L’Encyclopédie/1re édition/MÉCHANCETÉ

La bibliothèque libre.
◄  MECHANEUS

MÉCHANCETÉ, s. f. & MÉCHANT, adj. (Morale.) nouveau terme fait pour notre nation en particulier, & qu’il faut définir. C’est une espece de médisance débitée avec agrément & dans le goût du bon ton. Il ne suffit pas de nuire, il faut sur-tout amuser, sans quoi le discours le plus méchant retombe plus sur son auteur que sur celui qui en est le sujet.

La méchanceté dans ce goût, dit l’auteur des mœurs, se trouve aujourd’hui l’ame de certaines sociétés de notre pays, & a cessé d’être odieuse sans perdre son nom : c’est même une mode ; cependant les éminentes qualités n’auroient pû jadis la faire pardonner, parce qu’elles ne peuvent jamais rendre autant à la société que la méchanceté lui fait perdre ; puisqu’elle en sappe les fondemens, & qu’elle est par-là, sinon l’assemblage, du-moins le résultat des vices. Aujourd’hui la méchanceté est réduite en art : elle tient communément lieu de mérite à ceux qui n’en ont point d’autre, & souvent leur donne de la considération dans plusieurs cotteries. Les petits méchans subalternes se signalent ordinairement sur les étrangers que le hasard leur adresse, comme on sacrifioit autrefois dans quelques contrées ceux que leur mauvais fort y faisoient aborder. Les méchans du haut étage s’en tiennent à leurs compatriotes, & les sacrifient impitoyablement au moindre trait heureux qui se présente à leur esprit & qui peut porter coup. C’est ainsi qu’en un seul jour ils flétrissent la réputation de plusieurs personnes, qui n’ont d’autre tort que d’en être connues. La vertu tremble à leur aspect, & la médisance leur prête ses couleurs les plus odieuses ; mais qu’ils sachent qu’à l’instant qu’ils amusent, leur méchanceté les fait détester des honnêtes gens. Tout le monde devroit encore s’accorder à les tourner en ridicule. Je ne crois pas qu’en général les François soient nés avec ce caractere de méchanceté qu’on leur reproche ; naturellement touchés de la vertu, ils la respecteroient si l’exemple & la coutume n’étoient les tyrans de tous leurs usages. (D. J.)