L’Encyclopédie/1re édition/RENOMMÉE

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RENOMMÉE, s. f. (Morale) estime éclatante qu’on a acquise dans l’opinion des hommes ; je parle ici de la bonne, & non de la mauvaise renommée, car cette derniere est toujours odieuse ; mais l’amour pour la bonne renommée, ne doit jamais être découragé, puisqu’elle produit d’excellens effets, non seulement en ce qu’elle détourne de tout ce qui est bas & indigne, mais encore en ce qu’elle porte à des actions nobles & généreuses. Le principe en peut être fautif ou défectueux ; l’excès en sera vicieux tant qu’on voudra, mais les conséquences qui en résultent, sont tellement utiles au genre humain, qu’il est absurde de s’en mocquer, & de regarder cet amour d’une bonne renommée, comme une chose vaine ; c’est un des plus forts motifs qui puisse exciter les hommes à se surpasser les uns les autres dans les arts & dans les sciences qu’ils cultivent.

Quelques écrivains de morale sont également trop rigides & peu judicieux, quand ils décréditent ce principe, que la nature semble avoir gravé dans le cœur, comme un ressort capable de mettre en mouvement ses facultés cachées, & qui se déploie toujours avec force dans les ames vraiment généreuses. Les plus grands hommes, chez les Romains, n’étoient animés que de ce beau principe. Ciceron dont le savoir & les services qu’il rendit à sa patrie, sont si connus, en étoit enflammé.

Je sais qu’il y a des hommes qui courent après la renommée, au-lieu de la faire naître ; mais le moyen d’y parvenir solidement, est de tenter une route nouvelle & glorieuse, ou bien de suivre cette même route déja pratiquée sans succès ; ainsi, quand la poésie nous peint la renommée couverte d’aîles legéres, ce sont là des symboles de la vaine renommée, & non pas de celle qui s’acquiert en faisant de grandes ou de belles choses. Voyez Gloire, Réputation, &c. (D. J.)

Renommée, (Mytholog. poëtiq.) les poëtes ont personnifié la Renommée, & en ont fait une divinité qu’ils ont peinte à l’envi par les plus brillantes images. Donnons-en les preuves, & commeçons par la peinture de Virgile.

Fama, malum quo non aliud velocius ullum,
Mobilitate viget, viresque acquirit eundo :
Parva metit primo, mox sese attollit in auras,
Ingrediturque solo, & caput inter nubila condit.
Illam terra parens, irâ irritata deorum,
Extremam, ut perhibent, Coeo, Enceladoque sororem
Progenuit, pedibus celerem, & pernicibus alis :
Monstrum horrendum, ingens, cui, quot sunt corpore plumoe
Tot vigilant oculi subter, mirabile dictu,
Tot linguoe, totidem ora sonant, tot subrigit aures.
Nocte volat coeli medio, terræque per umbram
Stridens, nec dulci declinat lumina somno.
Luce sedet custos, aut summi culmine tecti,
Turribus aut altis, & magnas territat urbes,
Tam ficti pravique tenax, quam nuntia veri.

Æneid. l. IV. v. 173.

La renommée est le plus prompt de tous les maux ; elle subsiste par son agilité, & sa course augmente sa vigueur ; d’abord petite & timide, bientôt elle devient d’une grandeur énorme ; ses piés touchent la terre, & sa tête est dans les nues ; c’est la sœur des géans Cée & Encelade, & le dernier monstre qu’enfanta la terre irritée contre les dieux ; le pié de cet étrange oiseau est aussi leger que son vol est rapide ; sous chacune de ses plumes, ô prodige ! il a des yeux ouverts, des oreilles attentives, une bouche & une langue qui ne se tait jamais ; il déploie ses aîles bruyantes au milieu des ombres ; il traverse les airs durant la nuit, & le doux sommeil ne lui ferme jamais les paupieres ; le jour, il est en sentinelle sur le toît des hautes maisons, ou sur les tours élevées : de-là il jette l’épouvante dans les grandes villes, seme la calomnie avec la même assurance qu’il annonce la vérité.

Rien n’est plus poétique que cette description de la renommée ; voici celle d’Ovide, qui paroît s’être surpassé lui-même.

Orbe locus medio est, inter terrasque fretumque
Cælestesque plagas, triplicis confinia mundi,
Unde quod est usquam, quamvis regionibus absit,
Suspicitur, penetratque cavas vox omnis ad aures.
Fama tenet, summâque domum sibi legit in arce ;
Innumerosque aditus, ac mille foramina tectis
Addidit, & nullis inclufit limina portis.
Nocte dieque patet : tota est ex oere sonanti ;
Tota fremit, vocesque refert, iteratque quod audit.
Nulla quies intus, nullâque silentia parte ;
Nec tamen est clamor, sed parvæ murmura vocis :
Qualia de pelagi, si quis procul audiat, undis
Esse solent ; qualemve sonum, cum Jupiter atras
Increpuit nubes, extrema tonitrua reddunt.
Atria turba tenet ; veniunt leve vulgus, euntque ;
Mixtaque cum veris passim commenta vagantur
Millia rumorum, confusaque verba volutant.
E quibus, hi vacuas complent sermonibus aures,
Hi narrata serunt aliò, mensuraque ficti
Crescit, & auditis aliquis novus adjicit auctor.
Illic credulitas, illic temerarius error,
Vanaque lætitia est, consternatique timores,
Seditioque ruens, dubioque auctore susurri.
Ipsa ouid in coelo rerum pelagoque geratur
Et tellure videt, totumque inquirit in orbem.

Métam. l. XII.

Au centre de l’univers est un lieu également éloigné du ciel, de la terre & de la mer, & qui sert de limites à ces trois empires ; on découvre de cet endroit tout ce qui se passe dans le monde, & l’on entend tout ce qui s’y dit, malgré le plus grand éloignement ; c’est-là qu’habite la Renommée, sur une tour élevée, où aboutissent mille avenues ; le toît de cette tour est percé de tous côtés ; on n’y trouve aucune porte, & elle demeure ouverte jour & nuit ; Les murailles en sont faites d’un airain retentissant, qui renvoie le son des paroles, & repéte tout ce qui se dit dans le monde ; quoique le repos & le silence soient inconnus dans ce lieu, on n’y entend cependant jamais de grands cris, mais seulement un bruit sourd & confus, qui ressemble à celui de la mer qui mugit de loin, ou à ce roulement que font les nues après un grand éclat de tonnerre ; les portiques de ce palais sont toujours remplis d’une grande foule de monde ; une populace legére & changeante va & revient sans cesse ; on y fait courir mille bruits, tantôt vrais, tantôt faux, & on entend un bourdonnement continuel de paroles mal arrangées, que les uns écoutent & que les autres répetent au premier venu, en y ajoutant toujours quelque chose de leur invention. Là regnent la sotte crédulité, l’erreur, une fausse joie, la crainte, des allarmes sans fondement, la sédition & les murmures mystérieux dont on ignore les auteurs. La renommée qui en est la souveraine, voit delà tout ce qui se passe dans le ciel, sur la mer & sur la terre, & examine tout avec une inquiete curiosité.

Ceux à qui la langue angloise est familiere, ne seront pas fachés de trouver ici la traduction que Dryden a fait de ce beau morceau ; elle est en vers, & c’est de cette maniere que les vers doivent être traduits.

Full in the midst of this created space,
Betwixt heav’n, earth and seas, there stands a place
Confining on all three, with triple bound ;
Whence all things, tho’remote, are view’d around
And thither bring their undulating sound
The palace of loud fame, her seat of pow’r,
Plac’d on the summit of a lofty tow’r :
A thousand winding entuies, long and wide,
Receive of fresh reports a flowing tide,
A thousand crannies in the walls are made,
Nor gates, nor bars, exclude the busy trade.
’Tis built of brass, the better to diffuse
The spreading sounds, and multiply the news :
Where echoes, in repeated echoes, play :
A mart for ever full, and open nigth and day.
Nor silence is within, nor voice express ;
But a deaf noise of sounds that never cease,
Confus’d and chiding, like the hollow-roar
Of tides receding from the insulted shoar :
Or like the broken thunder heard from far,
When Jove to distance drives the rolling war.
The courts are fill’d with a tumultuous din
Of crouds, or issuing forth, or entring in :
A thorow-fare of news, where some devise
Things never heard, some mingle truth with lyes :
The troubled air with empty sounds they beat,
Intent to hear, and eager to repeat.
Error sits brooding there, with added train
Of vain credulity, and joys as vain :
Suspicion with sedition join’d, are near ;
And rumours rais’d, and murmurs mix’d, and panick fear ;
Fame sits aloft, and sees the subject ground,
And seas about, and skies above, enquiring all around.

Nos plus grands poëtes, Despreaux, Voltaire, Rousseau, ont à leur tour imité Virgile, dans sa description de la Renommée, les uns avec plus, les autres avec moins de succès. Voici l’imitation de Despreaux.

Cependant cet oiseau qui prône les merveilles,
Ce monstre composé de bouches & d’oreilles,
Qui sans cesse volant de climats en climats,
Dit par-tout ce qu’il sçait, & ce qu’il ne sçait pas,
La Renommée enfin, cette prompte couriere,
Va d’un mortel effroi glacer la perruquiere.

Lutrin, chant 2.

L’imitation de M. de Voltaire est bien supérieure.

Du vrai comme du faux la prompte messagere,
Qui s’accroit dans sa course, & d’une aîle legére
Plus prompte que le tems, vôle au-delà des mers,
Passe d’un pôle à l’autre & remplit l’univers,
Ce monstre composé d’yeux, de bouches, d’oreilles,
Qui celebre des rois la honte ou les merveilles,
Qui rassemble sous lui la curiosité,
L’espoir, l’effroi, le doute & la crédulité ;
De sa brillante voix, trompette de la gloire,
Du héros de la France annonçoit la victoire.

Henriad. chant. 8.

Je finis par l’imitation de Rousseau.

Quelle est cette déesse énorme,
Ou plutôt ce monstre difforme,
Tout couvert d’oreilles & d’yeux,
Dont la voix ressemble au tonnerre,
Et qui des piés touchant la terre,
Cache sa tête dans les cieux ?
C’est l’inconstante Renommée,
Qui sans cesse les yeux ouverts,

Fait sa revue accoutumée
Dans tous les coins de l’univers.
Toujours vaine, toujours errante,
Et messagere indifférente
Des vérités & de l’erreur
Sa voix en merveilles féconde,
Va chez tous les peuples du monde,
Semer le bruit & la terreur.

Ode au Prince Eugene.

C’en est assez sur la Renommée comme déesse, nous ajouterons seulement que les Athéniens avoient élevé un temple en son honneur, & lui rendoient un culte réglé. Plutarque dit que Furius Camillus fit aussi bâtir un temple à la renommée. (Le chevalier de Jaucourt.)

Renommée commune, (Jurisprud.) est l’opinion que le public a d’une chose, le bruit public. Voyez Preuve par commune renommée. (A)