L’Encyclopédie/1re édition/INDIVISIBLE

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Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 684-686).

INDIVISIBLE, adj. (Géométrie.) on entend par ce mot en Géométrie ces élémens infiniment petits, ou ces principes dans lesquels un corps ou une figure quelconque peut être résolue en dernier ressort, selon l’imagination de quelques Géometres modernes. Voyez Infini.

Ils prétendent qu’une ligne est composée de points, une surface de lignes paralleles, & un solide de surfaces paralleles & semblables ; &, comme ils supposent que chacun de ces élémens est indivisible, si, dans une figure quelconque, l’on tire une ligne qui traverse ces élémens perpendiculairement, le nombre des points de cette ligne sera le même que le nombre des élémens de la figure proposée.

Suivant cette idée, ils concluent qu’un parallélogramme, un prisme, un cylindre, peut se résoudre en élémens ou indivisibles, tous égaux entre eux, paralleles & semblables à la base ; que pareillement un triangle peut se résoudre en lignes paralleles à sa base, mais décroissantes en proportion arithmétique, & ainsi du reste.

On peut aussi résoudre un cylindre en surfaces courbes cylindriques de même hauteur, mais qui décroissent continuellement à mesure qu’elles approchent de l’axe du cylindre, ainsi que le font les cercles de la base sur laquelle s’appuient ces surfaces courbes.

Cette maniere de considérer les grandeurs s’appelle la Méthode des indivisibles, qui n’est au fond que l’ancienne méthode d’exhaustion déguisée, & dont on prend les conclusions comme principes sans se donner la peine de les démontrer ; car toutes les raisons que les partisans des indivisibles ont imaginées pour établir leurs élémens, sont de purs paralogismes ou des pétitions de principe, ensorte que l’on est absolument obligé de recourir à la méthode d’exhaustion pour démontrer à la rigueur les principes des Indivisibilistes ; d’où il suit que leur méthode n’en est point une nouvelle, puisqu’elle a besoin d’une autre pour être démontrée, ainsi que nous le verrons bientôt quand nous aurons donné un exemple de la maniere de procéder dans une démonstration de Géométrie par la prétendue méthode des indivisibles. Voyez Exhaustion.

Ce qui a gagné des partisans aux indivisibles, c’est que par leur moyen on abrege merveilleusement les démonstrations mathématiques ; on peut en voir un exemple dans le fameux théorème d’Archimede, qu’une sphere est les deux tiers du cylindre qui lui est circonscrit.

Supposons un cylindre, une demi-sphere, & un cône renversé (Pl. de Géom. fig. 99.), tous de même base & de même hauteur, & coupés par un nombre infini de plans paralleles à la base, & que dg soit un de ces plans ; il est évident qu’en quelqu’endroit qu’on la prenne, le quarré de dh sera égal au quarré du rayon de la sphere, que le quarré eh = le quarré ch ; ainsi, puisque les cercles sont entr’eux comme les quarrés de leurs rayons, & que l’on trouvera par-tout que le quarré de ck ou de hd, rayon du cylindre, égale la somme des quarrés de hk & ch ou eh rayons de la demi-sphere & du cône, on voit que le cercle du rayon du cylindre vaut la somme des cercles correspondans des rayons de la demi-sphere & du cône, par conséquent tous les cercles qui composent le cylindre, c’est-à-dire tout le cylindre est égal à la somme des cercles qui constituent la demi-sphere & le cône, c’est-à-dire que le cylindre est égal à la somme de la demi-sphere & du cône, ainsi le cylindre moins le cône vaut la demi-sphere ; mais on sait d’ailleurs que le cône n’est que le tiers du cylindre, donc les deux autres tiers du cylindre sont égaux à la demi-sphere ; & en prenant le cylindre total & la sphere entiere, on voit évidemment qu’une sphere est les deux tiers du cylindre qui lui est circonscrit.

Il faut avouer qu’il n’y a rien de plus aisé ni de plus élégant que cette démonstration ; c’est dommage qu’elle ait besoin elle-même d’une autre démonstration, ainsi qu’on le trouve prouvé d’une maniere invincible (& à laquelle les Géometres qui y avoient le plus d’intérêt n’ont osé répliquer) dans un ouvrage intitulé institutions de Géométrie, &c. imprimé à Paris chez Debure l’aîné en 1746, en 2 vol. in-8°. voici ce qu’on lit à ce sujet pag. 309 du second tome : « La seule maniere dont on pourroit concevoir que des surfaces viendroient à composer un solide, c’est qu’elles fussent posées immédiatement les unes sur les autres : or il est impossible de disposer de cette façon plus de deux surfaces. Prenez-en trois ; mettez l’une des trois entre les deux autres, celle du milieu touchera l’inférieure par-dessous, & la supérieure par dessus : elle sera donc composée de deux surfaces, qui auront entre elles quelque distance ; mais deux surfaces attachées ensemble qui laissent entre elles quelque distance composent un vrai solide, en regardant comme un tout ces surfaces & la distance qui les sépare. On a donc supposé l’impossible quand on a demandé que l’on mît une surface immédiatement entre deux surfaces : or, si l’on ne peut pas mettre une surface immédiatement entre deux surfaces, on n’en pourra jamais faire résulter un solide, qui n’est autre chose, ainsi que le prétendent les Indivisibilistes, qu’un assemblage de surfaces posées immédiatement les unes sur les autres ».

Cependant malgré cette absurdité & bien d’autres, que l’on peut voir dans l’ouvrage même, « les Indivisibilistes ne se rendent pas, poursuit l’auteur ; au lieu de tranches superficielles, avec lesquelles nous prétendons engendrer ou constituer les solides, vous n’avez qu’à supposer, disent-ils, des solides d’une épaisseur infiniment petite, & vous serez pleinement satisfaits, car des solides pourront apparemment composer un solide.

» Depuis cette réponse il paroît que l’on n’a plus inquiété les partisans des indivisibles, & que leurs principes ont acquis toute l’autorité des premiers axiomes. Cette autorité s’est d’autant plus fortifiée, que les indivisibles aboutissent à des conclusions qui sont démontrées à la rigueur par des voies incontestables. Un rapport si juste pourroit-il être la production d’un faux principe » ?

Reprenons la méthode des Indivisibilistes. Quand ils veulent démontrer, par exemple, que les pyramides de même base & de même hauteur sont égales, ils imaginent que ces pyramides soient coupées par un nombre infini de plans paralleles à leur base, & comme le nombre de ces plans est mesuré par la perpendiculaire qui désigne leur hauteur commune, il s’ensuit que « ces pyramides ont un même nombre de coupes ou de tranches ; on l’accorde. Il est démontré géométriquement que toutes les tranches de l’une sont égales à toutes les tranches de l’autre, chacune à sa correspondante ; on en convient encore : or les pyramides sont composées de ces tranches. Il est bon de s’expliquer : sont-ce des tranches superficielles, c’est-à-dire, ces tranches ne sont-elles que des surfaces ? les défenseurs des indivisibles en ont reconnu l’impossibilité. Il faut donc que ce soient des tranches solides qui composent les pyramides ; ainsi il reste à démontrer que ces tranches solides sont égales, chacune à sa correspondante : les Indivisibilistes le supposent. Leur démonstration est donc une pétition de principe.

» A la vérité ils prouvent à la rigueur que les bases entre lesquelles sont comprises les tranches élémentaires, ou les petites pyramides tronquées, ont une égalité correspondante ; mais c’est changer l’état de la question. Je demande que l’on m’établisse une égalité de solides, & l’on n’aboutit qu’à une égalité de surfaces. Quel paralogisme !

» Je conviendrai, tant qu’on voudra, que ces tranches élémentaires correspondantes ont une épaisseur infiniment petite ; mais la difficulté qui étoit d’abord en grand revient ici en petit, la petitesse ne faisant pas l’égalité. Que l’on me prouve donc que chaque tranche infiniment petite est égale en solidité à sa correspondante ; car c’est-là précisément l’exposé de la proposition.

» On voit maintenant pourquoi la méthode des indivisibles fait parvenir à des vérités démontrées d’ailleurs, c’est qu’il est fort aisé de trouver ce que l’on suppose.

» Ainsi ceux qui se conduisent par cette méthode tombent dans une pétition de principe ou dans un paralogisme. S’ils supposent que les petites tranches élémentaires correspondantes ont une égale solidité, c’est précisément l’état de la question. Si après avoir démontré l’égalité des surfaces qui terminent ces tranches par-dessus & par-dessous, on en déduit l’égalité de ces petits solides, il y a un paralogisme inconcevable ; on passe de l’égalité de quelques portions de surfaces à l’égalité entiere des solidités ».

S’il n’étoit pas honteux de recourir à des autorités dans une science qui ne reconnoît pour maître que l’évidence ou la conviction qui en naît, on citeroit M. Isaac Newton, que l’on ne soupçonnera pas d’avoir parlé sur cette matiere d’une maniere inconsidérée : contractiores, dit-il, redduntur demonstrationes per methodum indivisibilium ; sed quoniam durior est indivisibilium hypothesis, & proptereà methodus illa minus geometrica censetur, malui, &c. Voyez la sect. prem. du prem. liv. des Princ. de M. Newton, au schol. du lem. xj.

Au reste, Cavalleri est le premier qui ait introduit cette méthode dans un de ses ouvrages intitulé Geometria indivisibilium, imprimé en 1635. Torricelli l’adopta dans quelques-uns de ses ouvrages, qui parurent en 1644 ; & Cavalleri lui-même en fit un nouvel usage dans un autre traité publié en 1647, & aujourd’hui même un assez grand nombre de Mathématiciens conviennent qu’elle est d’un excellent usage pour abréger les recherches & les démonstrations mathématiques. Voyez Géométrie. (E)