L’Encyclopédie/1re édition/GÉNÉRAL
GÉNÉRAL, adj. (Gram.) on désigne par cet adjectif quelque chose de commun à tout ce qui peut être considéré sous un même point de vûe ; ainsi on dit en Physique de la pesanteur, que c’est une propriété générale de la matiere ; en Métaphysique de la sensibilité, que c’est une propriété générale des animaux ; en Mathématique d’un théorème, d’un problème, d’où résultent un grand nombre de conséquences & d’applications, & qui s’étendent quelquefois sur presque toute une science, qu’ils sont généraux : on dit aussi d’une formule qui comprend un très-grand nombre de cas, & dont on peut tirer plusieurs autres formules particulieres, qu’elle est générale. Voyez Formule. Lorsque d’une formule particuliere, on s’éleve à une formule générale, cela s’appelle généraliser la formule. (O)
GÉNÉRAL D’ARMÉE, (Hist anc.) chef ou commandant de l’armée. Chez les Grecs, on le nommoit polémaque, & c’étoit à Athènes l’un des archontes ; à Rome sous la république, c’étoient les consuls, les préteurs ou les pro-consuls, qui commandoient les armées, en conséquence des decrets du sénat ; ils avoient un ou plusieurs lieutenans sous leurs ordres. Quoique la cavalerie eût un chef particulier nommé magister equitum, il étoit toûjours subordonné aux consuls. S’il y avoit un dictateur, ce premier magistrat nommoit le général de la cavalerie, lequel faisoit exécuter ses ordres, & lui servoit de lieutenant ; mais Jules César s’étant servi de la dictature, pour faire revivre en sa personne le gouvernement monarchique, il abolit la charge de général de la cavalerie.
Dans les campemens & les marches, le général de l’armée romaine se plaçoit ordinairement au centre, entre les princes & les triaires, accompagné de ses gardes & de ses véterans, s’il en avoit ; car quelquefois il jugeoit à propos de les distribuer dans les rangs, pour animer & soûtenir les autres soldats.
Quelquefois avant que de combattre, il haranguoit ses troupes, soit pour leur inspirer plus de courage, soit pour les instruire de ses projets. Il est vrai qu’il ne pouvoit pas être entendu de toute l’armée ; mais il suffisoit qu’il le fût de ceux qui étoient les plus près de sa personne, des tribuns, des centurions, & d’autres officiers subalternes des cohortes ; ceux-ci faisoient passer jusque aux dernier soldats, le précis ou l’objet de la harangue.
Le général des armées romaines avoit le droit, entr’autres prérogatives, de porter le paludamentum, ou la cotte d’armes teinte en pourpre ; il la prenoit en sortant de Rome, & la quittoit avant que d’y rentrer.
Il avoit seul le pouvoir de dévoüer un de ses soldats pour le salut de l’armée ; & ce qui est plus étonnant, il se dévoüoit quelquefois lui-même, avec certaines cérémonies qu’il étoit obligé de suivre, & que nous avons exposées au mot Dévouement.
S’il avoit remporté quelque grande victoire, il ne manquoit guere d’envoyer au sénat des lettres ornées de feuilles de laurier, par lesquelles il lui rendoit compte du succès de ses armes, & lui demandoit qu’il voulût bien décerner en son nom, des supplications & des actions de graces aux dieux. Le decret du sénat étoit souvent une assûrance du triomphe pour le vainqueur, triumphi prærogativa. Ce fut cet honneur du triomphe, qui dans les beaux jours de la république, anima tant de ses généraux à faire les plus grands efforts pour obtenir la victoire.
Mais dès qu’ils eurent passé les Alpes & les mers, & qu’ils eurent séjourné plusieurs campagnes avec les légions dans les pays qu’ils soûmettoient, ils sentirent leurs forces, disposerent des armées, & s’arrogerent le triomphe, sans daigner le demander au sénat. Les soldats à leur tour commencerent à ne reconnoître que leur général, à fonder sur lui toutes leurs espérances, & à regarder la ville de loin : ce ne furent plus les soldats de la république, mais de Sylla, de Pompée, de César. Rome douta quelquefois, si celui qui étoit à la tête d’une armée dans une province, étoit son général ou son ennemi.
Enfin, quand les empereurs eurent succédé à la république, ils garderent pour eux les triomphes, & donnerent à des gens qui leur marquoient un dévoüement inviolable, le commandement des armées ; alors ceux qui furent nommés généraux, craignant d’entreprendre de trop grandes choses, en firent de petites. Ils modérerent aisément leur gloire que rien ne soûtenoit, & se conduisirent de maniere qu’elle ne réveillât que l’attention, & non pas la jalousie des empereurs, afin de ne point paroître devant leur throne avec un éclat que leurs yeux ne pouvoient souffrir. (D. J.)
Général, s. m. (Art milit. & Hist. mod.) en France le général est ordinairement le maréchal de France, qui a sous lui des lieutenans généraux & des maréchaux de camp pour l’aider dans ses fonctions : ces derniers officiers sont appellés officiers généraux, parce qu’ils n’appartiennent à aucun corps particulier, & qu’ils commandent indifféremment tout le corps de l’armée sous les ordres du général en chef.
On ne peut guere se dispenser d’entrer ici dans quelque détail sur les qualités qu’exige l’emploi de général : mais l’on fera parler sur ce sujet M. le maréchal de Saxe. C’est aux grands maîtres, comme cet illustre général, qu’il appartient de prescrire les regles & les préceptes pour marcher sur leurs traces & servir avec la même distinction.
« La premiere de toutes les qualités du général, dit le célebre maréchal que nous venons de nommer, est la valeur, sans laquelle je fais peu de cas des autres, parce qu’elles deviennent inutiles : la seconde est l’esprit ; il doit être courageux & fertile en expédiens : la troisieme est la santé.
» Le général doit avoir le talent des promptes & heureuses ressources ; savoir pénétrer les hommes, & leur être impénétrable ; la capacité de se prêter à tout ; l’activité jointe à l’intelligence ; l’habileté de faire en tout un choix convenable ; & la justesse du discernement.
» Il doit être doux, & n’avoir aucune espece d’humeur ; ne savoir ce que c’est que la haine ; punir sans miséricorde, & sur-tout ceux qui lui sont les plus chers ; mais jamais ne se fâcher ; être toûjours affligé de se voir dans la nécessité de suivre à la rigueur les regles de la discipline militaire ; & avoir toûjours devant les yeux l’exemple de Manlius ; s’ôter de l’idée que c’est lui qui punit ; & se persuader à soi-même & aux autres, qu’il ne fait qu’administrer les lois militaires. Avec ces qualités, il se sera aimer, craindre, & sans doute obéir.
» Les parties d’un général sont infinies. L’art de savoir faire subsister une armée, de la ménager ; celui de se placer de façon qu’il ne puisse être obligé de combattre que lorsqu’il le veut ; de choisir ses postes, de ranger ses troupes en une infinité de manieres, & savoir profiter du moment favorable qui se trouve dans les batailles, & qui décide de leur succès. Toutes ces choses sont immenses & aussi variées que les lieux & les hasards qui les produisent.
» Il faut pour les voir, qu’un général ne soit occupé que de l’ennemi un jour d’affaire : l’examen des lieux & celui de son arrangement pour ses troupes, doit être prompt comme le vol d’un aigle ; sa disposition doit être courte & simple. Il s’agit de dire, par exemple, la premiere ligne attaquera, la seconde soûtiendra ; ou tel corps attaquera & tel soûtiendra.
» Il faudroit que les généraux qui sont sous lui fussent bien bornés pour ne pas savoir exécuter cet ordre, & faire faire la manœuvre qui convient chacun à sa division : ainsi le général ne doit pas s’en occuper ni s’en embarrasser ; car s’il veut faire le sergent de bataille & être par-tout, il sera précisément comme la mouche de la fable, qui croyoit faire marcher un coche.
» Il faut donc qu’un jour d’affaire un général ne fasse rien ; il en verra mieux ; il se conservera le jugement plus libre, & il sera plus en état de profiter des situations où te trouve l’ennemi pendant la durée du combat ; & quand il verra sa belle, il devra baisser la main pour se porter à toutes jambes dans l’endroit défectueux ; prendre les premieres troupes qu’il trouve à portée, les faire avancer rapidement, & payer de sa personne : c’est ce qui gagne les batailles & les décide. Je ne dis point ou ni comment cela se doit faire, parce que la variété des lieux & celle des dispositions que le combat produit, doivent le démontrer ; le tout est de le voir & d’en savoir profiter.
» Bien des généraux en chef ne sont occupés un jour d’affaire, que de faire marcher les troupes bien droites ; de voir si elles conservent bien leurs distances ; de répondre aux questions que les aides de camp leur viennent faire ; d’en envoyer par-tout, & de courir eux-mêmes sans cesse ; enfin ils veulent tout faire, moyennant quoi ils ne font rien. Je les regarde comme des gens à qui la tête tourne, & qui ne voyent plus rien ; qui ne savent faire que ce qu’ils ont fait toute leur vie, je veux dire, mener des troupes méthodiquement. D’où vient cela ? c’est que très-peu de gens s’occupent des grandes parties de la guerre ; que les officiers passent leur vie à faire exercer des troupes, & croyent que l’art militaire consiste seulement dans cette partie : lorsqu’ils parviennent au commandement des armées, ils y sont tout neufs ; & faute de savoir faire ce qu’il faut, ils font ce qu’ils savent.
» L’une de ces parties est méthodique, je veux dire, la discipline & la maniere de combattre ; & l’autre est sublime : aussi ne faut-il point choisir pour celle-ci des hommes ordinaires pour l’administrer.
» L’on doit, une fois pour toutes, établir une maniere de combattre que les troupes doivent savoir, ainsi que les généraux qui les menent : ce sont des regles générales, comme, par exemple, qu’il faut garder ses distances dans la marche ; que lorsqu’on charge, il faut le faire vigoureusement ; que s’il se fait des troüées dans la premiere ligne, c’est à la seconde à les boucher ; il ne faut point d’écritures pour cela, c’est l’abc des troupes : rien n’est si aisé ; & le général ne doit pas y donner toute son attention, comme la plûpart le font. Mais ce qui mérite toute son attention, c’est la contenance de l’ennemi, les mouvemens qu’il fait, & où il porte ses troupes : il faut chercher à lui donner de la jalousie dans un endroit, pour lui faire faire quelque fausse démarche, le déconcerter ; profiter des momens, & savoir porter le coup de mort où il faut. Mais pour tout cela, il faut se conserver le jugement libre, & n’être point occupé de petites choses ». Rêveries, ou mémoires sur la Guerre, par M. le maréchal de Saxe.
Si l’on veut s’instruire plus particulierement de tout ce qui concerne l’emploi de général, on pourra consulter Vegece, le commentaire sur Polybe du chevalier Folard, les réflexions militaires de M. le marquis de Santa-Crux, &c. (Q)
Général des Dragons, (Art milit.) c’est le colonel général de ce corps auquel on donne souvent ce titre dans l’usage ordinaire. « M. de Boufflers a le régiment des gardes vacant par la mort de M. de la Feuillade, & vend sa charge de général des dragons au comte de Tessé ». Abrégé chronologique de l’histoire de France, par M. le président Hénault.
Le corps des dragons a un autre chef, c’est le mestre de camp général : en l’absence de ces deux officiers, c’est le plus ancien brigadier du corps qui en a le commandement.
Lorsque les dragons sont mêlés dans les brigades de cavalerie, ils doivent obéir à celui qui commande ; s’il arrive que ce soit un officier de dragons, il est en ce cas sous les ordres du général de la cavalerie ; s’il se trouve dans les brigades mêlées de cavalerie & de dragons, un brigadier de ce dernier corps, il roule avec les brigadiers de cavalerie ; & il est obligé de reconnoître le général ou le commandant de la cavalerie. Les officiers de cavalerie & de dragons de pareils grades, tiennent rang entr’eux de la date de leurs commissions ; lorsqu’elles sont datées du même jour, l’officier de cavalerie commande celui de dragons. S’il arrive que par ancienneté, le brigadier, colonel ou autre officier de dragons, se trouve commander un corps ou un détachement composé de cavalerie & de dragons, l’officier de dragons doit, en ce cas, après avoir rendu compte au général de l’armée, le rendre ensuite au général de la cavalerie ou à celui qui la commande, comme étant le premier corps, & ensuite au commandant des dragons. Dans tout autre service qui concerne les dragons, les officiers de ce corps n’ont aucun compte à rendre ni aucun ordre à recevoir de celui qui commande la cavalerie ; les dragons faisant un corps distinct & séparé. Code milit. par M. Briquet.
Ce qu’on vient d’ajoûter à l’article Général des Dragons, doit servir de supplément & de rectification au mot Dragons, où l’on ne s’est pas expliqué exactement sur ce qui concerne ce corps : on y dit, que le major général des dragons reçoit l’ordre du maréchal général des logis de la cavalerie ; il falloit dire, que les ordres du général lui sont remis par le maréchal général des logis de la cavalerie, verbalement ou par écrit. (Q)
Général de la Cavalerie, (Art militaire.) est l’officier qui commande la cavalerie ; ce grade est le premier dans l’armée après celui de maréchal de camp : la cavalerie a trois autres chefs, qui font le colonel général, le mestre de camp général, & le commissaire général ; en l’absence de ces trois officiers, c’est le plus ancien brigadier du corps qui la commande.
Les princes ont ordinairement le commandement de la cavalerie dans leur seconde campagne. (Q)
Général des Galeres, (Marine.) c’est celui qui les commande & qui est à la tête du corps. Lorsque les galeres faisoient un corps particulier, la place de général des galeres étoit considérable ; & tout ce qui concernoit le service des galeres étoit sous ses ordres : mais depuis que le corps des galeres a été réuni à celui de la Marine, la place de général des galeres a été supprimée. (Z)
Général, (Hist. ecclésiastique.) est usité parmi les moines pour signifier le chef d’un ordre, c’est-à-dire de toutes les maisons & congrégations qui sont sous la même regle. Voyez Ordre.
Nous disons dans ce sens le général des Cisterciens, des Franciscains, &c. Voyez Franciscains, &c.
Le P. Thomassin fait venir l’origine des généraux des ordres, des priviléges que les anciens patriarches avoient accordés aux monastères de leurs villes capitales, par le moyen desquels ils étoient exempts de la jurisdiction de l’évêque, & soûmis immédiatement au seul patriarche. Voyez Exemption. (G)