L’Encyclopédie/1re édition/PYTHIE

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PYTHIE, s. f. (Hist. des Oracl.) prêtresse du temple d’Apollou à Delphes : elle fut ainsi nommée à cause du serpent Python que ce dieu avoit tué, ou plutôt du verbe grec πυνθανομαι, demander, à cause du dieu qu’on consultoit, & dont elle déclaroit la volonté : Pythia quæ tripode ex Phæbi lauroque profatur, dit Lucrece, lib. I.

Dans les commencemens de la découverte de l’oracle de Delphes, plusieurs phrénetiques s’étant précipités dans l’abîme, on chercha les moyens de remédier à un pareil accident. On dressa sur le trou une machine qui fut appellée trépié, parce qu’elle avoit trois barres sur le quelles elle étoit posée, & l’on commit une femme pour monter sur ce trépié, d’où elle pouvoit sans aucun risque recevoir l’exhalaison prophétique.

On éleva d’abord à ce ministere de jeunes filles encore vierges, à cause de leur pureté, dit D’odore de Sielle, à cause de leur conformité avec Diane, & enfin parce qu’on les jugeoit plus propres dans un âge tendre à garder les secrets des oracles.

On prenoit beaucoup de précautions dans le choix de la Pythie. Il falloit, comme on vient de le dire, qu’elle fût jeune & vierge ; mais il falloit encore qu’elle eût l’ame aussi pure que le corps. On vouloit qu’elle fût née légitimement, qu’elle eût été élevée simplement, & que cette simplicité parût jusque dans ses habits. Elle ne connoissoit, dit Plutarque, ni parfums ni essences, ni tout ce qu’un luxe rafiné a fait imaginer aux femmes. Elle n’usoit ni du cinnamome, ni du ladanum. Le laurier & les libations de farine d’orge étoient tout son fard ; elle n’employoit point d’autre artifice. On la cherchoit ordinairement dans une maison pauvre, où elle eût vécu dans l’obscurité, & dans une ignorance entiere de toutes choses. On la vouloit telle que Xénophon souhaitoit que fût une jeune épouse lorsqu’elle entroit dans la maison de son mari ; c’est-à-dire qu’elle n’eût jamais rien vû, ni entendu. Pourvu qu’elle sût parler & répéter ce que le Dieu lui dictoit, elle en savoit assez.

La coutume de choisir les Pythies jeunes dura très longstems ; mais une Pythie extrèmement belle ayant été enlevée par un thessalien on fit une loi qu’à l’avenir on n’éliroit, pour monter sur le trépié, que des femmes qui eussent passé cinquante ans ; & ce qui est singulier, c’est qu’afin de conserver au-moins la mémoire de l’ancienne pratique, on les habilloit comme de jeunes filles quel que fût leur âge.

On se contentoit dans les commencemens d’une seule Pythie, dans la suite lorsque l’oracle fut tout-à-fait accrédité, on en élut une seconde pour monter sur le trépié alternativement avec la premiere, & une troisieme pour lui subvenir, en cas de mort, ou de maladie. Enfin dans la décadence de l’oracle, il n’y en eut plus qu’une, encore n’étoit-elle pas fort occupée.

La Pythie ne rendoit ses oracles qu’une fois l’année, c’étoit vers le commencement du printems. Elle se préparoit à ses fonctions par plusieurs cérémonies ; elle joûnoit trois jours, & avant de monter sur le trépié, elle se baignoit dans la fontaine de Castalie. Elle avaloit aussi une certaine quantité d’eau de cette fontaine, parce qu’on croyoit qu’Apollon lui avoit commun qué une partie de sa vertu. Après cela on lui faisoit mâcher des feuilles de laurier cueillies encore près de cette fontaine. Ces préambules achevés, Apollon avertissoit lui-même de son arrivée dans le temple qui trembloit jusque dans ses fond mens. Alors les prêtres conduisoient la Pythie dans le sanctuaire, & la plaçoient sur le trépié. Dès que la vapeur divine commençoit à l’agiter, on voyoit ses cheveux se dresser sur sa tête, son regard devenir farouche, sa bouche écumer, & un tremblement subit & violent s’emparer de tout son corps. Dans cet état elle faisoit des cris & des hurlemens qui remplissoient les assistans d’une sainte frayeur. Enfin ne pouvant plus résister au dieu qui l’agitoit, elle s’abandonnoit à lui, & proféroit par intervalles quelques paroles mal articulées que les prêtres recueilloient avec soin ; ils les arrangeoient ensuite, & leur donnoient avec la forme du vers, une liaison qu’elles n’avoient pas en sortant de la bouche de la Pythie. L’oracle prononcé, on la retiroit du trépié pour la conduire dans sa cellule, où elle étoit plusieurs jours à se remettre de ses fatigues. Souvent, dit Lucain, une mort prompte étoit le prix ou la peine de son enthousiasme.

Cette vapeur divine qui agitoit la Pythie sur le trépie, n’avoit pas toujours la même vertu. Elle se perdit insensiblement. Sur quoi Ciceron dit : « Cette vapeur qui étoit dans l’exhalaison de la terre, & qui inspiroit la Pythie s’est donc évaporée avec le tems : vous diriez qu’ils parlent de quelque vin qui a perdu sa force. Quel tems peut consumer ou épuiser une vertu toute divine ? Or qu’y a-t-il de plus divin qu’une exhalaison de la terre qui fait un tel effet sur l’ame, qu’elle lui donne & la connoissance de l’avenir, & le moyen de s’en expliquer en vers » ?

Un jour cette prêtresse d’Apollon donna deux oracles opposés, l’un aux Ioniens, & l’autre aux Achéens, au sujet des statues qu’ils regardoient comme leurs dieux tutélaires ; ce qui jetta entre les peuples de même origine une semence de discorde affreuse. Dans un tems éclairé & bien policé, on auroit puni très-séverement la prêtresse d’Apollon pour se jouer ainsi des oracles.

Il ne faut pas confondre la Pythie avec la sybille de Delphes, vraie vagabonde, qui alloit de contrée en contrée débiter ses prédictions, qui ne montoit jamais sur le sacré trépié, & qui prophétisoit sans le secours des exhalaisons qui sortoient du sanctuaire de Delphes. Que Virgile peint bien la fureur de la Pythie !

Subito non vultus, non color unus,
Non comptæ mansêre comæ ; sed pactus anhelum
Et rabie fera corda tument…
At Phœbi nondum patiens, &c.

C’est là que Rousseau a puisé ces vives idées :

Ou tel que d’Apollon le ministre terrible
Impatient du dieu dont le souffle invincible
Agite tous ses sens,
Le regard furieux, la tête échevelée,
Du temple sait mugir la demeure ébranlée
Par ses cris impuissans.
Tel aux premiers accès d’une sainte manie,
Mon esprit allarmé redoute du génie
L’assaut victorieux ;
Il s’étonne, il combat l’ardeur qui le possede,
Et voudroit secouer du démon qui l’obsede
Le joug impérieux ;
Mais si-tôt que cédant à la fureur divine,
Il reconnoît enfin du dieu qui le domine
Les souveraines lois ;

Alors tout pénétré de sa vertu suprème
Ce n’est plus un mortel, c’est Apollon lui-même
Qui parle par ma voix.

(Le Chevalier de Jaucourt.)