L’Encyclopédie/1re édition/VERVE

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VERVE, s. f. (Poésie.) c’est une vive représentation de l’objet dans l’esprit, & une émotion du cœur proportionnée à cet objet ; moment heureux pour le génie du poëte, où son ame enflammée, comme d’un feu divin, se représente avec vivacité ce qu’il veut peindre, & répand sur son tableau cet esprit de vie qui l’anime, & ces traits touchans qui nous séduisent & nous ravissent.

Cette situation de l’ame n’est pas facile à définir ; & les idées qu’en donnent la plûpart des auteurs, paroissent plutôt sortir d’une imagination échauffée que d’un esprit réfléchi. A les en croire, tantôt c’est une vision céleste, une influence divine, un esprit prophétique : tantôt c’est une ivresse, une extase, une joie mêlée de trouble & d’admiration, en présence de la divinité. Ont-ils dessein par ce langage emphatique de relever les arts & de dérober aux prophanes les mysteres des muses ? Pour nous, écartant ce faste allégorique qui nous offusque, considérons la verve telle qu’elle est réellement.

La divinité qui inspire les poëtes quand ils composent, est semblable à celle qui anime les héros : dans ceux-ci, c’est l’audace, l’intrépidité naturelle animée par la présence même du danger ; dans les autres c’est un grand fond de génie, une justesse d’esprit exquise, une imagination féconde, & sur-tout un cœur plein d’un feu noble, & qui s’allume aisément à la vue des objets. Ces ames privilégiées prennent fortement l’empreinte des choses qu’elles conçoivent, & ne manquent jamais de les reproduire avec un nouveau caractere d’agrément & de force qu’elles leur communiquent. Voilà la source de la verve ou de l’enthousiasme. Ses effets sont faciles à comprendre, si l’on se rappelle qu’un artiste observateur puise dans la nature tous les traits dont ses imitations peuvent être composées ; il les tire de la foule, les assemble, & s’en remplit. Bientôt son feu s’allume à la vue de l’objet ; il s’oublie ; son ame passe dans les choses qu’il crée ; il est tour-à-tour Cinna, Auguste, Phedre, Hippolyte : & si c’est la Fontaine, il est le loup & l’agneau, le chêne & le roseau. C’est dans ces transports qu’Homere voit les chars & les coursiers des dieux : que Virgile entend les cris affreux de Phlégias dans les tenebres infernales : & qu’ils trouvent l’un & l’autre des choses qui ne sont nulle part, & qui cependant sont vraies.

Pœta cùm tabulas cepit sibi,
Quærit quod nusquam est gentium, reperit tamen.

Voilà la verve : voilà l’enthousiasme : voilà le dieu qui fait les vrais peintres, les musiciens & les poëtes. (D. J.)