L’Encyclopédie/1re édition/SYNECDOQUE ou SYNECDOCHE

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SYNECDOQUE ou SYNECDOCHE, s. f. (Gram.) cet article est en entier de M. du Marsais : trop. part. II. art. iv. p. 97. Ce que j’y ai inséré du mien, je l’ai mis à l’ordinaire entre deux crochets [ ].

On écrit ordinairement synecdoche : [c’est l’ortographe étymologique] ; voici les raisons qui me déterminent à écrire synecdoque.

1°. Ce mot n’est point un mot vulgaire qui soit dans la bouche des gens du monde, ensorte qu’on puisse les consulter pour connoître l’usage qu’il faut suivre par rapport à la prononciation de ce mot.

2°. Les gens de lettres que j’ai consultés le prononcent différemment ; les uns disent synecdoche à la françoise, comme roche ; & les autres soutiennent avec Richelet qu’on doit prononcer synecdoque.

3°. Ce mot est tout grec, Συνεκδοχὴ, comprehensio ; il faut donc le prononcer en conservant au χ sa prononciation originale : c’est ainsi qu’on prononce & qu’on écrit époque, ἐποχή ; monarque, μονάρχης, μόναρχος ; Pentateuque, Πεντάτευχος ; Andromaque, Ἀνδρομάχη ; Télémaque, Τηλέμαχος, &c. On conserve la même prononciation dans écho, ἤχω ; école (schola) σχολὴ, &c.

Je crois donc que synecdoque étant un mot scientifique, qui n’est point dans l’usage vulgaire, il faut l’écrire d’une maniere qui n’induise pas à une prononciation peu convenable à son origine.

4°. L’usage de rendre par ch le χ des Grecs, a introduit une prononciation françoise dans plusieurs mots que nous avons pris des Grecs. Ces mots étant devenus communs, & l’usage ayant fixé la maniere de les prononcer & de les écrire, respectons l’usage ; prononçons cathéchisme, machine, chimere, archidiacre, architecte, &c. Comme nous prononçons chi dans les mots françois : mais encore un coup, synecdoque n’est point un mot vulgaire ; écrivons donc & prononçons synecdoque.

Ce terme signifie compréhension : en effet dans la synecdoque, on fait concevoir à l’esprit plus ou moins que le mot dont on se sert, ne signifie dans le sens propre.

Quand au lieu de dire d’un homme qu’il aime le vin, je dis qu’il aime la bouteille ; c’est une simple métonymie (voyez Métonymie) ; c’est un nom pour un autre ; mais quand je dis, cent voiles pour cent vaisseaux, non-seulement je prends un nom pour un autre ; mais je donne au mot voiles une signification plus étendue que celle qu’il a dans le sens propre ; je prends la partie pour le tout.

La synecdoque est donc une espece de métonymie, par laquelle on donne une signification particuliere, à un mot qui, dans le sens propre, a une signification plus générale ; ou au contraire, on donne une signification générale à un mot qui, dans le sens propre, n’a qu’une signification particuliere. En un mot, dans la métonymie, je prends un nom pour un autre, au lieu que dans synecdoque, je prends le plus pour le moins, ou le moins pour le plus.

Voici les différentes sortes de synecdoques que les Grammairiens ont remarquées.

I. synecdoque du genre : comme quand on dit, les mortels pour les hommes ; le terme de mortels devroit pourtant comprendre aussi les animaux, qui sont sujets à la mort aussi bien que nous : ainsi, quand par les mortels on n’entend que les hommes, c’est une synecdoque du genre ; on dit le plus pour le moins.

Dans l’Ecriture-sainte, créature ne signifie ordinairement que les hommes ; euntes in mundum universum, prædicate evangelium omni creaturæ : Marc. xvj 15. C’est encore ce qu’on appelle la synecdoque du genre, parce qu’alors un mot générique ne s’entend que d’une espece particuliere : créature est un mot générique, puisqu’il comprend toutes les especes de choses créées, les arbres, les animaux, les métaux, &c. Ainsi lorsqu’il ne s’entend que des hommes, c’est une synecdoque du genre, c. à. d. que sous le nom du genre, on ne conçoit, on n’exprime qu’une espece particuliere ; on restreint le mot générique à la simple signification d’un mot qui ne marque qu’une espece.

Nombre est un mot qui se dit de tout assemblage d’unités : les latins se sont quelquefois servi de ce mot en le restreignant à une espece particuliere.

1°. Pour marquer l’harmonie, le chant : il y a dans le chant une proportion qui se compte. Les Grecs appellent aussi ῥυθμὸς numerus, tout ce qui se fait avec une certaine proportion : quidquid certo modo & ratione fit.

. . . . Numeros memini, si verba tenerem.

« Je me souviens de la mesure, de l’harmonie, de la cadence, du chant, de l’air ; mais je n’ai pas retenu les paroles ». Virg. écl. ix. 45.

2°. Numerus se prend encore en particulier pour les vers ; parce qu’en effet les vers sont composés d’un certain nombre de piés ou de syllabes : scribimus numeros. Pers. sat. j. 3. nous faisons des vers.

3°. En françois nous nous servons aussi de nombre ou de nombreux, pour marquer une certaine harmonie, certaines mesures, proportions ou cadences, qui rendent agréable à l’oreille un air, un vers, une période, un discours. Il y a un certain nombre qui rend les périodes harmonieuses. On dit d’une période qu’elle est fort nombreuse, numerosa oratio ; c. à d. que le nombre des syllabes qui la composent est si bien distribué, que l’oreille en est frappée agréablement : numerus a aussi cette signification en latin. In oratione numerus latinè, græcè ῥυθμὸς, inesse dicitur.... Ad capiendas aures, ajoûte Cicéron. Orat. n. 51. aliter 170. 171. 172. numeri ab oratore quæruntur ; & plus bas, il s’exprime en ces termes : Aristoteles versum in cratione vetat esse, numerum jubet ; Aristote ne veut point qu’il se trouve un vers dans la prose, c. à. d. qu’il ne veut point que lorsqu’on écrit en prose, il se trouve dans le discours le même assemblage de piés, ou le même nombre de syllabes qui forment un vers : il veut cependant que la prose ait de l’harmonie ; mais une harmonie qui lui soit particuliere, quoiqu’elle dépende également du nombre des syllabes & de l’arrangement des mots.

II. Il y a au contraire la synecdoque de l’espece : c’est lorsqu’un mot qui dans le sens propre ne signifie qu’une espece particuliere, se prend pour le genre. C’est ainsi qu’on appelle quelquefois voleur un méchant homme : c’est alors prendre le moins pour marquer le plus.

Il y avoit dans la Thessalie, entre le mont Ossa & le mont Olympe, une fameuse plaine appellée Tempé, qui passoit pour un des plus beaux lieux de la Grece. Les poëtes grecs & latins se sont servis de ce mot particulier pour marquer toutes sortes de belles campagnes.

« Le doux sommeil, dit Horace, III. od. j. 22. n’aime point le trouble qui regne chez les grands ; il se plaît dans les petites maisons de bergers, à l’ombre d’un ruisseau, ou dans ces agréables campagnes dont les arbres ne sont agités que par le zéphyre » ; & pour marquer ces campagnes, il se sert de Tempe :

. . . . . . Somnus agrestium
Lenis virorum non humiles domos
Fastidit, umbrosamque ripam,
Non zephyris agitata Tempe.

[M. du Marsais est trop au-dessus des hommes ordinaires, pour qu’il ne soit pas permis de faire sur ses écrits quelques observations critiques. La traduction qu’il donne ici du passage d’Horace, n’a pas, ce me semble, toute l’exactitude exigible ; & je ne sais s’il n’est pas de mon devoir d’en remarquer les fautes. « On peut toujours relever celles des grands hommes, dit M. Duclos, préf. de l’hist. de Louis XI. peut-être sont-ils les seuls qui en soient dignes, & dont la critique soit utile ».

N’aime point le trouble qui regne chez les grands ; il n’y a rien dans le texte qui indique cette idée ; c’est une interpollation qui énerve le texte au-lieu de l’enrichir, & peut-être est-ce une fausseté.

Non fastidit n’est pas rendu par il se plaît : le poëte va au-devant des préjugés qui regardent avec dédain l’état de médiocrité ; ceux qui pensent ainsi s’imaginent qu’on ne peut pas y dormir tranquilement, & Horace les contredit, en reprenant négativement ce qu’ils pourroient dire positivement, non fastidit : cette négation est également nécessaire dans toutes les traductions ; c’est un trait caractéristique de l’original.

Les petites maisons de bergers : l’usage de notre langue a attaché à petites maisons, quand il n’y a point de complément, l’idée d’un hôpital pour les fous ; & quand ces mots sont suivis d’un complément, l’idée d’un lieu destiné aux folies criminelles des riches libertins : d’ailleurs le latin humiles domos dit autre chose que petites maisons ; le mot humiles peint ce qui a coutume d’exciter le mépris de ceux qui ne jugent que par les apparences, & il est ici en opposition avec non fastidit ; l’adjectif petit ne fait pas le même contraste.

Virorum agrestium, ne signifie pas seulement les bergers, mais en général tous ceux qui habitent & cultivent la campagne, les habitans de la campagne. Je sais bien que l’on peut, par la synecdoque même, nommer l’espece pour le genre ; mais ce n’est pas dans la traduction d’un texte qui exprime le genre, & qui peut être rendu fidélement sans forcer le génie de la langue dans laquelle on le traduit.

L’ombre d’un ruisseau ; c’est un véritable barbarisme, les ruisseaux n’ont pas d’ombre : umbrosam ripam signifie un rivage couvert d’ombre : au-surplus il n’est ici question ni de ruisseau, ni de riviere, ni de fleuve ; c’est effacer l’original que de le surcharger sans besoin.

Zephyris agitata Tempe : il n’y a dans ce texte aucune idée d’arbres ; il s’agit de tout ce qui est dans ces campagnes, arbres, arbrisseaux, herbes, fleurs, ruisseaux, troupeaux, habitans, &c. La copie doit présenter cette généralité de l’original. Il me semble aussi, que si notre langue ne nous permet pas de conserver la synecdoque de l’original, parce que Tempé n’entre plus dans le système de nos idées voluptueuses, nous devons du-moins en conserver tout ce qu’il est possible, en employant le singulier pour le pluriel ; ce sera substituer la synecdoque du nombre à celle de l’espece, & dans le même sens, du moins par le plus.

Voici donc la traduction que j’ose opposer à celle de M. du Marsais. « Le sommeil tranquille ne dédaigne ni les humbles chaumieres des habitans de la campagne, ni un rivage couvert d’ombre, ni une plaine délicieuse perpétuellement caressée par les zéphyres ».]

Le mot de corps & le mot d’ame (c’est M. du Marsais qui continue), se prennent aussi quelquefois séparément pour tout l’homme : on dit populairement, sur-tout dans les provinces, ce corps-là pour cet homme-là ; voilà un plaisant corps, pour dire un plaisant personnage. On dit aussi qu’il y a cent mille ames dans une ville, c’est-à-dire cent mille habitans. Omnes animæ domûs Jacob (Genes. xlvj. 27.) toutes les personnes de la famille de Jacob. Genuit sexdecim animas, (ibid. 18.) il eut seize enfans.

III. Synecdoque dans le nombre ; c’est lorsqu’on met un singulier pour un pluriel, ou un pluriel pour un singulier.

1°. Le Germain révolté, c’est-à-dire, les Germains, les Allemands. L’ennemi vient à nous, c’est-à-dire, les ennemis. Dans les historiens latins on trouve souvent pedes pour pedites, le fantassin pour les fantassins, l’infanterie.

2°. Le pluriel pour le singulier. Souvent dans le style sérieux on dit nous au-lieu de je ; & de même, il est écrit dans les prophetes, c’est-à-dire, dans un livre de quelqu’un des prophetes ; quod dictum est per prophetas. Matt. ij. 23.

3°. Un nombre certain pour un nombre incertain. Il me l’a dit dix fois, vingt fois, cent fois, mille fois, c’est-à-dire, plusieurs fois.

4°. Souvent pour faire un compte rond, on ajoute ou l’on retranche ce qui empêche que le compte ne soit rond : ainsi on dit, la version des septante, aulieu de dire la version des soixante & douze interpretes, qui, selon les peres de l’Eglise, traduisirent l’Ecriture-sainte en grec, à la priere de Ptolémée Philadelphe, roi d’Egypte, environ 300 ans avant Jesus-Christ. Vous voyez que c’est toujours ou le plus pour le moins, ou au contraire le moins pour le plus.

IV. La partie pour le tout, & le tout pour la partie. Ainsi la tête se prend quelquefois pour tout l’homme : c’est ainsi qu’on dit communément, on a paye tant par tête, c’est-à-dire, tant pour chaque personne ; une tête si chere, c’est à-dire, une personne si précieuse, si fort aimée.

Les poëtes disent, après quelques moissons, quelques étés, quelques hivers, c’est-à-dire, après quelques années.

L’onde, dans le sens propre, signifie une vague, un flot ; cependant les poetes prennent ce mot ou pour la mer, ou pour l’eau d’une riviere, ou pour la riviere même. Quinault, Isis, act. I. sc. 3.

Vous juriez autrefois que cette onde rebelle
Se feroit vers sa source une route nouvelle,
Plutôt qu’on ne verroit votre cœur dégagé :
Voyez couler ces flots dans cette vaste plaine ;
C’est le même penchant qui toujours les entraîne ;
Leur cours ne change point, & vous avez changé.

Dans les poëtes latins, la poupe ou la proue d’un vaisseau se prennent pour tout le vaisseau. On dit en françois cent voiles, pour dire cent vaisseaux Tectum (le toit) se prend en latin pour toute la maison. Æneam in regia ducit tecta, elle mene Enée dans son palais. Æn. I. 635.

La porte, & même le seuil de la porte, se prennent aussi en latin pour toute la maison, tout le palais, tout le temple. C’est peut-être par cette espece de synecdoque qu’on peut donner un sens raisonnable à ces vers de Virgile. Æn. I. 509.

Tum foribus divoe, mediâ tesiudine templi,
Septa armis, solioque altè subnixa resedit.

Si Didon étoit assise à la porte du temple, foribus divæ, comment pouvoit-elle être assise en même tems sous le milieu de la voûte, mediâ testudine ? C’est que par foribus divæ, il faut entendre d’abord en général le temple ; elle vint au temple, & se plaça sous la voûte.

[Ne pourroit-on pas dire aussi que Didon étoit assise au milieu du temple & aux portes de la déesse, c’est-à-dire, de son sanctuaire ? Cette explication est toute simple, & de l’autre part la figure est tirée de bien loin.

Lorsqu’un citoyen romain étoit fait esclave, ses biens appartenoient à ses héritiers ; mais s’il revenoit dans sa patrie, il rentroit dans la possession & jouissance de tous ses biens : ce droit, qui est une espece de droit de retour, s’appelloit en latin, jus postliminii ; de post (après), & de limen (le seuil de la porte, l’entrée).

Porte, par synecdoque & par antanomase, signifie aussi la cour du grand-seigneur, de l’empereur turc. On dit, faire un traité avec la porte, c’est-à-dire, avec la cour ottomane. C’est une façon de parler qui nous vient des Turcs : ils nomment porte par excellence, la porte du serrail ; c’est le palais du sultan ou empereur turc ; & ils entendent par ce mot ce que nous appellons la cour.

Nous disons, il y a cent feux dans ce village, c’est-à-dire cent familles.

On trouve aussi des noms de villes, de fleuves, ou de pays particuliers, pour des noms de provinces & de nations. Ovide, Métam. I. 61.

Eurus ad Auroram, Nabathæaque regna recessit.

Les Pélagiens, les Argiens, les Doriens, peuples particuliers de la Grece, se prennent pour tous les Grecs, dans Virgile & dans les autres poëtes anciens.

On voit souvent dans les poëtes le Tibre pour les Romains ; le Nil pour les Egyptiens ; la Seine pour les François.

Cum Tiberi, Nilo gratia nulla fuit.

Prop. II. Eleg. xxxiij. 20.

Per Tiberim, Romanos ; per Nilum Ægyptios intelligito. Beroald. in Propert.

Chaque climat produit des favoris de Mars,
La Seine a des Bourbons, le Tibre a des Césars.

Boileau, Ep. I.

Fouler aux piés l’orgueil & du Tage & du Tibre.

Id. Disc. au roi.

Par le Tage, il entend les Espagnols ; le Tage est une des plus célebres rivieres d’Espagne.

V. On se sert souvent du nom de la matiere pour marquer la chose qui en est faite : le pain ou quelqu’autre arbre se prend dans les poëtes pour un vaisseau : on dit communément de l’argent, pour des pieces d’argent, de la monnoie. Le fer se prend pour l’épée ; périr par le fer. Virgile s’est servi de ce mot pour le soc de la charrue : I. Georg. 50.

At priùs ignotum ferro quàm scindimus æquor.


M. Boileau, dans son ode sur la prise de Namur, a dit l’airain, pour dire les canons :

Et par cent bouches horribles
L’airain sur ces monts terribles
Vomit le fer & la mort.

L’airain, en latin æs, se prend aussi fréquemment pour la monnoie, les richesses ; la premiere monnoie des Romains étoit de cuivre : æs alienum, le cuivre d’autrui, c’est-à-dire, le bien d’autrui qui est entre nos mains, nos dettes, ce que nous devons. Enfin, æra se prend pour des vases de cuivre, pour des trompettes, des armes, en un mot pour tout ce qui se fait de cuivre. [Nous disons pareillement des bronzes, pour des ouvrages de bronze].

Dieu dit à Adam, tu es poussiere, & tu retourneras en poussiere, pulvis es, & in pulverem reverteris ; Genes. iij. 19. c’est-à-dire, tu as été fait de poussiere, tu as été formé d’un peu de terre.

Virgile s’est servi du nom de l’éléphant pour marquer simplement de l’ivoire ; ex auro, solidoque elephanto, Georg. III. 26. Dona dehinc auro gravia sectoque elephanto, Æn. III. 464. C’est ainsi que nous disons tous les jours un castor, pour dire un chapeau fait de poil de castor, &c.

Tum pius Æneas hastam jacit : illa per orbem
Ære cavum triplici per linea terga, tribusque
Transiit intextum tauris opus. Æn. X. 783.

Le pieux Enée lança sa haste (pique, lance. Voyez le pere de Montfaucon, tom. IV. p. 65), avec tant de force contre Mézence, qu’elle perça le bouclier fait de trois plaques de cuivre, & qu’elle traversa les piquures de toile, & l’ouvrage fait de trois taureaux, c’est-à-dire, de trois cuirs. Cette façon de parler ne seroit pas entendue en notre langue.

Mais il ne faut pas croire qu’il soit permis de prendre indifféremment un nom pour un autre, soit par métonymie, soit par synecdoque : il faut, encore un coup, que les expressions figurées soient autorisées par l’usage, ou du-moins que le sens littéral qu’on veut faire entendre, se présente naturellement à l’esprit sans révolter la droite raison, & sans blesser les oreilles accoutumées à la pureté du langage. Si l’on disoit qu’une armée navale étoit composée de cent mâts, ou de cent avirons, au-lieu de dire cent voiles pour cent vaisseaux, on se rendroit ridicule : chaque partie ne se prend pas pour le tout, & chaque nom générique ne se prend pas pour une espece particuliere, ni tout nom d’espece pour le genre ; c’est l’usage seul qui donne à son gré ce privilege à un mot plutôt qu’à un autre.

Ainsi quand Horace a dit, I. od. j. 24. que les combats sont en horreur aux meres, bella matribus detestata ; je suis persuadé que ce poëte n’a voulu parler précisément que des meres. Je vois une mere allarmée pour son fils qu’elle sait être à la guerre, ou dans un combat dont on vient de lui apprendre la nouvelle : Horace excite ma sensibilité en me faisant penser aux allarmes où les meres sont alors pour leurs enfans ; il me semble même que cette tendresse des meres est ici le seul sentiment qui ne soit pas susceptible de foiblesse ou de quelqu’autre interprétation peu favorable : les allarmes d’une maîtresse pour son amant n’oseroient pas toujours se montrer avec la même liberté, que la tendresse d’une mere pour son fils. Ainsi quelque déférence que j’aie pour le savant pere Sanadon, j’avoue que je ne saurois trouver une synecdoque de l’espece dans bella matribus detestata. Le pere Sanadon, poésies d’Horace, tom. I. pag. 7. croit que matribus comprend ici même les jeunes filles : voici sa traduction : les combats qui sont pour les femmes un objet d’horreur. Et dans les remarques, p. 12. il dit, que « les meres redoutent la guerre pour leurs époux & pour leurs enfans ; mais les jeunes filles, ajoute-t-il, ne doivent pas moins la redouter pour les objets d’une tendresse légitime que la gloire leur enleve, en les rangeant sous les drapeaux de Mars. Cette raison m’a fait prendre matres dans la signification la plus étendue, comme les poëtes l’ont souvent employé. Il me semble, ajoute-t-il que ce sens fait ici un plus bel effet ».

Il ne s’agit pas de donner ici des instructions aux jeunes filles, ni de leur apprendre ce qu’elles doivent faire, lorsque la gloire leur enleve l’objet de leur tendresse, en les rangeant sous les drapeaux de Mars, c’est à-dire, lorsque leurs amans sont à la guerre ; il s’agit de ce qu’Horace a pensé. [Il me semble qu’il devroit pareillement n’être question ici que de ce qu’a réellement pensé le pere Sanadon, & non pas du ridicule que l’on peut jetter sur ses expressions, au moyen d’une interprétation maligne : le mot doivent dont il s’est servi, & que M. du Marsais a fait imprimer en gros caracteres, n’a point été employé pour désigner une instruction ; mais simplement pour caractériser une conséquence naturelle & connue de la tendresse des jeunes filles pour leurs amans, en un mot, pour exprimer affirmativement un fait. C’est un tour ordinaire de notre langue, qui n’est inconnu à aucun homme de lettres : ainsi il y a de l’injustice à y chercher un sens éloigné, qui ne peut que compromettre de plus en plus l’honnêteté des mœurs, déja trop efficacement attaquée dans d’autres écrits réellement scandaleux]. Or il me semble, continue M. du Marsais, que le terme de meres n’est relatif qu’à enfans ; il ne l’est pas même à époux, encore moins aux objets d’une tendresse légitime. J’ajouterois volontiers que les jeunes filles s’opposent à ce qu’on les confonde sous le nom de meres. Mais pour parler plus sérieusement, j’avoue que lorsque je lis dans la traduction du pere Sanadon, que les combats sont pour les femmes un objet d’horreur, je ne vois que des femmes épouvantées ; au-lieu que les paroles d’Horace me font voir une mere attendre : ainsi je ne sens point que l’une de ces expressions puisse jamais être l’image de l’autre ; & bien loin que la traduction du pere Sanadon fasse sur moi un plus bel effet, je regrette le sentiment tendre qu’elle me fait perdre. Mais venons à la synecdoque.

Comme il est facile de confondre cette figure avec la métonymie, je crois qu’il ne sera pas inutile d’observer ce qui distingue la synecdoque de la métonymie. C’est,

1°. Que la synecdoque fait entendre le plus par un mot qui dans le sens propre signifie le moins ; ou au contraire elle fait entendre le moins par un mot qui dans le sens propre marque le plus.

2°. Dans l’une & l’autre figure il y a une relation entre l’objet dont on veut parler, & celui dont on emprunte le nom ; car s’il n’y avoit point de rapport entre ces objets, il n’y auroit aucune idée accessoire, & par conséquent point de trope : mais la relation qu’il y a entre les objets, dans la métonymie, est de telle sorte, que l’objet dont on emprunte le nom, subsiste indépendamment de celui dont il réveille l’idée, & ne forme point un ensemble avec lui ; tel est le rapport qui se trouve entre la cause & l’effet, entre l’auteur & son ouvrage, entre Cerès & le blé, entre le contenant & le contenu, comme entre la bouteille & le vin : au-lieu que la liaison qui se trouve entre les objets, dans la synecdoque, suppose que ces objets forment un ensemble, comme le tout & la partie ; leur union n’est point un simple rapport, elle est plus intérieure & plus indépendante. C’est ce qu’on peut remarquer dans les exemples de l’une & de l’autre de ces figures. Voyez Trope. (E. R. M. B.)