L’Encyclopédie/1re édition/VÉNÉRIENNE

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VÉNÉRIENNE, maladie Vénérienne, lues venerea, vérole ou grosse vérole, est une maladie contagieuse, qui se contracte par une humeur impure, reçue ordinairement dans le coït ; & se manifeste par des ulceres & des douleurs aux parties naturelles & ailleurs. Voyez Vérole.

On dit communément que cette maladie parut pour la premiere fois en Europe en 1493. D’autres néanmoins veulent qu’elle soit beaucoup plus ancienne, & prétendent que les anciens l’ont connue, mais sous d’autres noms.

Becket en particulier, a tâché de montrer qu’elle est la même chose que ce que nos ancêtres appelloient la lepre ; & qui dans plusieurs anciens écrits anglois, dans des chartres, &c. est nommée brenning ou burning, c’est-à-dire brûlure ou incendie.

Cet auteur pour prouver son opinion, a recherché les actes concernant les mauvais lieux qui se tenoient anciennement sous la jurisdiction de l’évêque de Vinchestre. Voyez Mauvais lieux.

Dans des constitutions touchant ces mauvais lieux, & qui sont datées de l’an 1162, il est ordonné entre autres choses, « que tout teneur de mauvais lieu ne pourra garder aucune femme qui soit attaquée de la maladie dangereuse appellée burning ». Et dans un autre manuscrit de vélin, qui est présentement sous la garde de l’évêque de Vinchestre, & qui est daté de 1430, il est encore ordonné, « que tout teneur de mauvais lieu ne pourra garder chez lui aucune femme attaquée de la maladie appellée brenning ; mais qu’il la mettra dehors, sous peine de payer au seigneur une amende de 100 schelins ». Voyez Brûlure.

Becket pour confirmer son sentiment, cite une description de la maladie, tirée d’un manuscrit de Jean Arden, écuyer & chirurgien du roi Richard II. & du roi Henri IV. Arden définit la maladie appellée brenning, une certaine chaleur interne, & une excoriation de l’uretre.

Cette définition suivant la remarque de Becket, donne une parfaite idée de ce qu’on appelle une chaudepisse ; elle s’accorde avec les dernieres & les plus exactes découvertes anatomiques ; & elle est exempte de toutes les erreurs ou Platerus, Rondelet, Bartholin, Wharton & d’autres écrivains modernes sont tombés au sujet de cette maladie. Voyez Chaudepisse & Gonorrhée.

Quant à l’idée que la lepre est la même chose que la vérole, il faut convenir que beaucoup de symptomes de ces deux maladies se ressemblent assez ; cependant on ne sauroit faire grand fond là-dessus. Voyez Lepre.

C’est une tradition commune, que la maladie vénérienne parut pour la premiere fois dans l’armée françoise qui étoit campée devant Naples, & qu’elle fut causée par quelques alimens mal-sains. Delà vient que les François la nomment maladie de Naples, & les Italiens mal françois.

Mais d’autres remontent beaucoup plus haut, & croient qu’elle n’est autre chose que l’ulcere horrible dont Job fut attaqué. C’est pourquoi dans un missel imprimé à Venise en 1542, il y a une messe à l’honneur de S. Job, pour ceux qui sont guéris de cette maladie, parce qu’on croyoit qu’ils avoient été guéris par son intercession.

Mais l’opinion la plus commune parmi les plus habiles médecins, est que la maladie vénérienne vient originairement des Indes occidentales, & que les Espagnols l’apporterent des îles de l’Amérique, où elle étoit fort commune avant que les Espagnols y eussent jamais mis le pié. Delà vient que les Espagnols la nomment sarva des India, ou las buvas. Herrera dit néanmoins que les Espagnols porterent cette maladie au Mexique, au lieu de l’avoir apportée de ce pays-là.

Lister & d’autres prétendent qu’elle doit sa premiere origine à une sorte de serpent dont on aura été mordu, ou dont on aura mangé la chair. Il est certain que les hommes qui ont été piqués du scorpion, sont fort soulagés par le coït ; mais Pline assure que les femmes en sont fort incommodées : ce qui prouve bien que la maladie vient originairement de quelque personne ainsi empoisonnée.

Lister ajoute qu’il n’y a pas lieu de douter que la maladie vénérienne ne soit venue d’une pareille cause ; car lorsqu’un homme a été mordu de quelque bête venimeuse, la verge devient extrèmement tendue, le malade attaqué de satyriasis ne respire que le coït, la nature semblant demander cela pour remede.

Mais ce qui guérit les hommes ainsi mordus, se trouve pernicieux aux femmes, qui par ce moyen sont infectées du venin, & le communiquent aux autres hommes qui ont commerce avec elles ; & c’est ainsi que la maladie s’est répandue.

Les premiers symptomes qui surviennent ordinairement après qu’on a eu affaire avec une personne infectée, sont une chaleur, une enflure & une inflammation de la verge, ou de la vulve, avec une ardeur d’urine.

Le second & le troisieme jour il survient d’ordinaire une gonorrhée, appellée autrement chaudepisse, qui au bout de quelques jours est suivie d’une chaude-pisse cordée. Voyez Gonorrhée & Cordée.

Quelquefois néanmoins il n’y a point de gonorrhée ; mais le virus pénetre dans les aines à-travers la peau, & il y vient des bubons ou poulains, avec des pustules malignes dans toutes les parties du corps. Voyez Bubon.

Quelquefois aussi il vient au scrotum & au périné des ulceres calleux appellés chancres. D’autres fois il vient entre le prépuce & le gland un ulcere calleux & carcinomateux ; & dans quelques-uns les testicules se tuméfient. Voyez Chancres.

Ajoutez à cela de violentes douleurs nocturnes, des nodus, des chaleurs à la paume de la main & à la plante des piés ; & de-là des gersures, des excoriations, des condylomes, &c. autour du fondement ; des chûtes de poil ; des taches rouges, jaunes ou livides ; l’enrouement, le relâchement, & l’érosion de la luette ; des ulceres au palais, & au nez ; des tintemens d’oreille, la surdité, l’aveuglement, la gratelle, la consomption, &c. Mais tous ces symptomes attaquent rarement la même personne.

Sydenham observe que la maladie vénérienne se communique par la copulation, l’alaitement, le tact, la salive, la sueur, la mucosité des parties naturelles, la respiration ; & qu’elle se manifeste premierement dans les parties où elle est reçue. Lorsque le virus est reçu avec le lait de la nourrice, il se manifeste ordinairement par des ulceres de la bouche.

Le traitement varie suivant la différence des symptomes & des degrés de la maladie. Pour ce qui est du premier degré qui est la gonorrhée virulente, Voyez Chaude-pisse & Gonorrhée.

Voici la méthode du docteur Pitcairn. Après avoir fait vomir deux ou trois fois, il ordonne le mercure doux deux fois par jour, durant quelques jours. Lorsque la bouche fait mal, il laisse le mercure doux pendant trois ou quatre jours, & il purge de deux jours l’un. Dès que la bouche ne fait plus de mal, il recommence l’usage du mercure doux, & ainsi alternativement, jusqu’à ce que les symptomes cessent. Voyez Mercure.

On tient communément que la salivation mercurielle est le seul remede efficace pour la maladie vénérienne confirmée. Cependant il y a des gens qui croient que les frictions mercurielles, données en petite quantité & de loin-à-loin sans exciter la salivation, non-seulement sont moins fâcheuses & moins dangereuses, mais encore réussissent mieux dans cette maladie que la salivation. Voyez Salivation.

Sydenham dit qu’il fait saliver tout de suite, sans aucune évacuation préliminaire, ni préparation quelconque. Voici quelle est sa méthode. Il ordonne un onguent, fait avec deux onces de sain-doux & une once de mercure crud. Il veut que le malade se frotte lui-même les bras & les jambes trois soirs de suite avec le tiers de cet onguent, mais sans toucher les aisselles, ni les aînes, ni l’abdomen. Après la troisieme friction, les gencives s’enflent d’ordinaire, & la salivation survient. Si elle ne vient pas assez-tôt, il ordonne huit grains de turbith minéral dans de la conserve des roses rouges ; ce qui produit le vomissement, & ensuite la salivation. Si après cela elle diminue avant que les symptomes ayent entierement disparu, il la ranime par une dose de mercure doux. La diete & le régime sont les mêmes que pour la purgation.

Les fumigations mercurielles peuvent être de quelque utilité dans le traitement de la maladie vénérienne. Voyez Fumigation.

Les sauvages de l’Amérique sont fort sujets à la maladie vénérienne, mais ils ont des secrets pour s’en débarrasser qui sont, dit-on, beaucoup plus sûrs & moins dangereux que les frictions mercurielles, ou que les préparations du mercure que l’on emploie ordinairement pour la guérison de ces maux. M. Kalm, de l’académie royale de Suede, ayant voyagé dans cette partie du monde, est parvenu à découvrir le remede dont ces peuples se servent, & qu’ils cachoient avec le plus grand soin aux Européens. Ils emploient pour cet effet la racine d’une plante que M. Linnæus a décrite sous le nom de lobelia, & que Tournefort appelle rapuntium americanum, flore dilutè coeruleo, en françois la cardinale bleue. On prend cinq ou six de ces racines, soit fraîches, soit séchées, on en fait une décoction dont on fait boire abondamment au malade le matin & dans le cours de la journée. Cette boisson purge à proportion de la force de la décoction, que l’on fait moins forte lorqu’elle agit trop vivement. Le malade s’abstient pendant la cure, des liqueurs fortes & des alimens trop assaisonnés ; ordinairement en observant ce régime, il est guéri en quinze jours ou trois semaines. On se sert de la même décoction pour laver les ulceres vénériens qui peuvent s’être formés sur les parties de la génération. Les sauvages dessechent aussi ces ulceres avec une racine séchée & pulvérisée que l’on répand sur la partie affligée ; cette racine est celle d’une plante, que M. Linnæus appelle geum, floribus nutantibus, fructu oblongo, seminum caudâ molli plumosâ, flore suecicoe, p. 424 ; c’est la même que G. Bauhin désigne sous le nom de caryophyllata aquatica, nutante flore, 321 ; en françois benoite de riviere.

Lorsque le malade a fait usage pendant quelques jours de la décoction de la lobelia décrite ci-dessus, sans que l’on apperçoive aucun changement, on prend quelques racines d’une plante, que M. Gronovius appelle ranunculus, foliis radicalibus, renisormibus, crenatis, caulinis, digitatis, petiolatis, Gronovii flos virginana 166 ; en françois renoncule de Virginie. Après avoir lavé ces racines, on en met une petite quantité dans la decoction de lobelia ; mais il faut en user avec précaution, de peur d’exciter des irritations, des purgations trop vives & des vomissemens. Toutes ces plantes se trouvent en Europe, ou peuvent s’y multiplier avec facilite.

M. Kalm nous apprend que d’autres sauvages d’Amérique se servent avec encore plus de succès pour la même maladie de la décoction d’une racine désignée par M. Linnæus sous le nom de ceanothus, ou de celastus incrmis, foliis ovatis serratis, trinerviis, Hort. Clifford 73, & Gronovii flor. virginiana 25. Cette plante est plus difficile à avoir que les autres ; cependant il y en a des piés au jardin royal des plantes ; M. Bernard de Jussieu soupçonne que cette racine est la même qu’une racine inconnue qui lui fut donnée il y a quelques années, & dont la décoction guérissoit en trois jours les gonorrhées les plus invétérées ; jamais il n’a pu découvrir le lieu natal de cette racine si efficace quelque peine qu’il se soit donné pour cela : ce savant botaniste croit que le ceanothus est la plante appellée evonymus novi belgii, corni fæminæ foliis, Commelin. hort. Amstel. I. p. 167. tom. LXXXVI. M. Kalm dit que cette décoction est d’un beau rouge, & se fait de même que celle de la lobelia. Il nous dit que lorsque le mal est fort enraciné, on joint à la décoction du ceanothus celle du rubus, caule aculeato, foliis ternatis, Linnæi flor. suscica 410 ; c’est le rubus vulgaris fiuctu nigro de G. Bauhin, 479 ; en françois ronce. M. Kalm assure de la façon la plus positive qu’il n’y a point d’exemple qu’un sauvage n’ait point été soulagé & parfaitement guéri de la vérole la plus invétérée en faisant usage de ces remedes. Voyez les mémoires de l’académie de Stockholm, année 1760.