L’Encyclopédie/1re édition/FRERE (complément)

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FRERE, (Droit naturel.) terme de relation entre des enfans mâles qui sont sortis d’un même pere & d’une même mere.

Le devoir des freres vis-à-vis les uns des autres, consiste dans la concorde, le soutien & l’étroite union. « Vous êtes les enfans d’un même pere, dit le bramine inspiré, & le même sein vous a nourris ; freres, restez unis ensemble, & dans la maison paternelle habitera la paix & le bonheur ». Mais si ces sages préceptes ont accès dans les démocraties, où les sentimens de la nature n’ont point été corrompus, on sait trop combien les liens de fraternité sont foibles dans les pays de luxe, où chacun ne songe qu’à soi, & ne vit que pour soi. C’est là que se réalise sans cesse l’événement de la fable des enfans du bon vieillard d’Esope : d’abord après la mort de leur pere, ils prirent de routes toutes opposées à leurs promesses : lisez-en la peinture simple & touchante dans la Fontaine.

Leur amitié fut courte autant qu’elle étoit rare,
Le sang les avoit joints, l’intérêt les sépare ;
L’ambition, l’envie, avec les consultans,
Dans la succession vinrent en même tems ;
Tous perdirent leur bien. . . . . . . . .

(D. J.)

Frere-d’armes, (Hist. mod.) titre d’association des plus étroites entre deux chevaliers.

Le mot de frere étoit anciennement un terme d’amitié, que nous donnions même à des inconnus d’un état très-inférieur, ainsi qu’en usent les Polonois & les Bohémiens les uns à l’égard des autres. L’union fraternelle, & l’interpellation de frere, furent encore plus communes entre des gentils-hommes qui avoient servi ensemble. Bassompierre appelle les chevaliers de Cramail & de Grammont, en 1621, ses anciens freres & amis ; les plus illustres guerriers des siecles précédens, leur en avoient donné l’exemple. Du Guesclin & Clisson conclurent ensemble, en 1370, une fraternité d’armes, dont on peut lire le titre original rapporté par du Cange, dans sa vingt-unieme dissertation, à la suite de Joinville. Voyez Fraternité d’armes.

Le christianisme avoit fondé l’usage entre les hommes de se traiter de freres, la chevalerie le continua ; ce n’étoit pas un titre d’amitié purement arbitraire, & sans effet, on y joignoit une espece de formalité, par laquelle on s’adoptoit mutuellement en cette qualité de frere, de même que nous voyons des adoptions de pere & de fils, dont Bassompierre nous donne un exemple entre lui & le duc d’Ossone.

Entre les cérémonies d’associations de freres-d’armes, ou compagnons-d’armes, se trouve l’échange de leurs armes, de sorte qu’ils se les donnoient l’un à l’autre ; de même qu’on le voit de Glaucus & de Diomede dans Homere. L’engagement réciproque qu’on prenoit alors, consistoit à ne jamais abandonner son frere-d’armes ou son compagnon d’armes, dans quelque péril qu’il se trouvât, à l’aider de son corps & de son avoir jusqu’à la mort, & à soutenir même pour lui, dans certains cas, le gage de bataille, s’il mouroit avant que de l’avoir accompli. Voyez Gage de bataille.

Le frere-d’armes devoit être l’ennemi des ennemis de son compagnon, l’ami de ses amis ; tous deux devoient partager leurs biens présens & à venir, & employer leurs biens & leur vie à la délivrance l’un de l’autre lorsqu’ils étoient pris. Les chevaliers de l’ordre du Groissant avoient été formés sur ce modele.

Outre le service des armes qui se rendoit à toute épreuve entre freres-d’armes, il n’y avoit point d’occasions que l’un ne saisît avec ardeur, si l’autre avoit besoin d’assistance, point de bons offices qu’il ne cherchât à lui rendre ; il n’oublioit jamais, dans quelque cas que ce fût, le titre par lequel ils étoient unis. Voyez dans Brantome (capitaine françois, tom. IV.), le portrait qu’il fait de deux jeunes freres-d’armes, qui de son tems étoient partis ensemble pour aller chercher fortune.

L’assistance que l’on devoit à son frere-d’armes, l’emportoit sur celle que les dames étoient en droit d’exiger ; mais ce qu’on devoit à son souverain, l’emportoit sur tous les autres devoirs. Des freres-d’armes de nation différentes, n’étoient liés ensemble qu’autant que leurs souverains étoient unis, & si les princes se déclaroient la guerre, elle entraînoit la dissolution de toute société entre leurs sujets respectifs : excepté ce cas, rien n’étoit plus indissoluble que les nœuds de cette fraternité.

Les freres-d’armes, comme s’ils eussent été membres d’une même famille, portoient une armure & des habits semblables ; ils vouloient que l’ennemi pût s’y méprendre, & courir également les dangers dont l’un & l’autre étoient menacés. Enfin, l’union des freres-d’armes étoit si intime, qu’elle ne leur permettoit pas d’avouer, du moins ouvertement, des amis qui n’auroient point été les amis de l’un & de l’autre. Voyez Nicot au mot Freres-d’armes. Voyez sur-tout l’excellent ouvrage de M. Sainte-Palaye, sur l’ancienne chevalerie. Le détail qu’on vient de lire en est tiré, & l’auteur n’a rien obmis d’intéressant sur cette matiere ; il a tout lu & tout recueilli. (D. J.)