L’Exilé (Abrantès)/6

La bibliothèque libre.
Dumont (p. 333-375).


VI


M. d’Erneville était amoureux de Sarah comme on aime une femme dans une intrigue, et non pas une liaison. Cette différence est grande : dans l’une, l’amour des sens pourrait être inconnu, dans l’autre il y domine, il y est presque exclusif. La beauté remarquable de Sarah, sa touchante pudeur, cette fleur si fraîche et si odorante de naïveté qu’on respirait autour d’elle, avaient inspiré à l’homme corrompu, au libertin, des désirs qui furent éteints presque aussitôt qu’ils furent satisfaits. Un stimulant très-actif toutefois demeurait attaché à cette infortunée pour éterniser son malheur ; c’était les difficultés qu’il trouvait pour revenir à elle. Dominée par son bourreau devenu son maître, la douce victime obéissait à ce maître lorsque d’une voix rude il disait : Viens ici ! … Elle arrivait à lui, les yeux pleins de larmes, le cœur gonflé de sanglots, et, tremblante, palpitante comme la victime sous le couteau du sacrifice, elle était contrainte de subir l’horrible amour de ce serpent qui l’enlaçait de ses anneaux. — Elle tombait à genoux, et elle lui demandait grâce ! grâce !… Un jour elle crut apercevoir dans ses yeux un mouvement de pitié !… elle redoubla sa prière !

— Sarah, lui dit-il en la rapprochant de lui… savez-vous que vous êtes bien belle quand vous pleurez ?…

Depuis ce jour, la malheureuse n’osait même plus pleurer devant lui et grimaçait un sourire avec les yeux pleins de larmes… Car, disait-elle, je voudrais qu’il me repoussât !…

Une pareille existence ne se peut rencontrer. Les souffrances de Sarah en vinrent à un degré que la nature ne pouvait supporter, Sarah était pâle et amaigrie, on ne retrouvait plus en elle cette jeune et belle femme, dont tout Paris admirait la fraîcheur de rose ! Deux ans auparavant, elle avait une bouche fraîche, des dents de perles, des lèvres rouges comme du corail, une peau veloutée, et des yeux dont l’émail brillant annonçait la force et révélait la vigueur da jeune femme, et de jeune femme heureuse. On voyait que ses lèvres ne s’ouvraient que pour sourire, que ses yeux ne donnaient que des regards paisibles et ne s’animaient que par l’amour ; maintenant, ses lèvres pâles souriaient bien encore, mais comme par dérision et pour laisser voir ses dents, dont l’émail jauni annonçait une santé perdue. Et ses yeux, gonflés par les larmes, ne devaient plus se lever vers le ciel que pour lui demander de l’appeler à lui.

Le général de Sorcy avait aimé Sarah passionnément, et il l’aimait même encore. Cependant cet amour avait été traversé par celui de madame de Vauchamps. Cette femme aimait véritablement aussi le comte de Sorcy… une tendresse véritable est toujours partagée.

Alfred, au moment de son exil, avait été trompé sur le compte de madame de Vauchamps. Obligé de s’éloigner sans éclaircir le fait, il crut qu’elle était infidèle. Il partit avec cette conviction. Irritée d’être soupçonnée injustement, la marquise ne voulut pas se justifier… le mariage se fit !… À cette époque, Alfred avait vraiment de l’amour pour Sarah ; la passion que cette jeune et candide créature ressentait pour lui le toucha, et il se maria. En revenant à Paris, il ne voulait pas revoir Louise ; il la redoutait même coupable ! Que devint-il lorsqu’un jour elle le rencontra au bal de l’Opéra et se disculpa avec une clarté qui repoussait tous les doutes !… Elle était innocente !… elle était veuve !… et lui était infidèle et marié !… Alfred avait de violentes passions, l’amour était chez lui la plus terrible de toutes ! Il ne comprit plus la vie comme il se l’était faite ; il tomba aux pieds de celle qu’il avait trahie, lui demanda de la revoir, la revit !… et Sarah fut, à son tour, abandonnée à une douleur dont Alfred s’éloigna presque entièrement pour n’en être pas témoin ; et un an n’était pas écoulé depuis leur mariage, que tous deux étaient malheureux au point de souhaiter l’un la dissolution du mariage, l’autre… la mort !…

Un jour, chez madame de Vauchamps, Alfred paraissait soucieux… elle était pour lui dans ces momens-là, un ange de douceur et de bonté.

— Qu’avez-vous ? lui dit-elle en souriant doucement. Ce chagrin est-il de ceux qui peuvent être révélés ?

— Alfred garda le silence ; Louise n’insista pas. Le lendemain elle renouvela sa question ; Alfred n’y répondit pas encore. Enfin, le troisième jour, il dit à cette femme, qu’il regardait comme une seconde âme :

— Je crois que Sarah sait tout… Cette fois, j’ai plus que des soupçons. Le jour de la promenade du bois de Boulogne, elle fut alarmée par un mot inconséquent d’une de ses amies, qui me dit ensuite avoir réparé le mal en lui racontant une histoire assez bien arrangée. Mais depuis ce jour… elle aura rencontré probablement quelque autre personne plus méchante que madame de Bellay, et elle aura été instruite de ce que j’aurais voulu lui cacher. Car enfin elle m’aime… je lui dois mon existence, et sa conduite, parfaite envers moi, mérite sans doute une autre récompense… Madame de Vauchamps, en écoutant M. de Sorcy, souriait avec une sorte d’ironie. Alfred en fut péniblement affecté.

— Ne souriez pas ainsi, Louise, cela me fait mal… Que la rivalité ne vous rende pas injuste… Sarah est un ange de bonté, et elle sait aimer !…

Louise lui tendit la main en lui disant d’un ton de reproche : Et moi, Alfred !…

— Oh ! toi, ma Louise, toi !… et il baisa plusieurs fois la main qu’il tenait…

— Quelle raison avez-vous de croire votre femme instruite ?

— Son changement : elle pleure, elle maigrit, elle est dans un état alarmant.

— Son état est naturel… Madame de Vauchamps dit ce mot avec une sorte d’aigreur.

— Sa grossesse est naturelle ; sans doute, mais c’est à part cet état qu’elle m’inquiète.

— Vous allez vous emporter si je vous parle comme le ferait votre sœur si elle était ici ; et cependant il me faut vous avertir, car je vois, en outre, que vous prenez à gauche complètement dans cette affaire.

Le général regarda attentivement madame de Vauchamps. — Ignorez-vous donc les propos du monde, ou feignez-vous de les ignorer ?

— Quels propos ?

— Sur votre femme et M. d’Erneville !…

— René ! Eh ! qu’a-t-il à faire dans tout ceci ?

— Qu’a-t-il à faire dans toutes les aventures où il se trouve compromis et où il compromet les autres ?

Alfred devint d’une extrême pâleur.

— Louise, vous me connaissez, ne me parlez pas légèrement !…

— Pouvez-vous le croire ?…

— Eh bien qu’est-il donc arrivé ? que dit-on ?

— On dit que M. d’Erneville fait la cour à votre femme.

— Et que dit-on d’elle ?

— Rien de mal… Mais c’est déjà beaucoup que son nom soit mêlé à celui de René, l’homme le plus corrompu de Paris. Comment aussi l’avez-vous mis dans votre état-major ?

Parce que René a été élevé avec moi, et que je le connais pour un bon enfant, plus méchant en paroles qu’en actions, et surtout incapable de commettre celle de séduire ma femme.

Madame de Vauchamps sourit, et dit en levant les épaules : — Vous êtes absurde !

— Que dites-vous ?

— Que vous êtes absurde. Il ne faut jamais exposer son bien à la portée des voleurs.

AMred réfléchit un moment, et dit ensuite en se levant : — Je vous remercie, Louise ; je vais profiter à l’instant de vos avis.

— Qu’allez-vous faire ? demanda vivement madame de Vauchamps ; car le double rôle qu’elle jouait dans cette affaire était indigne d’un noble cœur.

— Ne craignez rien de moi, je sais ce que j’ai à faire ; adieu.

Madame de Vauchamps le retint encore par le bras. — Donnez-moi votre parole…

— Je vous la donne.

— De ne rien faire sans m’en avoir prévenue…

Alfred sourit.

— Oui.

— À mon tour, je vous défends de sourire ainsi… Alfred, au nom de notre amour que tant d’années ont consacré, au nom de mon repos, ne cherchez pas M. d’Erneville, n’ayez avec lui aucune explication… promettez-le-moi !

— Ceci, je puis vous le promettre, je vous en donne ma parole.

— Verbalement et par écrit… vous ne le chercherez d’aucune manière ?

— Mon Dieu ! vous croyez donc René bien redoutable !…

— Ce n’est pas cela… mais c’est l’éclat que lui-même ne manquerait pas de donner à cette rencontre… Votre femme est jeune et belle… il en serait ravi… Les propos tenus viennent peut-être de lui seulement.

— Si je le savais !

— Allons, voilà comme vous être tranquille !

— Comment voulez-vous qu’on le soit devant une telle probabilité ?… Mais, adieu ! le jour s’avance ; quelle heure est-il ?

— Deux heures.

— Adieu, cette fois ; à ce soir !

En sortant de chez madame de Vauchamps, Alfred alla trouver le maréchal duc de ******, dont il avait été l’aide-de-camp et de qui il était resté l’ami… Il parla au maréchal des bruits dont venait de l’entretenir madame de Vauchamps, et il fut confirmé dans leur vérité par le maréchal lui-même.

— Mais, dit le maréchal, le monde n’accuse que M. d’Erneville d’une passion qui n’est pas partagée, et le monde, qui voit juste, n’en veut pour preuve que l’état de consomption dans lequel est votre femme… Alfred, vous êtes coupable, et ce même tribunal vous juge sévèrement…

Alfred baissa les yeux.

— Votre jeune femme se meurt, et vous n’y donnez pas même l’attention qu’on accorderait à une étrangère… Vous semblez… pardon du mot… vous semblez attendre le moment de sa mort pour faire usage de votre liberté.

Alfred fit un mouvement d’horreur !…

— Mais que voulez-vous qu’on pense ? les propos du public ont été presque autorisés par votre conduite. Un mari qui abandonne sa femme aux soins d’un homme qui est le Lovelace de notre époque.

— Mais Réné d’Erneville est mon camarade de collège… il est mon aide-de-camp, et il donne le bras à ma femme pour la conduire à la promenade, aux Bouffes, comme j’étais aux ordres de madame la maréchale.

Le maréchal leva les épaules.

— Quelle comparaison vous faites là ! comment pouvez-vous comparer les deux positions ? La maréchale avait quarante ans lorsque vous en aviez vingt-deux… J’étais presque toujours à l’armée, et vous aussi ; vous n’aviez pas le temps de faire de complots avec ma femme ; et puis ensuite je lui étais fidèle, moi, à ma femme.

— Oh ! monsieur le maréchal !…

— Sans doute ; j’avais des intrigues passagères, mais jamais une liaison n’est venue troubler ma paix intérieure, jamais je n’ai fait pleurer en larmes de sang un bonheur perdu. Mon cher général, savez-vous jusqu’à quel point votre femme est malheureuse ?…

M. de Sorcy ne répondit pas.

— Je le sais, moi.

Alfred releva la tête vivement.

— Oui, je le sais, et je le sais par un de ces hasards qui ne se rencontrent pas assez souvent dans la vie pour le soulagement des cœurs souffrans… Vous savez que le jeune Dherbelay s’est marié : il a épousé la filleule de la maréchale, mademoiselle de Brunel. Le jour du mariage, nous allâmes à la messe de célébration dans la petite église de Saint-Louis-d’Antin. La maréchale et moi, nous assistâmes à la cérémonie et nous repartîmes ; mais, après la bénédiction, pour éviter de nous trouver avec la foule, nous nous retirâmes dans une chapelle latérale, la seule, je crois, qui existe dans cette petite église ; mais, à peine y fûmes-nous, que la maréchale me fit signe de ne pas troubler une dame qui sortait du confessionnal elle pleurait avec une telle abondance de larmes et poussait des sanglots si profonds, qu’elle nous intéressa sans la connaître. Ma femme se tint près d’elle, et moi je l’observai. Sa taille élégante, sa mise recherchée, tout ce qui l’entourait, et qui était vraiment remarquable, me donna, je vous le répète, un vif intérêt pour cette femme, dont les mains, encore dégantées et d’une beauté parfaite, étaient celles d’une personne jeune encore… Jugez de notre étonnement lorsque, cette même personne se retournant, nous reconnûmes en elle votre femme !… Son visage était couvert de larmes ; mais ce visage, toujours beau, n’avait plus cette même beauté que nous avions admirée à son arrivée en France… Elle était pâle… maigre ; ses yeux n’avaient d’autre éclat que celui de la fièvre, car ses mains étaient brûlantes et sa parole brève et saccadée… La maréchale, qui a, comme vous le savez, un cœur excellent, voulut connaître la cause de l’état de votre femme… et lui proposa de venir dîner avec nous… Elle accepta et passa auprès de nous la journée entière de lundi dernier… Ne vous en parla-t-elle pas le soir ?…

Alfred répondit que non ; il n’osa pas ajouter que souvent il restait trois jours entiers sans passer dans l’appartement de Sarah… Le maréchal le savait : mais il n’eut pas l’air de s’apercevoir de l’embarras de M. de Sorcy.

— Ma femme, désolée de voir l’épouse de l’homme que nous aimions comme notre fils dans un état si alarmant, insista pour connaître la cause de cet étonnant changement. D’abord madame de Sorcy fut très-réservée ; ce ne fut qu’après avoir vu votre portrait dans mon cabinet, après avoir entendu l’explication que lui donna la maréchale de notre absence au moment de votre arrivée, qui motivait le peu de relations établies entre nos deux maisons, ce ne fut qu’après s’être convaincue que nous étions vos amis, qu’elle a tout avoué à la maréchale… O mon ami, que de souffrances peut renfermer un cœur de femme !… combien de larmes peuvent couler de ses yeux ! Eh bien, malgré tout ce que vous lui avez fait souffrir, tout ce qu’elle souffre, et ce qu’elle souffrira, eh bien ! elle vous aime encore comme au premier jour !… Elle racontait à la maréchale que sa folie était encore si grande, qu’elle ne se couchait jamais que vous ne fussiez rentré : Non pour l’épier, nous disait-elle, Dieu me préserve de cette conduite ! mais pour me dire : Il est là, il est auprès de moi, je respire le même air que lui !… Monsieur de Sorcy, continua le maréchal avec émotion… le mari qui ne sentirait pas le prix d’un tel trésor serait un homme dont je ne serrerais plus la main avec plaisir.

— Monsieur le maréchal, répondit M. de Sorcy, je ne puis m’excuser… je sais que je suis inexcusable… Il y a dans la destinée des obstacles au bonheur, que la volonté ne peut vaincre, et j’en suis un exemple… J’aime Sarah, je l’aime à ne vouloir la sacrifier à personne !… mais j’ai été entraîné par une ancienne erreur ; la douceur de ma femme elle-même a contribué à faire le mal aussi grand qu’il est devenu… Je ne puis admettre cependant que je n’aurai plus d’heureux jours dans mon intérieur ; je suis résolu à tout sacrifier pour que Sarah du moins ait cette paix qu’il est de mon devoir de lui devoir de lui donner.

— Bien, mon ami, bien, dit le maréchal en lui serrant la main ; voilà qui vient d’un noble cœur ; votre femme ne sera pas malheureuse avec un mari tel que vous !…

— Mais, pour arriver à un résultat, monsieur le maréchal, il faut que M. d’Erneville sorte de ma maison ; il compromet Sarah, et je ne veux pas qu’il le fasse plus long-temps.

— Votre femme me paraît le haïr plus qu’elle ne l’aime, dit le maréchal en souriant. Ma femme dit à la vôtre quelques mots sur M. d’Erneville, qui lui firent prendre une si singulière expression que la maréchale se repentit d’avoir prononcé ce nom. Il paraît, autant que je puis en juger, que votre femme, abandonnée à elle-même et éprouvant un chagrin profond de votre délaissement, a écouté pendant quelque temps les consolations de M. d’Erneville… Il a abusé probablement de la confiance que cette noble créature lui avait donnée, et il a tenté de lui faire oublier ses devoirs ; mais elle vous est trop attachée, la pauvre enfant et jamais elle ne vous oubliera pour un homme comme M. d’Erneville. Au surplus, écoutez : il est un moyen, simple de tout arranger : après les propos qui ont circulé, rien ne serait plus maladroit que de prier M. d’Erneville de se retirer de votre état-major ; mais il est tout simple qu’il monte en grade, et même chez moi. Le mariage d’un de mes aides-de-camp, de M. Dherbelay, laisse une place vacante dans mon état-major, je vous l’offre pour lui…

Alfred, pénétré de cette bonté dont il sentait le prix, remercia le maréchal avec une vive émotion.

— Ah ! mon ami, si je puis être assez heureux pour contribuer à ce que votre intérieur devienne ce qu’il a été long-temps, je serai trop récompensé…

Alfred sortit de chez le maréchal avec une ferme résolution d’être ce qu’il devait pour Sarah, et ne douta pas que Louise ne l’aidât à rentrer dans la voie qui convenait à tous deux. La confiance qu’Alfred avait en cette femme prouvait qu’elle avait sur lui un empire que celui de Sarah ne pouvait balancer.

Tandis que cela se passait, quelle était la vie de cette infortunée ? le malheur et les peines qu’amène l’excès d’une passion profonde réduite au désespoir… Frappée de découragement, souffrant de tout ce qui fait souffrir le cœur, Sarah demandait chaque jour à Dieu de l’appeler à lui… Maintenant un lien puissant et sacré lui imposait la loi de vivre cependant… Elle était mère !… le jour de la fatale découverte de l’Opéra, elle voulait le confier à Alfred !… elle était pure alors !… Qu’était-elle devenue depuis cette nuit infernale où le démon s’était emparé de sa vie !… Le lendemain, lorsqu’elle voulut dire à son mari qu’il était père, qu’elle était enceinte enfin… elle recula devant cette déclaration, il lui semblait que la rougeur de son front devait la trahir et crier à son mari offensé : Je suis adultère !…

— Non, non, s’écriait-elle en se tordant les mains de désespoir, je ne suis pas adultère ! c’est la volonté qui fait le crime… le monstre a abusé de mon délire !… il m’a perdue !… Ô mon Alfred !… qui donc peut balancer ta pensée en mon cœur !… Mon Dieu ! que je suis malheureuse !…

René s’était éloigné d’elle le lendemain même de cette nuit d’horreur !… Il était allé passer quinze jours chez sa mère, dans une très-belle terre en Normandie. À son retour, l’état dans lequel il trouva Sarah lui rendit cette fantaisie qu’il avait eue pour elle et qu’il avait prise pour de l’amour. En le voyant, Sarah pâlit et frissonna !

— Eh quoi ! dit-il, elle me hait ! mais c’est absurde !… elle me dit qu’elle ne veut plus me voir… Mais c’est insensé !… je veux la voir, et je veux qu’elle m’aime, ou que du moins elle en fasse le semblant. Sarah, vous n’aurez pas le bonheur avec moi en vous conduisant ainsi…

Le lendemain de son retour, il y avait un bal chez l’ambassadeur d’Angleterre, où Sarah se trouvait, plus belle et plus charmante qu’aucune des femmes qui étaient dans le bal. René sourit en voyant son air de dédain, et, s’approchant d’elle, il lui demanda de valser avec lui.

— Je ne danserai pas ce soir, répondit la comtesse… je suis très-souffrante, et la chaleur me fait mal, aussi vais-je me retirer.

— En vérité, madame, je ne savais pas avoir le pouvoir de vous faire fuir ; car c’est pour me fuir que vous voulez partir à minuit, quand tout le monde arrive…

Sarah ne lui répondit qu’en lui lançant un regard de haine, qu’il reçut avec un sourire infernal… et s’approchant d’elle :

— Ne luttons pas, lui dit-il tout bas : croyez-moi, je suis trop fort pour vous… soyons amis ou ennemis, nous ne pouvons pas être neutres. Quant à moi, j’ai choisi la guerre par goût… mais par goût aussi je veux vivre en paix avec vous… Pour tout concilier, dites-moi quelles sont vos intentions à mon égard.

— Vous voir le moins possible.

— Eh bien ! moi, je veux vous voir tous les jours ! Que dites-vous de mon caractère de contradiction ?

Sarah ne pouvait respirer… elle voyait devant elle, sous la figure d’un homme, un être qui ferait son malheur… et qu’il lui fallait supporter !… Ô mon Dieu ! disait-elle, mon Dieu ! que vais-je devenir ?

L’ambassadrice s’approchait en ce moment de la comtesse de Sorcy… René lui dit précipitamment : Soyez chez vous demain, à deux heures : il faut que je vous parle, entendez-vous ? il le faut !…

Sarah fit un signe pour dire qu’elle acceptait le rendez-vous, et René disparut… Sarah, demeurée seule, ressentit toutes les souffrances d’un rêve affreux… Ainsi donc cet homme était revenu, elle l’avait avec elle, près d’elle ! Il pouvait lui dire : Me voilà !… et elle !… elle, la pauvre infortunée, elle ne pouvait pas même lui dire : Éloigne-toi, je te maudis !…

Le lendemain, deux heures sonnaient à la pendule de la chambre de Sarah lorsqu’on annonça M. d’Erneville : il entra avec un air respectueusement ironique qui fit tressaillir Sarah… Tout le pouvoir de cet homme se révélait par son impudence… Il n’osait que parce qu’il pouvait.

En entrant il alla se placer sur le divan où Sarah était assise ; elle voulut se lever, il la retint avec force :

— Restez, Sarah, restez pour m’écouter. Vous me haïssez donc bien ! cela est fâcheux… plus pour vous que pour moi… Écoutez ce que je vais vous dire… cela est important pour vous.

Nous sommes liés l’un à l’autre par une étrange combinaison qui a donné à l’un ce que l’autre ne lui aurait jamais accordé sans un moment de délire… Vous ne m’aimez pas, je le sais, cela m’importe peu… je ne vous demande pas d’amour, je ne veux qu’une obéissance passive… pas de partage surtout !…

Qu’Alfred, qui s’est séparé de vous volontairement, le soit par votre vouloir maintenant… il ne vous aime plus, vous avez pu l’entendre, l’autre nuit, lorsqu’il disait à cette femme, qui ne vous vaut pas, des mots d’amour, des paroles de tendresse de cœur !… Vous êtes à moi maintenant… je vous défends de dire aussi, vous, un mot d’amour à cet homme.

— Que vous a-t-il fait pour l’éloigner de moi ? demanda Sarah d’une voix tremblante ; car René exerçait sur elle un empire fantastique. Lorsque ses yeux bleus, sans couleur tranchée, se fixaient sur ceux de Sarah… alors son sang s’arrêtait dans ses veines : cet homme avait une sorte de pouvoir magique…

— Ce qu’il m’a fait ! dit René en répondant à la question de Sarah, ce que m’a fait Alfred que vous importe ! obéissez seulement, voilà ce que je veux…

— Oh ! laissez-moi, s’écria Sarah, frémissant à la seule pensée qu’elle consolidait par son silence l’empire que prenait M. d’Erneville sur elle en redressant sa taille élégante de toute sa hauteur… Je ne vous aime pas et ne vous ai jamais aimé… Que voulez-vous de moi ?

— Ce que vous m’avez déjà donné, répondit-il avec une sorte d’ironie… Vous ne m’aimiez pas ! mais je le sais bien… je ne vous aime pas non plus peut-être… mais vous me plaisez, et je veux ôter à jamais à Alfred un trésor qu’il a méconnu. Je le hais votre mari, il m’a toujours déplu ; ses manières impertinentes avec moi ont achevé de compléter la répulsion qu’il m’inspirait… il a toujours été dans ma route… il m’a gêné assez souvent pour qu’à son tour il me cède la place.

— Mais je ne veux pas vous aimer, vous dis-je, monsieur, je ne vous aimerai jamais.

— Je vous ai déjà dit que votre amour m’importait peu… soyez docile ; si vous ne l’êtes pas, Alfred et moi, nous irons décider la chose au bois de Boulogne ou de Vincennes. Je tire assez bien pour ne pas le craindre, car il tire mal… et moi je mets dans une pièce de vingt francs à vingt pas !

Et de sa main droite étendue il figurait un coup de pistolet tiré sur Alfred, dont le portrait était en face de lui.

— Mon Dieu ! dit Sarah défaillante, ne puis-je donc être délivrée de votre présence au moins ?… vous êtes un monstre !…

— Oh ! de grands mots ! c’est trop d’honneur me faire : on ne dit de si belles paroles qu’à ceux qui furent et qui sont encore aimés.

Il s’approcha de Sarah, qui, dans un affreux désordre, se retira loin de lui…

— Je vous ai déjà dit que ces manières me déplaisaient… venez plus près de moi.

Et, prenant sa main, il la contraignit à s’asseoir plus près de lui… il passa un bras autour de sa taille et la sentit frissonner ; il sourit avec la plus étrange expression…

— Tant de force pour haïr dans un corps si frêle et si délicat !… dit-il.

Il la rapprocha de lui et la serra contre sa poitrine… Les yeux de Sarah se fermèrent, et une pâleur de mort se répandit sur son visage.

— Ah ! murmura-t-elle, pardon si je vous ai offensé, pardon pour Alfred s’il fut coupable envers vous ! Pardon pour moi !… pitié ! pitié !…

— Non, non, dit Réné, et vous devez être à moi malgré vos répugnances, vos soupirs et vos larmes !…

En sortant de chez le maréchal, Alfred alla voir une amie de sa mère, dont les avis devaient être suivis par lui comme si cette mère avait vécu. La marquise de Saint-Aignan avait une grande connaissance du monde, et elle aimait tendrement Alfred.

Il la trouva étrangement prévenue contre lui. Depuis son retour, il avait négligé ses anciens amis pour ne voir que la société de madame de Vauchamps. La marquise de Saint-Aignan était dévote et susceptible en même temps, deux choses assez importantes dans l’habitude de la vie sociale pour influer sur le bonheur des personnes vivant avec ceux qui en sont affectés. La piété, c’est une autre affaire ; mais les personnes dévotes !… la plupart d’entre elles ressemblent aux vieilles tourières de couvent dans les comédies. Les originaux ont disparu et nous ont laissé de méchantes copies dont je connais bon nombre.

En voyant Alfred, madame de Saint-Aignan parut l’accueillir assez sèchement pour lui donner le regret d’être venu. Mais au fond elle était bonne, et bientôt elle se montra à son égard la même qu’avant son exil. Toutefois elle parla sévèrement à Alfred de madame de Vauchamps, ne lui cacha aucun des bruits qui couraient sur le compte de M. d’Erneville et de Sarah, lui en donna tout le tort, et conclut à ce qu’Alfred devait enfin revenir à sa femme et finir toute cette histoire scandaleuse. Elle approuva fort le plan de mettre René auprès du maréchal, et pressa Alfred de commencer sa réforme dès le même jour.

Il sortit de chez sa vieille amie plus accablé que lorsqu’il avait quitté le maréchal. Madame de Saint-Aignan avait touché à la plaie d’une main rude, ce qui n’est pas ordinaire à une femme ; mais elle croyait que la sévérité peut faire du bien, et son système était de frapper fort sans savoir si elle frappait juste.

En rentrant chez lui, Alfred trouva toute la maison dans le trouble. Sarah avait été fort malade dans la journée, et le médecin sortait de chez elle ; le comte le rencontra sur l’escalier… il ne le connaissait pas !… En apprenant que celui qu’il voyait était le maître de la maison, le médecin l’arrêta pour lui parler de l’état de la comtesse.

— Je le juge inquiétant si elle n’est pas entourée d’un grand calme… j’ai, je l’espère, prévenu une fièvre cérébrale en la saignant au bras. Veillez, monsieur le comte, à ce qu’aucune émotion ne l’agite trop vivement, ou je ne réponds de rien.

Alfred lui demanda de revenir dans la soirée et se hâta de faire demander à sa femme s’il pouvait la voir… Le temps où il était certain de causer une sensation de bonheur en l’approchant était passé !…

Lorsqu’il entra chez Sarah, il fut saisi d’un étonnement douloureux en voyant la pâleur de ce visage si beau et le mouvement qui contracta ses traits lorsqu’il s’approcha d’elle et lui prit la main… Cependant c’était du bonheur qui anima ses yeux lorsqu’elle les attacha sur les siens en lui disant : — Est-ce donc vous, Alfred ?… vous ne voulez pas que je meure sans vous voir ?… Mon ami, donnez-moi donc encore votre main !

Et, loin de lui adresser un reproche, la douce créature l’accueillit avec cette joie du véritable amour qui consistait à donner et à ne jamais reprendre. En la voyant si bonne et surtout si heureuse de sa vue, Alfred fut touché ; il s’assit auprès de son lit, ordonna du calme, se plaça à l’instant comme garde-malade, et au bout d’une heure il paraissait aussi bien établi prés de Sarah que s’il ne l’eût jamais quittée…

Il lisait auprès du feu et lisait quelquefois haut pour distraire la malade, lorsque mademoiselle Sophie, la femme de chambre de Sarah, entra dans l’appartement avec l’aisance et l’impertinence d’une domestique qui a un secret à sa maîtresse, et, se penchant sur son lit, elle lui parla sans remarquer qu’elle interrompait le général ; mais lui il remarqua fort bien qu’elle parlait à sa maîtresse d’une chose intéressante et qu’elle lui donnait une lettre.

— Voulez-vous que j’ouvre le rideau de la fenêtre pour que vous puissiez lire, Sarah ? lui demanda M. de Sorcy pour éviter l’apparence du mystère devant cette fille car il était encore convaincu que sa femme était étrangère aux actions imprudentes de M. d’Erneville, qu’il savait être assez corrompu pour faire croire au monde toute une histoire inventée.

Sarah répondit en rougissant qu’elle n’avait pas de lettre. Cette réponse fit de la peine à Alfred ; il l’avait vue, et d’autant mieux vue, que la femme de chambre avait ordre de laisser voir qu’elle la remettait clandestinement.

— Alors je me retire un moment chez moi, dit Alfred : lorsque vous serez libre, vous me ferez demander… Le mal serait-il plus avancé que je ne le croyais ? se dit-il en se retirant chez lui.

Demeurée seule, Sarah fondit en larmes…

— Eh quoi ! dit-elle, faudra-t-il donc toujours vivre dans cet esclavage misérable !… demeurer sous le coup incessamment suspendu sur ma tête ! mais ce n’est pas vivre cela !

La lettre que lui avait remise mademoiselle Sophie était de René ; il était moins sec et moins laconique qu’à son ordinaire : il lui demandai comment elle se portait, et voulait savoir si c’était la scène de la veille qui l’avait mise dans la nécessité d’appeler son médecin.

« Pourquoi tous ces éclats ? ajoutait-il. Si vous vouliez voir votre destinée comme je vous l’ai faite, vous seriez la plus heureuse des femmes ! — mais toujours cette haine quand je veux de l’amour ! Je ne vous demande pas de passion, elle m’ennuie, mais de l’amour, joyeux même. Laissez-vous donc aller, ne pleurez plus ; prenez de la vie ce qu’elle a de doux, et laissez aux sots ce qu’elle produit d’amer. »

— Misérable !… dit Sarah en rejetant la lettre loin d’elle.

— Madame ne répond pas ? dit mademoiselle Sophie.

— Non !

— Mais cependant M. le marquis attend une réponse. Thomas a l’ordre de l’attendre et de ne partir qu’avec une lettre de madame. Je lui ai dit que madame avait été saignée ; mais, comme c’est au bras gauche, il s’est moqué de moi.

— Donnez-moi mon écritoire, dit Sarah humiliée du commérage de cette fille, avec laquelle M. d’Erneville l’avait mise en rapport de confidences pour la placer dans une position pénible. Cet homme n’avait que des combinaisons infernales.

« Ce que je vous demande, c’est ma paix. Laissez-moi même oublier que je vous ai connu, et à ce prix je puis oublier aussi le mal que vous m’avez fait. »

Elle plia cette lettre et la cacheta avec un cachet qu’elle avait fait faire récemment, avec la devise de Valentine : « Si lui ne m’est rien, rien ne m’est plus. » Elle sentait au fond de son cœur que tout espoir de bonheur y était éteint.

— Faites prier monsieur le comte de passer chez moi, dit-elle à mademoiselle Sophie après lui avoir remis la lettre pour René, et faites en sorte qu’il ne voie pas le valet de chambre du marquis, ajouta-t-elle en rougissant, car il le connait, je pense.

— Que madame soit tranquille, dit la femme de chambre toute charmée d’avoir une parole mystérieuse à échanger avec sa maîtresse !…

Lorsque Alfred rentra chez sa femme, elle était plus belle qu’il ne l’avait jamais vue, et surtout parfaitement intéressante par le charme répandu sur ses traits… Il y avait du bonheur en elle malgré sa crainte de l’avoir repoussé pour toujours ! L’infortunée était innocente !… Le comte de Sorcy, attiré par le charme qu’il sentait venir de lui et se communiquer par sa présence, s’approcha de Sarah avec une émotion que lui-même ressentait vivement.

— Sarah, lui dit-il sans aucun préambule, car son opinion était que le bonheur ne peut causer de suites fâcheuses, et il était sûr d’en donner à celle qui l’aimait toujours… Sarah, lui dit-il, nous avons éprouvé un de ces orages qui viennent troubler les unions les plus étroites ; mais le temps du calme va renaître pour vous, et, si vous le voulez, nous pourrons encore être heureux. Je ne vous ferai part d’aucune circonstance qui ne soit pas digne d’arriver à vous… Croyez seulement que je me repens de vous avoir affligée… donnez-moi votre main, mon amie, et que tout soit oublié… Le voulez-vous ?…

— Oh s’écria Sarah en fondant en larmes et se retirant des bras d’Alfred qui l’attiraient à lui, oh ! je suis indigne de ce bonheur ! laissez-moi !… Pourquoi m’avez-vous quittée !… je ne vous avais pas affligé, moi !… et pourtant !…

— Vous n’êtes pas généreuse, Sarah, dit le comte blessé de ce peu de bienveillance… et je vois que vos amis et les miens m’ont trompé en m’assurant que vous m’aimiez encore.

— Oh oui, je vous aime !… et pourtant… laissez-moi !… laissez-moi !… O mon Dieu ! la mort ne me viendra-t-elle pas délivrer… ?

— Est-ce de moi, Sarah ? dit Alfred d’un ton de hauteur que rien ne venait adoucir ; car, si son cœur était touché de quelque pitié pour Sarah, ce n’était que dans le cas où il la croyait malheureuse de son abandon. S’il n’était plus aimé, Sarah n’était pour lui qu’une femme ordinaire, et Louise reprenait son empire qu’elle n’avait même jamais perdu. Oubliant donc la recommandation du médecin, il continua la conversation sur un ton qui pouvait conduire à une scène vive et décisive pour les deux époux.

— Madame, dit Alfred d’un ton sévère, je vous croyais malheureuse de mon délaissement, et je venais réparer mes torts. Vous ne voulez pas me recevoir en pardon ; j’en suis doublement fâché, parce que je vois dans votre éloignement pour moi un autre effet que celui du ressentiment. On me l’avait dit ; je le vois maintenant, quoique je ne voulusse pas le croire. Vous êtes maîtresse d’agir, en ce qui touche votre cœur, comme il vous le conseillera. Mais vous portez mon nom, et je ne veux pas que ce nom soit entaché par vous. Faites ce que j’ordonne et suivez ma volonté.

Sarah, effrayée de la parole d’Alfred, fut au moment de s’évanouir.

— Écoutez-moi poursuivit le comte ; M. d’Erneville doit quitter ma maison…

Sarah pâlit et trembla.

M. d’Erneville doit quitter ma maison. Je lui donne une place plus avantageuse dans l’état-major du maréchal de*** ; mais cette nouvelle doit lui être annoncée par vous…

Sarah voulut l’interrompre.

— Laissez-moi achever. Vous devez apprendre cette nouvelle à M. d’Erneville. Je l’ai fait demander en votre nom ; il va venir ; ordonnez qu’on l’introduise, et que tout soit terminé ce matin même.

Et, sans attendre la réponse de Sarah, il sortit de sa chambre.

Demeurée seule, Sarah sentit une étrange douleur à la tête et au cœur ; c’étaient comme un vertige et une douleur de mort.

Voir Réné… lui dire qu’il allait sortir de cette maison !… quelle joie pour la malheureuse captive, dont ce départ brisait la chaîne !… Mais cet homme, cet homme infernal !… En ce moment un cabriolet roula dans la cour, et une minute après René se fit annoncer.

En entrant dans la chambre de Sarah, où jamais il n’était venu, il parut étonné, et une expression satanique se répandit sur son visage pâle en apercevant Sarah.

— Vous m’avez fait demander, madame la comtesse ? lui dit-il en la saluant avec ce respect ironique qu’il mettait toujours à cette démonstration de politesse en l’abordant.

— Oui, dit Sarah tremblante. Je voulais vous dire… J’avais à vous annoncer… que…

— Eh bien ! qu’est-ce ?… Vous avez l’air troublé comme si un grand malheur nous était arrivé. Qu’y a-t-il ?

— Au contraire ! s’empressa de répondre madame de Sorcy… Je suis chargée de vous annoncer que vous êtes nommé chef d’escadron et aide-de-camp du maréchal duc de***.

— Ah ! ah ! dit René sans paraître ému de la nouvelle. Ceci pourrait être une faveur si je l’avais demandé mais comme c’est un congé, et que je n’en reçois jamais, je refuse.

— Vous refusez ! s’écria Sarah.

— Je refuse…

— Mais quelle raison donner à monsieur ? que puis-je dire ?…

— Ce que vous voudrez. Au surplus Sarah, ce n’était pas à vous à vous charger de cette mission… Toi, mon amie !… Ah ! Sarah… ce n’est pas bien.

Et s’avançant vers elle, il prit sa main pour la baiser.

— Laissez moi s’écria Sarah d’une voix étouffée, laissez-moi !…

En ce moment, la porte qui conduisait à l’appartement d’Alfred s’ouvrit avec fracas, et lui-même s’élança sur René et le frappa au visage.

— Misérable ! lui cria-t-il.

M. d’Erneville se releva pâle comme un spectre.

— M. de Sorcy nous sommes tous deux hommes d’honneur et gentilshommes… votre grade n’est pas un obstacle à ce que…

— Je t’entends ! cria Alfred écumant de rage. Viens… à l’instant même… sans une heure de retard… car j’ai soif de ton sang !

— Ah ! dit Réné, et moi aussi !… je te hais… et depuis long-temps !… Quels témoins ?

— Aucun ; notre haine à tous deux.

— Partons !

Tous deux partirent aussitôt, laissant Sarah sans connaissance et prête à mourir… Au bout d’une heure elle ouvrit les yeux… personne autour d’elle !… une solitude entière… Pendant ce temps le duel avait eu lieu. Réné avait reçu une balle dans la cuisse. Alfred n’avait pas été blessé.