L’Encyclopédie/1re édition/ONTOLOGIE

La bibliothèque libre.
◄  ONOSMA
ONUAVA  ►

ONTOLOGIE, s. f. (Logiq. & Métaphys.) c’est la science de l’être considéré entant qu’être. Elle fournit des principes à toutes les autres parties de la Philosophie, & même à toutes les Sciences.

Les scholastiques souverainement passionnés pour leur jargon, n’avoient garde de laisser en friche le terroir le plus propre à la production des termes nouveaux & obscurs : aussi élevoient-ils jusqu’aux nues leur philosophia prima. Dès que la doctrine de Descartes eut pris le dessus, l’ontologie scholastique tomba dans le mépris, & devint l’objet de la risée publique. Le nouveau philosophe posant pour principe fondamental qu’on ne devoit admettre aucun terme auquel ne répondît une notion claire ou qui ne fût résoluble par sa définition en idées simples & claires, cet arrêt, émané du bon sens, proscrivit tous les termes ontologiques alors usités. Effectivement les définitions destinées à les expliquer, étoient pour l’ordinaires plus obscures que les termes mêmes ; & les regles ou canons des scholastiques étoient si équivoques, qu’on ne pouvoit en tirer aucun usage. On n’envisagea donc plus l’ontologie que comme un dictionnaire philosophique barbare, dans lequel on expliquoit des termes dont nous pouvions fort bien nous passer ; & ce qui acheva de la décrier, c’est que Descartes détruisit sans édifier, & qu’il décida même que les termes ontologiques n’avoient pas besoin de définition, & que ceux qui signifioient quelque chose étoient suffisamment intelligibles par eux mêmes. Sans doute la difficulté de donner des définitions précises des idées simples & primitives, fut ce qui engagea Descartes à couper ainsi le nœud.

L’ontologie, qui n’étoit autrefois qu’une science de mots, prit une toute autre face entre les mains des philosophes modernes, ou, pour mieux dire, de M. Volf ; car le cours de cette science qu’il a publié, est le premier & jusqu’à-présent l’unique où elle soit proposée d’une maniere vraiment philosophique. Ce grand homme méditant sur les moyens de faire un système de philosophie certain & utile au genre humain, se mit à rechercher la raison de l’évidence des démonstrations d’Euclide ; & il découvrit bien-tôt qu’elle dépendoit des notions ontologiques. Car les premiers principes qu’Euclide emploie sont ou des définitions nominales qui n’ont par elles-mêmes aucune évidence, ou des axiomes dont la plûpart sont des propositions ontologiques.

De cette découverte M. Volf conclut que toute la certitude des Mathématiques procede de l’ontologie ; passant ensuite aux théoremes de la Philosophie, & s’efforçant de démontrer la convenance des attributs avec leurs sujets, conformément à leurs légitimes déterminations, pour remonter par des démonstrations réitérées jusqu’aux principes indémontrables, il s’apperçut pareillement que toutes les especes de vérités étoient dans le même cas que les Mathématiques, c’est-à-dire qu’elles tenoient aux notions ontologiques. Il résulte manifestement de-là que la Philosophie, & encore moins ce qu’on appelle les facultés supérieures, ne peuvent être traitées d’une maniere certaine & utile, qu’après avoir assujetti l’ontologie aux regles de la méthode scientifique. C’est l’important service que M. Volf s’est proposé. de rendre aux Sciences, & qu’il leur a rendu réellement dans l’ouvrage publié en 1729 sous ce titre : Philosophia prima sive ontologia, methodo scientificâ pertractata, quâ omnis cognitionis humanæ principia continentur ; réimprimé plus correct en 1736 in-4°, à Francfort & Léïpsick. Il donne les notions distinctes, tant de l’être en général, que des attributs qui lui conviennent, soit qu’on le considére simplement comme être, soit que l’on envisage les êtres sous certaines relations. Ces notions servent ensuite à former des propositions déterminées, les seules qui soient utiles au raisonnement & à construire les démonstrations, dans lesquelles on ne doit jamais faire entrer que des principes antérieurement prouvés. On ne doit pas s’étonner de trouver dans un pareil ouvrage les définitions des choses que les idées confuses nous représentent assez clairement pour les distinguer les unes des autres, & les preuves des vérités sur lesquelles on n’a pas coutume d’en exiger. Le but de l’auteur demandoit ces détails : il ne lui suffisoit pas de donner une énumération des attributs absolus & respectifs de l’être, il falloit encore rendre raison de leur convenance à l’être, & convaincre à priori, qu’on est en droit de les lui attribuer toutes les fois que les déterminations supposées par l’attribut se rencontrent. Tant que les propositions ne sont éclaircies que par les exemples que l’expérience fournit, on n’en sauroit inférer leur universalité, qui ne devient évidente que par la connoissance des déterminations du sujet. Quiconque sait quelle est la force de la méthode scientifique, pour entrainer notre consentement, ne se plaindra jamais du soin scrupuleux qu’un auteur apporte à démontrer tout ce qu’il avance.

On peut définir l’ontologie naturelle par l’assemblage des notions confuses acquises par l’usage ordinaire des facultés de notre ame, & qui répondent aux termes abstraits dont nous nous servons pour exprimer nos jugemens généraux sur l’être. Telle est en effet la nature de notre ame, qu’elle ne sauroit détacher de l’idée d’un être tout ce qu’elle apperçoit dans cet être, & qu’elle apperçoit les choses universelles dans les singulieres, en se souvenant d’avoir observé dans d’autres êtres ce qu’elle remarque dans ceux qui sont l’objet actuel de son attention. C’est ainsi, par exemple, que se forment en nous les idées confuses de plus grand, de moindre & d’égal, par la comparaison des grandeurs ou hauteurs des objets corporels. Il s’agit de ramener ces concepts vagues à des idées distinctes, & de déterminer les propositions qui en doivent résulter : c’est ce que fait l’ontologie artificielle, & elle est par conséquent l’explication distincte de l’ontologie naturelle.