L’Encyclopédie/1re édition/MODENE

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MODENE, (Géog.) en latin Mutina ; voyez ce mot ; ancienne ville d’Italie, capitale du Modenois, avec une citadelle, & un évêché suffragant de Boulogne.

Cette ville eut autrefois beaucoup de part aux troubles du triumvirat. Elle se rendit l’an 710 de Rome à Marc-Antoine, lorsqu’il eut remporté sous ses murailles cette grande victoire sur Hirtius & Pansa, qui entraînerent avec leur défaite la perte de la république ; on regarda cette journée comme la derniere de cet auguste sénat, qui, par sa puissance, avoit pour ainsi dire, foulé aux piés le sceptre des têtes couronnées.

Modene souffrit beaucoup de l’irruption des Goths & des Lombards en Italie ; mais lorsque Charlemagne eut mis fin à la monarchie de ces derniers, Modene se releva de ses ruines. Elle fut rebâtie, non pas dans le même endroit, mais un peu plus bas, dans une plaine agréable & fertile en bons vins ; telle est la plaine où cette ville se trouve encore aujourd’hui.

C’est à-peu-près là tous ses avantages ; car elle est pauvre, mal bâtie, sans commerce, chargée d’impôts, & la proie du premier occupant. L’empereur, les François, le roi de Sardaigne, s’en sont emparés successivement dans les guerres de ce siecle.

C’est à sa cathédrale qu’est attaché ce fameux sceau qui a été le prétexte ou le sujet de la longue division entre les Petronii & les Geminiani, c’est-à-dire, entre les Bolonois, qui reconnoissent S. Petrone, & les Modenois, S. Géminien, pour leur patron. Le Tassone a plaisamment peint dans sa secchia rapita, poëme héroï-comique, l’histoire de ce sceau & la guerre qu’il a causé.

Cædibus ob raptam lymphis putealibus urnam
Concinit, immistis socco ridente cothurnis.

On ne sauroit jetter trop de ridicule sur des pareilles querelles.

Le palais du duc de Modene est enrichi de belles peintures, & en particulier de morceaux précieux du Carrache.

La citadelle est assez forte pour tenir la ville en bride.

Modene est sitnée sur un canal, entre le Panaro & la Secchia, à 7 lieues N. O. de Boulogne, 10 S. O. de Parme, 12 S. E. de Mantoue, 20 N. O. de Florence, 34 S. E. de Milan, 70 de Rome. Long. selon Caslini, & selon les PP. Riccioli & Fontana, 28. 43. lat. 44. 34.

Cette ville a été la patrie d’hommes illustres en plusieurs genres : il suffit pour le prouver, de nommer Falloppe, Sadolet, Sigonius, Castelvetro, le Molsa, & le Tassona.

Falloppe (Gabriel) tient un des premiers rangs entre les Anatomistes. Il mourut à Padoue, en 1562, âgé de 39 ans. Quoique la plûpart de ses œuvres soient posthumes, elles sont très-précieuses aux amateurs de l’Anatomie. Ils recherchent avec soin l’édition de Venise de 1606, en 3 vol. in-fol.

Sadolet (Jacques) secretaire de Léon X, fut employé dans des négociations importantes, & parvint à la pourpre en 1536. Il finit ses jours à Rome en 1547, à 72 ans. Ses ouvrages de théologie & de poësie ont été publiés à Vérone en 3 volumes in-4°. Ils ne sont pas tous intéressans, mais ils respirent le gout de la belle latinité.

Sigonius (Charles) se montra l’un des plus savans littérateurs du xvj. siecle, & mourut en 1584, à l’âge de 60 ans. Personne n’a mieux approfondi les antiquités romaines. Tous ses ouvrages ont été recueillis à Milan en 1732, 1733 & 1734. Ils forment 8 vol. in-fol.

Castelvetro (Louis) mort en 1571, est principalement connu par son commentaire sur la poétique d’Aristote, dont la bonne édition est de Vienne en Autriche. C’étoit aussi son ouvrage favori. On déféra ce subtil écrivain à l’inquisition, pour avoir traduit en Italien un traité de Melanchton. Les inquisitions littéraires sont les moyens les plus courts pour jetter les peuples dans la barbarie. Nos têtes ne sont pas aussi bien organisées que celles des Italiens ; d’ailleurs, nous ne sommes encore qu’au crépuscule des jours de lumiere ; que deviendrions-nous, si l’on éteignoit ce nouveau flambeau dans nos climats ?

Molsa (François-Marie) l’un des bons poëtes du xvj. siecle, mena la vie la moins honnête, & mourut, en 1544, d’une maladie honteuse. La nature l’avoit doué d’un heureux génie, que l’étude perfectionna. Il réussit également en prose & en vers, dans le sérieux & dans le comique. Ses élégies sont dans le goût de celles de Tibulle ; latinis elegiis, & etruscis rhytmis, pari gratiâ ludendo, musas exercuit, sed ità sædè prodigus, honestique nescius pudoris, ut clarioris fortunæ, certissimam spem facile corruperit ; voilà son portrait par Paul Jove.

Il ne laissa qu’un fils, qui fut pere d’une illustre fille, nommée Tarquinia Molsa. Elle éleva sa gloire par la vertu, son esprit, son savoir, & sa beauté. La ville de Rome la gratifia d’un privilege, dont il n’y avoit point eu d’exemple, ce fut de la bourgeoisie romaine.

Le Tassonne (Alcxandre) dont j’ai déja parlé, mit au jour à Paris, sa secchia rapita, en 1622. On en a fait nombre d’éditions. Celle qui parut à Ronciglione deux ans après, passe pour la meilleure. La traduction de ce poëme, par M. Perrault, est exacte, mais seche, assez souvent peu françoise, & presque toujours dépourvue d’agrémens. Le Tassone mourut dans sa patrie en 1635. Antoine-Louis Muratori a écrit sa vie. (D. J.)

Modene, le duché de, (Géogr.) il comprend, outre Modene & ses dépendances, le petit pays de Trignano, & une partie du Cafargnano. Cet état, qui porte le nom de sa capitale, fut érigé en duché l’an 1413, en faveur de Borso d’Est, dans la famille duquel il étoit depuis long-tems. (D. J.)