L’Enfer des femmes/Lydie seule

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H. Laroche et
E. Dentu, éditeur. A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie (p. 121-124).


LYDIE SEULE


En rentrant dans sa chambre, Lydie chercha vainement du regard, sa chère Violette n’était pas là. Que faire ? Il y avait, près de son lit, une sonnette dont elle ne s’était pas encore servie ; elle l’agita dans l’espoir que sa petite amie viendrait. Ce fut Jacques qui entra.

— Où est ma femme de chambre ? demanda-t-elle en tremblant.

Mademoiselle de Cournon était heureuse depuis si peu de temps, qu’elle craignait de voir s’enfuir tout ce qui pouvait lui plaire.

— Mademoiselle Violette n’est point rentrée, on apporte à l’instant une lettre de sa part.

— Pour moi ? Cette lettre, où est-elle ?

— La voici. Je la montais. Demain, une autre femme de chambre doit être aux ordres de mademoiselle.

— Merci, c’est bien dit Lydie. Le domestique sortit, elle brisa le cachet du billet et avec toute la difficulté causée par son émotion et l’orthographe de la modiste, elle lut :

Mademoiselle,

Le bon Dieu a pris votre idée ; il m’a rendue bien heureuse, je dirais parfaitement heureuse, si j’étais près de vous, mais cela m’est défendu. Pourtant j’espère obtenir la permission de vous faire une visite, une seule. Attendez-moi dans deux jours. Je vous raconterai tout ce qui m’est arrivé. C’est féerique.

Je vous aime autant de loin que de près ; gardez-moi ma place dans votre cœur et n’allez pas le donner tout entier au beau mari qu’on vous destine. Aimez-moi bien, je vous en prie.

Violette.

Lydie lut et relut cette lettre à laquelle elle ne comprenait qu’une chose, c’est que son amie la quittait. Comment se faisait-il que Violette dont le caractère était, en apparence, si indépendant n’osait rien dire sur sa position ? Pourquoi cette discrétion ? Pourquoi ne revenait-elle pas de suite ? Le chagrin l’empêcha de trop penser à son futur mari. Elle avait subi son influence quand il était là ; mais se trouvait beaucoup plus libre en son absence. Elle se proposait de l’étudier sérieusement à l’avenir. Le lendemain il ne lui fut pas plus possible de le faire que les jours suivants. Cet homme avait sur elle une puissance qui s’agrandissait de plus en plus. Le surlendemain, mademoiselle de Cournon attendit Violette qui ne vint pas. Privée de cette première affection, elle cherchait à se réfugier dans la personne qui paraissait l’aimer. Dunel était jeune, gai et chaque jour sa passion augmentait. Il était d’une amabilité et d’une prévenance irrésistibles pour une jeune fille dont jamais personne ne s’était occupé. Lydie s’enivrait du plaisir d’être aimée et réchauffait son cœur glacé par l’abandon. Elle renonça bien vite à retourner au couvent. Ne croyant pas, et avec raison, qu’il fût possible de jouer de pareils sentiments, elle se trouvait redevable d’affection envers cet être qui paraissait et était effectivement très amoureux d’elle.

Pensant inspirer un véritable amour, et croyant aimer elle-même, mademoiselle de Cournon en conclut qu’elle n’avait pas à chercher plus loin.

Comme leur cousine avait manifesté le désir de connaître M. Dunel avant de l’accepter pour mari, le comte et la comtesse leur laissèrent toute la liberté possible, afin qu’ils se connûssent plus vite. Du reste, ils ne doutaient pas que ce mariage ne se fit par la tournure que prenaient les choses.

Lydie avait promis de se prononcer dans une semaine. Le matin du huitième jour, elle était seule dans son appartement pensant à sa chère Violette, qu’elle commençait à se rappeler comme un rêve. La nouvelle femme de chambre à qui mademoiselle de Cournon ne demandait jamais rien entra, lui annonçant qu’une jeune personne désirait lui parler.

— C’est elle ! qu’elle entre, s’écria Lydie en courant à la rencontre de son amie.