L’Encyclopédie/1re édition/STOCKHOLM

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STOCKHOLM, (Géogr. mod.) ville de Suede, dans l’Upland, la capitale du royaume, & la résidence des rois, à 75 lieues de Copenhague, à 260 de Vienne, & à environ 310 de Paris.

Cette ville est bâtie à l’embouchure du lac Méler dans la mer Baltique ; tout y est sur pilotis, dans plusieurs îles voisines les unes des autres ; il n’y a que deux fauxbourgs qui soient en terre ferme.

Stockholm est grande, fort peuplée, & fait un commerce considérable. La plûpart de ses maisons sont actuellement bâties en brique, au-lieu que précédemment elles étoient presque toutes de bois. On y remarque entr’autres beaux édifices le palais du chancelier, celui de la noblesse, & le château, qui est un bâtiment spacieux, où non-seulement la cour loge, mais où s’assemble aussi la plûpart des cours supérieures du royaume. Ce château est situé de façon que d’un côté il a vue sur le port, & de l’autre sur la ville, où il fait face à une grande place décorée des plus belles maisons. Le palais de la noblesse est le lieu où elle tient ses séances.

Stockholm n’oublira jamais la fête funeste de ce même palais, dans laquelle Christiern rétabli roi, & son primat Troll, firent égorger en 1520 le sénat entier, & tant d’honnêtes citoyens. Le tyran devenu partout exécrable, fut enfin déposé, & finit ses jours en prison ; Troll mourut les armes à la main ; dignes l’un & l’autre d’une fin plus tragique !

On divise ordinairement Stockholm en quatre parties ; savoir, Sud-Malm, & Nor-Malm, qui sont les deux fauxbourgs, au milieu desquels la ville est située, & dans une île. La quatrieme partie est Garceland, & le tout compose une des grandes villes de l’Europe.

L’île dans laquelle la plus grande partie de Stockholm se trouve enfermée, est environnée de deux bras de riviere, qui sortent impétueusement du lac Meler, & sur chacun de ces bras, il y a un pont de bois ; ensuite il se forme encore quelques autres îles qui n’en sont séparées que par un peu d’eau. D’un côté on a la vûe sur le lac, & de l’autre sur la mer, laquelle forme un golfe qui s’étend à-travers plusieurs rochers, ensorte qu’on le prendroit pour un autre lac. L’eau en est si peu salée, qu’on en pourroit boire devant Stockholm, à cause de la quantité d’eau douce qui y tombe du lac Meler.

On rapporte la fondation de la ville à Birger, qui fut gouverneur de Suede après la mort du roi Erric, surnommé le Begue, & on prétend qu’elle reçut le nom de Stockholm d’une grande quantité de poutres qu’on y apporta des lieux circonvoisins ; stok signifie en suédois une poutre, & holm une île, & même un lieu desert. Quoi qu’il en soit, outre la force de sa situation, elle est encore défendue par une citadelle toute bordée de canons.

Presque tout le commerce de Suede se fait à Stockholm ; il consiste en fer, fil-de-fer, cuivre, poix, résine, mâts, & sapins, d’où on les transporte ailleurs. La plûpart des marchandises & denrées qu’on reçoit des pays étrangers viennent dans ce port, dont le havre est capable de contenir un millier de navires : il y a encore un quai qui a un quart de lieue de long, où peuvent aborder les plus grands vaisseaux ; mais son incommodité consiste en ce qu’il est à dix milles de la mer, & que son entrée est dangereuse à cause des bancs de sable.

On compte dans cette ville neuf églises bâties de brique, & couvertes de cuivre, indépendamment de celles des fauxbourgs. La noblesse & les grands du royaume résident à Stockholm, où l’on a établi, en 1735, une académie des Sciences & de Belles-Lettres.

Le gouvernement de la ville est entre les mains du stadtholder, qui est aussi conseiller du conseil privé. Après lui sont les bourg-mestres, au nombre de quatre, l’un pour la justice, l’autre pour le commerce, le troisieme pour la police, & le quatrieme pour l’inspection sur tous les bâtimens publics & particuliers. Les tributs qui s’imposent sur les habitans pour le maintien du gouvernement de la ville, les bâtimens publics, la paie d’une garde de trois cens hommes, &c. les tributs, dis-je, que les bourgeois doivent payer pour cette dépense, seroient regardés comme un pesant fardeau, même dans les pays le plus opulens ; aussi tâche-t-on de dédommager les citoyens sur lesquels tombent ces charges, par les privileges qu’on leur accorde, soit pour les douanes, soit pour le commerce du pays qui passe nécessairement par leurs mains. Long. de Stockholm, suivant Harris, 35. 1. 15. latit. 58. 50. Long. suivant Cassini, 36. 56. 30. latit. 59. 20.

La célebre reine Christine naquit à Stockholm, en 1626, de Gustave Adolphe, roi de de Suede, & de Marie-Eléonore de Brandebourg. Elle avoit beaucoup de sagacité dans l’esprit, l’air mâle, les traits grands, la taille un peu irréguliere. Elle étoit affable, généreuse, & s’illustra par son amour pour les sciences, & son affection pour les gens de lettre. Elle succéda aux états de son pere en 1653, & abdiqua la couronne en 1654, en faveur de Charles Gustave, duc des Deux-Ponts, de la branche de Baviere palatine, son cousin germain, fils de la sœur du grand Gustave.

Peu de tems après cette abdication, Christine vint en France, & les sages admirerent en elle une jeune reine qui, à 27 ans, avoit renoncé à la souveraineté dont elle étoit digne, pour vivre libre & tranquille. Si l’on veut connoître le génie unique de cette reine, on n’a qu’à lire ses lettres, comme M. de Voltaire l’a remarqué.

Elle dit dans celle qu’elle écrivit à Chanut, autrefois ambassadeur de France auprès d’elle : « j’ai possédé sans faste, je quitte avec facilité. Après cela ne craignez pas pour moi, mon bien n’est pas au pouvoir de la fortune ». Elle écrivit au prince de Condé. « Je me tiens autant honorée par votre estime que par la couronne que j’ai portée. Si, après l’avoir quittée, vous m’en jugez moins digne, j’avouerai que le repos que j’ai tant souhaité, me coute cher ; mais je ne me repentirai point pourtant de l’avoir acheté au prix d’une couronne, & je ne noircirai jamais par un lâche repentir une action, qui m’a semblé si belle ; s’il arrive que vous condamniez cette action, je vous dirai pour toute excuse, que je n’aurois pas quitté les biens que la fortune m’a donnés, si je les eusse cru nécessaires à ma félicité, & que j’aurois prétendu à l’empire du monde, si j’eusse été aussi assuré d’y réussir que le seroit le grand Condé ».

Telle étoit l’ame de cette personne si singuliere ; tel étoit son style dans notre lange qu’elle avoit parlé rarement. Elle savoit huit langues ; elle avoit été disciple & amie de Descartes qui mourut à Stockholm dans son palais, après n’avoir pu obtenir seulement une pension en France, où ses ouvrages furent même proscrits pour les seules bonnes choses qui y fussent. Elle avoit attiré en Suede tous ceux qui pouvoient l’éclairer. Le chagrin de n’en trouver aucun parmi ses sujets, l’avoit dégoûtée de regner sur un peuple qui n’étoit que soldat. Elle crut qu’il valoit mieux vivre avec des hommes qui pensent, que de commander à des hommes sans lettres ou sans génie. Elle avoit cultivé tous les arts dans un climat où ils étoient alors inconnus. Son dessein étoit d’aller se retirer au milieu d’eux en Italie. Elle ne vint en France que pour y passer, parce que ces arts ne commençoient qu’à y naître.

Son goût la fixoit à Rome. Dans cette vûe elle avoit quitté la religion luthérienne pour la catholique ; indifférente pour l’une & pour l’autre, elle ne fit point scrupule de se conformer en apparence aux sentimens du peuple chez lequel elle vouloit passer sa vie. Elle avoit quitté son royaume, en 1654, & fait publiquement à Inspruck la cérémonie de son abjuration. Elle plut assez peu à la Cour de France, parce qu’il ne s’y trouva pas une femme dont le génie pût atteindre au sien. Le roi la vit, & lui fit de grands honneurs, mais il lui parla à peine.

La plûpart des femmes & des courtisans n’observerent autre chose dans cette reine philosophe, sinon qu’elle n’étoit pas coëffée à la françoise, & qu’elle dansoit mal. Les sages ne condamnerent en elle que le meurtre de Monasdelchi son écuyer, qu’elle fit assassiner à Fontainebleau dans un second voyage. De quelque faute qu’il fût coupable envers elle, ayant renoncé à la royauté, elle devoit demander justice, & non se la faire. Ce n’étoit pas une reine qui punissoit un sujet, c’étoit une femme qui terminoit une galanterie par un meurtre ; c’étoit un italien qui en faisoit assassiner un autre par l’ordre d’une suédoise, dans un palais d’un roi de France. Nul ne doit être mis à mort que par les lois. Christine en Suede n’auroit eû le droit de faire assassiner personne ; & certes ce qui eût été un crime à Stockholm, n’étoit pas permis à Fontainebleau.

Cette honte & cette cruauté ternissent prodigieusement la philosophie de Christine qui lui avoit fait quitter un trone. Elle eût été punie en Angleterre ; mais la France ferma les yeux à cet attentat contre l’autorité du roi, contre le droit des nations, & contre l’humanité.

Christine se rendit à Rome, où elle mourut en 1689, à l’âge de 63 ans. Essai sur l’hist. universelle. (Le Chevalier de Jaucourt.)