L’Encyclopédie/1re édition/WILTON

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WILTON, (Géog. mod.) en latin Ellandunum, ville d’Angleterre, dans le Wiltshire, dont elle a été la capitale ; elle a eu même un évêché qui a été transféré à Salisbury, & ce changement a fait tomber Wilton en décadence ; cependant elle a toujours le droit de tenir marché public, & d’envoyer ses députés au parlement. Long. 15. 48. latit. 51. 5.

Elle est la partie du célebre Addisson (Joseph) homme de goût, grand poëte, judicieux critique, & l’un des meilleurs écrivains de son siecle. Son style est pur, noble, élégant. Ses sentimens sont délicats, vertueux ; & par-tout on trouve dans l’auteur un ami du genre-humain.

Il naquit le premier de Mai 1672, & comme il ne promettoit pas de vivre, il fut baptisé le même jour de sa naissance. Il eut l’honneur pendant le cours de ses études, de connoître à Oxford, mylord Halifax, le grand protecteur des gens de lettres, qui n’a pas laissé d’être dépeint d’une maniere très-satyrique (chose ordinaire) par un autre homme de qualité. Nous donnerons quelques traits de cette satyre, à cause de l’esprit qui y regne, de la finesse du tour, & de la beauté du style.

Elle est intitulée, la faction démasquée, & a été imprimée dans un des volumes de State-Poems, Lon. don 1703. in-8o. Mylord Halifax (Charles Montague, comte d’Halifax, chevalier de l’ordre de la Jarretiere, & régent du royaume après la mort de la reine Anne.) mylord Halifax, dis je, y est dépeint sous le nom de Bathille, conjointement avec les poëtes auxquels il donnoit pension. « Enfin, Bathille se leve paré des plumes d’autrui, & noblement illustre par les projets des autres. Plein de bonne opinion, & ridiculement fou, demi-politique, babillard, bruyant ; ardent sans courage, orgueilleux sans mérite, & propre à conduire des têtes sans cervelle. Avec des gestes fiers & un air assuré, il tient à ses compagnons de débauche le discours qui suit : ayez soin de ce qui regarde la politique, j’aurai soin moi que les muses nous secondent. Tous les poëtes sont à ma dévotion ; dès que je parle, ils écrivent ; je les inspire. C’est pour moi que Congreve a déploré en vers lugubres la mort de Pastora. Rowe qui a chanté l’immortel Tamerlan, quoi qu’il soit réduit à-présent à prendre un ton plus bas ; Rowe est à moi & au parti des Whigs. J’aide à Garth à polir ses pieces un peu grossieres ; & je lui apprends à chanter en beaux vers les louanges de notre parti. Walsh qui sans avoir jamais rien donné, passe pour un homme d’esprit, Walsh vote pour nous. Les comédies obscenes & sans intrigues de Vane, célebrent nos talens… Nous pouvons sûrement compter sur Addisson : à la faveur d’une pension l’on gagne toujours un ami. Il fera retentir les Alpes de mon nom, & fera connoître son protecteur dans le pays des Classiques. Tous ceux dont je viens de parler, m’appellent leur Mécene. Les princes ne sont point fermes sur leur trône, qu’ils n’y soient soutenus par les enfans d’Apollon Auguste eut Virgile, & Nassau plus heureux encore eut ses Montagues, pour chanter ses victoires ; mais Anne, cette malheureuse reine Tory, sentira les traits de la vengeance des poëtes. »

Addisson donna de bonne heure des preuves de ses talens par sa traduction du quatrieme livre des Géorgiques de Virgile. Il avoit dessein d’entrer dans les ordres ; mais le monde se réconcilia chez lui avec la sagesse & la vertu, lorsqu’il prit soin de les recommander avec autant d’esprit & de graces, qu’on les avoit tournés en ridicule depuis plus d’un demi-siecle. Il fit aussi des poésies latines qui ont été publiées dans les musæ anglicanæ.

On estime beaucoup son petit poëme sur l’Italie. Il y peint la satisfaction qu’il goûtoit dans ce beau pays, à la vue des rivieres, des forêts, des montagnes, &c. célébrées par tant de génies. De quelque côté, dit-il, que je tourne mes yeux, je découvre des objets qui me charment & des vues qui m’enchantent. Des campagnes poëtiques m’environnent de toutes parts. C’est ici que les muses firent si souvent entendre leurs voix, qu’il ne se trouve aucune montagne qu’elles n’aient chantée, aucun bosquet qu’elles n’aient loué, aucun ruisseau qui ne coule harmonieusement. Il fait ensuite la description des monumens des Romains, de leurs amphithéatres, de leurs arcs de triomphe, de leurs statues, des palais modernes & des temples.

Mais il prend de-là occasion de déplorer l’état malheureux où l’oppression réduit les habitans de ce pays, malgré tant d’avantages que l’art & la nature leur offrent à-l’envi ; il conclut en s’adressant à la liberté, qu’il représente comme la source principale du bonheur dont jouit l’Angleterre, d’ailleurs à tant d’autres égards si fort inférieure à l’Italie. « Nous n’envions point un ciel plus doux : nous ne murmurons point d’habiter des lieux peu favorisés de l’astre du jour, & de voir les froides pléïades dominer sur nos têtes. La liberté couronne notre île ; elle seule embellit nos rochers & nos sombres montagnes ».

Il recueillit les matériaux de ses dialogues sur les médailles, dans le pays même des médailles. Cette piece a été publiée par M. Tickell, qui a traduit la plus grande partie des citations latines en anglois, pour l’usage de ceux qui n’entendent point les langues savantes. On y trouve quantité de choses curieuses sur les médailles, écrites avec tout l’agrément que permet la forme de dialogue ; & on a mis à la tête un poëme de M. Pope.

Il le commence par cette réflexion : que les plus beaux monumens, les arcs de triomphe, les temples, les tombeaux, ont été détruits ou par l’injure des tems, ou par les irruptions des barbares, ou par le zele des chrétiens ; & que les médailles seules conservent la mémoire des plus grands hommes de l’antiquité. Mais delà il prend occasion de railler finement les excès dans lesquels quelques curieux sont tombés sur ce sujet. « Le pâle antiquaire, dit-il, fixe ses regards attentifs, & regarde de près ; il examine la légende & vénere la rouille ; c’est un vernis bleu qui la rend sacrée. L’un travaille à acquérir un Pescennius ; l’autre dans ses rêveries croit tenir un Cécrops ; le pauvre Vadius depuis long-tems savammant hypochondre, ne peut goûter de plaisir, tant qu’un bouclier qu’il voudroit considérer n’est pas net ; & Curion inquiet à la vue d’un beau revers, soupire après un Othon, tandis qu’il oublie sa mariée. » Pope s’adresse ensuite à M. Addisson, de la maniere suivante : « la vanité est leur partage, & le savoir le tien. Retouchée de ta main, la gloire de Rome brille d’un nouvel éclat ; ses dieux & ses héros reparoissent avec honneur ; ses guirlandes flétries refleurissent. Etude attrayante, elle plaît à ceux que la poésie charme : les vers & la sculpture se donnent la main ; un art prête des images à l’autre ».

Addisson mit au jour en 1704 son poëme, intitulé la Campagne, sur les succès du duc de Marlborough, où se trouve la comparaison si fort applaudie de l’ange.

En ce jour, le plus grand de sa noble carriere,
L’ame de Marlborough se montre toute entiere,
Ferme, & sans s’émouvoir dans le choc furieux,
Qui porte la terreur & la mort en tous lieux ;
Il voit tout, pense à tout, & sa haute prudence
Ne laisse en nul endroit desirer sa présence.
Il soutient au besoin tous les corps ébranlés ;
Les fuyards au combat par lui sont rappellés ;
Et tranquille toujours dans le sein de l’orage
Qu’excitent sous ses loix, le dépit, & la rage,
Il en regle à son gré les divers mouvemens.
« Tel l’ange du seigneur, lorsque les élemens
Par lui sont déchainés contre un peuple coupable,
Et que des ouragans le tonnerre effroyable
Gronde ; comme n’aguére Albion l’entendit :
Pendant que dans les airs d’éclats tout retentit,
Le ministre du ciel, calme, & serein lui-même,
Sous les ordres vengeurs du monarque supréme,
Des bruyans tourbillons anime le courroux,
Et des vents qu’il conduit, dirige tous les coups. »

On ne peut opposer à la beauté de cette peinture, que le morceau encore plus beau du paradis perdu de Milton, l. b. où il représente le fils de Dieu chassant du ciel les anges rebelles, vers VI. 825-855.

On sait qu’Addisson a eu beaucoup de part au Tatler ou Babillard ; au Spectateur, & au Guardian ou Mentor moderne, qui parurent dans les années 1711, 1712, 1713, & 1714. Les feuilles de sa main dans le Spectateur, sont marquées à la fin par quelques unes des lettres du mot de Clio. Le chevalier Steele dit spirituellement à la tête du Babillard. « Le plus grand secours que j’ai eu, est celui d’un bel-esprit, qui ne veut pas me permettre de le nommer. Il ne sauroit pourtant trouver mauvais que je le remercie des services qu’il m’a rendus ; mais peu s’en faut que sa générosité ne m’ait été nuisible. Il regne dans tout ce qu’il écrit, tant d’invention, d’enjoument & de savoir, qu’il m’en a pris comme aux princes, que le malheur de leurs affaires oblige à implorer la protection d’un puissant voisin : j’ai été presque détruit par mon allié ; & après l’avoir appellé à mon secours, il n’y a plus eû moyen de me soutenir sans lui. C’est de sa main que viennent ces portraits si finis d’hommes & de femmes, sous les différents titres des instrumens de Musique, de l’embarras des nouvellistes, de l’inventaire du théatre, de la description du thermometre, qui sont, les principales beautés de cet ouvrage ».

En 1713, M. Addison donna sa tragédie de Caton, dont j’ai déja parlé ailleurs, Pope en fit le prologue, & le docteur Garth l’épilogue. Elle a été traduite en italien par l’abbé Salvini, & c’est la meilleure de toutes les traductions qu’on en ait faites.

Le roi nomma Addisson secrétaire d’état en 1717, mais sa mauvaise santé l’obligea bien-tôt de résigner cet emploi. Il mourut en 1719 à 47 ans, & fut enterré dans l’abbaye de Westminster. Mylord Halifax l’avoit recommandé au roi, pour le secrétariat, & madame Manley n’a pas manqué de témoigner sa douleur, de ce que ce beau génie avoit quitté les lettres pour la politique. « Quand je considere, dit-elle, dans la galerie de Sergius, (mylord Halifax,) je ne puis lui refuser quelque chose qui approche d’une priére, comme une offrande que lui doivent tous ceux qui lisent ses écrits. Qu’il est triste que de misérables intérêts l’ayent détourné des routes de l’Hélieon, l’ayent arraché des bras des muses, pour le jetter dans ceux d’un vieux politique artificieux ! pourquoi faut-il qu’il air préféré le gain à la gloire, & le parti d’être un spectateur inutile, à celui de célébrer ces actions, qu’il sait si dignement caractériser, & embellir ! comment a-t-il pu détourner ses yeux de dessus les jardins du parnasse dont il étoit en possession, pour entrer dans le triste labyrinthe des affaires. Adieu donc, Maron (nom qu’elle donnoit à M. Addisson), tant que vous n’abandonnerez pas votre artificieux protecteur, il faut que la renommée vous abandonne ».

Un grand poëte de notre tems a été accusé d’amis au jour après la mort de M. Addisson, une critique amere & pleine d’esprit contre lui. Voici ce qui le regarde dans cette piece, où l’on attaque aussi d’autres écrivains.

Laissons de pareils gens en paix ! mais s’il se trouvoit un homme inspiré par Apollon lui-même, & par la gloire, enrichi de toutes sortes de talens, & de tout ce qu’il faut pour plaire ; né pour écrire avec agrément, & pour faire trouver des charmes dans son commerce ; porteroit-il l’ambition jusqu’à ne pouvoir souffrir, à l’exemple des Ottomans, un frere près du trône ? Le regarderoit-il avec mépris, ou même avec frayeur ? Le hairoit-il, parce qu’il appercevroit en lui les mêmes qualités qui ont servi à sa propre élévation ? Le blameroit-il, en feignant de le louer ? Lui applaudiroit-il en le regardant de mauvais-œil ? & apprendroit-il aux autres à rire, sans sourire lui-même ? Souhaiteroit-il de blesser, tandis qu’il craindroit de porter le coup ? Habile à démêler les fautes, seroit-il timide à les désapprouver ? Seroit-il également réservé à distribuer le blâme & la louange, ennemi craintif, & ami soupçonneux ? Redouteroit-il les sots, & seroit-il assiégé de flatteurs ? Obligeroit-il de mauvaise grace ? Et lorsque deux rivaux se disputent le prix, leur donneroit-il raison à tous deux, en préférant toutefois le moins digne ? Tel que Caton, ne seroit-il occupé qu’à donner la loi dans son petit sénat, & à relever son propre mérite ; tandis que ceux qui l’environnent, admirent tout ce qu’il dit, & s’épuisent en louanges extravagantes ? Ciel, quel malheur s’il se trouvoit un tel homme ! & qu’il seroit affligeant que ce fut A. n.

On a accusé fortement, à l’occasion de ces vers, Pope d’ingratitude vis-à-vis de M. Addisson ; cependant l’auteur de la Dunciade, a défendu M. Pope de cette grave accusation, en attestant toutes les personnes de probité, qui, dit-il, plusieurs années avant la mort de M. Addisson, ont vû & approuvé les vers dont il s’agit ici, non à titre de satyre, mais de reproche d’ami, envoyés de la main même du poëte à M. Addisson, & d’ailleurs ce sont des vers que l’auteur n’a jamais publiés. (Le chevalier de Jaucourt.)