L’Encyclopédie/1re édition/FOI

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FOI, s. f. (Theol.) Pour déterminer avec quelque succès le sens de ce terme en Théologie, je ne m’arrêterai pas au diverses acceptions qu’il reçoit dans notre langue ; je me défendrai même de puiser sa signification dans les écrits de nos théologiens. Pour remonter aux sources de la doctrine chrétienne, il faut recourir aux langues dans lesquelles les Ecritures nous ont été transmises, & qu’ont parlé les apôtres & les PP. des premiers siecles de l’Église. Par la même raison, il nous seroit peu utile de recueillir dans les auteurs latins les différentes significations du mot fides, d’où nous avons fait foi. L’étymologie de credere qui vient probablement de cremento dare, & celle de fides qui dans son origine a été synonyme de fidelitas, ne peuvent pas nous éclairer sur le sens du mot foi ; parce que fides & credere, considérés comme termes théologiques, n’ont pas emprunté leur sens du latin ; ils l’ont pris immédiatement des mots grecs πίστις & πιστεύω, employés dans les Ecritures, & auxquels ils ont été substitués par la vulgate & par les écrivains ecclésiastiques : de sorte que quoique πίστις ne soit peut-être pas la racine syllabique (qu’on me permette cette expression) de credere & de fides, il est pourtant la vraie source dans laquelle ces mots ont puisé leur signification.

πίστις & πιστεύω, dont fides & credere sont la traduction, viennent, selon les lexicographes, de πείθω, persuadeo. D’après cette étymologie, πίστις, fides, foi, dans le sens le plus général, sont synonymes de persuasion ; en effet, les dispositions de l’esprit que ces mots expriment dans les usages différens qu’on en fait dans ces trois langues, renferment toûjours une persuasion.

Or cette persuasion peut avoir différens objets : de-là des significations différentes de ces mêmes mots.

1°. Je trouve dans les écritures les mots πίστις & πιστεύω exprimant une disposition d’esprit qui a particulierement Dieu pour objet, c’est-à-dire une persuasion de son pouvoir, de sa bonté & de sa véracité dans ses promesses : credidit Abraham Deo & reputatum est ei ad justitiam. Gen. xv. 6. Qui credit in Domino misericordiam diligit. Prov. xjv.

Dans ces exemples on voit bien que foi est synonyme de confiance.

On verra par la suite de cet article, les rapports que cet emploi des mots foi & croire peuvent avoir avec les sens qu’on leur donne en Théologie : mais on peut concevoir dès-à-présent que ces mots, pour y prendre l’énergie qu’on leur donne, se sont un peu écartés de cette signification ; & c’est l’idée de persuasion commune aux différens emplois qu’on en fait, qui a facilité le passage de cette acception à plusieurs autres.

2°. Ces mêmes mots sont employés dans le nouveau Testament, relativement à Jesus-Christ : creditis in Deum, dit Jesus-Christ à ses disciples, & in me credite. Joan. xjv. 1. His qui credunt in nomine ejus. Ibid. j. 12. Dicebat ergo ad eos, qui crediderunt ei, Judæos. viij. 31. Mais dans cet usage leur signification varie en plusieurs manieres. Suivons ces gradations, ces altérations successives.

Je trouve que ces mots foi & croire sont employés relativement à la personne de Jesus-Christ, pour signifier 1°. la disposition d’esprit des malades qui s’approchoient de lui pour obtenir leur guérison, & celle des apôtres & des disciples dans les premiers momens qu’ils s’attachoient à lui ; celle des Gentils ou des Juifs qui se convertissoient après une simple prédication fort courte & fort sommaire, &c. 2°. Celle des apôtres & des disciples de J. C. après qu’ils avoient entendu pendant quelque tems ses instructions ; & celle des premiers chrétiens, déjà instruits en partie des mysteres du royaume de Dieu. 3°. La foi des mêmes apôtres vers les derniers tems des prédications de Jesus-Christ, lorsqu’il leur disoit, jam non dicam vos servos, sed amicos, quia quæcumque audivi à patre meo nota feci vobis, après la résurrection, & après qu’ils eurent été éclairés de l’esprit de Dieu, le jour de la Pentecôte ; & celle des chrétiens instruits à fond par les apôtres, & dont il est dit qu’ils étoient perseverantes in doctrinâ apostolorum.

On se convaincra de la nécessité de distinguer ces différentes époques dans la signification du mot foi, par les réflexions suivantes.

Quand il est dit des apôtres instruits depuis quelque tems à l’école de Jesus-Christ, & des malades qui s’approchoient de lui pour la premiere fois, que les uns & les autres croyoient en lui, assûrément cette expression a un sens plus étendu dans le premier cas que dans le second. La foi en géneral doit être proportionnée au degré d’instructions reçûes. Les apôtres sont ici supposés instruits déjà par Jesus-Christ, & ces malades dont nous parlons ne le connoissent encore que sur le bruit de sa réputation ; ils ne connoissent pas sa doctrine ; ils ne peuvent donc pas avoir la même foi que les apôtres instruits déjà par Jesus-Christ. Ceux-ci avoient sans doute la foi de la doctrine & de la morale que Jesus-Christ leur enseignoit, & les autres n’en avoient pas même d’idée.

On peut dire la même chose de ces hommes que les apôtres convertissoient, dans les premiers momens de leur conversion. Ces trois mille hommes (au ij. chap. des actes) & ces cinq mille (au jv.), que les discours de S. Pierre engagerent à se faire baptiser, regardoient bien Jesus-Christ comme le Messie, & croyoient en lui comme la Cananée, ou comme le lépreux, ou comme le centenier ; mais ils n’avoient aucune idée de sa doctrine & de sa morale, que les apôtres leur enseignerent dans la suite.

Les apôtres eux-mêmes, avant les dernieres instructions que leur donna Jesus-Christ, n’avoient point la même foi, quant à l’étendue de son objet, qu’ils eurent depuis. C’est ce que prouvent les paroles de J. C. que nous avons citées plus haut, jam non dicam vos servos, &c. car elles font clairement entendre que J. C. leur avoit enseigné beaucoup d’autres choses que cette simple proposition, je suis le Messie, & même beaucoup de choses que ses disciples moins familiers & moins assidus ignoroient encore : puisque sans ces connoissances plus détaillées, ses apôtres n’auroient pas été distingues à cet égard des malades qui l’approchoient, & de beaucoup de gens dans la Judée qui le regardoient comme le Messie, du peuple qui le suivoit, & du commun de ses auditeurs qui avoient entendu & qui connoissoient une partie de sa doctrine.

D’où nous concluons que dans le nouveau Testament ces expressions croire en Jesus-Christ, avoir la foi en Jesus-Christ, reçoivent différentes significations, qu’on peut réduire aux trois principales dont nous avons fait mention.

Nous ferons à ce sujet une remarque importante : c’est faute d’avoir distingué les trois sens différens de l’expression croire en Jesus-Christ, que M. Locke dans l’ouvrage qui a pour titre, le Christianisme raisonnable, a prétendu réduire la foi chrétienne, quant à ses articles fondamentaux & nécessaires au salut, à cette seule proposition, Jesus-Christ est le Messie ; car il appuie principalement cette opinion sur plusieurs passages du nouveau Testament, où on appelle foi en Jesus-Christ cette seule persuasion de sa mission, où les prosélytes sont dits croire en Jesus-Christ, quoiqu’ils ne soient instruits encore que de ce seul point, & où les apôtres en annonçant l’Evangile, ne prêchent autre chose que ce même article.

Il me semble qu’un théologien catholique, en distinguant ces trois époques différentes de la signification des mots foi & croire, attaquera avec avantage l’opinion de cet homme célebre.

Des trois significations des mots foi & croire, employés relativement à Jesus-Christ, la derniere est celle sur laquelle nous devons nous arrêter davantage.

Le mot foi signifie assez souvent la doctrine même de Jesus-Christ, le corps des principes de la religion chrétienne. Le voisinage de ces deux notions a autorisé les écrivains ecclésiastiques à se servir de la même expression pour l’une & pour l’autre ; mais ce n’est pas ici le lieu de traiter de la foi dans cette signification. Voyez Révélation, Religion, Christianisme

Nous prendrons donc généralement le mot de foi dans tout cet article, pour la disposition d’esprit de ceux qui reconnoissent la divinité de la mission de Jesus-Christ & la vérité de toute sa doctrine. Je ne donne pas ceci pour une définition exacte de la foi ; parce que nous n’en avons pas encore la notion complete qui doit être le résultat de tout cet article : mais cette idée générale va nous guider dans la suite de cette question.

On voit dans les Ecritures, & cela se conçoit clairement, que cette disposition d’esprit que nous présente le mot foi, renferme une persuasion. D’un autre côté c’est un dogme catholique que cette disposition est une grace & une vertu. Ces trois caracteres me fourniront une division très-naturelle. Je considérerai la foi comme une persuasion, comme une grace, & comme une vertu.

De la foi considérée comme persuasion, ou plûtôt de la persuasion que renferme la foi ; de ses motifs, de l’analyse de la foi, de son objet, de son obscurité, de sa comparaison avec la persuasion des vérités naturelles, de sa nécessité, & en même tems de son insuffisance sans les œuvres, &c.

La foi considérée comme persuasion a pour objet certaines vérités qui appartiennent à la religion chrétienne. Différentes sortes de vérités appartiennent à la religion chrétienne ; celles qui servent de fondement à tout le Christianisme, & en général à toute religion ; celles qui constatent l’authenticité de la révélation apportée par Jesus-Christ ; celles enfin que cette révélation reconnue pour authentique, consacre & enseigne aux hommes.

A quoi il faut ajoûter une vérité capitale, l’autorité infaillible de l’Eglise établie par Jesus-Christ, qui est assûrément une vérité chrétienne selon tous les théologiens catholiques, puisqu’elle entre pour beaucoup dans toute l’économie de la religion.

Les Théologiens n’ont pas distingué avec assez de soin ces différens objets de la croyance chrétienne. Ils ont défini la foi chrétienne (considérée comme persuasion), l’adhésion de l’esprit aux vérités révélées & proposées par l’Eglise comme telles.

Cette définition entendue à la lettre, tend à exclure des objets de la foi chrétienne les principes de la religion naturelle, ceux qui servent de fondement à la révélation, & même le dogme capital de l’infaillibilité de l’Eglise, pour ne laisser cette dénomination qu’aux dogmes proprement révélés & proposés par l’Eglise, exerçant l’autorité qu’elle a reçûe de Jesus-Christ.

Au fond, il est peu important qu’on accorde ou qu’on refuse le nom de foi à une croyance qui a pour objet quelqu’un de ces principes, pourvû qu’on convienne qu’ils font tous partie de la doctrine chrétienne ; mais il est essentiel de connoître les motifs de la persuasion d’un chrétien, par rapport à ces différens ordres de vérités. Cette connoissance servira à nous éclairer sur la nature de la foi chrétienne considérée comme persuasion.

Des motifs de la persuasion que renferme la foi. Il faut remarquer d’abord que nous ne regardons ici la foi qu’entant qu’elle est une persuasion raisonnée, & que nous mettons à part tout ce que l’Esprit-saint opere dans les ames ; que si on dit que cette persuasion même est produite par l’esprit saint, nous remarquerons encore que dans la doctrine catholique le saint Esprit est le principe, & non pas le motif de croire, & que nous parlons ici des motifs proprement dits de la foi chrétienne.

Le chrétien reçoit plusieurs sortes de vérités.

1°. Tous les principes de la religion naturelle ; comme l’existence de Dieu, ses attributs moraux, l’immortalité de l’ame, la différence du bien & du mal, &c.

2°. Tous les principes que l’autorité de la révélation suppose d’une maniere encore plus prochaine, comme les miracles qui ont servi à constater la mission de Jesus-Christ, les récits de sa vie, de sa mort, de sa résurrection, &c. la vérité & l’inspiration des Ecritures, où tous ces faits sont en dépôt ; en un mot tout ce qui est préalable ou parallele dans l’ordre des connoissances, à cette vérité générale, la religion chrétienne est émanée de Dieu.

3°. Le dogme de l’autorité infaillible de l’Eglise que la révélation exprime si clairement, & qui devient pour lui une regle de croyance par rapport à tous les dogmes controversés.

4°. Toutes les vérités que l’Eglise lui propose à croire. Voyons quels sont dans l’esprit d’un chrétien les motifs de la persuasion de toutes ces vérités.

Les Théologiens ont dit généralement que les vérités qui appartiennent à la foi, sont crûes par le motif de la révélation, & encore que ces vérités doivent être proposées aux fideles par l’autorité de l’Eglise. Sous le nom de vérités qui appartiennent à la foi ; quelques-uns ont compris même les vérités du premier ordre, & le plus grand nombre au moins celles de la seconde & de la troisieme espece. Mais je crois qu’il faut restreindre & expliquer leur assertion pour la rendre exacte.

Quoique toutes les vérités de ces différens ordres appartiennent à la foi, puisqu’on ne peut donner atteinte à une seule qu’on ne renverse la religion apportée aux hommes par Jesus-Christ, cependant on les croit par différens motifs qu’il ne faut pas confondre.

La persuasion des vérités de la premiere & de la seconde classe, a pour fondement les preuves, les raisonnemens, &c. les motifs de crédibilité que la raison seule nous présente. Ces principes sont antérieurs à toute révélation, & par conséquent ils ne peuvent être crûs par le motif de la révélation. Entrons dans quelque détail.

Comment croire raisonnablement l’existence de Dieu par le motif de la véracité de Dieu ? On supposeroit ce qu’on cherche à se prouver à soi-même. Il faut que celui qui s’approche de Dieu, croye d’abord qu’il est, & qu’il récompense ceux qui le cherchent. Accedentem ad Deum oportet credere quia est, & quod inquirentibus se remunerator sit. Heb. xj. 6.

L’ensemble des miracles par lesquels Jesus-Christ a constaté sa mission, celui de sa résurrection en particulier, qui a servi de sceau à tous les autres, ne sont pas crus non plus par le motif de la révélation (je ne dis pas qu’ils ne soient pas crus de foi divine) & cela par la raison qu’en donne l’apôtre : Si Christus non resurrexit, vana est fides nostra ; si Jesus-Christ n’est pas ressuscité, notre foi est vaine, c’est-à-dire que la vérité de la révélation apportée aux hommes par Jesus-Christ, suppose la résurrection & les autres miracles de l’instituteur du Christianisme ; d’où il suit que dans l’ordre du raisonnement & des connoissances, on reconnoît la divinité de cette révélation parce qu’elle est appuyée sur les miracles & sur la résurrection de Jesus-Christ ; & on ne croit pas les miracles & la résurrection de Jesus-Christ par l’autorité de cette même révélation.

Nous plaçons au rang des vérités qui ne peuvent être crûes par le motif de la révélation dans l’ordre du raisonnement, l’existence de la révélation même, c’est-à-dire la vérité & la divinité des livres dans lesquels la révélation est en dépôt, parce qu’on ne peut pas croire cet ensemble de la révélation par le motif de la révélation & de la véracité de Dieu, sans tomber dans un cercle vicieux. (Je dis l’ensemble de la révélation, car l’authenticité d’une partie de la révélation d’un livre en particulier, par exemple, pourroit être prouvée par l’autorité d’un autre livre dont on auroit déjà établi la vérité & la divinité) ; je ne vois pas comment on peut révoquer cela en doute. Il est bien clair qu’on supposera l’état de la question, si on entreprend d’établir, ou ce qui est la même chose, si on croit que l’Ecriture est la parole de Dieu sur l’autorité de l’Ecriture considérée comme la parole de Dieu. De bons théologiens demeurent d’accord de ce principe.

Selon Holden, Analys. divinæ fidei lib. I. c. jv. les récits de l’Ecriture & cette vérité universellement reconnue que l’Ecriture est la parole de Dieu, ne sont point à proprement parler révélées, & ne sont point des articles ou des dogmes de la foi divine & catholique.

On peut rapprocher de ceci ce que nous citerons plus bas du P.Juenin, & l’analyse de la foi que nous proposerons.

D’habiles gens parmi les théologiens protestans ont soûtenu la même chose. La divinité de l’Ecriture, selon la Placette, traité de la foi divine, liv. I. ch. v. n’est point un article de foi ; c’est un principe & un fondement de la foi qu’il faut prouver non par l’Ecriture, mais par d’autres raisons… Bien loin que la foi nous en persuade, nous ne croyons que parce que nous en sommes persuadés.

Les vérités de cette premiere & de cette seconde classe n’étant point à proprement parler révélées, & n’étant point crues par le motif de la révélation dans la foi raisonnée, ne sont point non plus l’objet des décisions de l’Eglise ; & ceci forme une autre exception à la proposition générale, que les dogmes de foi sont proposés aux fideles par l’autorité infaillible de l’Eglise ; car l’Eglise n’use vis-à-vis des fideles de son infaillible autorité, qu’en leur proposant les dogmes proprement révélés dont elle est juge, que son autorité même ne suppose point. Or ces vérités de la premiere classe ne peuvent être proposées comme révélées, mais seulement comme démontrées vraies par les lumieres de la raison, indépendamment de toute espece d’autorité. Et d’ailleurs, quand elles seroient à proprement parler révélées comme l’autorité de l’Eglise les suppose, elles ne pourroient être crues sur l’autorité de l’Eglise, mais seulement par le motif de la révélation. Voyez ce que nous dirons plus bas de l’analyse de la foi.

Voilà ce que j’avois à dire des motifs de la foi de ces vérités de la premiere & de la seconde espece. La persuasion du dogme capital de l’infaillibilité de l’Eglise que j’ai placé au troisieme rang, a pour motif la révélation même, puisque cette autorité infaillible de l’Egsise est établie sur des passages très clairs des livres proto-canoniques qui sont le fond même du Christianisme, & dont aucun chrétien ne conteste la vérité & la divinité.

Mais j’ajoûte que cette même doctrine n’est point proposée aux fideles par l’autorité infaillible de l’Eglise, puisque dans la foi raisonnée, qui est la seule dont nous parlons ici, le fidele qui la croiroit révélée sur ce motif, tomberoit dans un cercle vicieux bien manifeste.

Je sais que quelques théologiens prétendent qu’il n’y a point de sophisme dans cette maniere de raisonner, parce qu’en ce cas, disent-ils, on croit l’infaillibilité de l’Eglise par le motif de l’infaillibilité de l’Eglise ; ut in se virtualiter reflexam, comme virtuellement réfléchie en elle-même. Mais je sais aussi que cette explication est inintelligible.

Il nous reste à parler des vérités du quatrieme ordre & des motifs de la persuasion qu’on en a. Celles-ci n’étant point les fondemens de la révélation, & n’étant pas non plus antérieures dans l’ordre des connoissances & du raisonnement à la croyance de l’autorité infaillible de l’Eglise, deviennent l’objet principal sur lequel s’exerce cette autorité. C’est de l’Eglise même que nous les recevons comme révélés. Il y a plus ; nous ne pouvons nous assûrer qu’elles sont vraiment contenues dans la révélation, qu’en recevant de l’Eglise le sens des endroits de l’Ecriture qui les contiennent. C’est ce que nos controversistes ont établi contre les protestans, & en général contre tous les Hérétiques. Voyez Ecriture, Eglise, Infaillibilité.

Concluons que si on entend par le mot foi, ce qui est bien plus naturel, la persuasion de toutes les vérités qui font le corps de la doctrine chrétienne, il ne faut pas dire généralement que cette persuasion a pour motif la révélation divine, puisqu’il y a des vérités qui sont partie essentielle de la doctrine chrétienne, & dont la persuasion raisonnée a pour seuls motifs, ou des preuves que la raison fournit antérieurement à la révélation, tels que les principes de la premiere & de la seconde espece, ou le témoignage même de la révélation indépendamment de l’autorité de l’Eglise ; tel est le dogme de l’infaillibilité de l’Eglise. Cependant cela n’empêche pas que le fidele ne puisse faire des actes de foi, même à l’égard de cette vérité, puisqu’elle est contenue dans la révélation.

De l’analyse de la foi. Après avoir ainsi distingué les motifs de la persuasion que renferme la foi des vérités chrétiennes, nous entrerons tout naturellement dans la question que les Théologiens appellent l’analyse de la foi. En effet l’analyse ou résolution de la foi n’est autre chose que l’exposition des motifs raisonnés de la persuasion de toutes les vérités que renferme la foi chrétienne, & de l’ordre selon lequel ils doivent être rangés pour la produire dans l’esprit du fidele.

Or comme celui qui reçoit les vérités que nous avons placées au quatrieme ordre, c’est-à-dire les dogmes proposés par l’Eglise, est aussi convaincu de toutes les autres, par exemple, de celles qui sont communes au Christianisme & à la religion naturelle, nous aurons fait l’analyse ou la résolution de la foi de toutes les vérités chrétiennes, si nous assignons les motifs raisonnés qui produisent dans l’esprit du chrétien la persuasion d’un dogme appartenant à ce quatrieme ordre de vérités, d’un mystere par exemple.

Cette analyse doit renfermer la derniere raison qu’un chrétien interrogé puisse rendre de la foi d’un dogme révélé ; & les motifs de la foi de ce dogme doivent y être placés de telle maniere qu’ils puissent amener un hérétique & un incrédule à la foi de ce dogme ou de tout autre, & par conséquent à la foi de tous les dogmes ensemble. La raison de cela est que le chrétien le plus soûmis qui fait l’analyse de sa foi, se met pour un moment dans la même situation que celui qui examine s’il doit croire tel ou tel dogme en particulier, ou que celui qui cherche en général quelle doctrine religieuse il doit embrasser.

On peut concevoir par ces deux remarques, que la foi dont nous allons faire l’analyse, n’est ni celle des enfans qui croient au moyen de ce que les Théologiens appellent une foi infuse, ni celle des adultes simples & grossiers qui n’ont point de motifs raisonnés de leur croyance (je dis raisonnés, & non pas raisonnables), comme il y en a sans doute un grand nombre dans le sein même de l’Eglise catholique. Ces deux especes de foi sont l’ouvrage immédiat de l’esprit de Dieu qui souffle où il veut, & dont notre foible raison ne peut pas sonder les voies.

Et comme selon la doctrine des théologiens catholiques, la foi du chrétien le mieux instruit est aussi produite dans l’ame par le S. Esprit agissant comme cause efficiente, qu’elle est une habitude, une vertu infuse, &c. & que sous ces rapports elle est encore un très-grand mystere, nous ne nous proposons pas de la regarder sous ce point de vûe : & nous déclarons que dans la question de l’analyse de la foi, nous ne prétendons traiter que de la persuasion raisonnée qu’elle renferme.

La difficulté en ceci vient de l’embarras qu’on éprouve à placer dans un ordre naturel & raisonnable deux motifs qui dans la doctrine catholique doivent entrer tous deux dans l’analyse de la foi. Ces deux motifs sont l’autorité de l’Ecriture & celle de l’Eglise ; (la tradition peut être ici confondue avec l’autorité de l’Eglise, qui seule en est dépositaire, & qui parle pour elle).

Le fidele croit à l’un & à l’autre. Il y en a un qui précede l’autre dans l’ordre du raisonnement. Si c’est l’autorité de l’Eglise qui le fait croire à la divinité & à l’inspiration de l’Ecriture, il ne peut croire l’autorité infaillible de l’Eglise par le motif de la révélation, puisqu’il supposeroit dès lors cette même révélation dont il cherche à se prouver l’existence. D’un autre côté, si on croit l’autorité infaillible de l’Eglise parce qu’elle est révélée dans les Ecritures, on croira donc le dogme de la vérité & de la divinité des Ecritures, & on recevra l’explication des passages où cette infaillibilité est contenue, sans l’intervention de l’autorité de l’Eglise contre ce qu’enseignent encore plusieurs théologiens.

On a suivi l’une & l’autre de ces deux toutes ; delà plusieurs méthodes différentes d’analyser la foi.

Voici celle que nous adoptons.

Je crois tel dogme, parce qu’il est révélé. Je crois qu’il est révélé, parce que la société religieuse dans laquelle je vis, m’enseigne qu’il est révélé. Je crois à son enseignement, parce qu’elle est infaillible. Je crois qu’elle est infaillible, parce qu’elle est l’Eglise de Jesus-Christ, & que l’Eglise de Jesus-Christ est infaillible. Je crois qu’elle est l’Eglise de Jesus-Christ, parce que les chefs, les pasteurs de cette Eglise ont succédé à ceux que Jesus-Christ même avoit établis ; & je crois que l’Eglise de Jesus-Christ est infaillible, parce que cette infaillibilité lui est promise & clairement contenue dans les Ecritures proto-Canoniques que tous les Chrétiens reçoivent, & qui sont la parole de Dieu, soit dans une infinité d’endroits particuliers, soit dans toute l’histoire de l’établissement de la religion que racontent ces mêmes livres divins & inspirés. Je crois que les Ecritures sont la parole de Dieu, sont divines & inspirées, parce que cette vérité est essentiellement liée avec cette autre, la religion chrétienne est émanée de Dieu. Je crois enfin que la religion chrétienne est émanée de Dieu, par tous les motifs de crédibilité qui me le persuadent.

Cette méthode paroît si simple & si naturelle, qu’on pourra s’étonner de voir qu’elle n’est pas embrassée par tous les Théologiens. Cependant un grand nombre d’entr’eux dans leurs disputes avec les Protestans, ont été jettés dans une route différente par le desir d’élever à un plus haut degré, s’il étoit possible, l’autorité de l’Eglise. Ils ont prétendu que le fidele ne croyoit la vérité & l’inspiration du corps même des Ecritures des livres proto-canoniques, que par le motif de l’autorité infaillible de l’Eglise qui les adopte ; d’où ils ont été obligés dans l’ordre du raisonnement & dans l’analyse de la foi, tantôt à prouver l’autorité de l’Eglise par la révélation, en même tems qu’ils établissoient l’autorité de la révélation sur celle de l’Eglise, en quoi ils faisoient un cercle vicieux bien sensible, & que les Protestans n’ont pas manqué de leur reprocher : tantôt à n’établir le dogme capital de l’infaillible autorité de l’Eglise, que sur des motifs de crédibilité indépendans de la révélation, dans la crainte de tomber dans le sophisme qu’on leur reprochoit ; & tantôt enfin à prouver l’autorité de l’Eglise par l’autorité même de l’Eglise, ce qui est absolument insoûtenable.

Je ne m’arrêterai pas à rapporter ici les différentes méthodes d’analyser la foi que ces principes doivent fournir. On les devinera aisément. Mais voici celle qui est plus familiere à nos théologiens.

Je crois tel dogme, parce qu’il est révélé ; je crois qu’il est révélé, parce que l’Eglise m’en assûre. Je crois à la décision de l’Eglise, parce qu’elle est infaillible ; je crois que l’Eglise est infaillible, parce que son infaillibilité est contenue dans les Ecritures qui sont la parole de Dieu. Je crois que cette infaillibilité est contenue dans les Ecritures, parce que l’Eglise m’en assûre ; & je crois que les Ecritures & même les passages où est contenue l’infaillibilité de l’Eglise, sont la parole de Dieu, sur l’autorité de l’Eglise de qui je les reçois avant de les avoir ouvertes, & même avant d’avoir entendu parler de ce qu’elles contiennent.

On verra clairement que cette méthode & les autres qui s’écartent de la nôtre, sont défectueuses par les preuves mêmes sur lesquelles nous allons établir celle que nous suivons.

1°. Notre méthode est adoptée par de très-habiles théologiens qui ont traité de dessein formé la question de l’analyse de la foi : au lieu que ceux qui ont suivi des principes opposés, y ont été jettés en traitant séparément la question de l’autorité de l’Eglise. Nous nous contenterons d’en citer deux ou trois, parce que cette matiere est plûtôt du ressort du raisonnement que de celui de l’autorité.

Rien n’est plus clair & plus précis que ce que dit là-dessus le P. Juenin, instit. theolog. part. VII. diss. jv. c. 4.

Ce savant homme avance que sans les motifs de crédibilité, on ne peut pas avoir une certitude prudente de l’existence de la révélation divine ; parce que, dit-il, sans ces motifs, nous ne pouvons pas recevoir raisonnablement l’autorité divine des Ecritures, dans lesquelles l’infaillibilité de l’Eglise est révélée. D’où il forme cette analyse de la foi entierement semblable à la nôtre : ex iis quæ dicta sunt sequitur credentem sic procedere ; ideò mens adhæret alicui veritati quod sit à Deo revelata ; ideò scit esse revelatam, quod eam tanquam à Deo revelatam Ecclesia proponat ; ideo verò adhæret Ecclesiæ definitioni, quod illius infallibilitas in scripturis contineatur ; ideò adhæret scripturis, quod sint verbum Dei ; ideò tandèm certus est scripturas esse Dei verbum, quod ad id adducatur evidentibus motivis credibilitatis.

Voilà bien l’infaillibilité de l’Eglise crûe, parce qu’elle est contenue clairement dans l’Ecriture ; & la divinité des Ecritures crûe du fidele, par les motifs de crédibilité : tout cela indépendamment de l’autorité de l’Eglise.

On a vu plus haut qu’Holden, dans son traité de l’analyse de la foi, établit pour principe, que cette vérité générale, l’Ecriture est la parole de Dieu, n’est point, à proprement parler, révélée, & qu’elle est crûe par les motifs de crédibilité ; ce qui est tout-à-fait conforme à la méthode que nous embrassons.

Avant ces auteurs, Grégoire de Valence avoit posé pour fondement de l’analyse de la foi cette proposition : si la religion chrétienne est émanée de Dieu, l’Ecriture sainte est la parole de Dieu ; proposition que cet auteur trouve si évidente, qu’il ne juge pas qu’elle ait besoin de preuves : ce qui fait voir qu’il est bien éloigné d’établir la divinité du corps des Ecritures sur l’autorité de l’Eglise, & qu’il fonde, comme nous, la croyance du fidele à cet article, sur les motifs de crédibilité qui établissent que la religion chrétienne est émanée de Dieu.

2°. Notre analyse demeure solidement établie, si nous prouvons bien que la persuasion raisonnée de la vérité & de la divinité des Ecritures, n’a point pour fondement l’autorité de l’Eglise ; & qu’au contraire, l’autorité infaillible de l’Eglise est établie sur l’autorité de la révélation, & cela indépendamment de l’autorité de l’Eglise. Or nous avons déjà prouvé ces deux principes, en traitant des motifs de la persuasion raisonnée que renferme la foi ; & en voici une nouvelle preuve quant à l’autorité de l’Eglise.

C’est la doctrine de presque tous les théologiens catholiques, qu’elle est un objet de foi divine, en ce sens que nous la croyons par le motif de la révélation. Or à-moins qu’on n’embrasse notre méthode d’analyser la foi, on ne peut pas dire que cette vérité soit crûe par le motif de la révélation ; parce que lorsqu’on a une fois établi l’authenticité de la révélation sur l’autorité de l’Eglise, on ne peut plus recourir à la révélation pour établir l’autorité de l’Eglise, sans tomber dans un cercle vicieux : on est donc obligé de se retrancher à prouver l’infaillibilité de l’Eglise, par des motifs de crédibilité distingués de la révélation : mais ces motifs de crédibilité sont bien foibles, pour ne rien dire de plus : ils ne peuvent être aussi clairs que ces paroles, je suis avec vous jusqu’à la consommation des siecles ; qui vous écoute m’écoute, &c. textes qui fournissent les seules preuves démonstratives de l’infaillibilité de l’Eglise.

Je ne m’arrête pas à réfuter ceux qui voudroient établir l’autorité de l’Eglise immédiatement sur l’autorité de l’Eglise : le sophisme est manifeste dans cette maniere de raisonner.

Nous allons à-présent résoudre quelques difficultés qu’on peut proposer contre la méthode d’analyser la foi que nous adoptons : les voici.

1°. Notre principe, que ce n’est pas par l’autorité de l’Eglise que nous sommes sûrs de cette proposition, les Ecritures sont vraies & sont la parole de Dieu, semble donner quelque atteinte à ce que les théologiens catholiques ont démontré contre les protestans, que l’Eglise est juge des Ecritures ; à l’usage qu’ils ont fait du mot de S. Augustin : evangelio non crederem, nisi me ecclesiæ catholicæ commoveret autoritas ; & particulierement aux principes que suit M. Bossuet dans sa conférence avec le ministre Claude. Ce prélat soûtient expressément que le fidele baptisé & adulte ne reçoit l’Ecriture que des mains de l’Eglise ; qu’avant de l’avoir ouverte, il est en état de faire un acte de foi de la divinité des Ecritures, conçû en ces termes : je crois que cette Ecriture est la parole de Dieu, comme je crois que Dieu est. D’où il paroît que selon la doctrine de ce prélat dans l’analyse de la foi, la croyance de l’infaillibilité de l’Eglise doit précéder celle de la divinité des Ecritures ; sauf à croire l’infaillibilité de l’Eglise par les motifs de crédibilité.

Je réponds, 1°. Cette question, l’Eglise juge-t-elle des Ecritures ? peut avoir trois sens. 1°. L’Eglise est-elle juge du texte & du sens des Ecritures, dans les dogmes particuliers qui sont ou qui peuvent être controverses ? 2°. L’Eglise est-elle juge du texte des Ecritures, c’est-à-dire de sa vérité & de sa divinité, dans les différentes parties du corps des Ecritures, comme dans les deutéro-canoniques, ou même dans certaines parties des proto-canoniques ? 3°. L’Eglise est-elle juge du corps entier des Ecritures, & de la question générale, les Ecritures canoniques que tous les Chrétiens reçoivent, qui renferment les fondemens mêmes de la religion, l’histoire, la vie, les miracles de J. C. &c. sont-elles vraies, & sont-elles la parole de Dieu ?

Le catholique doit répondre à la premiere question, que l’Eglise est juge du sens des Ecritures dans tous les dogmes controversés, en en exceptant ceux que l’autorité même de l’Eglise suppose vrais & inspirés, comme sa propre infaillibilité, qu’on doit établir sur l’Ecriture, indépendamment de l’autorité de l’Eglise, mais qui une fois crûe par le motif de la révélation, devient pour le Chrétien une regle de foi.

A la seconde, on répondra que l’autorité de l’Eglise évidemment prouvée par des textes fort clairs des livres proto-canoniques que tous les chrétiens admettent, doit être notre regle de foi, pour le discernement des diverses parties de l’Ecriture dont l’authenticité & la divinité peuvent être mises en doute.

A la troisieme question, il faudra dire que la décision n’en doit point être portée au tribunal de l’Eglise, que ce n’est point d’elle que nous recevons cette vérité générale : il y a des Ecritures qui sont la parole de Dieu, & celles que reçoivent tous les Chrétiens ont ce caractere. Un concile ne peut pas s’assembler pour décider que la religion chrétienne est véritable, que l’évangile n’est pas une fable, & que les Ecritures sont divines, comme la religion dont elles sont le fondement.

Que si le concile de Trente, & auparavant le quatrieme concile de Carthage, ont donné le canon des Ecritures, leur décision n’avoit pour objet que les livres deutéro-canoniques ; & leur autorité dans cette même décision étoit fondée sur les Ecritures proto-canoniques, dont l’authenticité & la divinité étoient établies d’ailleurs, & n’étoient pas mises en question : & quoique le canon renferme les uns & les autres, c’est d’une maniere différente. L’Eglise fixe la croyance des fideles par rapport aux premiers, & elle la suppose par rapport aux seconds ; tout comme elle suppose en s’assemblant, que la religion chrétienne est émanée de Dieu, & que son infaillibilité est déjà crûe des fideles à qui elle propose ses décisions.

Quant au passage de S. Augustin : 1°. entendu à la lettre, il prouveroit beaucoup trop, puisqu’il s’ensuivroit qu’on ne pourroit point amener un incrédule à la croyance de la vérité & de la divinité des Ecritures, sans employer l’autorité divine de l’Eglise.

Je dis, sans employer l’autorité divine ; car il faut distinguer l’autorité naturelle dont joüit toute société dans les choses qui la regardent, & qu’on ne peut refuser à l’Eglise considérée comme une société purement humaine, de l’autorité divine qu’elle a reçûe de J. C. & de l’Esprit-saint qui dicte ses décisions. C’est de cette derniere espece d’autorité que les Théologiens parlent, lorsqu’ils disent que l’Eglise est juge du corps même des Ecritures. En effet, l’autorité de l’Eglise considérée sous l’autre point de vûe, entre parmi les motifs de crédibilité qui établissent en même tems la divinité de la religion chrétienne : cette remarque est importante, & j’aurois dû la faire plûtôt ; mais elle me fournit ici une explication toute naturelle du passage dont il s’agit ici. Je dis donc :

2°. Que le texte de S. Augustin doit être traduit ainsi : « Je ne crois à l’évangile, que parce que je m’assûre que l’Eglise universelle considérée comme une société purement humaine, a conservé & nous a transmis sans corruption & sans altération les véritables écrits des premiers disciples de J. C. Que si cette société, qui ne peut pas se tromper dans des choses qui la touchent de si près, regardoit les évangiles comme des livres supposés & contraires à sa doctrine, je ne croirois point aux évangiles ». Enfin si l’on veut absolument que S. Augustin parle là de l’autorité divine de l’Eglise, on pourra croire qu’il ne parle que d’une partie des évangiles, en supposant l’infaillibilité de l’Eglise établie sur les autres.

Je passe à ce qu’on nous oppose de M. Bossuet ; & je trouve que ce prélat ne nous est pas contraire : il dit bien que les fideles simples & grossiers reçoivent l’Ecriture des mains de l’Eglise, avant de s’être convaincus par les Ecritures même que cette Eglise est infaillible ; & c’est-là un fait qu’on ne sauroit nier : mais il ne dit pas qu’en la recevant ainsi ils suivent l’ordre du raisonnement ; ce n’est point l’analyse de la foi qu’il se propose de faire dans l’endroit qu’on a cité. En effet, pressé par le ministre Claude d’expliquer par quel motif le fidele croit à l’infaillibilité de l’Eglise, au moment qu’il reçoit d’elle les Ecritures, il dit, qu’il ne s’agit pas d’assigner ce motif ; qu’il y en a sans doute que le S. Esprit met dans le cœur du fidele baptisé ; qu’il n’est question entre lui & M. Claude que du moyen extérieur dont Dieu se sert pour lui faire croire l’Ecriture. Or nous ne parlons ici que du motif raisonné qui fait naître cette persuasion, & point du tout de ce moyen extérieur que je conviens bien être pour les fideles simples & grossiers l’autorité de l’Eglise : & M. Bossuet prétend si peu faire l’analyse de la foi, & assigner les motifs raisonnés qui font croire le fidele à l’Ecriture, qu’il rappelle par-tout le ministre Claude à la foi infuse, que le fidele a reçûe dans le baptême, de l’infaillibilité de l’Eglise & de la divinité de l’Ecriture ; foi, dit-il, que le S. Esprit lui a mise dans le cœur, en même tems que la foi en Dieu & en Jesus-Christ. Or nous ne parlons pas ici de la foi infuse, mais seulement de la persuasion raisonnée que renferme la foi d’un adulte qui s’approche de Dieu par la voie du raisonnement.

Encore une réflexion. M. Bossuet place ensemble & en même tems dans l’esprit de cet adulte, & la foi de la divinité des Ecritures, & la foi de l’existence de Dieu & de l’infaillibilité de l’Eglise : cependant il est impossible de soûtenir que la persuasion de ces deux dernieres vérités ait pour motifs raisonnés l’autorité même de l’Eglise. Il faut donc convenir que M. Bossuet ne parle pas des motifs raisonnés, & qu’il ne prétend pas plus assigner ces motifs, lorsqu’il parle de la foi de la divinité du corps des Ecritures, que lorsqu’il parle de ces deux autres principes. On peut donc dire que le fidele dont parle M. Bossuet croit la divinité des Ecritures, sans l’intervention de l’Eglise, précisément comme il croit l’autorité de l’Eglise, par les motifs de crédibilité que le S. Esprit met dans son cœur, pour employer les termes mêmes de M. Bossuet. Or comme la foi à l’Eglise universelle, quoiqu’appuyée sur ces motifs de crédibilité indépendans de l’autorité de l’Eglise, n’en est pas moins mise dans le cœur du fidele baptisé, en même tems que la foi en Dieu & en Jesus-Christ, selon M. Bossuet lui-même, la foi de ce fidele à la divinité des Ecritures pourra être aussi mise dans son cœur par l’Esprit-saint, sans l’intervention de l’autorité de l’Eglise. Je ne vois pas ce qu’on peut répondre à cela.

Je pourrois ajouter une remarque, en la soûmettant cependant au jugement des lecteurs instruits. En supposant même que M. Bossuet parle de la foi raisonnée de la divinité des Ecritures ; s’il soûtient que cette foi ne peut être fondée que sur l’autorité même de l’Eglise, ce n’est-là qu’un argument qu’il employe dans la chaleur de la dispute, pour presser plus fortement la nécessité d’une autorité infaillible. Son argument peut bien n’être pas solide, sans que sa cause en souffre : un tribunal suprème pour décider les points obscurs, difficiles, & controversés, n’en est pas moins nécessaire, quoique la question générale, claire, & facile à décider, de la divinité des Ecritures, que tous les Chrétiens reçoivent, & celle de l’infaillibilité de l’Eglise, ne puissent pas être portées à ce même tribunal. Aussi voyons-nous que c’est en attaquant M. Bossuet sur ce principe qui semble opposé à notre analyse, que le ministre Claude le presse avec le plus de force & de vivacité.

2°. Mais, dira-t-on, il est toûjours vrai que selon votre analyse un adulte ne peut pas croire la divinité & l’inspiration des Ecritures sans les avoir lûes. Or cela est contraire aux principes de nos théologiens contre les Protestans, & très-favorable à ce que ceux-ci soûtiennent de la suffisance de l’Ecriture pour régler la croyance des Chrétiens.

De même, dans votre sentiment il sera nécessaire pour croire à l’infaillibilité de l’Eglise, d’avoir lû les passages sur lesquels son autorité est établie, & d’en avoir pénétré le sens.

Et comme le plus grand nombre des Chrétiens ne lisent point l’Ecriture ; faute de remplir cette condition ils ne croiront ni à la divinité des livres saints, ni à l’infaillibilité de l’Eglise.

Je répons 1°. tout ce qu’on pourroit conclure de nos principes, c’est qu’on ne croit point d’une foi raisonnée les deux dogmes de la divinité des Ecritures & de l’infaillibilité de l’Eglise sans avoir lû les Ecritures ; & que ceux qui n’auront pas rempli cette condition, n’auront point de motifs raisonnés de leur croyance : mais cela n’entraîne aucun inconvénient qui nous soit particulier ; il restera toûjours aux simples cette autre foi dont nous ne parlons point dans notre analyse, & que les Théologiens appellent infuse. Pour cette foi, il n’est pas besoin d’avoir lû l’Ecriture, ni refléchi sur les principes de la croyance chrétienne.

Ceux qui nous font cette difficulté, pourroient-ils assûrer que les simples ont une persuasion raisonnée de beaucoup d’autres principes non moins essentiels à croire ; l’infaillibilité même de l’Eglise, la croyent-ils d’une foi raisonnée ? Si cette vérité n’est point fondée sur la révélation, mais sur des motifs de crédibilité, il faudra que ces hommes grossiers y fassent réflexion pour que leur foi soit raisonnée ; & ces réflexions quelles qu’elles soient, valables ou peu solides, peut-on assûrer qu’ils les ont faites ?

2°. Pour que le chrétien se convainque de la divinité & de l’inspiration de l’Ecriture, il n’est pas nécessaire qu’il la lise. Nous avons représenté dans notre analyse cette proposition, l’Ecriture est la parole de Dieu, comme étroitement & évidemment liée avec celle ci, la religion chrétienne est émanée de Dieu ; cette liaison est évidente, & les plus simples la peuvent saisir. Il n’y a point de dogme plus essentiel à la religion chrétienne, qu’elle enseigne plus expressément & qu’elle suppose plus nécessairement ; de sorte que le fidele s’élevera par la voie du raisonnement à la persuasion de cette vérité, l’Ecriture-sainte est la parole de Dieu, en même tems qu’il parviendra à se convaincre de celle-ci, la religion chrétienne est émanée de Dieu. Or pour acquérir une persuasion raisonnée de cette derniere proposition, le simple fidele n’a pas besoin de lire l’Ecriture ; il suffit qu’il sache en gros l’histoire de la religion, de la vie & de la mort de Jesus-Christ, des miracles qui ont servi à son établissement, &c. ces choses sont connues dans la société dans laquelle il vit ; on les raconte sans que personne reclame ; on cite les endroits de l’Ecriture qui les contiennent ; le sens qu’on leur donne est simple & naturel. Voilà une certitude dans le genre moral, d’après laquelle l’homme grossier regle prudemment sa croyance.

En effet, entendre citer l’Ecriture par tant de gens qui la lisent & qui l’ont lûe, c’est exactement comme si on la lisoit soi-même. Remarque importante, à laquelle je prie qu’on fasse attention. Je dis à-peu-près la même chose de la croyance de l’infaillibilité de l’Eglise.

Si je ne m’étois pas déjà beaucoup étendu sur cette matiere, je ferois remarquer les avantages que peut donner la méthode que je propose dans nos controverses avec les Protestans. Si on veut faire sur cela quelques réflexions, on se convaincra facilement que cette maniere d’analyser la foi ne laisse plus aucun lieu aux difficultés qu’ils ont opposées aux théologiens catholiques ; difficultés tirées de l’embarras, qu’on éprouve à faire concourir ensemble, comme motifs de la foi, l’autorité de l’Eglise & celle de l’Ecriture, de la dignité & de la suffisance de l’Ecriture, &c.

Nous terminerons cette question en rapportant les analyses de la foi que proposent les Protestans, & en les comparant à la nôtre.

On conçoit d’abord que l’autorité de l’Eglise n’entre pour rien dans leurs méthodes ; & c’est ce qui les distingue de celles que les Catholiques adoptent. Nous avons vû que dans l’analyse de la foi il faut expliquer comment le fidele est certain de ces deux vérités, l’Ecriture est la parole de Dieu, & ce que je crois est contenu dans l’Ecriture ; en excluant l’autorité infaillible de l’Eglise, ils ont été embarrassés sur l’un & sur l’autre point.

Pour le premier article, le plus grand nombre des docteurs protestans ont dit que l’Ecriture avoit des caracteres qui prouvent sa divinité à celui qui la lit, par la voie du jugement particulier.

Ce jugement particulier, selon eux, suffit au fidele pour lui faire distinguer sûrement les livres canoniques de ceux qui ne le sont pas, même alors que tous les Chrétiens ne les reçoivent pas, & pour juger aussi de l’authenticité des textes courts : d’où l’on voit qu’il ne faut pas confondre ce jugement particulier, avec le jugement général qu’on porte de la divinité du corps des Ecritures, & qu’on fonde sur les motifs de crédibilité qui appuient la divinité de la religion chrétienne.

Il faut distinguer encore ce jugement particulier de l’enthousiasme & de l’inspiration immédiate qu’ont admis quelques fanatiques, comme Robert Barclay, & ne pas reprocher aux docteurs protestans une opinion qu’ils rejettent expressément.

Ce jugement particulier n’est pas même admis uniquement par tous les théologiens protestans pour juger de la divinité des Ecritures. La Placette ministre très-estimé, mort à Utrecht en 1718, s’est rapproché en ce point des théologiens catholiques, dans un traité de la foi divine. Il soûtient d’après Grégoire de Valence & d’autres théologiens catholiques, que la divinité des Ecritures peut être appuyée dans l’esprit du fidele & dans l’analyse de la foi, immédiatement sur la divinité de la religion chrétienne : c’est ce que nous avons dit, mais avec des restrictions que ce ministre ne peut pas apporter, & au défaut desquelles son analyse est défectueuse. En effet dans nos principes, la divinité des déutérocanoniques des textes courts, &c. n’étant pas liée intimement & évidemment avec cette vérité, la religion chrétienne est émanée de Dieu, il est nécessaire de recourir à l’autorité suprème de l’Eglise, pour recevoir d’elle ces livres & ces textes comme divins & inspirés ; d’où il suit que le protestant qui a secoüé le joug de l’Eglise, ne peut plus appuyer solidement le jugement qu’il porte de leur authenticité.

Quant au sens des Ecritures, tous les Protestans ont dit que l’esprit privé, ou le jugement particulier, en étoit juge ; & ils ont fondé cette assertion sur ce que l’Ecriture est claire, & qu’une médiocre attention suffit pour en découvrir le sens naturel. Ils ont ajoûté qu’en supposant même qu’elle eût quelque obscurité pour les fideles simples & grossiers, ce qui manqueroit non pas à l’évidence de l’objet, mais à la disposition du sujet, pouvoit être suppléé par Dieu au moyen d’un secours qui ouvre l’esprit des simples, & qui les rend capables de saisir & de comprendre les vérités nécessaires à croire pour le salut.

La Placette manie cette idée avec beaucoup d’adresse ; il s’appuie de l’autorité de nos controversistes qui ont reconnu un semblable secours ; & il forme cette analyse de la foi, que je rapporterai en entier, parce qu’on peut dire que c’est ce qu’il y a de mieux sur cet article dans la théologie protestante.

1°. La religion chrétienne est émanée de Dieu ; 2°. si elle est véritable & émanée de Dieu, l’Ecriture-sainte est la parole de Dieu ; 3°. si l’Ecriture est la parole de Dieu, on peut & on doit croire de foi divine tout ce qu’elle contient ; 4°. on ne manque pas de moyens pour s’assûrer que certaines choses sont dans l’Ecriture ; 5°. il y a diverses choses dans l’Ecriture qu’on peut s’assûrer qui y sont contenues, en se servant de ces moyens.

Nous avons déjà remarqué le défaut de cette analyse, quant à la deuxieme proposition ; elle est encore défectueuse dans la troisieme & dans la quatrieme. Il y a beaucoup de choses qu’on ne peut pas s’assûrer être contenues dans l’Ecriture, sans le secours d’une autorité dépositaire & interprete du sens des passages qui les renferment. L’Ecriture en beaucoup d’endroits est obscure & difficile, même pour les personnes un peu instruites. On avance gratuitement que Dieu donne ce secours extraordinaire que supposent les Protestans ; & il est bien plus simple qu’il ait donné aux apôtres & à leurs successeurs, le droit suprème d’expliquer l’Ecriture dans les endroits difficiles, & de décider en dernier ressort les contestations qui pourroient naître, &c. Nos théologiens ont établi tous ces principes. Voy. Ecriture, Eglise, Infaillibilité. Au reste on ne doit regarder ce que j’ai dit sur l’analyse de la foi, que comme une méthode que je propose, & non comme une assertion.

De l’objet de la foi. Nous avons parlé plus haut de l’objet de la foi d’une maniere assez générale en prenant la foi pour la persuasion de toutes les vérités qui appartiennent à la religion chrétienne. Nous en avons distingué de quatre especes. Mais c’est particulierement à la persuasion des vérités du quatrieme ordre que les Théologiens donnent le nom de foi, ou pour mieux dire, c’est à cette persuasion que convient ce qu’ils disent de l’objet de la foi, de sa certitude, de son obscurité, &c. c’est pourquoi dans la suite de cet article nous prendrons ordinairement le mot foi pour la persuasion des vérités de ce quatrieme ordre.

Ces vérités ont deux qualités ; elles sont contenues dans la révélation, & l’Eglise les propose aux fideles comme contenues dans la révélation & comme l’objet d’une persuasion que Dieu exige : de-là deux questions dont la solution renfermera à-peu-près tout ce que les Théologiens disent d’important sur l’objet de la foi.

Premiere question. De quelle maniere un dogme doit-il être contenu dans la révélation pour être actuellement l’objet de notre foi, & pour être au nombre des vérités du quatrieme ordre, car nous ne parlons plus des autres ?

Seconde question. De quelle maniere un dogme doit-il être contenu dans la révélation pour devenir l’objet d’une persuasion que Dieu exige de nous par une nouvelle définition de l’Eglise ?

Pour répondre à la premiere question, je remarque d’abord qu’un dogme quelconque pour être l’objet de la foi, doit être contenu dans la révélation certainement, & que cette certitude doit exclure toute espece de doute, la raison en est sensible ; c’est que la foi qu’on en auroit ne pourroit pas exclure tout doute si la certitude qu’on doit avoir qu’il est révélé n’étoit pas elle même absolue & parfaite en son genre. Le défaut de ce haut degré de certitude qui constate la réalité de la révélation, exclut du nombre des objets de la foi un grand nombre de conséquences théologiques qui ne sont pas évidemment liées avec les propositions révélées dont on s’efforce de les déduire. Car suivant la remarque du judicieux Holden de resolutione fidei, lib. II. cap. ij. « Plusieurs théologiens en combattant les hérétiques avec plus de zele que de discernement, soûtiennent des conséquences incertaines & même des opinions agitées dans les écoles de Philosophie comme nécessairement liées avec la foi & la religion chrétienne ».

Il faut encore distinguer plusieurs sortes de propositions contenues dans les sources de la révélation ; les premieres y sont contenues expressément, c’est-à-dire ou en autant de termes ou en termes équivalens ; les secondes comme la conséquence de deux propositions révélées & disposées dans la for me du syllogisme ; les troisiemes comme déduites de deux propositions, dont l’une est révélée & l’autre connue par la lumiere naturelle, mais parfaitement évidente. Les dernieres enfin comme déduites de deux propositions, dont l’une est révélée & l’autre connue par la lumiere de la raison, mais de telle maniere que cette derniere prémisse ne soit pas au-dessus de toute espece de doute.

Un dogme contenu dans la révélation en autant de termes ou en termes équivalens, ou comme une proposition particuliere dans une proposition universelle, est un objet de foi indépendamment d’une nouvelle définition. Sur un dogme de cette nature, il existe toûjours une décision de l’Eglise qui lui assûre la qualité de révélé. Tous les Théologiens conviennent de ce principe.

Cela est vrai aussi des dogmes contenus dans la révélation comme conséquence de deux propositions révélées ; quelques auteurs prétendent cependant que ces dogmes ne peuvent être regardes comme de foi, qu’en vertu d’une nouvelle définition ; parce que, disent-ils, sans cette définition la liaison de la conséquence avec les premisses n’étant que l’objet de la raison, objet sur lequel cette faculté peut se tromper, la conséquence qui suppose cette liaison ne sauroit appartenir à la foi : mais cette opinion est insoûtenable ; une conséquence de cette nature est très-certainement contenue dans la révélation par l’hypothèse, puisqu’elle suit évidemment de deux prémisses révélées ; la définition de l’Eglise qui assûre aux prémisses la qualité de révélées, de contenues dans la révélation, s’étend nécessairement à la conséquence elle-même. Le motif de l’assentiment qu’on y donne est la révélation ; cette conséquence a donc indépendamment d’une nouvelle définition de l’Eglise toutes les qualités essentielles à un dogme de foi appartenant à la quatrieme classe des vérités que nous avons distinguées. Il faut donc convenir qu’elle est de foi.

Je vas plus avant, & je dis que les propositions de la troisieme espece sont encore de foi indépendamment d’une nouvelle définition de l’Eglise, & précisément en vertu de l’ancienne. Je m’écarte en ceci de l’opinion commune ; mais voici mes raisons.

La premiere est que les conséquences de deux propositions, dont l’une est révélée, & l’autre absolument certaine & évidente, sont tout comme les propositions de la seconde espece très-certainement contenues dans la révélation, connues comme telles par l’ancienne définition de l’Eglise, qui en déclarant le principe révélé, a déclaré en même tems révélée la conséquence évidemment contenue dans ce principe, & enfin crues par le motif de la révélation.

En second lieu, lorsqu’une des prémisses est évidente, l’identité de la conséquence avec le principe révélé est évidente aussi ; & cela posé, on ne peut pas plus douter de la conséquence que du principe. Une conséquence de cette nature n’ajoûte rien à la révélation ; on ne peut donc pas se dispenser de la regarder comme révélée.

Ce n’est que lorsque la prémisse de raison est susceptible de quelque incertitude, qu’on peut douter si la conséquence est identique avec la proposition révélée ; aussi n’est-ce qu’alors que la conséquence n’est pas de foi, & il n’y a point d’inconvénient à ce que l’assentiment qu’exige la foi dépende ainsi de la vérité de cette prémisse de raison, comme on pourroit se l’imaginer faussement. Il n’y a point de proposition de foi dont la vérité ne dépende d’un grand nombre de vérités naturelles aussi essentiellement que la vérité de la conséquence dont nous parlons peut dépendre de la prémisse de raison. Mais malgré cette dépendance, l’assentiment qu’on donne à la conclusion a toûjours pour motif unique la révélation, & la prémisse naturelle n’est jamais que le moyen par lequel on connoît que la conséquence est liée avec la prémisse révélée, & non pas le motif de croire cette même conséquence. C’est ce que les Théologiens savent bien dire en d’autres occasions.

Au reste, je ne regarde ici le raisonnement comme formé de trois propositions, que pour me conformer au langage de l’école ; car si je voulois le rappeller à sa forme naturelle qui est l’entymême, je pourrois tirer beaucoup d’avantage de cette maniere de l’envisager.

Une troisieme raison, est qu’une conséquence de cette espece participe de l’obscurité qui caractérise la foi ; elle tient du principe d’où elle émane, de la proposition révélée, toute l’obscurité qui enveloppe celle-ci. La liaison du sujet & de l’attribut y est inévidente, & pourroit être niée si la proposition révélée, de laquelle on la conclut, ne l’empêchoit ; & comme, bien qu’obscure & inévidente, elle est très certaine, il faut de nécessité qu’elle soit de foi.

Enfin j’ajoûte qu’il est impossible de citer une seule conséquence de cette espece, qui ne soit vraiment de foi, & qu’on ne regarde dans l’Eglise comme telle. Par exemple, dans ce raisonnement : il y a en Jesus-Christ deux natures raisonnables parfaites, toute nature raisonnable & parfaite a une volonté, donc il y a en Jesus-Christ deux volontés. Cette conséquence étoit crue de tous les Chrétiens, & étoit de foi, même avant la définition du sixieme concile contre les Monothélites, & précisément en vertu de la doctrine reçûe de toute l’Eglise ; c’est pourquoi je crois qu’on doit distinguer deux sortes de définitions de l’Eglise, celles qui ne font que constater une ancienne croyance, connue de tous les fideles, généralement reçûe & enseignée expressément dans toute l’Eglise, & celles qui fixent la foi des fideles sur des objets moins familiers & moins bien connus. Il faut bien dire que la définition de la consubstantialité du Verbe au concile de Nicée, étoit une décision de la premiere sorte, autrement il faudroit convenir que le point de doctrine qu’on y décida avant ce tems là, n’étoit pas un dogme de foi expresse & explicite, aveu qu’aucun théologien catholique ne peut faire.

Il nous reste à parler des propositions contenues dans la révélation, comme conséquences des deux prémisses ; dont l’une est révélée, & l’autre connue par la raison, mais dépourvûe d’évidence & susceptible de quelque espece de doute & d’incertitude : celles-là ne sont point de foi, indépendamment d’une nouvelle décision de l’Eglise, & elles le deviennent aussi-tôt que cette décision a lieu. Voilà la réponse à la seconde question.

La premiere partie de cette assertion n’a pas besoin de preuves. Par l’hypothese on peut douter raisonnablement si ces propositions sont contenues dans la révélation, à consulter la lumiere naturelle ; donc jusqu’à ce que la décision de l’Eglise ait levé ce doute, elles ne sauroient être de foi.

Mais la définition de l’Eglise peut présenter aux fideles cette même conséquence comme contenue dans la révélation, ce qu’elle peut faire en plusieurs manieres, ou en décidant (absolument & sans rapport à la prémisse révélée dont elle peut être tirée) que cette proposition est contenue dans certains passages de l’Ecriture, dont le sens n’avoit pas encore été éclairci, quoique les premiers pasteurs en fussent instruits ; ou en recueillant la tradition éparse dans les églises particulieres, & la présentant aux fideles ; ou en puisant cette même tradition dans les écrits des peres & des écrivains ecclésiastiques, ou même en décidant que cette conséquence est vraiment liée avec la prémisse révélée, & en dissipant par-là l’incertitude que les lumieres de la raison laissoient encore sur cette même liaison.

Je regarde aussi les propositions de cette derniere classe comme l’objet propre & particulier de la Théologie, toutes les autres appartenant véritablement à la foi. Et je définis une conclusion théologique la conséquence de deux prémisses, dont l’une est révélée, & l’autre connue par les lumieres de la raison, mais susceptible encore de quelque espece d’incertitude. Ceci est une question de bien petite importance, & à laquelle je ne veux pas m’arrêter. Mais il me semble clair qu’une conclusion vraiment théologique n’est jamais évidemment contenue dans la prémisse révélée. Citons pour exemple une conclusion théologique des plus certaines, la volonté de Dieu de sauver tous les hommes sans exception ; & considérons-la dans ce raisonnement : selon S. Paul, Deus vult omnes homines salvos fieri ; or tous, dans le passage de S. Paul, signifie tous les hommes sans exception ; donc Dieu veut sauver tous les hommes sans exception. Ne voit-on pas que si cette derniere conséquence n’est pas de foi, selon le plus grand nombre des théologiens, ce n’est que parce qu’on suppose que la seconde proposition de cet argument n’est pas au-dessus de toute espece de doute & d’incertitude. Mais cette question pourra être traitée à l’article Théologie.

Je remarquerai seulement que dans le système le plus communément reçû, que les conséquences d’une prémisse révélée & d’une prémisse de raison absolument évidente, appartiennent à la Théologie, on ne s’est pas apperçû que toutes les fois que la prémisse de raison est évidente, la conséquence est toûjours identique avec la proposition révélée, & on a imaginé qu’il pouvoit y avoir de ces conséquences-là qui ajoûtassent quelque chose à la révélation ; ce qui est absolument faux.

Les trois premieres especes de propositions sont donc de foi, en vertu des anciennes définitions, ou plûtôt en vertu de l’ancienne croyance de l’Eglise qui exerce toûjours son autorité sur celles là ; puisque nous ne les pouvons regarder comme révélées pour en faire les objets de notre foi, que parce que l’Eglise nous les présente comme telles. Quant aux dernieres, elles sont à proprement parler l’objet des nouvelles décisions de l’Eglise. En décidant sur celles-là, l’Eglise constate qu’elles sont dejà de foi ; & en décidant sur celles ci, elle les présente aux fideles comme devant être desormais l’objet de la croyance de tous ceux à qui sa définition & la proposition en question seront connues.

D’après ces principes, on résout sans embarras une autre question que S. Thomas exprime ainsi : Utrum articuli fidei per successionem temporum creverint ; le nombre des articles de foi s’est il augmenté par la succession des tems ? Selon ce pere, crevit numerus articulorum, secundâ secundæ, quæst. 1. art. vij. mais le plus grand nombre des théologiens semble s’écarter en cela de son sentiment. Selon Juenin, articuli fidei iidem semper numero fuerunt in ecclesiâ christianâ, inst. theol. part. VII. dissert. jv.

Mais ce n’est là qu’une dispute de mots. Il ne faut qu’expliquer ce que l’on peut entendre par de nouveaux articles de foi ; il ne se fait point de nouveaux articles de foi, de ces articles qu’on regarde comme le fond de la foi chrétienne, & dont la croyance explicite (nous expliquerons ce mot un peu plus bas) est nécessaire au salut ; mais l’Eglise peut proposer aux fideles comme l’objet d’une persuasion que Dieu exige d’eux, des vérités particulieres que les fideles pouvoient auparavant ou ignorer ou rejetter formellement sans errer dans la foi.

Une question se présente ici que je ne trouve pas traitée de dessein formé dans nos théologiens. Quand une proposition est-elle déclarée suffisamment par l’Eglise contenue dans la révélation, de sorte que par cette déclaration elle devienne l’objet de la foi ? Tout le monde convient qu’une proposition contenue dans la révélation, & connue comme telle, doit être crûe ; on convient encore que l’Eglise seule a le droit de nous faire connoître sûrement les dogmes contenus dans la révélation ; mais on semble supposer qu’il est facile de déterminer quand une doctrine est suffisamment déclarée par l’Eglise contenue dans la révélation pour devenir l’objet de la foi.

Si un dogme n’est déclaré contenu dans la révélation que par une définition expresse de l’Eglise qui le propose aux fideles en autant de termes, la question ne souffrira aucune difficulté. Mais il n’en est pas ainsi. Il y a beaucoup de dogmes dont l’Eglise n’a point fait de définition expresse, qu’elle déclare cependant être contenus dans la révélation ; qu’elle déclare, dis-je, d’une maniere suffisante, pour que ces dogmes soient vraiment de foi ; c’est ce qu’il est facile de prouver.

1°. Il y a beaucoup de vérités dans l’Ecriture, qui sont postérieures dans l’ordre des connoissances à l’autorité infaillible de l’Eglise, que nous ne connoissons comme très-certainement contenues dans les Ecritures que par le moyen de l’Eglise, dont elle n’a jamais fait de définition expresse, & qui sont cependant des dogmes de foi. Comme aussi il y a des choses définies expressément qui étoient l’objet de la foi, & que l’Eglise déclaroit contenues dans la révélation avant la définition expresse.

Prenons pour exemple la présence réelle avant Berenger. L’Eglise n’avoit pas fait de définition expresse de ce dogme ; cependant il étoit de foi. L’Eglise le déclaroit donc contenu dans la révélation, & elle le déclaroit d’une maniere suffisante, pour lui donner le caractere d’un dogme de foi. Donc l’Eglise peut déclarer qu’un dogme est contenu dans la révélation d’une autre maniere que par une définition expresse de ce même dogme.

2°. Je dis la même chose des vérités de foi que renferme la tradition : comme que le baptême des enfans est bon & valable ; que la communion sous les deux especes n’est pas nécessaire au salut, &c. Ces dogmes sont déclarés par l’Eglise contenus dans la tradition, sans qu’elle en forme aucune définition expresse.

Or comment se fait donc cette déclaration ? Je répons que l’explication constante & unanime que le plus grand nombre des Peres & des écrivains ecclésiastiques, & en général les pasteurs de l’Eglise, donnent à un passage contenu quant aux paroles dans les livres canoniques, est une déclaration que ce dogme est contenu dans l’Ecriture quant au sens ; déclaration suffisante pour que le dogme soit ipso facto l’objet de la foi pour ceux à qui cette explication est connue.

Et de même la pratique constante & universelle de l’Eglise lorsqu’elle suppose un dogme contenu dans la tradition, suffit pour déclarer que ce dogme est contenu dans la tradition, & doit être l’objet de la foi.

Je pourrois faire voir dans un plus grand détail la nécessité & l’utilité de ce principe, mais je suis obligé de me resserrer pour passer à d’autres objets.

De l’obscurité de la foi. La foi est obscure, mais en quel sens ? Toutes les vérités de foi sont-elles obscures, & quelles sont celles qu’affecte cette obscurité ?

L’obscurité de la foi ne peut affecter que les objets mêmes, & non pas les motifs de la persuasion. Par ces motifs, je n’entends pas ici le motif immédiat qui nous fait donner notre assentiment aux vérités de foi, c’est-à-dire l’autorité de la révélation, mais les preuves par lesquelles on constate la réalité de la révélation. Or la liaison des vérités de la foi avec ces preuves, doit être dans son genre évidente & nécessaire ; & c’est alors seulement qu’on observera le précepte de l’apôtre, qui veut que l’obéissance à la foi soit raisonnable.

C’est pourquoi je ne saurois approuver la pensée de M. Pascal, qui prétend que Dieu a laissé à dessein de l’obscurité dans l’économie générale, dans les preuves de la religion : qu’on se lasse de chercher Dieu par le raisonnement ; qu’on voit trop pour nier & trop peu pour assûrer ; que ce Dieu dont tout le monde parle, a laissé des marques après lui ; que la nature ne le marque pas sans équivoque ; c. viij. que les foiblesses les plus apparentes sont des forces a ceux qui prennent bien les choses ; qu’il faut connoître la vérité de la religion dans son obscurité ; que Dieu seroit trop manifeste s’il n’y avoit de martyrs qu’en notre religion, c. xviij. &c.

Car il me semble au contraire que pour repousser les traits des incrédules, il est nécessaire d’établir que la religion chrétienne n’a d’autre obscurité que celle qui affecte ses mysteres, & que les preuves, les motifs de crédibilité qui l’établissent, ont une évidence suprème dans le genre moral, & qui ne peut laisser aucune espece de doute dans l’esprit. Qu’on lise tous les auteurs qui ont travaillé à la défense de la religion, on verra qu’aucun ne s’est écarté de ce principe dont ils ont senti la nécessité.

Il suit de-là que dans les quatre ordres de vérités que nous avons distingués en traitant de l’analyse de la foi, il n’y a que celles qui appartiennent au quatrieme ordre, & qu’on peut croire par le motif de la révélation proposée par l’Eglise, sur lesquelles puisse tomber quelqu’obscurité. Ainsi, c’est sur les mysteres que tombe l’obscurité de la foi. Voyez ce mot.

C’est l’obscurité des mysteres qui les fait paroître contraires à la raison, & c’est pourquoi nous renvoyons aussi à l’article Mysteres la question importante, si la raison est contraire à la foi.

De la certitude de la foi. Nous ne pouvons traiter ici de la certitude de la foi, que par la comparaison avec la certitude des vérités que la raison fait connoître ; car la question de la certitude absolue des vérités de la foi, appartient aux articles Religion, Révélation, &c.

On demande si la foi est autant, ou plus, ou moins certaine que la raison ; & cette question conçue en ces termes généraux, est presque inintelligible : foi, raison, certitude, tous ces termes ont besoin d’être définis.

On voit d’abord qu’il s’agit encore ici de la foi comme persuasion, & même de la persuasion que renferme la foi proprement dite, fondée sur l’autorité de la parole de Dieu, & non pas de la croyance des autres vérités qui appartiennent à la religion chrétienne, & qui ne seroient pas crûes par le motif de la révélation.

Cette persuasion peut être considérée, ou dans le sujet, dans l’esprit qui la reçoit, ou relativement à l’objet sur lequel elle tombe, ou par rapport au motif sur lequel elle est fondée.

On considere aussi la certitude en général sous ces trois rapports différens : de-là les Théologiens ont distingué la certitude de sujet, la certitude objective, & la certitude de motif.

La certitude de sujet est la fermeté de l’assentiment qu’on donne à une vérité quelconque.

Cette certitude pour être raisonnable, doit toûjours être proportionnée à la force des motifs qui la font naître : autrement elle ne seroit pas distinguée de l’entêtement qu’on a quelquefois pour les erreurs les plus extravagantes. Il suit de-là que la comparaison que nous nous proposons de faire entre la certitude de la foi & celle de la raison, ne peut pas s’entendre de la certitude du sujet, sans y faire entrer en même tems la certitude de motif, sans supposer que de part & d’autre les motifs de persuasion sont solides & au-dessus de toute espece de doute. Mais cette supposition étant une fois faite, on peut demander si l’adhésion aux vérités de la foi est plus forte que l’adhésion de l’esprit aux vérités que la raison démontre.

Il semble d’abord que cette adhésion est plus forte du côté de la foi, que de celui de la raison. Personne n’est mort pour des vérités mathématiques, & les martyrs ont scellé de leur sang la foi qu’ils professoient.

Il y a bien de l’équivoque dans tout cela. L’adhésion aux vérités de foi dont nous parlons ici, est une conviction intime, intérieure & tout-à-fait distinguée de la profession qu’on peut faire de bouche & de tout acte extérieur. Cette conviction n’atteint les vérités de la foi que comme vraies, & non pas comme utiles, comme nécessaires à soûtenir hautement & à professer extérieurement. Le chrétien doit sans doute regarder les vérités de la foi de cette derniere façon ; mais c’est abuser des termes que d’appeller la disposition de son esprit une certitude, c’est plûtot un amour de ces mêmes vérités. Il a la vertu & la grace de la foi s’il meurt, plûtôt que de démentir par ses actions ou par ses paroles, la persuasion dont il est plein ; mais il n’est pas pour cela plus fortement persuadé de ces mêmes vérités que le géometre de ses théorèmes, pour lesquels il ne voudroit pas mourir ; parce que le chrétien & notre géometre regardent tous deux comme vraies les propositions qui sont l’objet de leur persuasion. Or comme la vérité n’est pas susceptible de plus & de moins de deux propositions bien constantes & bien prouvées, on ne peut pas raisonnablement regarder l’une comme plus vraie que l’autre.

Ce principe me conduit à dire aussi que la foi précisément comme persuasion n’étoit pas plus grande dans les Chrétiens qui la confessoient à la vûe des supplices dans les martyres, que dans ceux que la crainte faisoit apostasier. En effet les tyrans ne se proposoient pas d’arracher de l’esprit des premiers chrétiens la persuasion intime des dogmes de la religion, & d’y faire succéder la croyance des divinités du Paganisme ; on vouloit qu’un chrétien benît Jupiter & sacrifiât aux dieux de l’empire ; ou bien on le punissoit, parce qu’il ne professoit pas la religion de l’empereur, mais sans se proposer de la lui faire croire. Et en effet pense-t-on que les apostats, après avoir succombé à la rigueur des supplices, honorassent du fond du cœur Jupiter auquel ils venoient d’offrir de l’encens, & cessassent de croire à J. C. aussitôt qu’ils l’avoient blasphemé : ils n’avoient plus la vertu de la foi, la grace de la foi ; mais ils ne pouvoient ôter de leur esprit la persuasion de la mission de Jesus-Christ, qu’ils avoient souvent vû confirmée par des miracles ; les motifs puissans qui les avoient amenés à la foi chrétienne, ne pouvoient pas leur paroître moins forts, parce qu’ils étoient eux-mêmes plus foibles, & leur persuasion devoit rester absolument la même, au moins dans les premiers momens, & jusqu’à ce que le desir de justifier leur apostasie leur fît fermer les yeux à la vérité.

La certitude qu’on a des vérités de la foi n’est donc pas plus grande lorsqu’on meurt pour les soûtenir, que lorsqu’on les croit sans en vouloir être le martyr, parce que dans l’un & dans l’autre cas, on ne peut que les regarder comme également vraies. Et par la même raison, la certitude de sujet des vérités de la foi, n’est pas plus grande que celle qu’on a des vérités évidentes, ou même que celle des vérités du genre moral, lorsque celle-ci a atteint le degré de certitude qui exclut tout doute.

Passons maintenant à la certitude objective.

Il n’y a nulle difficulté entre les Théologiens sur cette espece de certitude, & on demeure communément d’accord qu’elle appartient aux objets de la foi, comme à ceux que là raison nous fait connoître, & même qu’elle appartient aux uns & aux autres dans le même degré. Il est vrai que quelques théologiens ont avancé que l’impossibilité que ce que Dieu atteste ne soit véritable, est la plus grande qu’on puisse imaginer ; & qu’eu égard à cette impossibilité, les objets de la foi sont plus certains que ceux des Sciences : mais cette prétention est rejettée par le plus grand nombre, & avec raison ; car les vérités naturelles sont les objets de la connoissance de Dieu, comme les vérités révélées de son témoignage. Or il est aussi impossible que Dieu se trompe dans ce qu’il fait, que dans ce qu’il dit ; je ne m’arrête pas sur une chose si claire.

Quant à ceux qui prétendroient que les objets de la foi ne sont pas aussi certains que ceux de la raison, nous leur ferons remarquer que dans la question dont il s’agit, on suppose la vérité, l’existence des uns & des autres ; & que cette vérité, cette existence étant une fois supposées, ne sont pas susceptibles de plus & de moins. C’est ainsi que quoique j’aye beaucoup plus de preuves de l’existence de Rome, que d’un fait rapporté par un ou deux témoins ; quoique la certitude de motif de mon adhésion à cette proposition Rome existe, soit plus grande que celle de mon adhésion à cet autre fait ; s’il est question de la certitude objective, & si nous supposons véritable le fait attesté par deux témoins, on doit regarder & l’existence de Rome & ce fait comme deux choses également certaines. Et qu’on ne dise pas que les vérités de la foi étant dans le genre moral, ne peuvent pas s’élever au degré de certitude objective qu’atteignent les vérités géométriques & métaphysiques : car je ne crains pas d’avancer que de deux propositions vraies, toutes les deux l’une dans l’ordre de la certitude morale & l’autre en Mathématique, s’il est question de la certitude objective, celle-ci n’est pas plus certaine que l’autre ; que si cette proposition est un paradoxe, c’est la faute des Philosophes, qui n’ayant pas conçu que cette certitude objective est la vérité même, ont fait deux expressions pour une même chose ; & d’après cela se sont jettés dans une question trop claire pour être examinée, quand on la conçoit dans les termes naturels. En effet, c’est comme si on demandoit s’il est aussi vrai que César a existé, qu’il est vrai que deux & deux sont quatre : or personne ne peut hésiter à répondre que l’un est aussi vrai que l’autre, quoiqu’il y ait ici deux genres de certitude différens. La certitude objective des vérités de foi est donc encore égale à celles des verités dont la raison nous persuade.

Il nous reste à parler de la certitude de motif : c’est la seule qu’on puisse appeller proprement certitude ; c’est la liaison du motif sur lequel est fondée votre persuasion, avec la vérité de la proposition que vous croyez ; de sorte que plus cette liaison est forte, plus il est difficile que le motif de votre assentiment étant posé, la proposition que vous croyez soit fausse, & plus la certitude de motif est grande.

Or le motif de l’assentiment qu’on donne aux vérités naturelles, est tantôt la nature même des choses évidemment connue, & alors la certitude est métaphysique ; & tantôt la constance & la régularité des actions morales ou des actions physiques, & alors la certitude est morale. Nous comparerons successivement la certitude de la foi à la certitude métaphysique, & à la certitude morale.

Lorsqu’on demande si la foi est autant, ou plus, ou moins certaine que les vérités évidentes, cette question revient à celle-ci : un dogme quelconque est-il aussi certain qu’une vérité que la raison démontre ? Or la certitude de motif d’un dogme quelconque dépend nécessairement de la certitude qu’on a que Dieu ne peut ni tromper ni se tromper dans ce qu’il révele, & 2° que Dieu a vraiment révélé le dogme en question : cela posé, ce que je ne crois que parce que Dieu le révele ne peut pas être plus certain, qu’il n’est certain que Dieu le révele ; & par conséquent quoique le motif immédiat de la foi, la véracité de Dieu, quoique cette proposition, Dieu ne peut ni nous tromper ni se tromper, soit parfaitement évidente & dans le genre métaphysique ; comme ce motif ne peut agir sur mon esprit pour y produire la persuasion d’un dogme, qu’autant que je constate la réalité & l’existence de la révélation de ce dogme, pour comparer la certitude de la foi à celle de la raison, il faut nécessairement comparer la certitude des propositions que la raison nous découvre, à la certitude que nous avons que les objets de notre foi sont révélés. Mais la question étant ainsi établie, il n’y reste plus de difficulté ; & voici des principes qui la décident.

1°. La certitude que nous avons que les dogmes que nous croyons sont révélés, est dans le genre moral. Les élémens de cette certitude sont des faits, des motifs de crédibilité, &c. Or ces faits, ces motifs, &c. l’existence de Jesus-Christ qui a apporté aux hommes la révélation, sa vie, ses miracles, toutes les preuves de la vérité & des livres saints, & de la divinité de la religion chrétienne ; tout cela est dans le genre moral.

2°. Cette même certitude est extrème, & telle qu’on ne peut pas s’y refuser sans abuser de sa raison. Tous les auteurs qui ont écrit en faveur de la religion, établissent ce principe.

3°. Cette certitude n’est pas supérieure à celle que nous avons des vérités mathématiques, ou simplement évidentes dans le genre métaphysique. Cela est clair.

4°. Il y a un sens dans lequel on peut dire que cette certitude est inférieure à celle que nous avons des vérités évidentes, & un sens dans lequel on doit dire qu’elle l’égale.

L’impossibilité qu’une proposition évidente soit fausse, est la plus grande qu’on puisse imaginer ; & eu égard à cette impossibilité sous ce rapport purement métaphysique, la certitude que nous avons qu’un tel dogme est révélé, & en général toute espece de certitude dans le genre moral, est inférieure à la certitude des vérités évidentes.

Mais comme on ne peut pas refuser son assentiment aux preuves qui établissent que Dieu a révélé ce que nous croyons, non plus qu’aux vérités évidentes ; comme celui qui se refuse à ces preuves abuse de sa raison, autant que celui qui nie une vérité mathématique ; comme la certitude morale a dans son genre autant d’action & de force sur l’esprit pour en tirer le consentement, que la démonstration la plus complete ; comme cette certitude est très analogue à la maniere dont les hommes jugent ordinairement des objets, qu’elle nous est familiere, que c’est celle que nous suivons le plus communément, &c. je crois qu’en tous ces sens on peut dire que la certitude morale, lorsqu’elle est arrivée à un certain degré, & par conséquent la certitude que nous avons de la réalité & de l’existence de la révélation, que nous supposons élevée à ce même degré, que cette certitude, dis-je, est égale à celle que nous avons des vérités évidentes & mathématiques.

Quant à la certitude que nous avons des vérités du genre moral, on peut voir par ce que nous venons de dire, que la certitude des dogmes de foi ne lui est pas inférieure, mais égale & du même genre.

Il suffit d’exposer ces principes, & ils n’ont pas besoin de preuves. J’avoue que je ne conçois pas comment on a pû soûtenir sérieusement que la foi est plus certaine que la raison. Les partisans de cette opinion n’ont pas pris garde qu’ils détruisoient d’une main ce qu’ils élevoient de l’autre. La foi suppose la raison, & la raison conduit à la foi. Avant de croire par le motif de la révélation, il faut en constater l’existence par le secours de la raison même.

Or comme la raison n’est pas pour nous un guide plus sûr, lorsque nous constatons l’existence de la révélation, que lorsque nous nous en servons pour reconnoître la vérité d’un théorème ou l’existence de César, les vérités que nous croyons d’après la révélation constatée, ne peuvent être plus certaines que le théorème & l’existence de César. Dans les deux cas, c’est toûjours la même raison & les mêmes lumieres. J’ajoûterai à ceci quelques réflexions.

Dans l’examen de cette question, les Théologiens ont fait ce me semble deux fautes. D’abord ils n’ont comparé que le motif immédiat qui nous fait croire à la proposition révélée, c’est-à-dire la véracité de Dieu, au motif de l’évidence qui nous fait accorder notre assentiment à une vérité métaphysique ou mathématique : au lieu que pour estimer la certitude de la foi, il falloit nécessairement avoir égard aux autres motifs subordonnés, par lesquels on constate l’existence de la révélation ; & demander si l’ensemble des motifs qui assûrent la vérité d’un dogme de foi, doit produire une certitude plus grande que celle qu’engendre l’évidence.

La raison de cela est que le motif de la véracité de Dieu ne peut agir sur l’esprit, & y faire naître la foi (entant que persuasion), qu’autant qu’on se convainc que Dieu a vraiment révélé le dogme en question ; que si on n’a pour se convaincre sur ce dernier point que des preuves doüées d’un certain degré de force, ou dans le genre moral, la certitude de motif de la foi de ce dogme sera aussi dans le genre moral, & n’aura que le même degré de force ; & quand même on supposeroit le motif de la véracité divine s’élever en particulier à un degré de certitude plus grand, je ne vois pas que la certitude d’un dogme & de la foi en général dût en être plus grande. Qu’on me permette une comparaison. Ce motif de la véracité divine est lié avec plusieurs autres, en suppose plusieurs autres, que la raison seule fournit. Je me représente ces motifs comme une chaîne formée de plusieurs chaînons, parmi lesquels il y en a un ou deux plus forts que les autres ; & d’un autre côté je regarde les motifs qui appuient une vérité évidente, comme une chaine composée de plusieurs chaînons égaux, & semblables aux petits chaînons de la premiere. Cette premiere chaîne ne sera pas plus forte que la seconde, & ne soûtiendra pas un plus grand poids. Vous aurez beau me faire remarquer la force & la grosseur de quelques-uns des chaînons de celle-là. Ce n’est pas par-là, vous dirai-je, qu’elle rompra ; & comme dans ses endroits foibles elle peut se rompre aussi facilement que l’autre, il faut convenir que l’une n’est pas plus forte que l’autre. C’est ainsi que dans l’assemblage des motifs qui produisent la persuasion d’un dogme de foi, la certitude supérieure qu’on prêteroit au motif de la véracité de Dieu ne pourroit pas rendre le dogme de foi plus certain.

Je dis la certitude supérieure qu’on prêteroit au motif de la véracité de Dieu, parce que cette supériorité n’est rien moins que prouvée. L’impossibilité que Dieu nous trompe étant fondée sur l’évidence même, n’est pas plus grande que l’impossibilité qu’il y a que l’évidence nous trompe.

L’autre faute qu’on a commise en traitant cette question, est de l’avoir conçûe dans les termes les plus généraux, au lieu de la particulariser. Il ne falloit par demander, la foi est-elle aussi certaine que la raison, mais un dogme de foi en particulier ? Cette proposition, par exemple, il y a trois Personnes en Dieu, est-elle aussi certaine de la certitude de motif (en prenant tout l’ensemble des motifs qui la font croire) que celles-ci, un & deux font trois ? César a conquis les Gaules. Je crois que si on eût conçû la question en ces termes, on se seroit contenté de dire que la foi est aussi certaine que la raison ; en effet on auroit vû clairement que la certitude de ce dogme dépend de la véracité de Dieu & des preuves qui constatent que ce dogme est révélé, & que parmi ces preuves il en entre plusieurs dont la certitude ne s’éleve pas au-dessus de la certitude métaphysique, pour ne pas dire qu’elle demeure au-dessous.

J’épargne aux lecteurs les discussions étendues que les scholastiques ont fait sur cette matiere. Pour décider une semblable question, il suffit d’un principe clair ; & celui que nous avons donné nous paroît avoir cette qualité. C’est le cas où l’on peut dire, qu’il ne faut pas écouter des objections contre une these démontrée.

Jusqu’à-présent nous avons considéré la foi comme persuasion ; nous avons remarqué que dans la doctrine catholique elle est aussi une vertu & une grace : nous allons la regarder par ces deux différens côtés.

La foi est une vertu. C’est le sentiment unanime de tous les PP. & de tous les Théologiens, qu’elle est méritoire ; ce qui ne peut convenir qu’à une vertu ; ce qu’il nous seroit facile de prouver, si nous ne craignions pas d’être trop longs.

Une difficulté se présente, qu’il est nécessaire de résoudre. La foi est une persuasion de certaines vérités ; la persuasion est le résultat des preuves, sur lesquelles ces vérités peuvent être appuyées. De quelque espece que soient ces vérités, les preuves qui nous y conduisent sont purement spéculatives, & il n’appartient qu’à l’esprit d’en juger. Quelle que soit la force de ces preuves en elles-mêmes, la persuasion ne peut qu’être conséquente à l’effet qu’elles produisent sur l’esprit qui les examine. Or cela posé, quel mérite peut-il y avoir à trouver ces preuves bonnes, & quel démérite à y refuser son assentiment ? Il n’y a ni crime ni vertu à ne pas croire vrai ce qu’on ne juge pas assez bien prouvé, & à croire ce qu’on trouve démontré. Et il ne faut pas penser que parce qu’il est question de religion dans cet examen, l’incrédulité y soit plus criminelle ; parce que comme les preuves sont du genre moral, on a droit d’en juger comme on juge dans toute autre question. Un homme n’est pas coupable devant Dieu de ne point croire une nouvelle de guerre, sur la déposition d’un grand nombre de témoins même oculaires ; on n’a point encore fait un péché en morale de cette espece d’incrédulité ; l’inconvaincu, en matiere de religion refuse, son assentiment à des preuves de même espece ; puisque celles qui appuient la religion sont aussi du genre moral ; il le refuse par la même raison, c’est-à-dire parce qu’il ne les croit pas suffisantes : son inconviction n’est donc pas un crime, & sa foi ne seroit point une vertu.

On peut confirmer cela par l’autorité des plus habiles Philosophes : Il n’y a autre chose, dit S’gravesande (Introd. ad Philosoph.), dans un jugement, qu’une perception ; & ceux qui croyent que la détermination de la volonté y est aussi requise, ne font attention ni à la nature des perceptions, ni à celle des jugemens. . . . Dès que les idées sont présentes, le jugement suit. . . . Celui qui voudroit séparer le jugement de la perception de deux idées, se trouveroit obligé de soûtenir que l’ame n’a pas la perception des idées qu’elle apperçoit.

S. Thomas se propose cette même question (sec. secundæ quæst. sec. art. 9.) en ces termes : celui qui croit a un motif suffisant pour croire, ou il manque d’un semblable motif. Dans le premier cas, il ne lui est pas libre de croire ou de ne pas croire, & sa foi ne sauroit lui être méritoire ; & dans le second il croit legerement & sans raison, & par conséquent aussi sans mérite.

Mais sa réponse n’est pas recevable. La voici mot pour mot : Celui qui croit a un motif suffisant pour croire ; l’autorité divine d’une doctrine confirmée par des miracles, & ce qui est plus encore, l’instinct intérieur par lequel Dieu l’invite. . . . ainsi il ne croit pas legerement, cependant il n’a pas de motif suffisant pour croire ; d’où il suit que sa foi est toûjours méritoire.

Je remarque, 1°. que l’instinct auquel S. Thomas a recours, ne fait rien ici, parce que ce n’est pas un motif.

2°. Il y a ici une contradiction : cet homme a un motif suffisant pour croire, & il n’a pas de motif suffisant : habet sufficiens inductivum ad credendum. . . . tamen non habet sufficiens inductivum ad credendum : cela est inintelligible.

Essayons de résoudre cette difficulté, qu’on ne nous accusera pas d’avoir affoiblie.

1°. Nous y parviendrons, si nous faisons comprendre que la volonté, ou pour parler plus exactement, la liberté influe sur la persuasion ; car cela posé, cette même persuasion pourra être méritoire, & le refus pourra en être criminel. Or voici ce qu’on peut dire sur cela.

Quoique les idées qui sont jettées dans notre ame d’après l’impression des objets extérieurs, ne soient point sous l’empire de la liberté au premier moment où elles y entrent à mesure qu’elles nous deviennent plus familieres, nous acquérons sur elles le pouvoir de les appeller ou de les éloigner, & de les comparer à notre gré, au moins hors des cas des grandes passions ; & tout cela tient sans doute en grande partie au méchanisme de nos organes. Or du pouvoir que nous avons d’appeller, d’écarter & de comparer à notre gré les idées, suit manifestement l’empire que nous avons sur notre persuasion : car toute persuasion résulte de la comparaison de deux idées ; & si nous écartons les idées dont la comparaison nous conduiroit à la persuasion de certaines vérités, nous fermerons par-là l’entrée de notre esprit à la persuasion de ces mêmes vérités.

Mais, pourra-t-on dire, lorsque nous écartons ces idées, la persuasion est déjà entrée dans notre ame ; car nous ne les écartons que pour ne pas faire la comparaison qui nous y conduiroit. Nous savons donc que cette comparaison nous conduiroit à la persuasion ; mais cela posé, nous sommes déjà persuadés, & nous ne faisons que nous dispenser de réfléchir sur notre persuasion.

Je répons qu’en faisant cette instance, on conviendroit que la persuasion réfléchie est libre. Or un théologien peut soûtenir avec beaucoup de vraissemblance que la foi est une persuasion réfléchie ; & on voit que dans ce sentiment il est facile de concevoir comment elle est méritoire, & comment elle est une vertu.

Mais sans considérer ici la foi en particulier, on peut dire que toute persuasion en général est libre, entant que réfléchie, quoiqu’elle ne le soit pas entant que directe. Il y a une premiere vûe de l’esprit jettée rapidement sur les idées & sur les motifs de la persuasion, qui suffit pour soupçonner la liaison des idées & la solidité des motifs, & qui ne suffit pas pour en convaincre. Ce soupçon n’est rien autre chose qu’un sentiment confus ; c’est la vûe mal terminée d’un objet qui nous épouvante dans l’éloignement, que nous reconnoissons, & que nous craignons de fixer. Dans cet état on n’a pas sur la liaison des idées, le degré d’attention nécessaire pour former un jugement décidé, & pour avoir une persuasion réfléchie. Or je croirois volontiers que l’exercice de la liberté n’a pas lieu dans ce premier moment : aussi n’est-ce pas alors que la persuasion des vérités de la foi est méritoire. L’incrédule le plus obstiné peut sentir confusément la vérité des motifs de crédibilité qui conduisent à la religion, & ne pas en être persuadé ; & les remords & les inquiétudes dont on dit que ces gens-là sont tourmentés, prennent leur source dans ce sentiment confus.

2°. Voici encore une autre maniere d’expliquer comment la persuasion est libre. Les vérités de la religion sont établies par des preuves, & combattues par des objections. La persuasion résulte de la conviction intime, de la force de celles-là, & de la foiblesse de celles-ci. Il est certain que celui qui détournera son esprit de la considération des preuves pour l’attacher aux difficultés qui les combattent, quoique les difficultés soient foibles & les preuves fortes, opposera très-librement des obstacles à la persuasion ; & c’est ce que nous voyons arriver tous les jours.

La volonté, dit Pascal, est un des principaux organes de la créance, non qu’elle forme la créance, mais parce que les choses paroissent vraies ou fausses, selon la face par laquelle on les regarde. La volonté qui se plait à l’une plus qu’à l’autre, détourne l’esprit de considérer les qualités de celle qu’elle n’aime pas : & ainsi l’esprit marchant d’une piece avec la volonté, s’arrête à considérer la face qu’elle aime ; & en jugeant par ce qu’elle y voit, il regle insensiblement sa créance suivant l’inclination de la volonté.

3°. Toute cette difficulté suppose que l’évidence des preuves de la religion est telle, qu’on ne peut pas ne pas s’y rendre aussi-tôt qu’on les comprend : or c’est ce qui n’est point. Ecoutons encore Pascal sur ce sujet : Il y a, dit-il dans l’économie générale de la religion, assez de lumiere pour ceux qui ne desirent que de voir, & assez d’obscurité pour ceux qui ont une disposition contraire...... assez d’obscurité pour aveugler les reprouvés, & assez de clarté pour les condamner & les rendre inexcusables.

En général quoique les preuves du genre moral, lorsqu’elles sont portées à un certain degré d’évidence, entraînent le consentement avec beaucoup de force, il est cependant vrai qu’elles n’exercent pas sur l’esprit un empire aussi puissant que celles qui sont de l’ordre métaphysique. La possibilité absolue du contraire, que les preuves morales laissent toûjours subsister, suffit pour donner lieu à l’incrédulité. C’est ainsi qu’on a vû au commencement de ce siecle un savant, appuyé de conjectures legeres, révoquer en doute des faits établis sur les preuves morales les plus completes.

Voilà ce que nous avions à dire de la foi considérée comme vertu.

La foi est encore une grace. Ceci a besoin d’explication ; car on ne voit pas d’abord ce que peut avoir de commun avec la grace, une persuasion qu’un certain concours de preuves produit dans l’esprit. Voici donc comment cela peut s’entendre.

1°. La foi est une grace extérieure, c’est à-dire que Dieu fait une grande grace, une extrème faveur à ceux qu’il place dans des circonstances, où les vérités chrétiennes entrent plus facilement dans leur ame, & où les préjugés n’opposent point à la foi des obstacles trop grands.

2°. La foi est une grace intérieure. Si l’homme a besoin du concours de Dieu pour la moindre action, ce concours lui est nécessaire pour arriver à la persuasion des vérités de la foi. Or ce concours est surnaturel.

On n’a pas encore expliqué bien nettement ce qu’on doit entendre par ce mot. Holden dit que les actes de foi sont divins & surnaturels, tant à cause qu’ils sont appuyés sur la révélation divine, que parce qu’ils ont pour objet des mysteres & des choses divines fort au-dessus de l’ordre de la nature. Liv. I. chap. ij. Cela s’entend assez bien. Mais les Théologiens regardent cette explication comme insuffisante, & ils exigent qu’on dise encore que l’acte de foi est surnaturel entitativement. Voyez Grace & Surnaturel.

La foi n’est pas la premiere grace ; car Dieu donne des graces aux infideles pour arriver à la foi : c’est la doctrine catholique.

Dans les définitions & les divisions qu’on a données de la foi, on a assez ordinairement confondu la foi comme persuasion, comme grace & comme vertu : c’est pourquoi nous allons faire quelques remarques sur ces définitions & ces divisions.

On définit la foi, une vertu divinement infuse, une lumiere surnaturelle, un secours, un don de Dieu qui nous fait acquiescer fermement aux vérités révélées par le motif même de l’autorité de Dieu.

Je crois qu’il faudroit dire que c’est une persuasion ferme des vérités révélées par Dieu, fondée sur l’autorité de Dieu même, sauf à faire entendre ensuite que cette persuasion est méritoire, & qu’elle est une vertu ; que nous avons besoin d’un secours surnaturel pour nous y élever, & qu’elle est une grace en ce sens. On voit au contraire dans la définition communément reçûe, la vertu de la foi, la grace de la foi & la persuasion que renferme la foi, entierement confondues.

Quelques théologiens ajoûtent dans cette définition, après ces mots révélées par Dieu, ceux-ci, & proposées par l’Eglise.

Mais Juenin remarque que cette addition n’est pas essentielle à la définition de la foi ; & que quoique l’Eglise propose communément les choses révélées comme telles, on peut cependant croire un dogme sans que l’Eglise le propose. Cette question dépend de l’examen de celle-ci, quand & comment l’Eglise propose-t-elle aux fideles un dogme comme révélé ? On doit en trouver la solution aux articles Eglise & Révélation.

On divise la foi 1°. en habituelle & actuelle, & cette division peut s’entendre de la foi considérée sous les trois rapports, de persuasion, de grace & de vertu. Mais qu’est-ce que la foi habituelle ? Est-ce une qualité habituelle dans le sens de la philosophie d’Aristote ? C’est sur quoi l’Eglise n’a point prononcé définitivement. Cependant depuis la fin du douzieme siecle les Théologiens se sont servi du terme d’habitude pour expliquer ce que l’Eglise enseigne sur la nature de la grace sanctifiante qui est répandue en l’ame par les sacremens, à savoir que c’est quelque chose d’interne ou d’inhérent & distingué des actes.

La foi est aussi acquise ou infuse. On appelle foi acquise, celle qui naît en nous par une multitude d’actes répétés ; & infuse, celle que Dieu fait naître sans aucun acte préalable : telle est la foi des enfans ou même des adultes, que Dieu justifie dans la réception des sacremens. C’est la doctrine du concile de Trente, sess. 6. Il n’est pas aisé d’expliquer la nature de cette foi infuse, & les principes de la philosophie moderne peuvent difficilement se concilier avec ce qu’en disent les Théologiens. Voyez Habitudes. Mais encore une fois ce qu’ils disent à ce sujet, n’appartient pas à la foi.

On a donné le nom de foi informe à celle qui se trouve dans un sujet destitué de la grace sanctifiante ; & on appelle foi formée, celle qui se trouve réunie avec la grace sanctifiante. Les scholastiques du xij. & du xiij. siecle ont imaginé cette division.

L’apôtre S. Paul appelle foi vive, celle qui opere par la charité qui est jointe à l’observation de la loi de Dieu ; & S. Jacques appelle foi morte, celle qui se trouve sans les œuvres. La doctrine catholique est que la foi sans les œuvres ne suffit pas pour la justification. Voyez le concile de Trente, sess. vj. de just. Mais comme S. Paul releve l’efficace de la foi pour la justification, & semble rabaisser celui des œuvres, & que S. Jacques au contraire releve le mérite des œuvres : de-là est née une grande dispute entre les Calvinistes & les Catholiques, sur la part qu’il faut donner aux œuvres & à la foi dans la justification. Nos théologiens ont accusé les Calvinistes d’en exclure absolument les œuvres. Il est vrai que Calvin s’est exprimé sur cette matiere avec beaucoup de dureté : qu’on lise le chapitre xj. xij. xiij. & suiv. du liv. III. de l’institution. Cependant les Arminiens dans le sein même du Protestantisme, se sont efforcés de rapprocher son opinion de celle des Catholiques. C’est un des points de doctrine qui les divise des Gomaristes ; peut-être pourroit-on expliquer favorablement ce que Calvin a dit là-dessus. Je ne citerai que ce qu’on lit au chapitre xvj. de l’instit. liv. III. Ita liquet quam verum sit nos non sine operibus, neque tamen per opera justificari. Voy. Justification.

Enfin on divise la foi en implicite & explicite. On peut croire implicitement une vérité, ou parce qu’on croit une autre vérité qui la renferme, ou parce qu’on est soûmis à l’autorité qui l’enseigne, & disposé à recevoir d’elle cette vérité dès qu’on saura qu’elle l’enseigne. La plus grande partie des simples dans toutes les communions, croyent les dogmes de leurs églises d’une foi implicite en ces deux sens-là.

Dans l’église catholique il y a des dogmes qu’il suffit de croire d’une foi implicite, & d’autres qu’il est nécessaire pour le salut de croire explicitement. Ceci nous donne lieu d’entrer dans la question de la nécessité de la foi pour le salut. On voit bien que quoique la division de la foi implicite & explicite ne regarde la foi qu’entant qu’elle est une persuasion, la nécessité de la foi regarde aussi la grace & la vertu de la foi. Voilà pourquoi nous avons renvoyé ici cette importante question, dont l’examen terminera cet article.

Je ne me propose pas cependant de la traiter méthodiquement ; cet article est déjà trop long : je me contenterai de faire ici quelques réflexions générales sur cette matiere, & c’est peut-être ainsi que la Théologie devroit être traitée dans l’Encyclopédie, je veux dire qu’il faudroit se contenter des réflexions philosophiques qu’on peut faire sur ces objets importans, & renvoyer pour le fond aux ouvrages théologiques.

On distingue en Théologie la nécessité de précepte & la nécessité de moyen. Les différences qu’on assigne entre l’une & l’autre sont bien legeres & de peu d’utilité dans les grandes questions de la nécessité de la foi, de la grace, du baptême, &c. en effet ces deux nécessités sont également fortes, puisqu’on est également puni pour ne pas accomplir le précepte, & pour ne pas se servir du moyen.

Une des différences qu’on allegue entre l’une & l’autre, & qui mérite d’être remarquée, est que l’ignorance invincible excuse de péché dans les choses qui sont de nécessité de précepte ; au lieu qu’elle n’excuse point dans les choses qui sont de nécessité de moyen : Necessitas medii, dit Suarès de necessitate fidei, non excusatur per ignorantiam invincibilem.

Les Théologiens ne décident pas expressément que cette ignorance invincible ait lieu quelquefois, & ils n’expliquent pas bien nettement si elle est absolument & métaphysiquement invincible : mais si l’on entendoit par l’ignorance invincible de la foi, du baptême, &c. l’état d’un homme qui est dans une impossibilité absolue, qui n’a aucun moyen ni prochain ni éloigné d’arriver à la foi, d’avoir le baptême, en soûtenant que la foi, le baptême, &c. sont nécessaires pour un tel homme, on diroit une grande absurdité ; car on diroit que Dieu ordonne comme absolument nécessaires, des choses absolument impossibles.

La nécessité de la foi pour le salut, est un dogme capital dans la doctrine chrétienne : les Théologiens qui ont voulu y mettre quelques adoucissemens, & user de quelques explications, se sont toûjours écartés des principes reçûs, & sont en fort petit nombre : ainsi la foi est nécessaire d’une nécessité de moyen : de sorte que sans la foi, on n’arrive jamais au salut.

Cette proposition, la foi est nécessaire au salut, est synonyme de celle ci, hors l’Eglise point de salut, parce qu’on n’est dans l’Eglise que par la foi ; & si-tôt qu’on a la foi, on est dans l’Eglise.

Le sens de cette proposition, la foi est nécessaire au salut, est qu’il y a des vérités particulieres dont la foi explicite est nécessaire pour être sauvé : autrement cette proposition seroit vague & ne signifieroit rien.

Un dogme quelconque est crû d’une foi explicite ; lorsqu’il est directement l’objet de la persuasion que renferme la foi, lorsque la proposition qui l’exprime est présente à l’esprit de celui qui croit ; & ce même dogme sera crû d’une foi implicite, si on croit généralement ou à l’autorité de Dieu qui le révele, ou à celle de l’Eglise qui le professe, sans avoir d’idée distincte de ce que Dieu révele. Les simples qui croyent tout ce que l’Eglise croit, ont une foi implicite de beaucoup de dogmes que les personnes plus instruites croyent explicitement.

Tous les dogmes que l’Eglise présente aux fideles comme révélés, sont l’objet d’une persuasion que Dieu exige d’eux lorsqu’ils connoissent & le dogme & la définition de l’Eglise : & en ce sens, la foi de tous les dogmes, même de ceux qui paroissent moins essentiels, est nécessaire au salut : mais comme on peut sans danger ignorer en beaucoup de points & ces dogmes & la définition, & qu’il suffit de croire en général ce que l’Eglise enseigne, on peut dire qu’il n’y a qu’un certain nombre de vérités, dont la foi est nécessaire au salut.

On demande quels sont les dogmes dont la foi explicite est nécessaire au salut. Les Théologiens demeurent communément d’accord qu’outre l’existence & les attributs de Dieu, il est nécessaire de croire en Dieu comme l’auteur de la grace ; en J. C. comme médiateur entre Dieu & les hommes, & Dieu lui-même ; au mystere de l’Incarnation & à celui de la Trinité des Personnes.

Cependant leur doctrine n’est pas sur cela absolument constante & uniforme ; l’Eglise même n’a pas décidé cette grande question. Cela est clair par la liberté qu’on s’est donné d’augmenter ou de restraindre le nombre des articles qu’il faut croire de foi explicite, sous peine de damnation. Suarès, Soto, Vega, Maldonat, Hugues de Saint-Victor, Alexandre de Halès, Albert-le-Grand, Scot, Gabriel Biel, &c. ont regardé la foi implicite en Jesus-Christ comme suffisante pour le salut.

C’est sur le même principe que Payva d’Andrada, quest. orthodox. Robert Holcots ; Erasme, præfat. in tuscul. Collius, de animabus Paganorum, ont érigé en foi suffisante pour le salut la bonne foi & les vertus des Payens.

Juenin remarque que l’opinion de Suarès n’a pas été condamnée expressément, mais qu’il ne faut pas la suivre dans la pratique : je ne sais pas ce qu’il entend par la pratique de cette opinion ; mais il est clair que Suarès est en opposition avec la plûpart des peres, avec la doctrine la plus reçûe dans l’Eglise.

Quant à l’opinion des autres théologiens que nous avons cités, on sent bien que c’est abuser des termes, que de dire que ces honnêtes payens avoient une foi implicite, puisque leurs opinions, quoique conformes à la doctrine chrétienne sur l’unité de Dieu, lui étoient opposées dans plusieurs autres non moins nécessaires à croire.

Il y a beaucoup de choses nécessaires au salut d’une nécessité de moyen : le baptême ; la foi infuse ; la foi explicite en Dieu, comme l’auteur de la nature ; la foi explicite en Dieu, comme auteur de la grace ; la foi explicite des mysteres de la trinité & de l’incarnation ; & par conséquent la foi explicite en J. C. la justification ; la grace en général, &c.

De toutes ces choses, celle qui est de premiere nécessité, est la grace de la justification, à laquelle toutes les autres sont subordonnées. Le baptême est le seul moyen que Dieu ait établi pour acquérir la justification, & pour effacer la tache originelle : c’est par-là que le baptême est nécessaire d’une nécessité de moyen ; on doit dire la même chose de la foi. Ce n’est que parce que sans la persuasion explicite de certains dogmes Dieu n’accorde point la justification aux adultes, que cette foi est nécessaire. La foi infuse, selon les Théologiens, accompagne toûjours la justification ; & réciproquement.

Pour déterminer avec précision comment la foi est nécessaire au salut, faisons une hypothèse. Supposons qu’un enfant baptisé, & par conséquent justifié, est élevé parmi des payens ou des sauvages ; & que cet enfant parvenu à l’âge de raison & adulte, vît quelques jours en observant fidelement la loi naturelle, & meurt sans s’être rendu coupable d’aucun péché mortel : il n’y a aucun théologien qui osât dire que cet enfant justifié en J. C. dans lequel il n’y a plus de damnation selon la parole de l’apôtre, nihil damnationis est in iis qui sunt in Christo Jesu, & qui n’a point perdu la grace de la justification, n’obtient pas le salut éternel : cependant il est adulte ; il n’a pas la foi explicite : la foi explicite n’est donc nécessaire qu’à cause de la justification avec laquelle elle est toûjours liée. En effet, si l’adulte étoit encore coupable du péché originel, il n’obtiendroit pas le salut éternel : mais ce ne seroit pas précisement & uniquement à cause du défaut de foi explicite, mais parce qu’il ne seroit pas justifié. On ne s’explique donc pas avec assez de netteté, lorsqu’on dit que la foi explicite est nécessaire aux adultes d’une nécessité de moyen. Voici comment cela doit s’entendre. L’enfant baptisé & manquant de la foi explicite, parvenant à l’usage de raison, & péchant mortellement, perd la justice habituelle. Or, pour être justifié de nouveau, la foi explicite lui est nécessaire ; parce que la foi explicite est nécessaire & préalable à la réception de la grace de la justification dans les adultes.

On doit dire la même chose, à plus forte raison, de l’enfant coupable du péché originel, parvenant à l’usage de raison, & mourant après avoir péché mortellement.

Quant à celui qui meurt adulte & encore coupable du péché originel, même sans avoir péché mortellement : comme selon la doctrine chrétienne, la justification qui renferme la foi infuse ne peut lui être accordée, qu’au préalable il n’ait la foi explicite ; cette foi est aussi pour lui nécessaire d’une nécessité de moyen, mais toûjours à raison de la justification.

Quelques dogmes dans la doctrine chrétienne semblent augmenter la dureté apparente de celui-là ; & d’autres la temperent : voici les premiers. La foi est une grace que Dieu ne doit à personne, même à celui qui fait tout ce qui est en lui pour l’obtenir. Hors de l’Eglise point de salut. Les seconds sont que Dieu ne peut pas commander l’impossible ; que la foi n’est pas la premiere grace ; que Dieu donne à tous les hommes des moyens suffisans pour le salut.

On peut remarquer qu’on regarde comme de foi en Théologie les dogmes rigoureux de la nécessité absolue de la foi ; au lieu qu’on traite de sentimens pieux les principes qui peuvent lui servir de correctif. C’est ainsi qu’on dit modestement que la volonté de Dieu de sauver tous les hommes, & la concession des moyens suffisans pour le salut, sont des sentimens pieux & qui approchent de la foi. J’avoue que cette différence m’a toûjours fait quelque peine. Il est au moins aussi certain que Dieu donne à tous les hommes des moyens suffisans pour arriver à la foi, qu’il est certain qu’il exige qu’ils ayent la foi. L’un & l’autre dogme me semblent entrer essentiellement dans l’économie de la religion.

Encore quelques réflexions. J’ai déjà averti que je ne m’asservissois à aucun ordre.

Celui qui en supposant la nécessité de la foi en J. C. pour le salut, diroit que des payens & des sauvages, sont élevés à cette connoissance par un secours extraordinaire de Dieu, & par la grace, & qu’ils ont reçû le don de la foi, diroit une chose peu vraissemblable, mais n’avanceroit rien de contraire à la doctrine chrétienne : car la doctrine chrétienne n’est pas que hors ceux qui sont visiblement de l’Eglise, & qui ont entendu & reçû la parole de l’Evangile, tous les autres périssent éternellement ; c’est seulement que celui qui ne croit point sera condamné ; que celui qui ne sera point de l’Eglise par la foi n’entrera point dans le royaume des Cieux : mais elle ne décide pas que hors ceux qui sont visiblement de l’Eglise, & qui ont reçû par les moyens ordinaires la prédication de l’Evangile, aucun n’ait la foi : en un mot cette proposition, hors de l’Eglise & sans la foi point de salut, n’est pas la même que celle-ci, hors de l’Eglise visible point de foi. Le dogme de la nécessité de la foi ne reçoit donc aucune atteinte de l’opinion de ceux qui disent que des payens & des sauvages se sont sauvés par la foi.

Mais, dit-on, ces gens-là ne peuvent pas croire, selon ce passage de S.Paul : quomodo credent, si non audierunt ; quomodo audient, sine predicante ? ils sont donc sauvés sans la foi ?

Ces théologiens répondent, que les payens & les sauvages en question ne peuvent pas croire par les voies ordinaires ; mais que rien n’empêche que Dieu n’éclaire leur esprit extraordinairement ; que personne ne peut borner la puissance & la bonté de Dieu jusqu’à décider qu’il n’accorde jamais ces secours extraordinaires, & qu’il est bien plus raisonnable de le penser, que de s’obstiner à croire que tous ceux à qui l’Evangile n’a pas été préché, & qui font la plus grande partie du genre humain, périssent éternellement, sans qu’un seul arrive au salut que Dieu veut pourtant accorder à tous.

Cependant on voit que l’hypothese de ce secours extraordinaire est absolument gratuite.

On éprouve quelque difficulté à concilier ensemble la nécessité & la gratuité de la foi.

Si la foi est nécessaire ; & si tous les hommes ont des moyens suffisans pour arriver au salut, il est clair que Dieu donne à tous les hommes des moyens suffisans pour arriver à la foi.

Des moyens suffisans pour arriver à la foi, sont ceux dont le bon usage amene certainement & infailliblement le don de la foi, autrement ces moyens ne seroient pas suffisans ; de sorte que celui qui use de ces moyens, autant qu’il est en lui, reçoit toûjours la grace de la foi, selon cet axiome : facienti quod in se est cum ipso gratiæ auxilio, Deus non denegat gratiam. Les infideles ont donc des moyens dont le bon usage les conduiroit infailliblement à la grace de la foi. Qu’on prenne garde que je ne dis pas que ces moyens soient purement naturels.

Mais, dira-t-on, s’il y a des moyens dont le bon usage conduiroit infailliblement à la foi, il peut y avoir des circonstances dans lesquelles Dieu ne peut pas se dispenser, à raison même de sa justice ou au moins à raison de sa bonté, d’accorder le don de la foi ; & cela posé, comment est-il vrai que la foi est une grace, qu’elle est purement gratuite, & que Dieu ne la doit à personne ?

Je réponds, 1°. si par impossible les deux dogmes de la gratuité de la grace & de la suffisance des moyens que Dieu donne aux hommes pour le salut, étoient incompatibles, il faudroit conserver ce dernier, & abandonner l’autre.

2°. Notre doctrine est une suite manifeste du principe que nous avons cité, & qui paroît bien raisonnable, facienti omne quod in se est, &c. car il suit de-là que l’infidele qui use, autant qu’il est en lui, des graces qui précedent la foi, obtient toûjours la grace de la foi.

3°. Dans l’hypothese que nous faisons, c’est la grace, à laquelle notre infidele répond, qui amene la grace de la foi. Or le dogme de la gratuité de la foi, s’oppose bien à ce que les seules forces de la nature l’appellent, mais non pas à ce que la fidélité aux premieres graces amene celle de la foi.

Quoique la foi soit nécessaire au salut, l’infidélité négative, c’est-à-dire le défaut de foi, lorsqu’on n’a pas résisté positivement aux lumieres de la foi qui se présentoient, n’est pas un péché. C’est le sentiment le plus communément reçû (voyez Suar. disp. xvij.) ; & en effet, il seroit ridicule de prétendre qu’on peut pécher sans aucune espece d’action délibérée : or l’infidele, négatif par l’hypothese, n’exerce aucune sorte d’action délibérée relativement à la foi. C’est la principale raison qu’apporte Suarès dans l’endroit cité ; ce qu’il appuie encore de ce passage qui semble décisif : si non venissem & loquutus eis fuissem, peccatum non haberent, Joan. 15.

D’après ce principe, ces hommes ne périssent pas pour n’avoir pas eu la foi, mais pour les contraventions à la loi qu’ils connoissent, & qui est écrite au fond de leur cœur : c’est la doctrine de S. Paul aux Romains : quicumque sine lege peccaverunt, sine lege peribunt, &c.

Cependant on fait sur cela une difficulté : si ces hommes observoient la loi naturelle, leur infidélité négative ne leur étant pas imputée à péché, ils pourroient éviter la damnation, & par conséquent arriver au salut sans la foi ; & cette nécessité absolue de la foi souffrira quelque atteinte.

On répond, 1°. que cet argument est d’après une hypothese qui n’a jamais de lieu, parce que jamais un infidele n’a observé la loi naturelle dans tous ses points. Cette réponse ne me semble pas solide, parce que si cet infidele a des moyens suffisans pour observer la loi naturelle, s’il a même le secours de la grace pour cela, il peut sert bien arriver qu’effectivement il l’observe : c’est ce que prouve clairement l’hypothese que fait Collius, de animab. Pag. lib. I. cap. xiij. d’un petit payen qui, commençant à user de sa raison, observeroit la loi naturelle, & passeroit un jour sans se rendre coupable d’aucun péché mortel. Hypothese assûrément très-possible, & qu’on ne peut contester.

2°. S. Thomas répond que si ces hommes observoient la loi naturelle, Dieu leur enverroit plûtôt un ange du ciel pour leur annoncer les vérités qu’il est nécessaire qu’ils croyent pour arriver au salut, ou qu’il useroit de quelque moyen extraordinaire pour les conduire à la foi, & qu’ainsi ils ne se sauveroient pas sans la foi ; ou s’ils fermoient les yeux à la vérité après l’avoir entrevûe, leur infidélité cesseroit d’être purement négative.

Mais cette réponse n’est pas encore satisfaisante ; car on peut toûjours demander si Dieu est obligé, par sa justice & sa bonté, d’envoyer cet ange & d’accorder ce secours ; s’il y est obligé, la gratuité de la grace de la foi est en grand danger ; s’il n’y est pas obligé, on peut supposer qu’il n’employera pas ces moyens extraordinaires ; & dans ce cas, il reste encore à demander si cet observateur fidele de la loi naturelle se sauvera sans la foi, auquel cas la foi n’est pas nécessaire ; ou sera damné, ce qui est bien dur.

3°. Pour sauver en même tems & la nécessité & la gratuité de la foi, S. Thomas en un autre endroit soûtient nettement que ces honnêtes payens sont privés de ce secours absolument nécessaire pour croire, & sont damnés en punition du péché originel, in pœna originalis peccati.

On trouve cette réponse, secunda secundæ, quæst. secunda, art. 5. Ce pere demande si la foi explicite est nécessaire au salut : il se fait l’objection que souvent il n’est pas au pouvoir de l’homme d’avoir la foi explicite, selon ce que dit S. Paul aux Romains, ch. x. Quomodò credent in illum quem non audierunt ? quomodò audient sine prædicante ? quomodò autem prædicabunt nisi mittantur ? L’homme en question, dit-il, l’infidele dont nous parlons, & à qui l’évangile n’a pas été annoncé, ne peut pas croire sans le secours de la grace, mais il le peut avec ce secours. Or ce secours est accordé par la pure miséricorde de Dieu, à ceux à qui il est accordé ; & quant à celui auquel il est refusé, ce refus est toûjours dans Dieu un acte de justice, & pour l’homme la peine de ce péché précédent, ou au-moins, dit-il, du péché originel, selon S. Aug. lib. de corr. & gratia : Ad multa tenetur homo quæ non potest sine gratiâ reparante… & similiter ad credendum articulos fidei… quod quidem auxilium (gratiæ), quibuscumque divinitus datur misericorditer ; quibus autem non datur ex justitiâ, non datur in pœna præcedentis peccati, & saltem originalis peccati, ut Aug. dicit in lib. de corr. & gratiâ, cap. v. & vj.

Or ces hommes à qui, selon S. Thomas, Dieu refuse le secours absolument nécessaire pour croire, in pœna saltem originalis peccati, sont des adultes, ne sont coupables que du péché originel, & sont par conséquent observateurs de la loi naturelle, qu’ils n’auroient pas pû violer sans pécher mortellement : leur infidélité n’est que négative, puisque l’infidélité positive est aussi un péché, & que ce pere ne dit pas qu’ils résistent au secours de la grace qui leur est donnée pour croire, mais qu’ils ne le reçoivent point. Selon S. Thomas, ce secours absolument nécessaire peut donc manquer quelquefois, & alors cet homme n’est pas sauvé. Voilà le dogme de la nécessité de la foi dans toute sa rigueur.

Au fond je ne vois pas pourquoi les Théologiens ne font pas cet aveu tout d’un coup, & sans se faire presser. En admettant une fois la doctrine du péché originel, & de la nécessité du baptême, & en regardant, comme on le fait, les enfans morts sans le baptême, comme déchûs du salut éternel : on ne doit pas avoir tant de scrupule pour porter le même jugement des adultes qui auroient observé la loi naturelle : car ces adultes ont toûjours cette tache ; ils sont enfans de colere ; ils sont dans la masse de perdition ; ainsi la difficulté n’est pas pour eux plus grande que pour les enfans. Il est vrai que comme elle n’est pas petite pour les enfans, il seroit à souhaiter qu’on n’eût pas encore à la résoudre pour les adultes. Voyez Péché originel.

Nous devons faire aux lecteurs des excuses de la longueur énorme de cet article ; cette matiere est métaphysique, & tient à toute la Théologie ; de sorte qu’il ne nous eût pas été possible d’abréger, sans tomber dans l’obscurité & sans omettre plusieurs questions importantes. Nous ne nous flatons pas même d’avoir traité toutes celles qui y sont relatives, mais nous en avons au-moins indiqué une grande partie. Il y a plusieurs articles qu’on peut consulter relativement à celui-ci, comme Christianisme, Religion, & Révélation. (h)

Foi, (Iconol.) la foi comme vertu morale est représentée sous la figure d’une femme vêtue de blanc, ou sous la figure de deux jeunes filles se donnant la main. Comme vertu chrétienne, elle est représentée par les Catholiques tenant un livre ouvert d’une main, & de l’autre une croix ou un calice d’où il sort une hostie rayonnante.

Foi, (Jurisprud.) signifie quelquefois fidélité, comme quand on joint ces termes foi & hommage ; il signifie aussi croyance, par exemple, quand on dit ajoûter foi à un acte ; ou bien il signifie attestation & preuve, comme lorsqu’on dit qu’un acte fait foi de telle chose. Avoir foi en Justice, c’est avoir la confiance de la Justice. (A)

Foi, (bonne-) est une conviction intérieure que l’on a de la justice de son droit ou de sa possession. On distinguoit chez les Romains deux sortes de contrats ; les uns que l’on appelloit de bonne-foi, les autres de droit étroit ; les premiers recevoient une interprétation plus favorable. Parmi nous tous les contrats sont de bonne-foi, or la bonne-foi exige que les conventions soient remplies ; elle ne permet pas qu’après la perfection du contrat l’un des contractans puisse se dégager malgré l’autre ; mais elle ne souffre pas non plus que l’on puisse demander deux fois la même chose : elle est aussi requise dans l’administration des affaires d’autrui & dans la vente d’un gage. Chez les Romains elle ne suffisoit pas seule pour l’usucapion ; & dans la prescription de trente ans, il suffisoit d’avoir été de bonne-foi au commencement de la possession, la mauvaise foi survenue depuis n’interrompoit point la prescription. Voyez ci-après Mauvaise Foi, au digeste liv. L. tit. xvij. l. 57. 123. 136. & au code liv. IV. tit. xxxxjv. l. 3. 4. 5. 8. (A)

Foi du Contrat, c’est l’obligation résultante d’icelui ; suivre la foi du contrat, c’est se fier pour l’exécution d’icelui à la promesse des contractans, sans prendre d’autres sûretés, comme des gages ou des cautions. (A)

Foi et hommage, qu’on appelle aussi foi ou hommage simplement, est une soûmission que le vassal fait au seigneur du fief dominant pour lui marquer qu’il est son homme, & lui jurer une entiere fidélité.

C’est un devoir personnel qui est dû par le vassal à chaque mutation de vassal & de seigneur ; ensorte que chaque vassal la doit au-moins une fois en sa vie, quand il n’y auroit point de mutation de seigneur, & le même vassal est oblige de la réiterer à chaque mutation de seigneur.

Anciennement on distinguoit la foi de l’hommage.

La foi étoit dûe par le roturier pour ce qu’il tenoit du seigneur, & l’hommage étoit dû par le gentilhomme, comme il paroît par un arrêt du parlement de Paris rendu aux Enquêtes, du 10 Décembre 1238. Présentement on confond la foi avec l’hommage, & l’un & l’autre ne sont dûs que pour les fiefs.

Il n’y a proprement que la foi & hommage qui soit de l’essence du fief ; c’est ce qui le distingue des autres biens.

Elle est tellement attachée au fief, qu’elle ne peut être transférée sans l’aliénation du fief pour lequel elle est dûe.

Quand il y a mutation de seigneur, le vassal n’est pas obligé d’aller faire la foi au nouveau seigneur, à-moins qu’il n’en soit par lui requis ; mais si c’est une mutation de vassal, le nouveau vassal doit aller faire la foi dès que le fief est ouvert soit par succession, donation, vente, échange, ou autrement, sans qu’il soit besoin de requisition.

La foi doit être faite par le propriétaire du fief servant, soit laïc ou ecclésiastique, noble ou roturier, mâle ou femelle ; les Religieux doivent aussi la foi pour les fiefs dépendans de leurs bénéfices ou de leurs monasteres.

Personne ne peut s’exempter de faire la foi, à-moins d’abandonner le fief ; le Roi seul en est exempt, attendu qu’il ne doit point de soûmission à ses sujets.

Lorsque le vassal possede plusieurs fiefs relevans d’un même seigneur, il peut ne faire qu’un seul acte de foi & hommage pour tous ses fiefs.

Si le propriétaire du fief servant négligeoit de faire la foi & hommage & payer les droits, & que le fief fût saisi féodalement par le seigneur, l’usufruitier pourroit faire la foi & hommage, & payer les droits pour avoir main-levée de la saisie, & empêcher la perte des fruits : sauf son recours contre le propriétaire pour ses dommages & intérêts ; & comme ce n’est pas pour lui-même que l’usufruitier fait la foi, il seroit tenu de la réitérer à chaque mutation de propriétaire qui se trouveroit dans le même cas.

Quand le fief appartient à plusieurs co-propriétaires, tous doivent porter la foi, mais chacun peut le faire pour sa part, ce qui ne fait pas néanmoins que la foi soit divisée.

La propriété du fief étant contestée entre plusieurs contendans, chacun peut aller faire la foi & payer les droits. Le seigneur doit les recevoir tous, & celui qu’il refuseroit pourroit se faire recevoir par main souveraine.

Il suffit qu’un d’entre eux ait fait la foi & payé les droits, pour que le fief soit couvert pendant la contestation : mais après le jugement, celui auquel le fief est adjugé doit aller faire la foi, supposé qu’il ne l’ait pas déjà faite, quand même il y en auroit eu une rendue par un autre contendant ; autrement il y auroit perte de fruits pour le propriétaire.

Si des mineurs propriétaires d’un fief n’ont pas l’âge requis pour faire la foi, le tuteur ne peut pas la faire pour eux, il doit seulement payer les droits, & pour la foi demander souffrance jusqu’à ce qu’ils soient en âge.

Le mari, comme administrateur des biens de sa femme, doit la foi pour le fief qui lui est échû pendant le mariage, & payer les droits s’il en est dû ; en cas d’absence du mari, la femme peut demander souffrance. Elle peut aussi dans le même cas, ou au refus de son mari, se faire autoriser par justice à faire la foi, & payer les droits.

Quand la femme est séparée de biens d’avec son mari, elle doit faire elle-même la foi & hommage.

Elle ne doit point de nouveaux droits après le décès du mari, mais seulement la foi, au cas qu’elle ne l’eût pas déjà faite.

Pour ce qui est du fief acquis pendant la communauté, la femme ne doit point de foi pour sa part après le décès de son mari, pourvû que celui-ci eût porté la foi ; la raison est que la femme étant conquéreur, il n’y a point de mutation en sa personne.

Il n’est pas dû non plus de foi & hommage par la douairiere pour les fiefs sujets au douaire, la veuve n’étant qu’usufruitiere de ces biens ; c’est aux héritiers du mari à faire la foi : s’ils ne le faisoient pas, ou s’ils ne payoient pas les droits, la veuve pourroit en user comme il a été dit ci-devant par rapport à l’usufruitier.

Lorsqu’un fief advient au Roi par droit d’aubaine, deshérence, batardise, confiscation, il n’en doit point la foi au seigneur dominant par la raison qui a déjà été dite ; mais il doit vuider ses mains dans l’an de son acquisition, ou payer une indemnité au seigneur, lequel néanmoins ne peut pas saisir pour ce droit, mais seulement s’opposer.

Le donataire entre-vifs d’un fief ou le légataire qui en a obtenu délivrance, sont tenus de faire la foi comme propriétaires du fief.

Les corps & communautés, soit laïcs ou ecclésiastiques, qui possedent des fiefs, sont obligés de donner un homme vivant, mourant & confisquant, pour faire la foi & hommage pour eux ; ils peuvent choisir pour cet effet une personne du corps, pourvû qu’elle soit en âge de porter la foi.

Les bénéficiers sont tenus de faire eux-mêmes la foi pour les fiefs dépendans de leur bénéfice, parce qu’en cette partie ils représentent leur église qui est propriétaire du fief.

Quand un fief est saisi réellement, & qu’il y a ouverture survenue, soit avant la saisie réelle ou depuis, pour laquelle le seigneur dominant a saisi féodalement, le commissaire aux saisies réelles ou autre établi à la saisie, doit aller faire la foi, & payer les droits au nom du vassal partie saisie, après l’avoir sommé de le faire lui-même.

Le seigneur dominant doit recevoir le commissaire à faire la foi, ou lui donner souffrance ; s’il n’accordoit l’un ou l’autre, le commissaire peut se faire recevoir par main souveraine, afin d’éviter la perte des fruits.

Le vassal étant absent depuis long-tems, & son fief ouvert avant ou depuis l’absence, le curateur créé à ses biens peut faire la foi ; le vassal absent peut aussi demander souffrance s’il a quelque empêchement légitime. Voyez Souffrance.

Le délaissement par hypotheque d’un fief ne faisant point ouverture jusqu’à la vente, n’occasionne point de nouvelle foi & hommage ; mais si le fief est ouvert d’ailleurs, le curateur créé au déguerpissement doit faire la foi & payer les droits pour avoir main-levée de la saisie féodale, & empêcher la perte des fruits.

Si c’étoit un déguerpissement proprement dit du fief, le bailleur qui y rentre de droit, doit une nouvelle foi & hommage, quoiqu’il l’eût faite pour son acquisition. Loyseau, du deguerp. liv. VI. ch. v. n. 12.

Dans une succession vacante où il se trouve un fief, on donne ordinairement le curateur pour homme vivant & mourant, lequel doit la foi & les droits au seigneur.

En succession directe, le fils aîné est tenu de faire la foi tant pour lui que pour ses freres & sœurs, soit mineurs ou majeurs avec lesquels il possede par indivis, pourvû qu’il soit joint avec eux au-moins du côte du pere ou de la mere dont vient le fief.

S’il n’y a que filles, l’aînée acquitte de même ses sœurs de la foi.

Après le partage, chacun doit la foi pour sa part, quoique l’ainé eût fait la foi pour tous.

Si l’aîné étoit décédé sans enfans & avant d’avoir porté la foi, ce seroit le premier des puînés qui le représenteroit ; s’il y a des enfans, le fils de l’aîné représente son pere ; s’il n’avoit laissé que des filles, entre roturiers l’aînée feroit la foi pour toutes, mais entre nobles, ce seroit le premier des puînés mâles.

Il y a plusieurs cas où l’aîné n’est pas obligé de relever le fief pour ses puînés, c’est-à-dire de faire la foi pour eux, savoir.

1°. Lorsqu’il a renoncé à la succession des pere & mere, & dans ce cas, le puîné ne le représente point.

2°. Quand il a été deshérité.

3°. Lorsqu’il n’est pas joint aux puînés du côté d’où leur vient le fief ; car en ce cas, il leur est à cet égard comme étranger.

4°. Lorsqu’il est mort civilement.

Quand l’aîné renonce à la succession, le puîné ne peut pas porter la foi pour son aîné ni pour ses autres freres & sœurs, parce qu’il ne joüit pas du droit d’aînesse ; mais l’aîné même peut relever le fief, parce que ce n’est pas la qualité d’héritier, mais celle d’aîné qui autorise à porter la foi pour les puînés.

Si l’aîné a cédé son droit d’aînesse, le cessionnaire, même étranger, doit relever pour les autres, & les acquitter.

L’aîné pour faire la foi, tant pour lui que pour les autres, doit avoir l’âge requis par la coûtume, sinon son tuteur doit demander souffrance pour tous.

En faisant la foi, il doit déclarer les noms & âges des puînés.

La foi n’est point censée faite pour les puînés, à-moins que l’aîné ne le déclare ; il peut aussi ne relever le fief que pour quelques-uns d’entr’eux, & non pour tous.

Lorsqu’il fait la foi, tant pour lui que pour eux, il est obligé de les acquitter du relief, s’il en est dû par la coûtume, ou en vertu de quelque titre particulier.

L’aîné n’acquitte ses freres & sœurs que pour les fiefs échûs en directe, & non pour les successions collatérales, ou le droit d’aînesse n’a pas lieu.

La foi & hommage doit être faite au propriétaire du fief dominant, & non à l’usufruitier, lequel a seulement les droits utiles.

Lorsque le seigneur est absent, le vassal doit s’informer s’il y a quelqu’un qui ait charge de recevoir la foi pour lui.

Le seigneur peut charger de cette commission quel que officier de sa justice, son receveur ou son fermier, ou autre, pourvû que ce ne soit pas une personne vile & abjecte, comme un valet ou domestique.

S’il n’y a personne ayant charge du seigneur pour recevoir la foi, quelques coûtumes veulent que le seigneur se retire pardevers les officiers du seigneur, étant en leur siége, pour y faire la foi & les offres ; ou s’il n’a point d’officier, que le vassal aille au chef-lieu du fief dominant avec un notaire ou sergent, pour y faire la foi & les offres. Celle de Paris, article 63. & plusieurs autres semblables, portent simplement que s’il n’y a personne ayant charge du seigneur pour recevoir la foi, elle doit être offerte au chef-lieu du fief dominant, comme il vient d’être dit.

Lorsqu’il y a plusieurs propriétaires du fief dominant, le vassal n’est pas obligé de faire la foi à chacun d’eux en particulier ; il suffit de la faire à l’un d’eux au nom de tous, comme à l’aîné ou à celui qui a la plus grande part ; mais l’acte doit faire mention que cette foi & hommage est pour tous.

Au cas qu’ils se trouvassent tous au chef-lieu, le vassal leur feroit la foi à tous en même tems ; & s’il n’y en a qu’un, il doit recevoir la foi pour tous.

Les propriétaires du fief dominant n’ayant pas encore l’âge auquel on peut porter la foi, ne peuvent pas non plus la recevoir ; leur tuteur doit la recevoir pour eux en leur nom.

Les chapitres, corps, & communautés qui ont un fief dominant, reçoivent en corps & dans leur assemblée la foi de leurs vassaux ; il ne suffiroit pas de la faire au chef-chapitre ou autre corps.

Le mari peut seul, & sans le consentement de sa femme, recevoir la foi dûe au fief dominant, dont elle est propriétaire ; néanmoins s’il n’y avoit pas communauté entre eux, la femme recevroit elle-même la foi.

La foi dûe au Roi pour les fiefs mouvans de sa couronne, tels que sont les fiefs de dignité, doit être faite entre les mains du Roi, ou entre celles de M. le chancelier, ou à la chambre des comptes du ressort.

A l’égard des fiefs relevans du Roi à cause de quelque duché ou comté réuni à la couronne, la foi se fait devant les thrésoriers de France du lieu en leur bureau, à-moins qu’il n’y ait une chambre des comptes dans la même ville, auquel cas on y feroit la foi.

Les apanagistes reçoivent la foi des fiefs mouvans de leur apanage ; mais les engagistes n’ont pas ce droit, étant considérés plûtôt comme usufruitiers que comme propriétaires.

Quand il y a combat de fief entre deux seigneurs, le vassal doit se faire recevoir en foi par main souveraine ; & quarante jours après la signification de la sentence, s’il n’y a point d’appel, ou après l’arrêt, il doit faire la foi à celui qui a gagné la mouvance, à-moins qu’il ne lui eût dejà fait la foi.

Le seigneur ayant saisi le fief du vassal, s’il y a des arriere-fiefs ouverts, & que le seigneur suzerain les ait aussi saisis, la foi doit lui en être faite.

C’est au château ou principal manoir, ou s’il n’y en a point, au chef-lieu du fief dominant, que la foi doit être faite.

Si le seigneur a fait bâtir un nouveau château dans un autre lieu que l’ancien, le vassal est tenu d’y aller, pourvû que ce soit dans l’étendue du fief dominant.

S’il n’y a point de chef-lieu, le vassal doit aller faire la foi devant les officiers du seigneur, ou s’il n’y en a point, au domicile du seigneur, ou en quelqu’autre lieu où il se trouvera, ou dans une maison ou terre dépendante du fief dominant.

Le seigneur n’est pas obligé de recevoir la foi, ni le vassal de la faire ailleurs qu’au chef-lieu ; mais elle peut être faite ailleurs, du consentement du seigneur & du vassal.

S’il n’y a personne au chef-lieu pour recevoir la foi, le vassal doit la faire devant la porte, au lieu principal du fief, assisté de deux notaires, ou d’un notaire ou sergent, & de deux témoins.

Le délai que la plûpart des coûtumes donnent pour faire la foi & hommage, est de quarante jours francs, à compter de l’ouverture du fief, c’est-à-dire du jour du décès du vassal, si la mutation est par mort, ou si c’est par donation, vente, échange, à compter du jour du contrat ; si c’est par un legs, à compter du jour du décès du testateur ; si c’est par decret, à compter du jour de l’adjudication ; si c’est par résignation d’un bénéfice, à compter de la prise de possession du résignataire.

Si la foi est dûe à cause de la mutation du seigneur dominant, le délai ne court que du jour des proclamations & significations que le nouveau seigneur a fait faire à ce que ses vassaux ayent à lui venir faire la foi.

La minorité ni l’absence du vassal n’empêchent point le délai de courir.

La forme de la foi & hommage est différente, selon les coûtumes : on suit à cet égard celle du fief dominant. A Paris & dans plusieurs autres coûtumes, le vassal doit être nue tête, sans épée ni éperons.

Quelques coûtumes veulent aussi que le vassal mette un genou en terre ; mais il faut que cela soit porté par la coûtume ou par les titres.

Chorier, sur Guy-Pape, dit que c’est un privilége de la noblesse d’être debout en faisant la foi, à-moins que le contraire ne soit porté par le titre du fief, suivant l’exemple qu’il donne de la terre de la Beaume, pour laquelle Charles de la Beaume de Suze, nonobstant sa naissance illustre, fut condamné par arrêt du parlement de Grenoble de le rendre à genoux.

La foi & hommage lige dûe au Roi, se fait toûjours à genoux ; il y en a plusieurs exemples remarquables dans Pasquier & autres auteurs.

Tel est celui de Philippe, archiduc d’Autriche, lorsqu’il fit la foi à Louis XII. entre les mains du chancelier Guy de Rochefort, pour les comtés de Flandre, Artois, & Charolois : le chancelier assis, prit les mains de l’archiduc ; & celui-ci voulant se mettre à genoux, le chancelier l’en dispensa, & en le relevant, lui dit, il suffit de votre bon vouloir ; l’archiduc tendit la joue, que le chancelier baisa.

Le comte de Flandre fit de même la foi à genoux, tant à l’empereur qu’au roi de France, pour ce qu’il tenoit de chacun d’eux.

La même chose a été observée dans la foi & hommage faite pour le duché de Bar par le duc de Lorraine à Louis XIV. & au Roi regnant.

Anciennement le vassal, en faisant la foi, tenoit ses mains jointes entre celles de son seigneur, lequel le baisoit en la bouche ; c’est pourquoi quelques coûtumes se servent de ces termes la bouche & les mains, pour exprimer la foi & hommage ; mais ces formalités des mains jointes & du baiser ne s’observent plus que dans les fois & hommages qui se font entre les mains de M. le chancelier ou à la chambre des comptes.

On qualifioit aussi autrefois la foi de serment de fidélité ; mais ce serment ne se prête plus qu’au Roi pour les fiefs qui relevent de lui.

La foi & hommage doit être pure & simple, & non pas conditionnelle.

L’âge requis pour faire la foi est différent, selon les coutumes : à Paris, & dans la plûpart des autres coûtumes, l’âge est de vingt ans accomplis pour les mâles, & quinze ans pour les filles ; coûtume de Paris, art. 32.

En cas de minorité féodale du vassal, son tuteur doit demander souffrance pour lui au seigneur, laquelle souffrance vaut foi, tant qu’elle dure. Voyez Souffrance.

La plûpart des coûtumes veulent que le vassal fasse la foi en personne & non par procureur, à-moins qu’il n’ait quelque empêchement légitime ; auquel cas le seigneur est obligé de le recevoir en foi par procureur, à-moins qu’il n’aime mieux lui accorder souffrance.

Les ecclésiastiques, même les abbés & religieux, sont capables de porter la foi pour leurs fiefs ; une abbêsse ou prieure peut sortir de son monastere pour aller faire la foi dûe pour un fief dépendant de son monastere.

Quand la foi a été faite par procureur, le seigneur peut obliger le vassal de la réitérer en personne, lorsqu’il a atteint la majorité féodale, ou qu’il n’y a plus d’autre empêchement.

La réception en foi & hommage, qu’on appelle aussi investiture, est un acte fait par le seigneur dominant, ou par ses officiers ou autre personne par lui préposée, qui met le vassal en possession de son fief.

Il y a encore deux autres principaux effets de la réception en foi ; l’un est que le tems du retrait lignager ne court que du jour de cette réception en foi ; l’autre est que le seigneur qui a reçû la foi, ne peut plus user du retrait féodal.

Le seigneur dominant n’est pas obligé de recevoir la foi, à-moins que le vassal ne lui paye en même tems les droits, s’il en est dû.

Quoiqu’il y ait combat de fief, un des seigneurs auquel le vassal se présente, peut recevoir la foi, sauf le droit d’autrui auquel cet acte ne peut préjudicier.

Lorsque le vassal se présente pour faire la foi, il est au choix du seigneur de recevoir la foi & les droits, ou de retirer féodalement.

Si le seigneur refusoit, sans cause raisonnable, de recevoir la foi, le vassal doit faire la foi, comme il a été dit, pour le cas d’absence du seigneur, & lui notifier cet acte.

L’obligation de faire la foi & hommage au légitime seigneur, est de sa nature imprescriptible ; mais s’il y a desaveu bien fondé, le vassal peut être déchargé de la foi que le seigneur lui demande. Voyez Desaveu. Voyez aussi les traités des fiefs & commentateurs des coût. sur le titre des fiefs ; la biblioth. de Bouchet, au mot bouches & mains ; celle de Jovet, au mot foi. (A)

Foi-lige, est la foi & hommage qui est dûe avec l’obligation de servir le seigneur dominant envers & contre tous : cette sorte de foi ne peut plus être dûe qu’au Roi. Voyez Fief-lige, Homme-lige, & Hommage-lige. (A)

Foi mauvaise, est opposé à bonne-foi ; c’est lorsqu’on fait quelque chose malgré la connoissance que l’on a que le fait n’est pas légitime. Voyez Bonne-foi & Prescription. (A)

Foi mentie ; quelques anciens auteurs se servent de ce terme pour signifier la félonie que commet le vassal envers son seigneur, parce que le vassal qui tombe dans ce cas, contrevient à la foi qu’il a jurée à son seigneur en lui faisant hommage. (A)

Foi pleine et entiere, c’est la preuve complete que fait un acte authentique de ce qui y est contenu. Voyez Authenticité & Preuve. (A)

Foi provisoire, c’est la créance que l’on donne par provision à un acte authentique qui est argué de faux ; il fait foi jusqu’à ce qu’il soit détruit. Voyez Faux, Inscription de faux. (A)

Foi publique, est la créance que la loi accorde à certaines personnes pour ce qui est de leur ministere : tels sont les juges, greffiers, notaires, huissiers, & sergens ; ces officiers ont chacun la foi publique en ce qui les concerne, c’est-à-dire que l’on ajoûte foi, tant en jugement que hors, aux actes qui sont émanés d’eux en leur qualité, & à tout ce qui y est rapporté comme étant de leur fait ou s’étant passé sous leurs yeux. (A)

Foi, taille générale ou spéciale, est une espece particuliere de tenure, usitée en Angleterre, lorsqu’un héritage est donné à quelqu’un, & à ses héritiers à toûjours. Ragueau, en son indice, parle de cette espece de foi ou tenure ; mais M. de Lauriere, dans la note qu’il a mise sur cet article, dit dans le livre des tenures, d’où celà a été tiré, réimprimé en Angleterre en 1584, qu’il y a faute, & qu’au lieu de foi il faut lire feo, c’est-à-dire fief. (A)

Foi ; on appelle ainsi, en terme de Blason, deux mains jointes ensemble pour marque d’alliance, d’amitié & de fidélité : de gueules à la foi d’argent.