L’Exercice du pouvoir/Partie IV/5 décembre 1936

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Gallimard (p. 189-201).

Le 5 décembre, à la séance de la Chambre, Léon Blum prit la parole, pour répondre aux interpellations sur la politique extérieure. Il s’agissait essentiellement du maintien de la politique de non-intervention en Espagne, contre laquelle le parti communiste menait une vive campagne :

Messieurs, ce grand débat touche à son terme. Dans quelques instants, vous aurez à vous prononcer sur l’ordre du jour.

Le Gouvernement accepte celui qu’ont signé mes amis MM. Février, Campinchi, Lafaye et Renaitour, et il n’en aurait pas accepté d’autre.

Il souhaite ardemment que, dans les conjonctures actuelles, cet ordre du jour soit voté par la Chambre tout entière. Mais, vous trouverez naturel qu’il adresse un appel particulier à la majorité, à tous les groupes qui composent la majorité.

Notre politique extérieure s’est inspirée de deux principes simples : la résolution de placer au-dessus de tous autres intérêts celui de la France et la conviction que la France n’a pas de plus grand intérêt que celui de la paix, la certitude que la paix française n’est pas divisible de la paix européenne.

Tous les groupes de la majorité et, j’en suis convaincu, la Chambre entière sont d’accord sur de tels principes.

Je n’accuserai personne de vouloir pousser directement ou indirectement à la guerre. Tout le monde en France veut la paix. Tout le monde exprime cette volonté avec la même ardeur et, je me garderai bien d’en douter, avec la même sincérité. Tout le monde comprend que ni la guerre, ni par conséquent la paix, ne peuvent plus aujourd’hui être cantonnées dans des frontières et qu’un peuple ne peut se préserver du fléau qu’en contribuant à en préserver tous les autres.

Cependant, messieurs, malgré cet accord fondamental, je suis obligé de constater que les interpellateurs nous ont assez discrètement ménagé les éloges.

La plupart des orateurs de l’opposition, à commencer par mon ami M. Paul Reynaud, sont venus affirmer tour à tour que la composition de la majorité et les exigences de notre action intérieure nous condamnaient, sur le plan international, soit à la contradiction, soit à l’impuissance. Et, d’autre part, sur la plus grave et, en tout cas, sur la plus émouvante des questions actuelles, sur la question espagnole, une commune volonté de paix nous laisse cependant en divergence pratique avec un des groupes de la majorité, avec le groupe du Parti Communiste.

J’ai traité cette question ailleurs. Je n’en ai jamais parlé devant la Chambre. Bien que, en réalité, je n’aie rien à ajouter aux déclarations de mon ami M. Yvon Delbos, avec qui j’ai toujours agi dans la plus loyale et la plus affectueuse solidarité, la Chambre me permettra sans doute de lui fournir cependant quelques explications personnelles.

Je répète, après le Ministre des Affaires étrangères, qu’il n’y a pour nous, en Espagne, qu’un seul Gouvernement légal, ou, pour mieux dire, qu’un seul Gouvernement. Les principes de ce qu’on pourrait appeler le droit démocratique coïncident à cet égard avec les règles incontestées du droit international.

Je reconnais que l’intérêt direct de la France comporte et appelle la présence sur le sol espagnol d’un gouvernement ami et d’un gouvernement indépendant d’autres influences européennes. Je conviens sans hésiter que l’installation en Espagne d’une dictature militaire liée par des liens trop étroits de reconnaissance vis-à-vis de l’Allemagne et de l’Italie ne représenterait pas seulement une atteinte à la cause internationale de la démocratie, mais une inquiétude — je ne veux pas dire plus — pour la sécurité française et, par conséquent, une menace pour la paix.

Je suis d’accord là-dessus avec la démonstration qu’a apportée à la tribune M. Gabriel Péri. Je déplore même qu’une vérité si claire n’ait pas été perçue, dès le premier instant, par la totalité de l’opinion française et de l’opinion internationale et qu’elle ait été obscurcie par des passions ou par des ressentiments de parti.

J’ajoute — et je pense que dans cette Chambre personne ne me fera l’injure de s’en étonner — que je n’entends pas, un seul instant, renier l’amitié personnelle qui me lie aux socialistes et à beaucoup de républicains espagnols et qui continue à m’attacher à eux, malgré la déception amère qu’ils éprouvent et qu’ils expriment aujourd’hui à mon égard.

Je sais tout cela. Je sens tout cela.

Et, pour aller jusqu’au bout de cette espèce de confession publique, j’ajouterai que, après le 8 août, un certain nombre de nos espérances et de nos prévisions ont été, en effet, trompées ; que nous tous, nous espérions une signature plus prompte du pacte de non-immixtion, déjà exécuté par nous d’avance ; que nous escomptions une observation plus exacte des engagements contractés par les gouvernements.

La politique de non-immixtion, à bien des égards, n’a pas donné tout ce que nous en attendions. Oui. Mais, messieurs, est-ce une raison pour la condamner ?

Il faut qu’ici, les uns et les autres, nous allions jusqu’au bout de notre pensée.

Si vraiment, au nom de la liberté internationale, au nom de la sécurité française, nous devons à tout prix empêcher l’établissement victorieux de la rébellion sur le sol d’Espagne, alors je déclare que la conclusion de M. Gabriel Péri et de M. Thorez ne suffit pas.

Il ne suffit pas de dénoncer l’accord de non-immixtion. Il ne suffit pas de rétablir entre l’Espagne et la France la liberté du commerce des armes.

Le libre commerce des armes entre l’Espagne et la France, ce ne serait pas alors un secours suffisant, bien loin de là.

Non ! Pour assurer le succès de la légalité républicaine en Espagne, il faudrait aller plus loin, beaucoup plus loin. Il faudrait s’engager beaucoup plus avant.

Dans de telles conditions, la vérité — les événements l’ont prouvé — c’est que seul un Gouvernement peut réellement en armer un autre. Pour être vraiment efficace, le secours devrait être gouvernemental. Il devrait l’être au point de vue du matériel, comme au point de vue du recrutement. Il devrait comporter, sous couleur de fournitures, un prélèvement d’armes dans les stocks, et, sous couleur d’engagements volontaires, un prélèvement d’hommes dans les unités.

C’est cela que disait, en réalité, hier, M. le ministre des Affaires étrangères, dans une phrase que je ne crois pas que M. Maurice Thorez ait exactement interprétée, car elle visait avant tout ce cas. Je la relis :

« Mais leur afflux est devenu tel… » — il s’agit de l’afflux des volontaires étrangers — « … et surtout il pourrait prendre un tel caractère qu’on en vient à se demander si la responsabilité des États ne risque pas d’être engagée, ce qui serait un péril peut-être plus grave encore que celui d’envois d’armes massifs et directs. »

À quoi cela revient-il ? Cela revient à dire que la liberté du commerce devrait devenir, bon gré mal gré, quoi qu’on en ait, quelles que soient les intentions et les résolutions du départ, une intervention de fait, une intervention de moins en moins dissimulée.

Voilà la conséquence logique, voilà la conséquence pratique.

Et cependant, on ne nous la propose pas. Et M. Maurice Thorez à cette tribune, il y a un instant, se défendait énergiquement de la proposer.

Pourquoi ? Mais précisément parce qu’on sent bien, messieurs, les dangers et les risques qu’elle recèle, parce qu’elle ajouterait un risque et un danger de plus à ceux qui pèsent déjà si lourdement sur la paix. Et à l’inverse, la politique de non-immixtion, malgré les froissements, malgré les surprises, les déceptions, les déchirements qu’elle a pu causer, a du moins diminué ces risques et atténué ces dangers.

On nous a affirmé que nous nous les étions exagérés, que nous avions, sommé toute, cédé à la menace plutôt qu’au péril. On nous a assuré que si nous nous étions maintenus fermement au mois d’août sur le terrain du droit international — et nous maintenir strictement sur le terrain du droit international, cela aurait voulu dire : revendiquer notre droit de secourir le Gouvernement légal tout en interdisant à l’Allemagne, à l’Italie et au Portugal de secourir les rebelles — on nous a assuré que nous aurions alors fait reculer les États autoritaires.

On nous a objecté que, en tout cas, la concurrence et la surenchère des fournitures n’auraient pas entraîné des conséquences aussi terribles, aussi dramatiques que celles que nous avons redoutées, puisque, somme toute, depuis la fin d’octobre, l’Union des républiques soviétiques, après l’Allemagne et l’Italie, et pour rétablir l’équilibre, a procédé à des livraisons d’armes à la République espagnole et que, cependant, il n’en est pas sorti la guerre.

Messieurs, je crois, moi, tout au contraire, que, au mois d’août dernier, l’Europe a été au bord de la guerre, et je crois qu’elle a été sauvée de la guerre par l’initiative française.

Je ne puis pas le prouver, assurément. Je ne puis pas prouver que la guerre aurait éclaté sans le pacte, puisque, précisément, le pacte a été conclu. Mais je garde cette conviction au fond de moi-même, et, sans pouvoir entrer ici dans le détail des indices et des témoignages, je puis cependant assurer la Chambre que je ne suis pas seul à l’éprouver, je ne dis pas seulement en France, mais hors de France, et, parmi les témoignages auxquels je pense, il en est certains qui surprendraient peut-être l’Assemblée.

D’autre part, je suis porté à récuser la preuve tirée des livraisons soviétiques. Pourquoi ? Mais, messieurs, parce qu’il y a une hypothèse que, pour ma part, je considère comme infiniment plausible. Je crois que si les livraisons russes ont pu répondre aux livraisons allemandes et italiennes sans provoquer de conflit armé, cela tient précisément à la rémission psychologique, à l’espèce d’abaissement de température européenne que le pacte de non-immixtion avait permis de déterminer ; cela tient au commencement d’organisation européenne qui avait pu se constituer autour du comité de Londres.

Mais, si la température remontait, si l’organisation de Londres se dissociait, si chaque nation reprenait sa liberté, est-ce que le danger ne renaîtrait pas ? Et est-ce qu’il ne vous apparaît pas, à bien des signes, qu’il est précisément en train de renaître ?

Alors, est-ce que la solution ne serait pas aujourd’hui comme hier, à Genève comme à Londres, d’obtenir malgré tout que l’organisation se consolide, qu’enfin les engagements cessent d’être une duperie, qu’enfin leur validité soit garantie ?

Ce que nous avons cherché dans le pacte d’hier, est-ce qu’aujourd’hui ce n’est pas, avant tout, dans la sévérité et dans l’efficacité du contrôle que nous devons essayer de le trouver ?

Voilà ma conviction, messieurs, que je partage avec le ministre des Affaires étrangères, et avec le Gouvernement.

Je veux aller plus loin dans ma pensée. Quand bien même les critiques qui nous ont été adressées seraient fondées, à quoi se ramèneraient-elles donc ?

Personne ne peut contester et personne n’a discuté nos intentions. Nous avons eu l’intention de préserver la paix, personne n’en doute. Notre but, on le connaît : c’est la paix.

Qu’est-ce que l’on pourrait nous reprocher ? D’avoir dépassé le but ? D’avoir trop redouté la guerre ? D’avoir trop fait pour la paix ? S’il y avait une erreur de notre part, messieurs, ce serait celle-là. Eh bien ! nous pouvons nous accommoder d’un tel reproche.

Et s’il faut choisir, nous aimons mieux avoir exagéré un risque de guerre que de l’avoir méconnu. Erreur pour erreur, nous préférons avoir trop fait pour la paix que trop peu. Nous aimons mieux avoir péché par excès, si nous avons péché, que d’avoir péché par insuffisance.

En réalité, vous sentez bien que nous touchons ici le point central du débat.

Certains de nos amis de la majorité et aussi, je le sais, quelques-uns de mes amis de l’opposition, redoutent que nous n’allions trop loin dans notre volonté de paix, ou plus exactement, ils redoutent que notre volonté de paix ne nous fasse faire fausse route.

Ils pensent que c’est par la fermeté qu’on prévient la guerre et qu’au contraire on risque de la rendre plus prochaine ou plus certaine par je ne sais quel zèle pusillanime de la paix.

Toutes les positions, pensent-ils, sont ainsi livrées, abandonnées l’une après l’autre sans avoir été défendues. L’esprit d’entreprise et d’audace s’encourage par les faiblesses, par les concessions, par les capitulations.

Les États autoritaires, plus aptes en effet aux préparatifs secrets et aux initiatives brusquées, s’habituent à placer l’Europe devant les faits accomplis, et, ainsi, on en vient, dit-on, à ruiner par la base les conditions essentielles de la paix à force de vouloir à tout prix écarter ou détourner toutes les possibilités de guerre.

Voilà l’argument. Je crois sentir ce qu’il peut contenir de vérité. Moi-même, au mois de juillet, à Genève, je me rappelle avoir parlé de cette contagion de l’exemple et, ce qui est pis encore, disais-je, de cette contagion du succès.

Mais je me suis toujours souvenu du mot d’un homme d’État d’il y a un siècle. « Je n’ai jamais adressé d’ultimatum, disait-il, sans être prêt à l’appuyer par le canon. »

Il arrivera peut-être un jour où, en présence d’une entreprise trop menaçante pour les conditions essentielles de la paix, nous serons amenés à dire : « Non, pas cela. Impossible d’aller plus loin. »

Il arrivera peut-être un jour que nous le disions, comme on doit le dire, mais comme on a seulement le droit de le dire, c’est-à-dire avec la calme et ferme résolution d’aller jusqu’aux conséquences extrêmes de notre parole. On n’a pas le droit de le dire autrement.

Tout gouvernement français digne de la France peut être réduit à envisager cela, s’il s’agit de l’intégrité de notre sol ou de l’intégrité des territoires que protège notre signature, s’il s’agit du respect des obligations que nous avons contractées, soit en vertu du pacte général de la Société des nations, soit en vertu des pactes et des engagements particuliers qui le corroborent.

De telles éventualités ne peuvent pas, hélas ! être exclues, être chassées de l’esprit. Certes, le Gouvernement lutterait désespérément, je le déclare, pour les prévenir ou pour les détourner. Il se raidirait jusqu’à l’extrémité de l’effort possible. À aucun moment, en aucune circonstance, il ne s’abandonnerait à la plus funeste de toutes les idées, l’idée de la fatalité de la guerre.

Mais si, malgré tout, ce danger devait jamais se rapprocher de trop près, il y a, du moins, un devoir suprême, qui pèserait sur nous. Responsables du salut de ce pays, tant que la direction de ses affaires est remise entre nos mains, notre devoir serait de veiller à ce que cette occasion terrible ne se présentât pas dans des conditions, Thorez, où la France précisément risquerait d’être isolée, où nous trouverions l’Europe incertaine, ou plus qu’incertaine et la France divisée.

Et je crois bien qu’en invoquant, comme je viens de le faire, ce devoir suprême, j’ai apporté ici notre suprême justification.

Messieurs, j’ai dit l’essentiel, mais ce n’est pas cependant, vous le comprendrez, sur de si sombres perspectives que je voudrais conclure.

J’ai parlé il y a un instant de lutte désespérée. C’est une formule verbale, mais je ne renonce en aucune manière, et je déclare que je ne renoncerai jamais, à l’espoir d’écarter de l’Europe la catastrophe sans nom qui paraît à certains moments suspendue sur elle.

Cet espoir n’est pas fait de chimères, il n’est pas gonflé de vanité, je le sens se fortifier en moi quand j’essaie d’envisager l’ensemble de l’Europe et de faire la revue, le dénombrement, à la mode homérique, de toutes les forces de paix.

Mon ami M. Paul Reynaud a parlé de notre inertie. J’ai été surpris mais flatté de retrouver dans sa bouche la formule déjà populaire : « Blum à l’action. »

Je ne pense pas qu’il ait apprécié équitablement l’œuvre accomplie par le Gouvernement, et spécialement par son Ministre des Affaires Étrangères, en six mois d’une existence assez laborieuse.

Nous ne sommes pas isolés en Europe. Nous avons, dans une large mesure, donné un corps à cette formule qui terminait notre déclaration ministérielle : « rendre confiance à l’Europe pacifique. »

Ce n’est pas le lieu de dresser un bilan de la situation créée par des événements remontant déjà à quelques années et, d’ailleurs, on ne dresse pas un bilan diplomatique comme mon ami Vincent Auriol a pu dresser un jour, à cette tribune, le bilan économique et financier de l’état de choses qui nous était légué.

M. Yvon Delbos vous a montré hier quelle était la situation actuelle. Il a placé au premier rang l’étroite cordialité de nos rapports avec l’Angleterre, et il a eu raison, car nos autres amis sont unanimes à reconnaître et à déclarer que l’accord franco-anglais réagit sur l’ensemble, sur tout le reste des relations internationales.

Où en étaient cependant les rapports de la France et de la Grande-Bretagne après l’affaire d’Éthiopie et après la crise du 6 mars, qui a été sa conséquence directe ?

Voilà une donnée à laquelle il y a à peu près exactement un an, à cette même tribune, M. Paul Reynaud me paraissait attacher plus de valeur.

La Chambre l’a bien compris, puisqu’elle a salué hier d’unanimes applaudissements le passage culminant du discours de M. Yvon Delbos, celui où il déclarait que l’ensemble des forces françaises viendrait spontanément et immédiatement à l’appui de la Grande-Bretagne, en cas d’agression non provoquée, tout comme à l’appui de la Belgique.

Nous avons d’autre part, entretenu dans sa réalité et dans sa vérité ce pacte franco-soviétique dont nous parlons tout haut, dont nous ne rougissons pas, et dont personne ici, pas même ses adversaires, ne supporterait, j’imagine, qu’une pression étrangère quelconque prétendît nous imposer l’abandon.

Nous avons resserré les liens d’amitié qui nous unissent à la Petite Entente, et j’espère que nous les resserrerons encore.

Nous avons restitué leur pleine vertu aux accords qui nous unissaient avec la Pologne. Nos relations avec la Turquie, en dépit d’une difficulté occasionnelle, n’ont jamais été empreintes de plus d’amitié.

Je n’entends pas faire une énumération complète, mais je puis bien ajouter que l’opinion du Nouveau Monde, qu’il s’agisse des Républiques hispano-américaines, qu’il s’agisse du Dominion du Canada, qu’il s’agisse des États-Unis, nous manifeste la plus active sympathie et nous nous enorgueillissons de trouver dans le discours récent du président Roosevelt, l’expression magnifique de notre propre pensée, de notre propre idéal.

Vis-à-vis de l’Allemagne et de l’Italie, est-ce que nous avons été inertes ? Non. C’est nous qui, à Londres, au mois de juillet, avons rendu possible la convocation de la conférence locarnienne. Et nous demeurons prêts sur tous les modes, sur tous les terrains, aux conversations politiques, économiques, techniques, qui permettraient un règlement général des problèmes européens, c’est-à-dire le retour de l’Europe à son état normal, c’est-à-dire — si vous me permettez cette expression — la remise de l’Europe sur le pied de paix.

Je fais, en effet, allusion ici au désarmement, comme M. Pierre-Étienne Flandin s’y attendait. Je ne le fais ni par manie ni par malice ; je le fais parce que je ne perds pas ma conviction que le désarmement reste une condition substantielle de la sécurité des peuples, et parce que l’expérience m’a appris, comme elle lui a appris à lui-même, que c’est toujours de l’excès devenu intolérable des charges militaires et du danger croissant que la concurrence des armements engendre pour les peuples, que l’idée du désarmement était sortie.

Messieurs, telle est notre politique.

Je crois qu’elle a fortifié la France hors de France. Je crois qu’elle a fortifié la majorité républicaine dans l’ensemble du pays.

Nous demandons à la Chambre de l’approuver.

Je n’ai jamais, depuis six mois, posé devant la Chambre la question de confiance. Je ne croyais pas avoir à le faire jamais. Je la pose cependant aujourd’hui. Non pas que j’aie un seul instant l’intention d’exercer par là, sur un groupe de la majorité, une pression qui n’est ni dans mes goûts, ni dans mes usages, ni dans mes sentiments. Je le fais parce que le moment est trop sérieux pour qu’aucun trouble, pour qu’aucun doute puisse subsister dans l’opinion.

À la veille du congrès de Biarritz, parlant dans une fête du Parti Radical, j’ai déclaré avec quelque solennité que je n’accepterais jamais, quant à moi, de voir le Parti Communiste rejeté hors de la majorité par une pression du dehors. J’ai dit qu’à mes yeux le Gouvernement de Front Populaire perdrait alors sa raison d’être. Si, aujourd’hui, le Parti Communiste avait dû se détacher volontairement de la majorité, s’il avait dû désavouer par son vote l’action du Gouvernement dans une question d’une telle importance, la situation serait la même et la conséquence serait la même.

C’est à lui, bien entendu, qu’il a appartenu, et appartient encore, de peser si une divergence de vues, que je n’ai pas cherché plus que lui à dissimuler, doit entraver l’œuvre politique et sociale que nous avons entreprise ensemble il y a six mois.

Quant à moi, je suis et je reste l’homme d’une seule parole. Je fais le souhait ardent, non seulement que nous franchissions une difficulté d’une heure, mais que nous la surmontions dans des conditions telles que l’action commune de demain puisse se poursuivre entre nous en pleine confiance et en pleine loyauté.

La Chambre connaît les circonstances qui m’ont conduit à m’adresser ainsi à la majorité habituelle d’un Gouvernement, à ce que je me permettrai d’appeler sa majorité organique.

Mais je ne veux quitter la tribune que sur un appel adressé à l’Assemblée entière.

Je lui demande de mesurer en pleine conscience l’effet que produira au dehors le vote qui sera émis ici tout à l’heure.

Je lui demande de faire ce qu’après tout nous avons fait nous-mêmes, c’est-à-dire de surmonter des passions ou des préventions, de surmonter des solidarités ou des craintes et de ne penser qu’aux deux grandes causes à la fois nationales et universelles qui, dans notre esprit, sont indissolublement liées, celle de la France républicaine et celle de la paix.