L’Encyclopédie/1re édition/TALISMAN

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TALISMAN, s. m. (Divination.) figures magiques gravées en conséquence de certaines observations superstitieuses, sur les caracteres & configurations du ciel ou des corps célestes, auxquelles les astrologues, les philosophes hermétiques & autres charlatans attribuent des effets merveilleux, & surtout le pouvoir d’attirer les influences célestes. Voyez Théraphim.

Le mot talisman est purement arabe ; cependant Menage, aprè Saumaise, croit qu’il peut venir du grec τέλεσμα, opération ou consécration. Borel dit qu’il est persan, & qu’il signifie littéralement une gravûre constellée ; d’autres le dérivent de talamascis litteris, qui sont des caracteres mystérieux ou des chiffres inconnus dont se servent les sorciers, parce qu’ajoutent-ils, talamasca veut dire phantôme ou illusion. M. Pluche dit qu’en Orient on nommoit ces figures tselamim, des images ; & en effet, comme il le remarque, « lorsque dans l’origine, le culte des signes célestes & des planetes fut une fois introduit, on en multiplia les figures pour aider la dévotion des peuples & pour la mettre à profit. On faisoit ces figures en fonte & en relief, assez souvent par maniere de monnoie, ou comme des plaques portatives qu’on perçoit pour être suspendues par un anneau, au cou des enfans, des malades & des morts. Les cabinets des antiquaires sont pleins de ces plaques ou amulettes, qui portent des empreintes du soleil ou de ses symboles, ou de la lune, ou des autres planetes, ou des différens signes du zodiaque. » Hist. du ciel, tom. I. pag. 480.

L’auteur d’un livre intitulé les talismans justifiés, prétend qu’un talisman est le sceau, la figure, le caractere ou l’image d’un signe céleste, d’une constellation, ou d’une planete gravée sur une pierre sympathique ou sur un métal correspondant à l’astre ou au corps céleste pour en recevoir les influences.

L’auteur de l’histoire du ciel va nous expliquer sur quoi étoient fondées cette sympathie & cette correspondance, & par conséquent combien étoit vaine la vertu qu’on attribuoit aux talismans.

« Dans la confection des talismans, dit-il, la plus légere conformité avec l’astre ou le dieu en qui l’on avoit confiance, une petite précaution de plus, une légere ressemblance plus sensible faisoit préférer une image ou une matiere à une autre ; ainsi les images du soleil, pour en imiter l’éclat & la couleur, devoient être d’or. On ne doutoit pas même que l’or ne fût une production du soleil ; cette conformité de couleur, d’éclat & de mérite en étoit la preuve. Le soleil devoit donc mettre sa complaisance dans un métal qu’il avoit indubitablement engendré, & ne pouvoit manquer d’arrêter ses influences dans une plaque d’or où il voyoit son image empreinte, & qui lui avoit été religieusement consacrée au moment de son lever. Par un raisonnement semblable, la lune produisoit l’argent, & favorisoit de toute l’étendue de son pouvoir les images d’argent auxquelles elle tenoit par les liens de la couleur, de la génération, de la consécration. Bien entendu que Mars se plaisoit à voir ses images, quand elles étoient de fer ; c’étoit-là sans doute le métal favori du dieu des combats. Vénus eut le cuivre, parce qu’il se trouvoit en abondance dans l’île de Chypre dont elle chérissoit le séjour. Le langoureux Saturne fut préposé aux mines de plomb. On ne délibéra pas long-tems sur le lot de Mercure ; un certain rapport d’agilité lui fit donner en partage le vif-argent. Mais en vertu de quoi Jupiter sera-t-il borné à la surintendance de l’étain ? Il étoit incivil de présenter cette commission à un dieu de sa sorte : c’étoit l’avilir ; mais il ne restoit plus que l’étain, force lui fut de s’en contenter. Voilà certes de puissans motifs pour assigner à ces dieux l’inspection sur tel ou tel métal, & une affection singuliere pour les figures qui en sont composées. Or telles sont les raisons de ces prétendus départemens ; tels sont aussi les effets qu’il en faut attendre. » Hist. du ciel, tom. I. pag. 482 & 483.

Il étoit aussi aisé de faire ces raisonnemens, il y a deux mille ans, qu’aujourd’hui ; mais la coutume, le préjugé, l’exemple de quelques faux sages qui, soit persuasion, soit imposture, accréditoient les talismans, avoient entraîné tous les esprits dans ces superstitions. On attribuoit à la vertu & aux influences des talismans tous les prodiges qu’opéroit Apposignius de Tyane ; & quelques auteurs ont même avancé que ce magicien étoit l’inventeur des talismans ; mais leur origine remonte bien plus avant dans l’antiquité ; sans parler de l’opinion absurde de quelques rabbins qui soutiennent que le serpent d’airain que Moïse fit élever dans le désert pour la destruction des serpens qui tourmentoient & tuoient les Israëlites, n’étoit autre chose qu’un talisman. Quelques-uns en attribuent l’origine à un Jacchis qui fut l’inventeur des préservatifs que les Grecs appelloient περιαπτα, des remedes cachés contre les douleurs, des secrets contre les ardeurs du soleil & contre les influences de la canicule. Ce Jacchis vivoit, selon Suidas, sous Sennyés, roi d’Egypte. D’autres attribuent cette origine à Necepsos, roi d’Egypte, qui étoit postérieur à Jacchis, & qui vivoit cependant plus de 200 ans avant Salomon. Ausone, dans une lettre à S. Paulin, a dit :

Quique magos docuit mysteria vana Necepsos.

Le commerce de ces talismans étoit fort commun du tems d’Antiphanes, & ensuite du tems d’Aristophane ; ces deux auteurs font mention d’un Phertamus & d’un Eudamus, fabricateurs de préservatifs de ce genre. On voit dans Galien & dans Marcellus Empiricus, quelle confiance tout le monde avoit à leur vertu. Pline dit qu’on gravoit sur des émeraudes des figures d’aigle & de scarabées ; & Marcellus Empiricus attribue beaucoup de vertus à ces scarabées pour certaines maladies, & en particulier pour le mal des yeux. Ces pierres gravées ou constellées étoient autant de talismans où l’on faisoit entrer les observations de l’astrologie. Pline, en parlant du jaspe qui tire sur le verd, dit que tous les peuples d’Orient le portoient comme un talisman. L’opinion commune étoit, dit-il ailleurs, que Milon de Crotone ne devoit ses victoires qu’à ces sortes de pierres qu’il portoit dans les combats, & à son exemple ses athletes avoient soin de s’en munir. Le même auteur ajoute qu’on se servoit de l’hématite contre les embuches des barbares, & qu’elle produisoit des effets salutaires dans les combats. Aussi les gens de guerre en Egypte, au rapport d’Elien, portoient des figures de scarabées pour fortifier leur courage, & la grande foi qu’ils y avoient, venoit de ce que ces peuples croyoient que le scarabée consacré au soleil étoit la figure animée de cet astre qu’ils regardoient comme le plus puissant des dieux, selon Porphyre. Trébellius Pollion rapporte que les Macriens révéroient Alexandre le grand d’une maniere si particuliere, que les hommes de cette famille portoient la figure de ce prince gravée en argent dans leurs bagues, & que les femmes la portoient dans leurs ornemens de tête, dans leurs bracelets, dans leurs anneaux & dans les autres pieces de leur ajustement ; jusque-là même que de son tems, ajoute-t-il, la plûpart des habillemens des dames de cette famille en étoient encore ornés, parce que l’on disoit que ceux qui portoient ainsi la tête d’Alexandre en or ou en argent, en recevoient du secours dans toutes leurs actions : quia dicuntur juvari in omni actu suo qui Alexandrum expressum, vel auro gestitant vel argento.

Cette coutume n’étoit pas nouvelle chez les Romains, puisque la bulle d’or que portoient au col les généraux ou consuls dans la cérémonie du triomphe, renfermoit des talismans. Bulla, dit Macrobe, gestamen erat triumphantium, quam in triumpho præ se gerebant, inclusis intrà eam remediis, quæ crederent adversus invidiam valentissima. On pendoit de pareilles bulles au col des enfans, pour les défendre des génies massaisans, ou les garantir d’autres périls, ne quid obsit, dit Varron ; & Asconjus Pedianus, sur un endroit de la premiere verrine de Cicéron où il est mention de ces bulles, dit qu’elles étoient sur l’estomach des enfans comme un rempart qui les défendoit, sinus communiens pectusque puerile, parce qu’on y renfermoit des talismans. Les gens de guerre portoient aussi des baudriers constellés. Voyez Baudriers & Constellés.

Les talismans les plus accrédités étoient ceux des Samothraciens, ou qui étoient fabriqués suivant les regles pratiquées dans les mysteres de Samothrace. C’étoient des morceaux de métal sur lesquels on avoit gravé certaines figures d’astres, & qu’on enchâssoit communément dans des bagues. Il s’en trouve pourtant beaucoup dont la forme & la grosseur font voir qu’on les portoit d’une autre maniere. Pétrone rapporte qu’une des bagues de Trimalcion étoit d’or & chargée d’étoiles de fer, totum auteum, sed planè serreis veluti stellis ferruminatum. Et M. Pithou convient que c’étoit un anneau ou un talisman fabriqué suivant les mysteres de l’île de Samothrace. Trallien, deux siècles après, en décrit de semblables, qu’il donne pour des remedes naturels & physiques, φυσικὰ, à l’exemple, dit-il, de Galien, qui en a recommandé de pareils. C’est au livre IX. de ses traités de médecine, ch. jv. à la fin, où il dit que l’on gravoit sur de l’airain de Chypre un lion, une lune & une étoile, & qu’il n’a rien vu de plus efficace pour certains maux. Le même Trallien cite un autre philactère contre la colique ; on gravoit sur un anneau de fer à huit angles ces mots, φεῦγε, φεῦγε, ἰοῦ, χολὴ, ὁ κορυδαλός σε ζητεῖ, c’est-à-dire, fuis, fuis, malheureuse bile, l’alouette te cherche. Et ce qui prouve que l’on fabriquoit ces sortes de préservatifs sous l’aspect de certains astres, c’est ce que ce médecin ajoute à la fin de l’article : il falloit, dit-il, travailler à la gravure de cette bague au 17 ou au 21 de la lune.

La fureur que l’on avoit pour les talismans se répandit parmi des sectes chrétiennes, comme on le voit dans Tertullien, qui la reproche aux Marcionites qui faisoient métier, dit il, de vivre des étoiles du créateur : nec hoc erubescentes de stellis creatoris vivere. Peut-être cela doit-il s’entendre de l’Astrologie judiciaire en général. Il est beaucoup plus certain que les Valentiniens en faisoient grand usage, comme le prouve leur abracadabra, prescrit par le médecin Serenus sammonicus, qui étoit de leur secte, & par leur abrasax, dont l’hérésiarque Basilides lui-même fut l’inventeur. Voyez Abracadabra & Abrasax.

Des catholiques eux-mêmes donnerent dans ces superstitions. Marcellus, homme de qualité & chrétien, du tems de Théodose, dans un recueil de remedes qu’il adresse à ses enfans, décrit ce talisman. Un serpent, dit-il, avec sept rayons, gravé sur un jaspe enchâssé en or, est bon contre les maux d’estomac, & il appelle ce philactere un remede physique : ad stomachi dolorem remedium physicum sit, in lapide laspide exsculpe draconem radiatum, ut habeat septem radios, & claude auro, & utere in collo. Ce terme de physique fait entendre que l’Astrologie entroit dans la composition de l’ouvrage. Mém. de l’acad. des Insc. tom. XI. p. 355. & suiv.

On y croyoit encore sous le regne de nos rois de la premiere race ; car au sujet de l’incendie général de Paris, en 585, Grégoire de Tours rapporte une chose assez singuliere, à laquelle il semble ajouter foi, & qui rouloit sur une tradition superstitieuse des Parisiens : c’est que cette ville avoit été bâtie sous une constellation qui la défendoit de l’embrâsement, des serpens & des souris ; mais qu’un peu avant cet incendie, on avoit, en fouillant une arche d’un pont, trouvé un serpent & une souris d’airain, qui étoient les deux talismans préservatifs de cette ville. Ainsi ce n’étoit pas seulement la conservation de la santé des particuliers, c’étoit encore celle des villes entieres, & peut-être des empires, qu’on attribuoit à la vertu des talismans ; & en effet, le palladium des Troyens & les boucliers sacrés de Numa étoient des especes de talismans.

Les Arabes fort adonnés à l’Astrologie judiciaire, répandirent les talismans en Europe, après l’invasion des Mores en Espagne ; & il n’y a pas encore deux siecles qu’on en étoit infatué en France, & même encore aujourd’hui ; présentés sous le beau nom de figures constellées, dit M. Pluche, ils font illusion à des gens qui se croyent d’un ordre fort supérieur au peuple. Mais on continue toujours d’y avoir confiance en Orient.

On distingue en général trois sortes de talismans ; savoir, les astronomiques, on les connoît par les signes célestes, ou constellations que l’on a gravées dessus, & qui sont accompagnées de caracteres inintelligibles.

Les magiques qui portent des figures extraordinaires, des mots superstitieux, & des noms d’anges inconnus.

Enfin les mixtes sur lesquels on a gravé des signes célestes & des mots barbares, mais qui ne renferment rien de superstitieux, ni aucun nom d’ange.

Quelques auteurs ont pris pour des talismans plusieurs médailles rhuniques ou du moins celles dont les inscriptions sont en caracteres rhuniques ou gothiques, parce qu’il est de notoriété que les nations septentrionales, lorsqu’elles professoient le paganisme, faisoient grand cas des talismans. Mais M. Keder a montré que les médailles marquées de ces caracteres, ne sont rien moins que des talismans.

Il ne faut pas confondre non plus avec des sicles ou des médailles hébraïques véritablement antiques, certains talismans, & certains quarrés composés de lettres hébraïques toutes numérales, que l’on appelle sigilla planetarum, dont se servent les tireurs d’horoscope, & les diseurs de bonne aventure, pour faire valoir leurs mysteres ; non-plus que d’autres figures magiques dont on trouve les modeles dans Agrippa, & qui portent des noms & des caracteres hébraïques. Science des médailles, tom. I. p. 308.

Talisman, (terme de relation.) nom d’un ministre inférieur de mosquée chez les Turcs. Les talismans sont comme les diacres des imans, marquent les heures des prieres en tournant une horloge de sable de quatre en quatre heures ; & les jours de bairan, ils chantent avec l’iman, & lui répondent. Du Loir.