L’Encyclopédie/1re édition/SMYRNE

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SMYRNE, (Géog. anc. & Médailles.) ville célebre de l’Ionie, à 150 stades au midi du fleuve Hermus, au fond d’un grand golfe, avec un port spacieux qui subsiste encore le même. Elle fut fondée 1114 ans avant J. C. 168 ans après la prise de Troie. Strabon l’a décrite avec soin, telle qu’elle étoit de son tems : voici comme il en parle.

Lorsque les Lydiens eurent détruit Smyrne, la campagne d’alentour n’étoit peuplée que de villages pendant quatre cens ans ou environ. Antigonus la rebâtit, & Lysimachus après lui ; c’est aujourd’hui une des plus belles villes d’Asie. Une partie est bâtie sur la montagne ; mais la plus grande partie est dans une plaine, sur le port, vis-à-vis du temple de la mere des dieux & du gymnase ou de l’école. Les rues sont les plus belles du monde, coupées en angles droits, & pavées de pierre. Il y a de grands portiques carrés au plus haut & au plus bas de la ville, avec une bibliotheque & un homérion qui est un portique carré avec un temple où est la statue d’Homere : car ceux de Smyrne sont fort jaloux de ce qu’Homere a pris naissance parmi eux, & ils ont un médaillon de cuivre qu’ils appellent homérion de son nom. La riviere de Melès coule le long des murailles. Entre les autres commodités de la ville, il y a un port qui se ferme quand on veut.

On voit par ce passage de Strabon, que les Lydiens avoient détruit une ville encore plus ancienne que celle qu’il décrit ; & c’est de celle dont parle Hérodote, lorsqu’il assure que Gigès roi de Lydie déclara la guerre aux Smyrnéens, & qu’Halyates son petit-fils s’en empara. Elle fut ensuite maltraitée par les Ioniens, surprise par ceux de Colophon, enfin rendue à ses propres citoyens, mais démembrée de l’Éolide sous l’empire des Romains.

La Smyrne de Strabon étoit vraissemblablement sur une montagne au sud de la nouvelle & au couchant de la haute forteresse ; car on y voit plusieurs monceaux de pierre, outre un grand bâtiment démoli. Ce bâtiment peut avoir été le temple de Cybele, la grand’mere des dieux. Pour ce qui est de l’homérion, on pourroit croire qu’on l’a appellé le temple de Janus, peut-être à cause de quelque ressemblance avec celui de Rome, car il n’est pas fort éloigné de la riviere que l’on suppose avoir été celle de Melès. C’est un petit portique ou bâtiment carré de pierre, d’environ trois brasses de long & de large, avec deux portes opposées l’une à l’autre, l’une au nord & l’autre au sud, avec une grande niche en-dedans contre la muraille orientale, où pouvoit être l’effigie d’Homere, quoiqu’il y en ait qui assurent que c’étoit un temple de Janus.

On ne peut guere conjecturer où étoit le gymnasium, non-plus que les beaux portiques qui ornoient cette place. Le port qu’on ouvroit & que l’on fermoit quand on vouloit, pouvoit être cette petite place carrée sous la citadelle, qui sert à présent de havre aux galeres & aux autres petits vaisseaux. Mais le théâtre & le cirque ne sont pas des moindres restes des antiquités de cette ville, quoique Strabon n’en parle point, apparemment parce qu’ils n’existoient pas encore de son tems.

Le théâtre étoit sur le penchant d’une montagne, au nord de la citadelle, & bâti de marbre blanc. On l’a détruit dans le siecle passé pour faire un kan nouveau, & un bazar qui est voûté de pierres de taille, & long de quatre cens pas. On a trouvé dans les fondemens un pot de médailles qui sont toutes de l’empereur Gallien, de sa famille, & des tyrans qui régnoient en même tems que lui ; ce qui feroit conjecturer que cet empereur avoit fait bâtir ce superbe édifice, ou que du-moins il avoit été bâti de son tems. Il y en a pourtant qui assurent qu’il fut bâti du tems de l’empereur Claude. Ils se fondent sur ce qu’on a trouvé dans la scene de ce théâtre une base de statue qui n’avoit que le mot de Claudius. Ce n’est pas-là néanmoins une preuve suffisante, parce qu’il est assez ordinaire de trouver dans les fondemens des anciens bâtimens les médailles des fondateurs ou des empereurs contemporains.

Le cirque étoit creusé profondément dans la montagne qui est au couchant de la citadelle. Il est si bien détruit, qu’il n’en reste, pour ainsi dire, que le moule : on en a emporté tous les marbres, mais le creux a retenu son ancienne figure. C’est une espece de vallée de 465 piés de long, sur 120 de largeur, dont le haut est terminé en demi-cercle & le bas est ouvert en quarré. Cet endroit présentement est fort agréable par sa pelouse, car les eaux n’y croupissent point. Il ne faut pas juger de la véritable grandeur du cirque ou du stade, par les mesures que nous avons rapportées ; on sait que ces sortes de lieux n’avoient ordinairement que 125 pas de long, & qu’on les appelloit diaules, quand ils avoient le double d’étendue comme celui-ci. On découvre de cette colline toute la campagne de Smyrne qui est parfaitement belle, & dont les vins étoient estimés du tems de Strabon & d’Athénée.

On voit dans ce même endroit quantité d’anciens fondemens, mais on ne sait point ce que c’étoit. Les inscriptions qu’on y trouve, & qui concernent toutes la ville de Smyrne, sont en assez grand nombre ; quoique la plûpart ne soient que des fragmens où on lit le nom des empereurs Tibere, Claude & Neron. Strabon donne à plusieurs princes le titre de restaurateurs de Smyrne ; & le fragment d’une de ces inscriptions attribue la même gloire à l’empereur Adrien en ces termes : ΑΥΤΟΚΡΑΤΟΡΙ. ΑΔΡΙΑΝΩΙ. ΟΛΥΜΠΙΩΙ ΣΩΤΗΡΙ ΚΑΙ ΚΤΙΣΤΗΙ ; c’est-à-dire : « A l’empereur Adrien, olympien, sauveur, & fondateur ».

Spon a transcrit une grande inscription tirée du même lieu ; c’est une lettre des empereurs Severe, Antonin & Caracalla à ceux de Smyrne ; en voici la traduction : « Les très-divins empereurs Severe & Antonin, à ceux de Smyrne. Si Claudius Rufinus votre citoyen, lequel à cause de son application aux études & à l’art d’orateur, est dispensé des charges publiques selon les divines constitutions établies par nos ancêtres, est néanmoins obligé par une nécessité indispensable, & à votre réquisition, d’accepter l’emploi de gouverneur, faites en sorte qu’il ne soit pas troublé par d’autres occupations, comme il est juste ; car ce seroit une chose indigne de lui que l’affection qu’il vous porte, lui devint onéreuse ; puisque c’est vous-mêmes qui avez demandé cette grace pour lui. Bien vous soit. Les députés ont été Aurélius, Antonius & Ælius Spératus ».

On a donné dans les mémoires de Littérature, tome IV. pag. 65. une inscription greque envoyée de Smyrne, avec des remarques par M. Kuster. Cette inscription traduite en françois, porte :

Hermogène fils de Charimede, qui a écrit de la Médecine, est mort âgé de soixante & dix-sept ans, & ayant laissé autant de traités.

De Médecine, soixante-douze.

De livres historiques, savoir, de la ville de Smyrne, deux.

De la sagesse d’Homere un, de sa patrie un.

De l’origine des villes d’Asie deux, de ces villes de l’Europe quatre, de celles des îles un.

De la mesure de l’Asie par stades un, & de celles de l’Europe un.

Des stratagèmes deux.

Un catalogue des Ioniens, & la succession des magistrats de Smyrne selon l’ordre des tems.

Si tous ces ouvrages ne s’étoient pas perdus, nous aurions plus de connoissance que nous n’avons de la ville de Smyrne, car cet Hermogène médecin en étoit sans doute natif.

Nous observerons en passant, que cette inscription en son honneur écrit Ζμύρνης par un Ζ, & Ζμυρναίων, au lieu de Σμυρναίων. Il ne faut pas s’imaginer que ce soit une faute du graveur ; au contraire le nom de Smyrne s’écrivoit anciennement aussi bien par un Ζ que par un Σ, quoique plus souvent par un Σ : Lucien nous apprend cela dans son traité qui a pour titre jugement des voyelles. Dans ce traité, la lettre Σ par une prosopopée, dit que souffrant assez patiemment le tort que les autres lettres lui faisoient, elle ne s’étoit jamais plaint de la lettre Z qui lui avoit ôté les mots de Smaragde & de Smyrne. Outre cela, il y a des médailles anciennes où au lieu de Σμυρναίων, il se trouve Ζμυρναίων par un Ζ ; M. de Boze en avoit deux dans son cabinet. On trouve Zmyrnæorum au lieu de Smyrnæorum, dans une ancienne inscription latine citée par Gruter.

Les marbres d’Oxford nous offrent aussi des inscriptions curieuses de Smyrne ; mais les médailles frappées dans cette ville, la font mieux connoître. Plusieurs de ces médailles nous apprennent qu’elle avoit un Prytanée, car elles font mention de ses Prytanes.

La place du château de Smyrne moderne étoit occupée dans le tems de la belle Grece par une citadelle sous la protection de Jupiter éthérée, ou qui présidoit aux lieux élevés. Pausanias assure que le sommet de la montagne de Smyrne appellé Coryphe, avoit donné le nom de coryphéen à Jupiter qui y avoit un temple. Il y a un beau médaillon où ce dieu éthérée est représenté assis, aussi-bien que sur une médaille de Vespasien, où le même dieu assis tient de la main droite une victoire, & une haste de la main gauche.

M. de Boze a publié dans les mémoires de Littérature tom. XVII. in-4°. des réflexions savantes sur une médaille antique frappée par les habitans de la ville de Smyrne en l’honneur de Sabinia Tranquillina, femme de Gordien Pie. On voit d’un côté sur cette médaille le buste d’une princesse, représentée sous la figure & avec les attributs de Cérès, tenant d’une main des épis, & de l’autre une corne d’abondance : on lit autour de ce portrait, ϹΜΥΡΝΑΙΩΝ. ΠΡΩΤΩΝ. ΑϹΙΑϹ.

Au revers est une femme de-bout, le pié droit appuyé contre une proue de vaisseau, la tête couronnée de tours, & les cheveux noués & soutenus par derriere avec une espece de ruban : son habillement relevé & plissé à la maniere de nos anciennes cottes-d’armes, finit de même au-dessus du genou : elle tient de la main droite une patere, & de la gauche cette sorte de bouclier contourné, qui étoit particulier aux amazones & qu’on nommoit pelto. On remarque au-dessous un bout de draperie ou une espece de petite serviette, qui aidoit sans doute à tenir le bouclier plus ferme, & qui pouvoit encore servir à d’autres usages.

A ces différens symboles, il est aisé de reconnoître l’amazone à qui les habitans de Smyrne rapportoient le nom, l’origine & la fondation de leur ville. La couronne de tours auroit peut-être suffi pour l’indiquer ; mais ils ont été bien aises d’exprimer encore par la patere que les cérémonies religieuses, les sacrifices sur-tout qu’on avoit coutume de faire en ces sortes d’occasions, n’avoient pas été oubliés ; & quant à la proue de vaisseau qui est l’attribut ordinaire des villes maritimes, on sait que Smyrne a toujours passé pour un des meilleurs ports de l’Archipel.

Autour de ce type ingénieux regne une inscription dont la plûpart des mots sont abrégés ; elle doit être lue ainsi, ΕΠὶ Ϲτρατηγοὺ Μάρκου ΑΥΡηλίου ΤΕΡΤΙΟΥ ΑϹΙΑΡΧΟΥ ; & les deux légendes réunies disent que la médaille ou monnoie dont il s’agit a été frappée par les Smyrnéens qui sont les premiers de l’Asie, sous la préture de Marcus Aurélius Tertius, Asiarque.

Quand les villes de la Grece & de l’Asie mineure passerent sous la domination des Romains, elles furent, ce semble, encore plus jalouses qu’auparavant des titres d’honneur dont elles jouissoient, & plus attentives à se maintenir dans les droits qu’elles croyoient avoir insensiblement acquis les unes sur les autres. Les historiens ont négligé ce détail, mais les monumens antiques nous en ont conservé des preuves sensibles : telle est entr’autres celle qui se tire du titre de premiere ville de l’Asie que Smyrne se donne sur la médaille dont on vient de parler : il y en a plusieurs autres qui la confirment. Les Smyrnéens, dit Tacite, se vantoient d’être les premiers de tous les peuples d’Asie, qui avoient dressé dans leur ville un temple à Rome dans le même tems qu’il y avoit de puissans rois en Asie, qui ne connoissoient pas encore la valeur des Romains.

Trois villes célebres, Pergame, Ephese & Smyrne, se disputerent vivement cette primatie de l’Asie sous l’empire des deux premiers Antonins. Jusque-là elles avoient vécu dans une parfaite intelligence : il y avoit même entr’elles une association particuliere, qui mettoit en commun pour les habitans de chacune le droit de bourgeoisie, l’usage des temples, le culte des divinités, les sacrifices, les fêtes & les jeux ; & cette association marquée sur la plûpart de leurs médailles y est exprimée en ces termes : ΕΦΕΣΙΩΝ ΣΜΥΡΝΑΙΟΝ ΠΕΡΓΑΜΗΝΩΝ ΟΜΟΝΟΙΑ. Une malheureuse idée de préséance les divisa bientôt. Pergame abandonna la premiere ses prétentions pour le bien de la paix, mais rien ne put détacher Smyrne du titre de premiere de l’Asie, car immédiatement après la mort de Marc-Aurele elle fit frapper, en l’honneur de Commode, une médaille où on lit, comme sur les précédentes : ΣΜΥΡΝΑΙΩΝ ΠΡΩΤΩΝ. ΑΣΙΑΣ

L’ambition ou la diligence des Smyrnéens ne porta pas grand préjudice aux habitans d’Ephese, qui, selon toutes les apparences favorisés par Septime Severe, frapperent deux médailles en son honneur, l’une avec la légende ordinaire, ΕΦΕΣΙΩΝ ΠΡΩΤΩΝ ΑΣΙΑΣ ; l’autre avec cette inscription détournée, ΖΕΥΣ ΕΦΕΣΙΟΣ ΠΡΩΤΟΣ ΑΣΙΑΣ, « le premier Jupiter des Ephésiens est le premier de l’Asie ».

Smyrne voulant enrichir sur les expressions d’Ephese, fit frapper en l’honneur de Caracalla un médaillon, où elle ajouta au mot ΠΡΩΤΗ ΑϹΙΑϹ ceux de ΚΑΛΛΕΙ ΚΑΙ. ΜΕΙ ΕΘΕΙ, pour marquer qu’elle étoit la premiere & la plus considérable ville de l’Asie par sa grandeur & par sa beauté : cependant ces termes affectés, loin de lui donner un nouvel avantage, furent regardés comme une restriction favorable aux Ephésiens, qui ne trouverent rien de plus précis pour assûrer leur victoire que l’inscription qu’ils mirent au revers d’une médaille de Macrin, ΕΦΕΣΙΩΝ ΜΟΝΩΝ. ΠΡΩΤΩΝ. ΑΣΙΑΣ, « des Ephésiens qui sont les seuls premiers de l’Asie ».

En même tems que Smyrne disputoit de rang avec Ephese, ses médailles nous apprennent qu’elle étoit liée de confédération avec plusieurs autres villes, comme avec Thyatire, Apollinaris & Hiérapolis. L’association avec cette derniere ville semble même avoir été solemnisée par quelques jeux, car on a des médailles où cette confédération, ὁμόνοια, est représentée par deux urnes remplies de branches de palmier.

Il y a des médailles de Smyrne qui nous apprennent d’autres particularités. Telles sont les médailles qu’elle a frappées des empereurs Tite & Domitien, avec une figure chargée sur le revers qui porte un rameau dans sa main droite, une corne d’abondance dans la gauche ; l’eau qui en tombe représente la riviere d’Hermus. On y lit les mots suivans : ΣΜΥΡΝΑΙΩΝ ΕΡΜΟΣ ΕΠΙ ΙΩΝΙΟΥΣ, c’est-à-dire « Hermus des habitans de Smyrne dans l’Ionie » : on en peut recueillir que ceux de Smyrne tiroient tribut de la riviere d’Hermus, & qu’elle étoit annexée à l’Ionie.

Mais pour dire quelque chose de plus à la gloire de Smyrne, elle fut faite néocore sous Tibere avec beaucoup de distinction ; & les plus fameuses villes d’Asie ayant demandé la permission à cet empereur de lui dédier un temple, Smyrne fut préférée. Elle devint néocore des Césars, au-lieu qu’Ephese ne l’étoit encore que de Diane ; & dans ce tems-là les empereurs étoient bien plus craints, & par conséquent plus honorés que les déesses. Smyrne fut déclarée néocore pour la seconde fois sous Adrien, comme le marquent les marbres d’Oxford ; enfin elle eut encore le même honneur lorsqu’elle prit le titre de premiere ville d’Asie sous Caracalla, titre qu’elle conserva sous Julia Mœsa, sous Alexandre Sévere, sous Julia Memmœa, sous Gordien Pie, sous Otacilla, sous Gallien & sous Salonine.

Spon cite une médaille de cette ville qui présente le frontispice d’un temple, une divinité debout entre des colonnes, & cette légende autour, ΣΜΥΡΝΑΙΩΝ… Γ… ΝΕΩΚΟΡΩΝ. c’est-à-dire, le sénat de Smyrne trois fois néocore. Il semble que cette médaille suppose une divinité protectrice du sénat, lequel ils appelloient saint, comme il paroît par le titre d’une inscription de cette ville qui dit : « A la bonne fortune, à l’illustre métropolitaine, néocore pour la troisieme fois de l’empereur, conformément au jugement du saint sénat de Smyrne ».

Au défaut des médailles, l’histoire nous instruit des diverses révolutions de cette ville. Dès que les Romains en furent les maîtres, ils la regarderent comme étant la plus belle porte d’Asie, & en traiterent toujours les citoyens fort humainement ; ceux-ci, pour n’être pas exposés aux armes des Romains, les ont beaucoup ménagés & leur ont été fideles. Ils se mirent sous leur protection pendant la guerre d’Antiochus ; il n’y a que Crassus proconsul romain qui fut malheureux auprès de cette ville. Non-seulement il fut battu par Aristonicus, mais pris & mis à mort : sa tête fut présentée à son ennemi, & son corps enséveli à Smyrne. Porpenna vengea bientôt les Romains, & fit captif Aristonicus. Dans les guerres de César & de Pompée, Smyrne se déclara pour ce dernier, & lui fournit des vaisseaux. Après la mort de César, Smyrne, qui penchoit du côté des conjurés, refusa l’entrée à Dolabella, & reçut le consul Trebonius l’un des principaux auteurs de la mort du dictateur : mais Dolabella l’amusa si à-propos, qu’étant entré la nuit dans la ville, il s’en saisit, & le fit martyriser pendant deux jours. Dolabella cependant ne put pas conserver la place, Cassius & Brutus s’y assemblerent pour y prendre leurs mesures.

On oublia tout le passé quand Auguste fut paisible possesseur de l’empire. Tibere honora Smyrne de sa bienveillance, & régla les droits d’asyle de la ville. M. Aurele la fit rebâtir après un grand tremblement de terre. Les empereurs grecs qui l’ont possédée après les Romains la perdirent sous Alexis Comnène ; les Musulmans en chasserent les Latins & les chevaliers de Rhodes à diverses reprises. Enfin Mahomet I. en fit démolir les murailles. Depuis ce tems-là, les Turcs sont restés paisibles possesseurs de Smyrne, où ils ont bâti pour sa défense une espece de château à gauche, en entrant dans le port des galeres, qui est l’ancien port de la ville. Des sept églises de l’apocalypse, c’est la seule qui subsiste avec honneur ; Sardes si renommée par les guerres des Perses & des Grecs ; Pergame, capitale d’un beau royaume ; Ephese qui se glorifioit avec raison d’être la métropole de l’Asie mineure ; ces trois célebres villes ne sont plus, ou sont de petites bourgades bâties de boue & de vieux marbre ; Thyatire, Philadelphie, Laodicée ne sont connues que par quelques restes d’inscriptions où leur nom se trouve ; mais la bonté du port de Smyrne, si nécessaire pour le commerce, l’a conservée riche & brillante, & l’a fait rebâtir plusieurs fois après avoir été renversée par des tremblemens de terre. Voyez donc Smyrne, (Géog. mod.)

C’est à cette ville que fut injustement exilé & que mourut Publius Rutilius Rusus, après avoir été consul l’an 648. Cicéron, Tite-Live, Velleïus Paterculus, Saluste, Tacite & Séneque ont fait l’éloge de son courage & de son intégrité. On rapporte qu’un de ses amis voyant qu’il s’opposoit à une chose injuste qu’il venoit de proposer dans le sénat, lui dit : « Qu’ai-je affaire de votre amitié, si vous contrecarrez mes projets ? Et moi, lui répondit Rutilius, qu’ai-je affaire de la vôtre, si elle a pour but de me soustraire à l’équité » ?

Bion, charmant poëte bucolique, surnommé le smyrnéen, σμυρναῖος, du lieu de sa naissance, a vécu en même tems que Ptolémée Philadelphe, dont le regne s’est étendu depuis la quatrieme année de la cxxiij. olympiade jusqu’à la seconde année de la cxxxiij. Il passa une partie de sa vie en Sicile, & mourut empoisonné, au rapport de Moschus son disciple & son admirateur. Leurs ouvrages ont été imprimés ensemble plusieurs fois, & entr’autres à Cambridge en 1652 & 1661, in-8o. mais la plus agréable édition est celle de Paris en 1686, accompagnée de la vie de Bion, d’une traduction en vers françois, & d’excellentes remarques par M. de Longepierre ; cette édition est devenue rare, & mériteroit fort d’être réimprimée.

Les auteurs qui donnent Smyrne pour la patrie de Mimnerme, autre aimable poëte-musicien, ont assûrément bien raison. Mimnerme chante le combat des Smyrnéens contre Gigès roi de Lydie, ce sont les hauts faits de ses compatriotes qu’il célebre avec affection. Il étoit antérieur à Hipponax, & vivoit du tems de Solon. Il fut l’inventeur du vers pentametre, s’il en faut croire le poëte Hermésianax, cité par Athénée. Il se distingua sur-tout par la beauté de ses élégies, dont il ne nous reste que quelques fragmens. Il pensoit & écrivoit avec beaucoup de naturel, d’amenité & de tendresse. Son style étoit abondant, aisé & fleuri. J’ai remarque à sa gloire en parlant de l’élégie, qu’Horace le met au-dessus de Callimaque ; il avoit plus de grace, plus d’abondance & plus de poésie.

Il fit un poëme en vers élégiaques, cité par Strabon, sous le titre de Nanno sa maîtresse ; & ce poëme devoit être un des plus agréables de l’antiquité, s’il est vrai qu’en matiere d’amour ses vers surpassoient la poésie d’Homere ; c’est du-moins le jugement qu’en portoit Properce, car il dit, l. I. eleg. ix. Plus in amore valet Mimnermi versus Homero. Horace n’en parle pas autrement ; il cite Mimnerme, & non pas Homere, pour l’art de peindre la séduisante passion de l’amour : si, comme Mimnerme l’a chanté, dit-il, l’amour & les jeux font tout l’agrément de la vie, passons nos jours dans l’amour & dans les jeux.

Si, Mimnermus uti censet, sine amore jocisque
Nil est jucundum, vivas in amore jocisque.
Epist. VI. l. I. vers. 65.

Nous connoissons les vers de Mimnerme qu’Horace avoit en vûe ; Stobée, tit. 63. p. 243. nous les a conservés dans ses extraits. Il faut en donner ici la belle version latine de Grotius, & la traduction libre de cette jolie piece en vers françois par un de nos poëtes.

Vita quid est, quid dulce, nisi juvet aurea Cypris ?
Tunc peream, Veneris cum mihi cura perit.
Flos celer ætatis sexu donatus utrique,
Lectus, amatorum munera, tectus amor.
Omnia diffugiunt mox cum venit atra senectus,
Quæ facit & pulchros turpibus esse pares.
Torpida sollicitæ lacerant præcordia curæ :
Lumina nec solis, nec juvat alma dies,
Invisum pueris, inhonoratumque puellis.
Tam dedit, heu, senio tristia fata Deus.


Que seroit sans l’amour le plaisir & la vie ?
Puisse-t-elle m’être ravie,
Quand je perdrai le gout du mystere amoureux,
Des saveurs, des lieux faits pour les amans heureux.
Cueillons la fleur de l’âge, elle est bientôt passée :
Le sexe n’y fait rien ; la vieillesse glacée
Vient avec la laideur confondre la beauté.
L’homme alors est en proie aux soins, à la tristesse ;
Haï des jeunes gens, des belles maltraité,
Du soleil à regret il souffre la clarté,
Voilà le sort de la vieillesse.

Le plus grand de tous les poëtes du monde est né, du-moins à ce que je crois, sur les bords du Mélès, qui baignoit les murs de Smyrne ; & comme on ne connoissoit pas son pere ; il porta le nom de ce ruisseau, & fut appellé Mélésigene. Une belle avanturiere, nommée Crithéide, chassée de la ville de Cumes, par la honte de se voir enceinte, se trouvant sans logement, y vint faire ses couches. Son enfant perdit la vue dans la suite, & fut nommé Homere, c’est-à-dire l’aveugle.

Jamais fille d’esprit, & surtout fille d’esprit qui devient sage, après avoir eu des foiblesses, n’a manqué de mari : Crithéide l’éprouva ; car, selon l’auteur de la vie d’Homere, attribuée à Hérodote, Phémius, qui enseigna la grammaire & la musique à Smyrne, n’épousa Crithéide qu’après le malheur de cette fille, & la naissance d’Homere. Il conçut d’elle si bonne opinion, la voyant dans son voisinage uniquement occupée du soin de gagner sa vie à filer des laines, qu’il la prit chez lui, pour l’employer à filer celles dont ses écoliers avoient coutume de payer ses leçons. Charmé des bonnes mœurs, de l’intelligence, & peut-être de la figure de cette fille, il en fit sa femme, adopta son enfant, & donna tous ses soins à son éducation. Aussi Phémius est fort célebre dans l’Odyssée ; il y est parlé de lui en trois endroits, l. I. v. 154. l. XVII. v. 263. l. XXII. v. 331. & il y passa pour un chantre inspiré des dieux. C’est lui qui par le chant de ses poésies mises en musique, & accompagnées des sons de sa lyre, égaye ces festins, où les poursuivans de Pénélope emploient les journées entieres.

Non-seulement les Smyrnéens, glorieux de la naissance d’Homere, montroient à tout le monde la grote où leur compatriote composoit ses poemes ; après sa mort ils lui firent dresser une statue & un temple ; & pour comble d’honneur, ils frapperent des médailles en son nom. Amastris & Nicée, alliés de Smyrne, en firent de même, l’une à la tête de Marc-Aurele, & l’autre à celle de Commode.

Pausanias appelle le Mélès un beau fleuve ; il est devenu bien chétif depuis le temps de cet illustre écrivain ; c’est aujourd’hui un petit ruisseau, qui peut à peine faire moudre deux moulins ; mais il n’en est pas moins le plus noble ruisseau du monde dans la république de lettres. Aussi n’a-t-il pas été oublié sur les médailles, d’autant mieux que c’étoit à sa source qu’Homere ébauchoit dans une caverne les poésies qui devoient un jour l’immortaliser. Le Méles est représenté sur une médaille de Sabine, sous la figure d’un vieillard appuyé de la main gauche sur une urne, tenant de la droite une corne d’abondance. Il est aussi représenté sur une médaille de Néron, avec la simple légende de la ville, de même que sur celles de Titus & de Domitien.

A un mille ou environ, au-delà du Mélès, sur le chemin de Magnésie à gauche, au milieu d’un champ, on montre encore les ruines d’un bâtiment que l’on appelle le temple de Janus, & que M. Spon soupçonnoit être celui d’Homere ; mais depuis le départ de ce voyageur, on l’a détruit, & tout ce quartier est rempli de beaux marbres antiques. A quelques pas de là, coule une source admirable, qui fait moudre continuellement sept meules dans le même moulin. Quel dommage, dit Tournefort, que la mere d’Homere ne vînt pas accoucher auprès d’une si belle fontaine ? On y voit les débris d’un grand édifice de marbre, nommé les bains de Diane : ces débris sont encore magnifiques, mais il n’y a point d’inscription.

Autrefois les poëtes de la Grece avoient l’honneur de vivre familierement avec les rois. Eurypide fut recherché par Archélaüs ; & même avant Eurypide, Anacréon avoit vécu avec Polycrate, tyran de Samos ; Eschyle & Simonide avoient été bien reçus de Hiéron, tyran de Syracuse. Philoxene eut en son tems l’acceuil du jeune Denys ; & Antagoras de Rhodes, aussi-bien qu’Aratus de Soli, se sont vus honorés de la familiarité d’Antigonus roi de Macédoine ; mais avant eux, Homere ne rechercha les bonnes graces d’aucun prince ; il soutint sa pauvreté avec courage, voyagea beaucoup pour s’instruire, préférant une grande réputation & une gloire solide, qui s’est accrue de siecle en siecle, à tous les frivoles avantages que l’on peut tirer de l’amitié des grands.

Jamais poésies n’ont passé par tant de mains que celles d’Homere. Josephe, l. I. (contre Appian), assure que la tradition les a conservées dès les premiers tems qu’elles parurent, & qu’on les apprenoit par cœur sans les écrire. Lycurgue les ayant trouvées en Ionie, chez les descendans de Cléophyle, les apporta dans le Péloponnèse. On en récitoit dans toute la Grece des morceaux, comme l’on chante aujourd’hui des hymnes, ou des pieces détachées des plus beaux opéra. Platon, Pausanias, Plutarque, Diogene Laërce, Cicéron & Strabon, nous apprennent que Solon, Pisistrate, & Hipparque son fils, formerent les premiers l’arrangement de toutes ces pieces, & en firent deux corps bien suivis, l’un sous le nom de l’Iliade, & l’autre sous celui de l’Odyssée ; cependant la multiplicité des copies corrompit avec le tems la beauté de ces deux poëmes, soit par des leçons vicieuses, soit par un grand nombre de vers, les uns obmis, les autres ajoutés.

Alexandre, admirateur des poëmes d’Homere, chargea Aristote, Anaxarque, & Callisthene, du soin de les examiner, & selon Strabon, ce conquérant même se fit un plaisir d’y travailler avec eux. Cette édition si fameuse des ouvrages d’Homere, s’appella l’édition de la Cassette, ἣν ἐκ τοῦ Νάρθηκος καλοῦσιν, parce qu’Alexandre, dit Pline, l. VII. c. ix. la serroit dans une cassette qu’il tenoit sous son oreiller avec son poignard. Il fit mettre ensuite ces deux ouvrages dans un petit coffre à parfums, garni d’or, de perles & de pierreries, qui se trouva parmi les bijoux de Darius. Malgré la réputation de cette belle édition, il paroît qu’elle a péri comme plusieurs autres. Strabon & Eustathe sont mes garants ; ils assurent que dans l’édition dont il s’agit, on avoit placé deux vers entre le 855 & le 856 du II. liv. de l’Iliade : or ces deux vers ne se lisent aujourd’hui dans aucun de nos imprimés.

Enfin, les fautes se multiplierent naturellement dans le grand nombre des autres copies de ces deux poëmes, ensorte que Zénodote d’Ephese, précepteur de Ptolemée, Aratus, Aristophane de Bysance, Aristarque de Samothrace, & plusieurs autres beaux esprits, travaillerent à les corriger, & à rendre à Homere ses premieres beautés.

Il ne faut pas nous étonner des soins que prirent tant de beaux génies pour la gloire d’Homere. On n’a rien vu chez les Grecs de si accompli que ses ouvrages. C’est le seul poëte, dit Paterculus, qui mérite ce nom ; & ce qu’il y a d’admirable en cet homme divin, c’est qu’il ne s’est trouvé personne avant lui qui ait pu l’imiter, & qu’après sa mort, il n’a pu trouver d’imitateurs. Les savans conviennent encore aujourd’hui qu’il est supérieur à tout ce qu’il y a de poëtes, en ce qui regarde la richesse des inventions, le choix des pensées, & le sublime des images. Aucun poëte n’a jamais été plus souvent ni plus universellement parodié que lui.

C’est par cette raison que sept villes de la Grece se sont disputé l’avantage d’avoir donné la naissance à ce génie du premier ordre, qui a jugé à-propos de ne laisser dans ses écrits aucune trace de son origine, & de cacher soigneusement le nom de sa patrie.

Les habitans de Chio prétendent encore montrer la maison où il est né, & où il a fait la plûpart de ses ouvrages. Il est représenté sur une des médailles de cette île assis sur une chaise, tenant un rouleau, où il y a quelques lignes d’écriture. Le revers représente le sphynx, qui est le symbole de Chio. Les Smyrnéens ont en leur faveur des médailles du même type, & dont la seule légende est différente.

Les habitans d’Ios montroient, du tems de Pausanias, la sépulture d’Homere dans leur île. Ceux de Cypre le réclamoient, en conséquence d’un oracle de l’ancien poëte Euclus, qui étoit conçu en ces termes : « Alors dans Cypre, dans l’île fortunée de Salamine, on verra naître le plus grand des poëtes ; la divine Thémisto sera celle qui lui donnera le jour. Favori des muses, & cherchant à s’instruire, il quittera son pays natal, & s’exposera aux dangers de la mer, pour aller visiter la Grece. Ensuite il aura l’honneur de chanter le premier les combats & les diverses avantures des plus fameux héros. Son nom sera immortel, & jamais le tems n’effacera sa gloire ». C’est continue Pausanias, tout ce que je peux dire d’Homere, sans oser prendre aucun parti, ni sur le tems où il a vécu, ni sur sa patrie.

Cependant l’époque de sa naissance nous est connue ; elle est fixée par les marbres d’Arondel à l’an 676 de l’ere attique, sous Diognete, roi d’Athènes, 961 ans avant J. C. Quant à sa patrie, Smyrne & Chio sont les deux lieux qui ont prétendu à cet honneur avec plus de raison que tous les autres, & puisqu’il se faut décider par les seules conjectures, j’embrasse constamment celle qui donne la préférence à Smyrne. J’ai pour moi l’ancienne vie d’Homere par le prétendu Hérodote, le plus grand nombre de médailles, Moschus, Strabon & autres anciens.

Mais comme je suis de bonne foi, le lecteur pourra se décider en consultant Vossius, Kuster, Tanegui, le Fevre, madame Dacier, Cuper, Schott, Fabricius, & même Léon Allazzi, quoiqu’il ait décidé cette grande question en faveur de Chio sa patrie.

Je félicite les curieux qui possedent la premiere édition d’Homere, faite à Florence, en 1478 ; mais les éditions d’Angleterre sont si belles, qu’elles peuvent tenir lieu de l’original. (Le Chevalier de Jaucourt.)

Smyrne, (Géog. mod.) Smyrne moderne est une ville de la Turquie asiatique, dans l’Anatolie, sur l’Archipel, au fond d’un grand golfe, avec un port spacieux & de bon mouillage, à environ 75 lieues de Constantinople. Cette ville est la plus belle porte de l’Asie, & l’une des plus grandes & des plus riches du Levant, parce que la bonté de son port la rend précieuse pour le commerce. Son négoce consiste en soie, toile de coton, camelots de poil de chevre, maroquins, & tapis. Elle est habitée par des grecs, des turcs, des juifs, des anglois, des françois, des hollandois, qui y ont des comptoirs & des églises. Les turcs y tiennent un cadi pour y administrer la justice. Son séjour y a le désagrément de la peste, qui y regne frequemment, & des tremblemens de terre auxquels elle est exposée. Long. selon Cassini, 44d 51′ 15″. lat. 38d 28′ 7″.

C’est la patrie de Calabert (Quintus), nom donné à un poëte anonyme, dont le poëme grec intitulé les paralipomenes d’Homere, fut trouvé en Calabre par le cardinal Bessarion. C’est ce qui lui fit donner le nom de Calaber. Vossius conjecture que ce poëte vivoit sous l’empereur Anastase, vers 491. La meilleure édition de Quintus Calaber est celle de Rhodomanus. (D. J.)

Smyrne, terre de (Hist. nat.) c’est une terre fort chargée de sel alkali ou de natron, qui se trouve dans le voisinage de la ville de Smyrne ; les habitans du pays s’en servent pour faire du savon. On rencontre cette terre ou plutôt ce sel dans deux endroits, près d’un village appellé Duracléa ; il est répandu à la surface de la terre, dans une plaine unie. Ce sel quand on le ramasse est fort blanc. On en fait ordinairement sa provision pendant l’été, avant le lever du soleil, & dans la saison où il ne tombe point de rosée. Ce sel sort de terre en certains endroits, de l’épaisseur d’environ deux pouces ; mais on dit que la chaleur du soleil, lorsqu’il est levé, le fait ensuite diminuer & rentrer, pour ainsi dire, en terre. Le terrein où ce sel se trouve est bas & humide en hiver ; il n’y croît que fort peu d’herbe. Quand on a enlevé ce sel dans un endroit, il semble qu’il s’y reproduise de nouveau.

M. Smyth, anglois, a fait des expériences sur ce sel, par lesquelles il a trouvé qu’il ne différoit en rien du sel de soude, ou des alkalis fixes ordinaires ; il n’a point trouvé que cette terre contînt de l’alkali volatil.

Voici la maniere dont on prépare du savon avec cette terre ; on en mêle trois parties avec une partie de chaux vive, & l’on verse de l’eau bouillante sur le mélange ; on le remue avec un bâton, il s’éleve à la surface une matiere brune, épaisse, que l’on met à part ; on s’en sert, aussi-bien que de la dissolution claire, pour faire du savon ; mais cette matiere est beaucoup plus caustique que la liqueur claire. Ensuite on a de grandes chaudieres de cuivre, dans lesquelles on met de l’huile ; on allume dessous un grand feu ; on fait un peu bouillir l’huile, & l’on y met peu-à-peu la matiere épaisse qui surnageoit à la dissolution ; après quoi on y met la liqueur même, ou la dissolution ; quelquefois on n’y met qu’une de ces substances. On continue à y en mettre jusqu’à ce que l’huile ait acquis la consistance de savon, ce qui n’arrive quelquefois qu’au bout de plusieurs jours ; on entretient pendant tout ce tems un feu très-violent. La partie la plus chargée de sel de la liqueur se combine avec l’huile, & la partie la plus foible tombe au fond de la chaudiere, & sort par un robinet destiné à cet usage. On la garde pour la verser sur un nouveau mélange de chaux & de terre. Lorsque le savon est bien formé, on le puise avec des cuilleres, & on le fait sécher sur une aire pavée de briques, ou enduite de glaise. Voyez les Transactions philosophiques, n°. 220.