite & mise dans les registres du parlement, & que l’original fut mis au thrésor des chartes.
On trouve encore beaucoup d’autres exemples d’enregistremens du même regne : mais nous nous contenterons d’en rapporter encore un du tems de Charles VI. dont il est parlé dans son ordonnance du 5 Février 1388, touchant le parlement ; le roi lui-même ordonne aux gens de son parlement que cette présente ordonnance ils fassent lire & publier, & icelle enregistrer afin de perpétuelle mémoire.
Il seroit inutile de rapporter d’autres exemples plus récens de semblables enregistremens, cette formalité étant devenue dès-lors très-commune.
La forme des vérifications & enregistremens fut donc ainsi substituée au droit dont le parlement avoit toûjours joüi, de concourir avec le souverain à la formation de la loi. Le parlement conserva pour les vérifications la même liberté de suffrages qu’il avoit, lorsque les ordonnances étoient délibérées en parlement ; & si le régent dans son ordonnance du 27 Janvier 1359, n’a pas expliqué que cette liberté étoit conservée au parlement, c’est que la chose étoit assez sensible d’elle-même, étant moins un droit nouveau qu’une suite du premier droit de cette compagnie. C’eût été d’ailleurs une entreprise impraticable à ce prince, sur tout dans un tems de régence, d’abroger entierement des usages aussi anciens que précieux pour la nation & pour les intérêts même du roi ; on ne peut présumer une telle idée dans un prince encore entouré de vassaux qui disputoient de puissance avec leur souverain : ce fut assez pour le régent d’affranchir le roi de l’espece d’esclavage où étoient ses prédécesseurs de ne pouvoir former le projet d’aucune loi sans le concours du parlement ; il se contenta de recouvrer la vraie prérogative du sceptre, & dont nos premiers rois usoient en dirigeant seuls ou avec leur conseil particulier, les lois qu’ils proposoient ensuite aux champs de Mars & de Mai.
Le roi Jean, & Charles son fils en qualité de régent du royaume, envoyerent donc leurs lois toutes dressées au parlement, qui les vérifia & enregistra avec toute liberté de suffrages. On fit des remontrances selon l’exigence des cas, pour justifier les motifs de son refus, ainsi que cela s’est toûjours pratiqué depuis : en quoi nos rois ont de leur part suivi cette belle parole que Cassiodore rapporte de Thierri roi d’Italie, pro æquitate servandâ etiam nobis patimur contradici.
L’enregistrement des nouvelles ordonnances n’est pas comme l’on voit un simple cérémonial ; & en insérant la loi dans les registres, l’objet n’est pas seulement d’en donner connoissance aux magistrats & aux peuples, mais de lui donner le caractere de loi, qu’elle n’auroit point sans la vérification & enregistrement, lesquels se font en vertu de l’autorité que le roi lui même a confiée à son parlement.
Pour être convaincu de cette vérité, il suffit de rapporter deux témoignages non-suspects à ce sujet ; l’un de Louis XI. lequel disoit que c’est la coûtume de publier au parlement tous accords, qu’autrement ils seroient de nulle valeur ; l’autre de Charles IX. lequel en 1561 faisoit dire au pape par son ambassadeur, qu’aucun édit, ordonnance, ou autres actes n’ont force de loi publique dans le royaume, qu’il n’en ait été délibéré au parlement.
Nos rois en parlant de l’examen que les cours font des nouveaux réglemens qui leur sont présentés, l’ont eux-mêmes souvent qualifié de vérification ou enregistrement comme termes synonymes.
C’est ainsi que Charles régent du royaume, & qui fut depuis le roi Charles V. s’explique dans une ordonnance du dernier Novembre 1358 ; il défend aux gens des comptes qu’ils ne passent, vérifient, ou enregistrent en la chambre aucunes lettres contraires à cette ordonnance.
L’ordonnance de Roussillon, article 35, porte que les vérifications des cours de parlement sur les édits, ordonnances, & lettres patentes, seront faites en françois.
Celle qui fut faite au mois d’Octobre pour la Bretagne, porte que la cour procédera en toute diligence à la vérification des édits & lettres patentes.
L’édit d’Henri IV. du mois de Janvier 1597, art. 2. veut que si-tôt que les édits & ordonnances ont été renvoyés aux cours souveraines, il soit promptement procédé à la vérification, &c.
Il est vrai que pour l’ordinaire, dans l’adresse qui est faite des lettres aux cours, le roi leur mande seulement qu’ils ayent à les faire lire, publier, & enregistrer : mais cela est très-naturel ; parce que quand il envoye une loi, il présume qu’elle est bonne, & que la vérification ne fera aucune difficulté : d’ailleurs la lecture même qu’il ordonne être faite du réglement, est pour mettre les membres de la compagnie en état de délibérer sur la vérification.
Les ordonnances, édits, déclarations, & autres lettres patentes contenant réglement général, ne sont point enregistrées au conseil du roi, attendu que ce n’est pas une cour de justice ; elles ne sont adressées par le roi qu’aux cours souveraines & aux conseils supérieurs qui font les mêmes fonctions.
Lorsqu’on les adresse à différentes cours, elles sont d’abord vérifiées & enregistrées au parlement de Paris ; c’est une des prérogatives de ce parlement : c’est pourquoi Charles IX. ayant été déclaré majeur à 13 ans & jour au parlement de Roüen en 1563, le parlement de Paris n’enregistra cette déclaration qu’après d’itératives remontrances, fondées sur le droit qu’il a de vérifier les édits avant tous les autres parlemens & autres cours.
Les ordonnances & les édits sont enregistrés toutes les chambres assemblées ; & si c’est dans une compagnie semestre, on assemble pour cet effet les deux semestres. Les déclarations données en interprétation de quelque édit, sont ordinairement enregistrées par la grand-chambre seule, apparemment pour en faire plus prompte expédition, & lorsque les déclarations sont moins de nouvelles lois, qu’une suite nécessaire & une simple explication de lois déjà enregistrées.
Il y a quelquefois de nouveaux réglemens qui ne sont adressés qu’à certaines cours, qu’ils concernent seules : mais quand il s’agit de réglemens généraux, ils doivent être enregistrés dans tous les parlemens & conseils souverains.
On les fait aussi enregistrer dans les autres cours souveraines, lorsqu’il s’agit de matieres qui peuvent être de leur compétence. C’est ainsi que dans une ordonnance de Charles V. du 24 Juillet 1364, il est dit que ces lettres seront publiées par-tout où il appartiendra, & enregistrés en la chambre des comptes & en celle du thrésor à Paris.
Quand on refusoit d’enregistrer des lettres à la chambre des comptes, on les mettoit dans une armoire qui étoit derriere la porte de la grand-chambre (c’étoit apparemment le grand bureau), avec les autres chartes refusées & non-expédiées, & l’on en faisoit mention en marge des lettres. Il y en a un exemple dans des lettres de Charles V. du mois de Mars 1372. La chambre ayant refusé en 1595 d’enregistrer un édit portant création de receveurs provinciaux des parties casuelles, ordonna qu’il seroit informé contre ceux qui administrent mémoires & inventions d’édits préjudiciables à la grandeur & autorité du roi ; elle fit le 21 Juin des remontrances à ce sujet, & l’édit fut retiré.
Les généraux des aides dès les premiers tems de leur établissement, enregistroient aussi les lettres qui leur étoient adressées ; tellement que Charles V. par une ordonnance du 13 Novembre 1372, défend au receveur général de payer sur aucunes lettres ou mandemens, s’ils ne sont vérifiés en la chambre ou ailleurs, où les généraux seront assemblés ; & il est dit que dorénavant les notaires mettront ès vérifications le lieu où elle aura été faite ; qu’en toutes lettres & mandemens refusés en la chambre (des généraux), il sera écrit au dos signé des notaires, que les lettres ont été refusées, & cela quand même les généraux au lieu de les refuser absolument, prendront un long délai pour faire réponse ; & il ordonne, non pas que les lettres mêmes, mais que la teneur (c’est-à-dire la substance) des lettres sera enregistrée en la chambre ; ce qui signifie en cet endroit que l’on fera mention de ces lettres sur le registre, & que l’on y expliquera au long les causes du refus.
La cour des aides qui tire son origine de ces généraux des aides, est pareillement en possession de vérifier & enregistrer toutes les ordonnances, édits, déclarations, & autres lettres qui lui sont adressées, & d’en envoyer des copies aux siéges de son ressort, pour y être lûes, publiées, & registrées.
L’ordonnance de Moulins & l’édit du mois de Janvier 1597, enjoignent aux cours de procéder incessamment à la vérification des ordonnances, toutes autres affaires cessantes. L’ordonnance de 1667 ajoûte même la visite & jugement des procès criminels, ou affaires particulieres des compagnies.
Mais comme il peut échapper à nos rois de signer des ordonnances dont ils n’auroient pas d’abord reconnu le défaut, ils ont plusieurs fois défendu eux-mêmes aux cours d’enregistrer aucunes lettres qui seroient scellées contre la disposition des ordonnances. Il y a entre autres des lettres de Charles VI. du 15 Mai 1403, pour la révocation des dons faits sur le domaine, qui font défenses aux gens des comptes & thrésoriers à Paris, présens & à venir, supposé qu’il fût scellé quelques lettres contraires à celles-ci, d’en passer ni vérifier aucunes, quelques mandemens qu’ils eussent du roi, soit de bouche, ou autrement, sans en avertir le roi ou la reine, les oncles & freres du roi, les autres princes du sang, & gens du conseil.
Charles IX. par son édit du mois d’Octobre 1562, pour la Bretagne, dit que si la cour trouvoit quelque difficulté en la vérification des édits, elle enverra promptement ses remontrances par écrit, ou députera gens pour les faire.
La même chose est encore portée dans plusieurs autres déclarations postérieures.
Le parlement & les autres cours ont dans tous les tems donné au roi des preuves de leur attachement, en s’opposant à la vérification des ordonnances, édits, & déclarations, qui étoient contraires aux véritables intérêts de S. M. ou au bien public ; & pour donner une idée de la fermeté du parlement dans ces occasions, il suffit de renvoyer à ce que le premier président de la Vacquerie répondit à Louis XI. comme on le peut voir dans Pasquier, en ses recherches, liv. VI. chap. xxxjv.
Lorsque les nouveaux réglemens adressés aux cours sont seulement susceptibles de quelque explication, les cours les enregistrent avec des modifications. On en trouve des exemples dès le tems du roi Jean, notamment à la fin de deux de ses ordonnances du mois d’Avril 1361, où il est dit qu’elles ont été vûes, corrigées, & lûes en parlement. La possession des cours à cet égard est constante, & leur droit a été reconnu en différentes occasions, notamment par un réglement du conseil du 16 Juin 1644.
Les particuliers ne peuvent pas former opposition à l’enregistrement des ordonnances, édits, & déclarations, ni des lettres patentes portant réglement général, mais seulement aux lettres qui ne concernent que l’intérêt de quelques corps ou particuliers.
Le procureur général du roi peut aussi s’opposer d’office à l’enregistrement des lettres patentes obtenues par des particuliers, ou par des corps & communautés, lorsque l’intérêt du roi ou celui du public s’y trouve compromis. On trouve dès 1390 une opposition de cette espece formée à l’enregistrement de lettres patentes, du mois de Juin de ladite année, à la requête du procureur-général du roi, lequel fit proposer ses raisons à la cour par l’avocat du roi ; il fut plaidé sur son opposition, & l’affaire fut appointée. Le chapitre de Paris qui avoit obtenu ces lettres, se retira pardevers le roi, & en obtint d’autres, par lesquelles le roi enjoignit au parlement d’enregistrer les premieres. Le procureur-général du roi s’opposa encore à l’enregistrement de ces nouvelles lettres ; & lui & le chapitre ayant fait un accord sous le bon plaisir du parlement, & étant convenus de certaines modifications, le parlement enregistra les lettres à la charge des modifications.
Quoique les particuliers ne puissent pas former opposition à l’enregistrement des ordonnances, édits, déclarations, cette voie est néanmoins permise aux compagnies qui ont une forme publique, lorsque la loi que l’on propose paroît blesser leurs droits ou priviléges. Cela s’est vû plusieurs fois au parlement.
Pour ce qui est de la forme en laquelle se fait dans les cours l’enregistrement, c’est-à-dire l’inscription des nouveaux réglemens sur les registres, c’est une derniere opération qui est toûjours précédée de la lecture & vérification des réglemens ; elle étoit aussi autrefois précédée de leur publication, qui se faisoit à l’audience.
Il paroît que dès le tems de la seconde race, les comtes auxquels on envoyoit les nouveaux réglemens pour les faire publier dans leur siége, en gardoient l’expédition dans leur dépôt, pour y avoir recours au besoin ; mais il y avoit dès-lors un dépôt en chef dont tous les autres n’étoient qu’une émanation : ce dépôt étoit dans le palais du roi.
En effet Charles le Chauve ordonna en 803 que les capitulaires de son pere seroient derechef publiés ; que ceux qui n’en auroient pas de copie envoyeroient, selon l’usage, leur commissaire & un greffier, avec du parchemin, au palais du roi, pour en prendre copie sur les originaux qui seroient, dit-il, pour cet effet tirés de armario nostro ; c’est-à-dire du tresor des chartres de la couronne : ce qui fait connoître que l’on y mettoit alors l’original des ordonnances. C’est ce dépôt que S. Louis fit placer à côté de la sainte chapelle, où il est présentement, & dans lequel se trouve le registre de Philippe-Auguste, qui remonte plus haut que les registres du parlement, & contient plusieurs anciennes ordonnances de ce tems.
L’ancien manuscrit de la vie de S. Louis, que l’on conserve à la bibliotheque du Roi, fait mention que ce prince ayant fait plusieurs ordonnances, les fit enregistrer & publier au châtelet. C’est la premiere fois que l’on trouve ce terme, enregistrer, pour exprimer l’inscription qui se faisoit des reglemens entre les actes du tribunal ; ce qui vient de ce que jusqu’alors on n’usoit point en France de registres pour écrire les actes des tribunaux ; on les écrivoit sur des peaux, que l’on rouloit ensuite : & au lieu de dire les minutes & registres du tribunal, on disoit les rouleaux, rotula ; & lorsque l’on inscrivoit quelque chose sur ces rouleaux, cela s’appelloit inrotulare, comme il est dit dans deux ordonnances, l’une de Philippe-Auguste, de l’an 1218. art. 6. l’autre de Louis VIII. du mois de Novembre 1223. On trouve cependant au troisieme registre des olim, fol. 151 & 152, ensuite de deux arrêts, ces termes, ità registratum in rotulo istius parlamenti. Ainsi la mention que l’on faisoit d’un arrêt sur les rouleaux, s’appelloit aussi enregistrement.
Etienne Boileau, prévôt de Paris sous S. Louis, fut le premier qui fit écrire en cahiers ou registres, les actes de sa jurisdiction.
Jean de Montluc, greffier du parlement, fit de même un registre des arrêts de cette cour, qui commence en 1256 : cet usage fut continué par ses successeurs.
Le plus ancien registre de la chambre des comptes, appellé registre de S. Just, du nom de celui qui l’a écrit, fait mention qu’il a été copié par Jean de Saint Just, clerc des comptes, sur l’original à lui communiqué par Robert d’Artois.
Cet établissement de registres dans tous les tribunaux, a donné lieu d’appeller enregistrement, l’inscription qui est faite sur ces registres, des reglemens qui ont été vérifiés par les cours : & dans la suite on a aussi compris, sous le terme d’enregistrement, la vérification qui précede l’inscription sur les registres ; parce que cette inscription suppose que la vérification a été faite.
Dans les premiers tems où le parlement fut rendu sédentaire à Paris, il ne portoit guere dans ses registres que ses arrêts, ou les ordonnances qui avoient été délibérées ; c’est-à-dire dressées dans le parlement même : c’est de-là qu’au bas de quelques-unes il est dit, registrata est inter judicia, consilia & arresta expedita in parlamento, comme on l’a déja remarqué, en parlant d’une ordonnance de 1283. Le dauphin Charles, qui fut depuis le roi Charles V. dans une ordonnance qu’il fit au mois de Mars 1356, en qualité de lieutenant-général du royaume, pendant la captivité du roi Jean, dit, art. 14, qu’il seroit fait une ordonnance du nombre de gens qui tiendroient la chambre du parlement, les enquêtes & requêtes, &c, & que cette ordonnance tiendroit, seroit publiée & registrée. Le parlement faisoit inscrire ces ordonnances dans ses registres, comme étant en quelque sorte son ouvrage, aussi-bien que ses arrêts.
Quoiqu’il y eût alors plusieurs ordonnances qui n’étoient pas inscrites dans ses registres, il ne laissoit pas de les vérifier toutes, ou de les corriger, lorsqu’il y avoit lieu de le faire. L’expédition originale, qui avoit été ainsi vérifiée, étoit mise au nombre des actes du parlement ; ensuite il faisoit publier la nouvelle ordonnance à la porte de la chambre, ou à la table de marbre du palais : on en publioit aussi à la fenêtre, qui est apparemment le lieu où l’on délivre encore les arrêts. Voyez Publication.
Lorsque l’usage des vérifications commença à s’établir, on ne faisoit pas registre de cet examen, ni de la publication des ordonnances ; de sorte que l’on ne connoît guere si celles de ces tems ont été vérifiées, que par les corrections que le parlement y faisoit, lorsqu’il y avoit lieu, ou par les notes que le secrétaire du roi, qui avoit expédié les lettres, y ajoûtoit quelquefois.
Mais bien-tôt on fit registre exact de tout ce qui se passoit à l’occasion de la vérification & enregistrement, comme cela se pratique encore aujourd’hui.
Pour parvenir à la vérification d’une loi, on en remet d’abord l’original en parchemin, & scellé du grand sceau, entre les mains du procureur général, lequel donne ses conclusions par écrit ; la cour nomme un conseiller, qui en fait le rapport en la chambre du conseil : sur quoi, s’il y a lieu à l’enregistrement, il intervient arrêt, en ces termes : « Vû par la cour l’édit ou déclaration du tel jour, signé, scellé, &c. portant, &c. vû les conclusions du procureur general, & oui le rapport du conseiller pour ce commis ; la matiere mise en délibération, la cour a ordonné & ordonne que l’édit ou déclaration sera enregistré au greffe d’icelle, pour être exécuté selon sa forme & teneur, ou bien pour être exécuté sous telles & telles modifications. » Cet arrêt d’enregistrement renferme en soi la vérification & approbation de la loi, qu’il ordonne être registrée ; & c’est sans doute la raison pour laquelle on confond la vérification avec l’enregistrement.
Le greffier fait mention de l’engistrement sur le repli des lettres, en ces termes : « Registré, oüi le procureur general du roi, pour être exécuté selon sa forme & teneur, ou bien suivant les modifications portées par l’arrêt de ce jour. Fait en parlement le… signé, tel, &c. » C’est proprement un certificat, ou attestation, que le greffier met sur le repli des lettres de l’enregistrement, qui a été ordonné par l’arrêt.
Outre ce certificat, le greffier fait un procès verbal, soit de l’assemblée des chambres, si c’est un édit, ou de l’assemblée de la grand-chambre seule, si c’est une déclaration dont elle fasse seule l’enregistrement : ce procès verbal fait mention que la cour a ordonné l’enregistrement de tel édit, pour être exécuté selon sa forme & teneur, ou avec certaines modifications.
Aussi-tôt que l’arrêt de vérification & enregistrement est rendu, & que le procès verbal en est dressé, le greffier fait tirer une expédition en papier timbré, sur l’original en parchemin, de l’ordonnance, édit, déclaration, ou autres lettres que l’on a enregistrés : au bas de cette expédition, il fait mention de l’enregistrement, de même que sur l’original, & ajoûte seulement ce mot, collationné, c’est-à-dire comparé avec l’original, & il signe. Cette expédition, qui doit servir de minute, & l’arrêt & le procès verbal d’enregistrement, sont placés par le greffier entre les minutes de la cour ; & l’enregistrement est censé accompli dès ce moment, quoique la transcription de ces mêmes pieces sur les registres en parchemin, destinés à cet effet, ne se fasse quelquefois que plusieurs années après : car cette transcription sur les registres en parchemin n’est pas le véritable enregistrement, c’est seulement une opération prescrite par la police du greffe ; & les registres des ordonnances ne sont que des grosses, ou copies des minutes, un peu moins authentiques que l’original, & faites pour le suppléer au besoin : c’est pourquoi, sans attendre cette transcription, qui est censée faite dans le tems même de la vérification, le greffier met, comme on l’a dit, sur le repli de l’original, & sur l’expédition des lettres qui ont été vérifiées, son certificat de la vérification & enregistrement.
Ces différentes opérations faites, le greffier remet l’original des lettres enregistrées à M. le procureur général, lequel le renvoye à M. le chancelier, ou au secrétaire d’état qui les lui a adressées ; & au bout de quelque tems, le secrétaire d’état qui a ce département, envoye les ordonnances enregistrées dans le dépôt des minutes du conseil, qui est dans le monastere des religieux Augustins, près la place des Victoires.
Autrefois les arrêts de vérification & enregistremens, & les certificats d’iceux, se rédigeoient en latin : cet usage avoit même continué depuis l’ordonnance de 1539, qui enjoint de rédiger en françois tous les jugemens & actes publics : le certificat d’enregistrement, qui se met sur le repli des pieces, étoit conçu en ces termes : lecta, publicata & registrata, audito & requirente procuratore generali regis, &c. Mais Charles IX, par son ordonnance de Roussillon, art. 35, ordonna que les vérifications des édits & ordonnances seroient faites en françois.
Depuis ce tems, le greffier mettoit ordinairement son certificat en ces termes : lû, publié & registré, &c. on disoit publié, parce que c’étoit alors la coûtume de publier tous les arrêts à l’audience, comme cela se pratique encore dans quelques parlemens : mais dans celui de Paris on ne fait plus cette publication à l’audience, à moins que cela ne soit porté par l’arrêt de vérification ; auquel cas le greffier met encore dans son certificat, lû, publié & registré : quand il n’y a pas eu de publication à l’audience, le certificat du greffier porte seulement que le reglement a été registré, oui, & ce requerant le procureur général du roi, &c.
Ces sortes de certificats du greffier, ou mention qui est faite sur le repli des lettres de la vérification & enregistrement, étoient d’usage dès le tems de Philippe de Valois, comme on le voit sur les lettres du 10 Juillet 1336, dont on a déjà parlé, où on lit ces mots : lecta per cameram, registrata in curiâ parlamenti, in libro ordinationum, fol. 50, in anno nono. Ces termes, in anno nono, semblent annoncer que ce livre, ou registre des ordonnances, étoit commencé depuis neuf années : ce qui remonteroit jusqu’en 1328, tems où Philippe de Valois monta sur le throne. On ne connoît point cependant de registre particulier des ordonnances qui remonte si haut.
Les plus anciens registres du parlement, appellés les olim, contiennent, il est vrai, des ordonnances depuis 1252 jusqu’en 1273 : mais ces registres n’étoient pas destinés uniquement pour les enregistremens ; ils contiennent aussi des arrêts rendus entre particuliers, & des procédures.
Mais peu de tems après on fit au parlement des registres particuliers pour les enregistremens des ordonnances, édits, déclarations & lettres patentes, que l’on a appellés registre des ordonnances.
Le premier de ces registres, cotté A, & intitulé ordinationes antiquæ, commence en 1337 : il contient néanmoins quelques ordonnances antérieures, dont la plus ancienne, ce sont des lettres patentes de S. Louis, du mois d’Août 1229, qui confirment les priviléges de l’université de Paris.
Quand on transcrit une piece dans les registres du tribunal, en conséquence du jugement qui en a ordonné l’enregistrement, elle doit y être copiée toute au long, avec le jugement qui en ordonne l’enregistrement, & non pas par extrait seulement, ni avec des & cætera.
Ce fut sur ce fondement que le recteur & l’université de Paris exposerent, par requête au parlement en 1552, que quelqu’un de leurs suppôts ayant voulu lever un extrait du privilége accordé en 1336 aux écoliers étudians en l’université, il s’étoit trouvé quelques omissions faites sous ces mots & cætera, pour avoir plûtôt fait, par celui qui fit le registre ; que ces omissions étoient de conséquence ; & que si l’original du privilége se perdoit, le recours au registre ne seroit pas sûr : c’est pourquoi ils supplierent la cour d’ordonner que ce qui étoit ainsi imparfait sur le registre, par ces mots & cætera, fût rempli par collation qui se feroit du registre à l’original. Sur quoi la cour ayant ordonné que l’original seroit mis pardevers deux conseillers de la cour, pour le collationner avec le registre ; oüi le rapport desdits conseillers, la cour, par arrêt du 18 Août 1552, ordonna que l’original du privilége seroit de nouveau enregistré dans les registres d’icelle, pour être par le greffier délivré aux parties qui le requereroient.
Les arrêts de vérification ou enregistrement, faits au parlement, portent ordinairement, que copies collationnées du nouveau reglement & de l’arrêt seront envoyées aux bailliages & sénéchaussées du ressort, pour y être lûes, publiées & enregistrées : l’arrêt enjoint au substitut du procureur général du roi d’y tenir la main, & d’en certifier la cour dans un mois, suivant ledit arrêt.
Le procureur général de chaque parlement envoye des copies collationnées des nouveaux réglemens à tous les bailliages, sénéchaussées & autres justices royales ressortissantes nuement au parlement.
A l’égard des pairies du ressort, quoique régulierement elles dûssent tenir du juge royal la connoissance des nouveaux réglemens ; néanmoins, pour accelerer, M. le procureur général leur en envoye aussi directement des copies collationnées.
Si l’enregistrement est fait en la cour des aides, l’arrêt de vérification porte que l’on enverra des copies collationnées aux élections & autres siéges du ressort.
Lorsque les nouveaux réglemens, qui ont été vérifiés par les cours, sont envoyés dans les siéges de leur ressort pour y être enregistrés, cet enregistrement s’y fait sur les conclusions du ministere public, de même que dans les cours ; mais avec cette différence, que les cours ont le droit de délibérer sur la vérification, & peuvent admettre le projet de réglement, ou le refuser, s’il ne paroît pas convenable aux intérêts du roi, ou au bien public : au lieu que les juges inférieurs sont obligés de se conformer à l’arrêt de vérification, & en conséquence de rendre un jugement, portant que la nouvelle loi sera inscrite dans leurs registres, purement & simplement, sans pouvoir ajoûter aucunes modifications ; en sorte que cet enregistrement n’est proprement qu’une simple transcription dans leurs registres, & non une vérification.
Il faut néanmoins observer, que dans les provinces du ressort qui ont quelques priviléges particuliers, les juges inférieurs pourroient faire des représentations au parlement avant d’enregistrer, si le nouveau reglement étoit contraire à leurs priviléges. Du reste, les juges inférieurs n’ont pas droit de déliberer sur le fond de l’enregistrement ; mais ils ont la liberté de délibérer sur la forme en laquelle l’envoi des nouveaux réglemens leur est fait ; c’est-à-dire, d’examiner si cette forme est légitime & réguliere. Ils peuvent aussi, après avoir procédé à l’enregistrement de la nouvelle loi, faire sur cette loi (s’il y a lieu pour ce qui les concerne) faire des représentations au parlement, ou autre cour dont ils relevent, qu’ils adressent au procureur général.
Il paroît même, suivant l’ordonnance de Charles VII. de 1453, art. 66 & 67, & l’ordonnance de Louis XII. du 22 Décembre 1499, que les juges inférieurs peuvent, en certain cas, suspendre l’exécution des lois qu’on leur envoye, en représentant les inconvéniens qui peuvent en résulter, relativement à leurs provinces & aux réglemens antérieurs. Ces cas, selon les ordonnances de Charles VII & de Louis XII. sont lorsque les lois qui leur sont envoyées peuvent être contraires aux ordonnances, & produire du trouble dans le royaume ; tel que seroit, par exemple, quelque établissement tendant à anéantir la forme du gouvernement.
Au châtelet de Paris, les nouvelles ordonnances sont enregistrées sur un registre particulier, appellé registre des bannieres ; ce qui signifie la même chose que registre des publications.
Tous les juges auxquels le procureur général envoye des copies collationnées des nouveaux reglemens, sont obligés d’envoyer dans le mois un certificat de l’enregistrement. Depuis environ 35 ans, il est d’usage de garder tous ces certificats dans les minutes du parlement, pour y avoir recours au besoin, & connoître la date de l’enregistrement dans chaque siége.
Les nouvelles ordonnances doivent être exécutées, à compter du jour de la vérification qui en a été faite dans les cours souveraines, ou après le délai qui est fixé par l’ordonnance ou par l’arrêt d’enregistrement, comme cela se fait quelquefois, afin que chacun ait le tems de s’instruire de la loi.
Elle doit aussi être exécutée à compter du même jour, pour les provinces du ressort, & non pas seulement du jour qu’elle y a été enregistrée par les juges inférieurs. Néanmoins s’il s’agit de quelque disposition qui doive être observée par les juges, officiers, ou particuliers, la loi ne les lie que du jour qu’ils ont pû en avoir connoissance ; comme on voit que la novelle 66 de Justinien sur l’observation des constitutions impériales avoit ordonné que les nouvelles lois seroient observées à Constantinople dans deux mois, à compter de leur date ; & à l’égard des provinces, à deux mois après l’insinuation qui y seroit faite de la loi : ce tems étant suffisant, dit la novelle, pour que la loi fût connue des tabellions & de tous les sujets.
Il n’est pas d’usage de faire enregistrer les nouveaux reglemens dans les justices seigneuriales, ni de leur en envoyer des copies, ces justices étant en trop grand nombre, pour que l’on puisse entrer dans ce détail : de sorte que les officiers de ces justices sont présumés instruits des nouveaux réglemens par la notoriété publique, & par l’enregistrement fait dans le siége royal auquel elles ressortissent.
Sur les enregistremens des ordonnances, voyez Martianus Capella, lib. I. part. xv. Cujas, lib. I. observ. cap. xjx. La Rocheflavin, des parlemens, liv. XIII. ch. xxviij. Pasquier, recherch. de la France, liv. VI. ch. xxxjv. Papon, liv. IV. tit. vj. n. 23. Bouchel, Biblioteq. du Droit franç. au mot lois. (A)
Enregistrement des priviléges ou permissions pour l’impression des livres. Les priviléges que le roi accorde pour l’impression des livres, & les permissions simples du sceau, doivent être enregistrés à la chambre syndicale de la Librairie, par les syndic & adjoints, dans le terme de trois mois, à compter du jour de l’expédition. C’est une des conditions auxquelles ces lettres sont accordées ; & faute de la remplir, elles deviennent nulles. Ce réglement paroît avoir singulierement pour objet de mettre tous propriétaires d’ouvrages littéraires à l’abri du préjudice auquel ils pourroient être exposés par les surprises faites à la religion du roi, dans l’obtention des priviléges ou permissions simples : en ce que 1°. il met les syndic & adjoints de la Librairie en état d’arrêter ces lettres à l’enregistrement, s’ils jugent qu’elles soient préjudiciables aux intérêts de quelque tiers : 2°. en ce qu’il fournit aux particuliers, auxquels elles sont préjudiciables, le moyen de s’opposer judiciairement à leur enregistrement, & d’en demander le rapport. Pour entendre comment & dans quelles circonstances ces lettres peuvent être préjudiciables à un tiers, il faut nécessairement lire dans le présent volume le mot Droit de copie ; nous y avons expliqué dans un assez grand détail quels sont les droits des auteurs & des libraires sur les ouvrages littéraires, & quel a été l’esprit de la loi dans l’établissement des priviléges. Nous y renvoyons pour éviter les longueurs & répétitions.