L’Encyclopédie/1re édition/WEIGATS

La bibliothèque libre.
◄  WEIDEN
WEIK  ►

WEIGATS, détroit de, ou VEGATZ, ou VAIGATS, ou détroit de Nassau : (Géog. mod.) détroit entre les Samoyedes & la nouvelle Zemble. Il fait la communication entre les mers de Moscovie & de Tartarie.

On a cherché long-tems par ce détroit un passage à la Chine & au Japon, & ce projet n’est pas encore abandonné. Le premier qui fit cette tentative, fut Hughes Willoughby, en 1553 ; après lui, Etienne Burrough entreprit la même recherche en 1556. Les capitaines Arthur Peety & Charles Jackman poursuivirent la même entreprise en 1580, par ordre de la reine Elisabeth : ils passerent le détroit de Weigatz, & entrerent dans la mer qui est à l’est. Ils y trouverent une si grande quantité de glaces, qu’après avoir essuyé de grands dangers & des fatigues extraordinaires, ils furent contraints de revenir sur leurs pas : le mauvais tems les écarta, & l’on n’a jamais eu de nouvelles de Peety ni de son équipage.

Guillaume Barentz renouvella cette tentative par ordre du Prince Maurice en 1595 ; mais trouvant les mêmes difficultés que ses prédécesseurs à découvrir un passage à la Chine par le détroit de Weigatz, il se flatta de réussir par le nord de la nouvelle Zemble, fit deux voyages inutiles de ce côté-là, & mourut en route.

Le capitaine Wood, navigateur anglois, mit à la voile en 1675, porta droit au nord-est du nord-cap, & découvrit en 1676 comme un continent de glaces à 76 degrés de latitude, & environ à 60 lieues à l’est de Groenland, où il s’imagina qu’en allant plus à l’est, il pourroit trouver une mer libre ; mais découvrant toujours de nouvelles glaces, il perdit toute espérance.

Il reste encore une grande incertitude sur la possibilité du passage, soit par le nord de la nouvelle Zemble, soit par le midi, c’est-à-dire, par le détroit de Weigatz. Les uns prennent pour un golfe la mer qui est à l’est de ce détroit, & les autres veulent que ce soit une mer libre qui communique à celle de la Chine. Ce dernier sentiment paroît aujourd’hui le plus vraissemblable, car le nouvelle carte de l’empire de Russie, dressée sur de nouvelles observations, nous apprend que le Weigatz communique avec la mer de Tartarie, & que les glaces de ce détroit ne se fondent point pendant l’été, à moins que quelque tempête du nord-est ne vienne les briser.

Quoi qu’il en soit, c’est ici que l’Océan gelé jusqu’au fond de ses abîmes, est enchaîné lui-même, & n’a plus le pouvoir de rugir. Toute cette mer n’est qu’une étendue glacée : triste plage dépourvue d’habitans. Oh ! dit le peintre des saisons, combien sont malheureux ceux qui, embarrassés dans les amas de glaces, reçoivent en ces lieux le dernier regard du soleil couchant, tandis que la très-longue nuit, nuit de mort, & d’une gelée fiere & dix fois redoublée, est suspendue sur leurs têtes, & tombe avec horreur. Tel fut le destin de ce digne anglois, le chevalier Hugh Willoughby, qui osa (car que n’ont pas osé les Anglois ?) chercher avec le premier vaisseau ce passage tant de fois tenté en vain, & qui paroît fermé de la main même de la nature jalouse, par des barrieres éternelles. Dans ces cruelles régions, son vaisseau pris dans les glaces, resta tout entier immobile & attaché à l’Océan glacé ; lui & sa troupe demeurerent gelés comme des statues, chacun à son poste, à son emploi, le matelot au cordage, & le pilote au gouvernail.

Malgré ce désastre affreux, il sera toujours beau de chercher ce passage si désiré : jamais le désespoir ne doit être admis dans des projets si nobles, avant que l’impossibilité du succès soit démontrée. (Le chevalier de Jaucourt.)