L’Encyclopédie/1re édition/JASPE

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Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 466-467).
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JASPE, s. m. (Hist. nat. Litholog.) c’est le nom d’une pierre du nombre de celles qu’on appelle précieuses. Elle est très-dure, prend très-bien le poli, donne des étincelles lorsqu’on la frappe avec de l’acier ; elle est opaque à cause de la grossiereté de ses parties colorantes, sans quoi le jaspe ne différeroit en rien de l’agate, & l’on pourroit avec raison dire que le jaspe est une agate non-transparente, mêlée d’un plus grand nombre de parties terrestres & grossieres. Cependant il y a des morceaux de jaspe dans lesquels on trouve des taches ou veines transparentes ; cela vient de ce que la matiere qui lui a donné l’opacité, n’a point également pénétré dans toutes les parties de la pierre. Ce qu’il y a de certain, c’est que le quartz ou le caillou fait la base du jaspe, ainsi que celle de l’agate, & que tout caillou opaque & coloré qui prend le poli, doit être regardé comme un véritable jaspe.

Il regne une grande variété de couleurs parmi les jaspes ; il y en a qui n’ont qu’une seule couleur, qui est ou blanche, ou brune, ou bleue, ou verte, ou grise, &c. le jaspe rouge est le plus rare, & cela dans différentes nuances ; d’autres sont de plusieurs couleurs différentes, tels sont ceux qu’on nomme jaspes fleuris, dans lequel on voit des couleurs jaunes, rouges, grises, blanches, &c. confusément répandues. L’imagination des Naturalistes a travaillé sur ces sortes de jaspes, où quelques-uns ont vû ou du moins ont crû voir les figures les plus extraordinaires, qui ne sont souvent représentées que très-imparfaitement, & que l’on ne peut regarder que comme formées par le hasard pur, & par la disposition fortuite des couleurs & des veines qui s’y trouvent.

Les moindres accidens & les différentes couleurs des jaspes leur ont fait donner des noms différens par les anciens Naturalistes ; c’est ainsi qu’ils ont nommé lapis pantherinus ou pierre de panthere, un jaspe jaunâtre moucheté de rouge. Pline donne le nom de grammatias à un jaspe dans lequel on voyoit des taches ou des veines blanches, sans parler d’une infinité d’autres noms qui ont été donnés aux jaspes en faveur de différences qui ne sont qu’accidentelles, & qui ne changent rien à la nature de ces pierres. Ces noms ne sont donc propres qu’à charger inutilement la mémoire : les vrais Naturalistes ne doivent s’embarrasser que de ce qui constitue l’essence d’une pierre, sans s’arrêter à des petites variétés minutieuses. Si cependant quelqu’un vouloit un détail sur les différentes dénominations données au jaspe à cause de ses différentes couleurs, il le trouveroit dans Hill, histoire naturelle des fossiles en anglois.

Le jaspe sanguin est vert, & rempli de taches rouges comme du sang.

Le jaspe floride ou fleuri est de plusieurs couleurs différentes, comme nous l’avons déja fait remarquer.

Le lapis lazuli est un vrai jaspe d’un bleu plus ou moins vif, parsemé de petits points brillans comme de l’or. Voyez Lapis.

Le caillou d’Egypte est un vrai jaspe d’une couleur brune, dans lequel on voit des accidens tout-à-fait singuliers.

Le caillou de Rennes ou pavé de Rennes est aussi un vrai jaspe jaunâtre, ou d’un brun clair & rougeâtre.

La pierre que les Minéralogistes allemands nomment hornstein ou pierre cornée, n’est qu’une espece de jaspe mêlé d’agate, comme on verra à la fin de de cet article.

Wallerius & quelques autres auteurs mettent aussi le porphyre au rang des jaspes.

Quelques Naturalistes mettent le jade au rang des jaspes ; mais il y a des différences entre ces deux pierres. Voyez Jade.

Quelques auteurs confondent mal-à-propos le jaspe avec le marbre. La différence entre eux est très-sensible : le premier donne des étincelles, lorsqu’on le frappe avec un briquet, & ne se dissout point dans les acides ; au lieu que le marbre s’y dissout, & ne fait point feu lorsqu’on le frappe avec le briquet.

Le jaspe se trouve dans le sein de la terre par masses détachées de différentes grandeurs : des voyageurs parlent d’un morceau de jaspe de neuf piés de diametre, qui fut tiré d’une carriere de l’archevêché de Saltzbourg, & placé parmi le pavé d’une des cours du palais impérial à Vienne en Autriche.

M. Gmelin, dans son voyage de Sibérie, dit y avoir vû, dans le voisinage de la riviere d’Argun, une montagne qui est presque entierement composée d’un jaspe verd très-beau, mais extrêmement mêlé de roche brute, de sorte qu’il est rare de trouver des morceaux de trois livres exemts de gersures & de défauts. Le même auteur ajoûte que quelquefois on en a tiré des masses qui pesoient un ou deux piés (le pié fait 33 livres) ; mais ils se fendoient à l’air au bout de quelques jours, de sorte qu’on ne pouvoit point s’en servir pour faire des colonnes, des tables ou d’autres grands ouvrages. Voyez Gmelin, voyage de Sibérie.

On trouve aussi des jaspes de différentes couleurs en Bohème, en Italie, & dans beaucoup d’autres pays de l’Europe ; mais on donne la préférence à ceux des Indes orientales, parce qu’on les regarde comme plus durs, ils prennent mieux le poli, les couleurs en sont plus vives.

On ne peut se dispenser de rapporter ici l’expérience singuliere de Beccher sur le jaspe. Ce savant chimiste mit du jaspe dans un creuset avec un mêlange convenable (adhibitis requisitis), pour le faire entrer en fusion, il lutta le couvercle avec le creuset ; en donnant un feu violent, la matiere se fondit. Quand le creuset fut refroidi, il l’ouvrit, & trouva que le jaspe avoit formé une masse solide presque aussi dure que cette pierre étoit auparavant ; mais elle avoit changé de couleur, & étoit devenue laiteuse & demi-transparente, comme une agate blanche ; mais les parois supérieurs du creuset, c’est-à-dire, le couvercle & les côtés auxquels le jaspe n’avoit pu toucher pendant la fusion, étoient couverts d’une couleur de jaspe parfaite, & il ne leur manquoit que la consistence & la dureté pour ressembler parfaitement à du jaspe poli, mais cette couleur n’étoit que légerement attachée à la superficie. De cette maniere Beccher a séparé la partie colorante du jaspe, qu’il nomme son ame, & l’a sublimée par la violence du feu. Voyez Beccher, Physica subterranea, édition de 1739, page 77. Il y a lieu de croire que Beccher joignit de l’acide vitriolique à son jaspe pulvérisé ; du-moins est-il certain qu’en versant de l’huile de vitriol sur du jaspe en poudre, & le mettant ensuite sous une mouffle à un feu médiocre, toute la couleur du jaspe disparoît, & il reste sous la forme d’une poudre blanche.

M. Henckel dans sa Pyrithologie, décrit un jaspe très-singulier qui se trouve près de Freyberg en Misnie, dans un endroit qu’on nomme la carriere de jaspe, ou de corail : on trouve 1°. une couche de spath très-pesant, 2°. au-dessous est du crystal de roche ; ces deux couches n’ont qu’environ deux travers de doigt d’épaisseur ; ensuite 3°. vient de l’améthiste, 4°. une nouvelle couche de crystal, 5°. du jaspe, 6°. du crystal, 7°. du jaspe, 8°. du crystal, 9°. du jaspe, 10°. du crystal. Chacune de ces huit dernieres couches n’est souvent pas plus épaisse qu’un fil ; & toutes ensemble ont à peine trois lignes d’épaisseur, & sont cependant très-distinctes. Il vient ensuite 11°. du jaspe d’un rouge clair, 12°. un jaspe d’un rouge obscur, 13°. de la chalcédoine, 14°. du jaspe, 15°. de la chalcédoine ; enfin on voit un quarré compacte & solide. Les six ou huit dernieres couches vont en augmentant au point que dans quelques endroits le jaspe a plus d’un pouce d’épaisseur. Ces couches sont si intimement liées, que la masse de pierre où elles se trouvent se divisent plus aisément selon son épaisseur, que suivant la direction des couches. C’est ce jaspe que les ouvriers des mines & quelques naturalistes, pour se conformer à leur langage, nomment hornstein, ou pierre de corne. Voyez la Pyritologie de Henckel. (—)

Jaspe-agate, (Hist. nat. Lythologie.) nom donné par quelques naturalistes à une espece d’agate, dans laquelle se trouvent quelques endroits entierement opaques qui sont du jaspe. On en trouve des pierres de cette espece aux Indes orientales & occidentales, ainsi qu’en différens pays de l’Europe, & sur-tout en Italie, en Allemagne, &c. On regarde celles d’Orient comme plus dures que celles d’Europe. Voyez Jaspe. (—)

Jaspe camée, (Hist. nat. Lythologie.) nom donné par quelques auteurs à une pierre précieuse demi-transparente, connue sur-tout des Lapidaires italiens, mais qu’on ne voit guere parmi nous. Il est rare de la trouver grande ; elle est composée de zones ou de couches assez larges d’un beau blanc & d’un beau verd, qui ressemble à celui de quelques jaspes. On trouve, dit-on, cette pierre dans les Indes orientales, & dans quelques endroits de l’Amérique ; les Italiens en sont fort curieux ; ils la nomment jaspi-cames, & s’en servent comme des autres camées, pour y graver des figures en relief ou en creux, & pour contrefaire des antiques, métier qu’ils entendent parfaitement bien. Voyez Hill, Hist. nat. des fossiles. (—)

Jaspe-onyx, (Hist. nat. Lythologie.) quelques naturalistes donnent ce nom à une espece de jaspe, dans lequel il se trouve des taches ou des veines transparentes & de la couleur de la corne ou des ongles, telle que l’onyx ; cela vient de ce que la partie colorante qui a donné l’opacité à la pierre, n’a pas également pénétré par-tout. Voyez Jaspe. (—)

Jaspe, (Mat. med.) c’est un des corps dans lesquels on a trouvé des vertus médicinales annoncées par des caracteres extérieurs, ou une signature ; c’est un médicament signé. Voyez Signature. (Mat. med.) & ces vertus sont occultes, magnétiques, astrales. En un mot, le jaspe spécialement celui qu’on appelle sanguin, qui est veiné de rouge (ce qui est sa signature), a la propriété constante & infaillible d’arrêter les pertes de sang, en le portant attaché à la cuisse. Boot, Sennert, & la tourbe des pharmacologistes paracelsistes l’assurent. Boyle lui-même, qui fait profession ouverte de pyrrhonisme sur les merveilles de cet ordre, n’a pas été assez incrédule sur celle ci. (b)