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L’Encyclopédie/1re édition/POLLUTION

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POLLUTION, s. f. POLLUER, v. act. (Morale.) effusion de semence hors l’usage du mariage. Les théologiens moralistes en distinguent de deux sortes : l’une volontaire, & l’autre involontaire.

La pollution volontaire est celle qu’on se procure par mollesse ; les casuistes la nomment mollities, immunditia. Tous conviennent que c’est un péché contre-nature. Les rabbins la mettent au rang des homicides ; & saint Paul dit que ceux qui tombent dans ce crime n’entreront point dans le royaume de Dieu. I. Cor. vj. 10.

La pollution involontaire est celle qui arrive pendant le sommeil, en conséquence de quelque songe qui a troublé l’imagination. On l’appelle autrement illusion ; & elle ne rend pas coupable la personne à qui elle arrive, à-moins qu’elle n’y ait donné occasion en s’arrêtant avec complaisance à quelque pensée impure.

Pollution nocturne, (Médecine pratiq.) maladie dont le symptome caractéristique, & celui d’où elle tire son nom, est une éjaculation involontaire, plus ou moins fréquente, de la semence, qui se fait pour l’ordinaire pendant la nuit à l’occasion des songes voluptueux. Les Grecs l’ont appellée en conséquence ὀνειρωγμὸς ou ὀνειρόγονος, mot composé d’ὄνειρος, songe, & γόνος, semence, qui signifie littéralement songe vénérien ; c’est sous ce nom que Cœlius Aurelianus, un des plus anciens auteurs qui ait parlé de cette maladie, en donne une description assez imparfaite.

Il ne faut pas confondre avec l’affection dont il s’agit ici une espece de pollution qui n’est du tout point maladive, & qui sert plutôt à entretenir la santé par l’excrétion nécessaire d’une humeur superflue. C’est celle qui est familiere aux personnes de l’un & l’autre sexe qui vivent dans une continence trop rigoureuse : la nature qui, au grand avantage de l’humanité, ne perd jamais ses droits, les trompe par des mensonges heureux dans des rêves agréables, pourvoit à leur besoin, & leur fait goûter les plaisirs dont ils ont la cruauté ou la vertu de se priver, & qui les dédommagent souvent avec usure de la réalité ; ces personnes, après avoir éprouvé pendant la nuit une de ces pollutions innocentes & salutaires, loin d’en être affoiblies, n’en sont que mieux portantes, plus alertes, & plus dispos.

Il n’en est pas ainsi de ceux qui ont des pollutions nocturnes, excitées moins par le besoin que par une disposition vicieuse des parties de la génération ou du cerveau, & qui méritent à si juste titre le nom affreux de maladie : ces éjaculations plus ou moins réitérées, que le besoin n’a point préparées, que l’appétit ou les desirs n’ont point assaisonnées, n’occasionnent souvent aucun plaisir même momentané ; elles causent au contraire dans plusieurs des douleurs cuisantes, il leur semble que la semence brûle & dévore toutes les parties qu’elle traverse. Mais les suites sont bien plus funestes : après ces éjaculations qui interrompent son sommeil, le malade est plongé dans une espece d’anéantissement, ses yeux s’obscurcissent, une langueur extrème s’empare de tous ses sens, il lui semble n’exister qu’à-demi ; cette terrible idée qui lui retrace sans cesse sa foiblesse & son néant, qui souvent entraîne avec elle l’image d’une mort prochaine, qui la lui représente le bras levé, la faux déployée prête à moissonner ses jours, le plonge dans une tristesse accablante, & jette peu-à-peu les fondemens d’une affreuse mélancolie ; le sommeil vient-il de nouveau fermer sa paupiere, le dérober à lui-même, mettre fin à ses cruelles réflexions, ce n’est que pour lui en procurer une nouvelle matiere ; à-peine est-il endormi, que les songes les plus voluptueux présentent à son imagination échauffée des objets lascifs, la machine suit sa pente naturelle, des foibles desirs naissent aussi-tôt, mais plus promptement encore les parties qui doivent les satisfaire obéissent à ces impressions, & plus encore à la disposition maladive dont elles sont attaquées ; le nouveau feu qui s’allume ne tarde pas à procurer l’évacuation qui en est le sceau & la fin ; le malade se réveille par le plaisir ou par la douleur, & retombe avec plus de force dans l’anéantissement horrible qu’il avoit déja éprouvé. Dans quelques-uns, un nouveau sommeil prépare encore de nouvelles éjaculations & de nouveaux tourmens encore plus terribles. Après avoir passé de pareilles nuits, quelle doit être la situation des malades pendant le jour ? on les voit pâles, mornes, abattus, ayant de la peine à se soutenir, les yeux enfoncés, sans force & sans éclat, leur vûe s’affoiblit, une maigreur épouvantable les défigure, leur appétit se perd, les digestions sont dérangées, presque toutes les fonctions s’alterent, la mémoire n’a plus sa vivacité, & ce n’est pas le plus grand mal ; il seroit même à souhaiter qu’ils en fussent dépourvus au point d’oublier tout-à-fait les fautes qui les ont ordinairement plongés dans cet effroyable état ; bien-tôt des douleurs vagues se répandent dans différentes parties du corps, un feu intérieur les dévore, des ardeurs d’urine s’y joignent, la fievre lente survient, & enfin la phthisie dorsale, suite funeste des excès dans l’évacuation de la semence. Voyez Manustupration. Je ne mets pas au nombre de leurs maux la mort à laquelle ils échappent rarement, parce qu’elle est plutôt un remede le seul souvent qui leur reste, & qui se rend toujours trop tard à leurs desirs. Le portrait que je viens de tracer est sans doute affreux, mais il est fait d’après nature ; il n’y a malheureusement que trop d’occasions d’en appercevoir la conformité. J’ai observé tous ces symptomes dans un homme d’un tempérament vif, très-sensible, dont la vie n’avoit été qu’un tissu de débauches, qui, après lui avoir attiré plusieurs fois des maladies vénériennes, l’avoient enfin jetté dans cette cruelle maladie : il m’assuroit que loin de goûter du plaisir dans la consommation d’un acte pour l’ordinaire si voluptueux, il n’en ressentoit que des douleurs si aiguës qu’il en poussoit les hauts cris ; il éprouvoit pendant l’éjaculation, aux environs des prostates & dans le reste du canal de l’urethre, une sensation semblable à celle qu’auroit pû faire un fer ardent placé dans ces endroits. Confié aux soins de M. de Lamure, célebre professeur de Montpellier, il en fut traité avec tant de prudence qu’il recouvra enfin une parfaite santé. J’ai vû un autre malade de cette espece, & je n’en rappelle qu’avec horreur le souvenir, dont la fin fut plus déplorable : cloué depuis plusieurs mois sur un lit de douleur où il étoit retenu par une extrème foiblesse, il y étoit en proie au plus cruel martyre ; il éprouvoit même pendant le jour & étant bien éveillé des atteintes de cette maladie auxquelles il lui étoit impossible de résister ; malgré tous ses efforts, sa verge entroit dans une violente érection, des mouvemens convulsifs appropriés agitoient tout son corps, ses yeux étoient hagards, sa mine égarée, des cris plaintifs sortoient de sa bouche, & enfin il éjaculoit avec les plus vives douleurs quelques gouttes de semence ; alors il tomboit dans un affaissement qui paroissoit mortel, dont il ne sortoit que pour renouveller l’horrible scene qu’il venoit de jouer ; il se passoit vers les derniers jours de sa vie peu d’heures qu’il n’eût ainsi quelque pollution : on peut juger à quel point de foiblesse & de maigreur, &c. il étoit réduit ; mais il est impossible de se représenter toute l’horreur du désespoir qui l’agita dans ses derniers momens.

On regarde ordinairement une continence outrée & l’excès dans les plaisirs vénériens, comme causes de la pollution nocturne ; sur quoi nous remarquerons que la continence ne produit que la pollution naturelle, qui n’a lieu qu’autant que la quantité de la semence est trop considérable, & qu’elle irrite par-là les vésicules séminales & les parties correspondantes : mais la pollution nocturne vraiment maladive est toujours l’effet des débauches immodérées & de corps & d’esprit, lorsque non-content de se livrer sans excès aux plaisirs vénériens, on se repaît continuellement l’imagination d’images lascives, voluptueuses, par des conversations sales, des lectures libertines & deshonnêtes ; alors les songes qui ne sont souvent qu’une représentation des objets qui ont le plus occupé l’esprit pendant le jour, roulent sur les mêmes matieres ; les parties de la génération, qu’un exercice fréquent & une imagination échauffée tiennent dans une tension continuelle, sont beaucoup plus susceptibles des impressions lascives, elles obéissent avec facilité au moindre aiguillon, & les mouvemens destinés à l’éjaculation de la semence, devenus presque habituels, s’exécutent sans effort. Ces mêmes causes continuant d’agir avec plus de force, à mesure qu’elles agissent plus souvent, enracinent le mal & le portent au point où nous l’avons vû si terrible ; la chaleur du lit contribue beaucoup à l’augmenter, sur-tout de ces lits de duvet préparés pour la mollesse, où tout le corps est comme enseveli ; la situation du corps couché sur le dos, favorise aussi les pollutions, sans doute à cause de la chaleur plus considérable des reins, il arrive souvent que la tension des parties génitales est augmentée beaucoup au-dessus de l’état naturel ; alors le chatouillement voluptueux, occasionné par l’éjaculation de la semence, dégénere en douleur qui est d’autant plus aiguë que cette tension est plus forte, & que la semence est plus active, plus chaude, plus irritante, tant la douleur est voisine du plaisir ! Quant aux autres symptomes, ils sont une suite naturelle de l’évacuation d’une humeur précieuse qui prive les parties de leur nourriture & de leur force ; mais de tous les excès vénériens la manustupration est celui qui produit & plutôt & plus constamment ces effets : voyez cet article. Les personnes livrées à cette infâme passion, & sacrifiant sans mesure à cette fausse Vénus, en sont plus cruellement tourmentées ; par où l’on voit que la nature ne manque pas de supplices pour faire expier les crimes commis contre ses lois, & qu’elle peut en proportionner la violence à la gravité du mal.

Il n’est pas besoin, je pense, de nous arrêter ici à retoucher les signes qui peuvent faire connoître cette maladie, il n’est pas possible de s’y méprendre ; ni à retracer le tableau effrayant des maladies qu’elle peut entraîner à sa suite, on peut facilement en juger par ce que nous avons dit plus haut : nous nous bornerons à observer que ce qui ajoute encore au danger attaché aux pollutions nocturnes, c’est la difficulté de trouver des remedes convenables. Comme la maladie s’est formée peu-à-peu, elle a eu le tems de pousser des profondes racines avant qu’on ait pensé à les arracher ; elle attaque d’ailleurs la machine par le côté le plus foible & par où les ravages sont les plus funestes, c’est en empêchant la nutrition. Il est aisé d’appercevoir combien ce défaut est difficile à réparer ; ainsi, quoiqu’on puisse guérir cette maladie, le tempérament en est affoibli pour toujours.

Les remedes qu’une expérience la moins malheureuse a consacrés, sont 1°. les secours moraux qui doivent tendre à éloigner de l’esprit des malades toute idée lascive, en écartant les livres deshonnêtes, les objets voluptueux, les amis libertins, & y substituant des lectures agréables & décentes, car il faut amuser le malade, l’ennui ne pourroit qu’augmenter son mal : voilà pourquoi les livres de morale & de piété, quoique dans le fond meilleurs, seroient moins convenables, d’autant mieux que le changement étant trop rapide ne seroit pas naturel ; on pourroit aussi remplir le tems par des parties de jeu, par des concerts ; dans l’état ou sont nos spectacles, ils ne me paroissent pas propres à détourner l’esprit des idées voluptueuses. 2°. Les secours diététiques qui doivent être propres à nourrir légérement en rafraîchissant, en tempérant le feu & l’agitation des humeurs ; en conséquence on peut nourrir ces malades avec la viande des jeunes animaux, & s’en servir pour faire leurs bouillons & potages dans lesquels il faut faire entrer le riz, l’orge, ou les herbes rafraîchissantes, la laitue, la chicorée, le pourpier, &c. On doit éviter avec beaucoup de circonspection tous les mets salés, épices, les liqueurs fortes, aromatiques, & le vin même, à-moins que l’estomac affoibli ne l’exige : sine Baccho & Cerere friget Venus, dit le proverbe. Au nombre des secours diététiques est encore l’attention qui n’est pas indifférente qu’il faut avoir au lit du malade ; il doit être aussi dur que le malade pourra le soutenir, & fort large, afin qu’il puisse changer souvent de place & chercher les endroits frais ; du reste il aura soin de se tenir couché sur le côté, ou sur le ventre, quand il sera prêt à s’endormir. 3°. Les remedes que la Pharmacie fournit, sont les rafraîchissans employés de différentes façons : parmi les remedes intérieurs, le nymphæa passe pour le plus propre à calmer les irritations vénériennes ; on pourra s’en servir en tisane, en julep, en syrop, faire prendre tous les soirs en se couchant des émulsions composées avec la décoction ou le syrop de cette fleur aquatique ; on pourra y joindre les semences d’agnus castus, & toutes les autres plantes rafraîchissantes : il faudra prendre garde cependant qu’elles ne dérangent pas l’estomac ; & pour parer à cet inconvénient, comme pour donner du ton aux parties génitales, on peut conseiller l’usage de quelque léger tonique, comme du mars ou du quinquina. A l’extérieur, les remedes généraux sont les bains sur-tout un peu froids : on peut enfin tenter la vertu des applications extérieures qui passent pour modérer le feu vénérien, telles sont les ceintures avec l’herbe de nymphæa, les fomentations sur les reins avec des linges ou des éponges imbibées d’oxicrat, d’extrait de Saturne, de décoction de nymphæa, de balaustes, d’hypocistis, &c. telle est aussi, à ce que l’on prétend, l’application d’une plaque de plomb sur la région des lombes. Lorsque la maladie commencera à s’appaiser, il faudra graduellement diminuer les rafraîchissans, & insister sur les toniques amers ou martiaux. (m)

Pollution, (Jurisprud.) signifie souillure : la pollution d’une église arrive, lorsqu’on y a commis quelque profanation, comme quand il y a eu effusion de sang en abondance.

En cas de pollution des églises, les évêques avoient coutume autrefois de les consacrer de nouveau ; mais présentement la simple réconciliation suffit. Voyez Réconciliation & les Mém. du Clergé, tom. VI. (A)