L’Habitation Saint-Ybars/XXXIX

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Imprimerie Franco-Américaine (p. 176-177).

CHAPITRE XXXIX

Le Lendemain



À sept heures du matin, Démon dormait encore. Pélasge, qui arrivait de la ferme, fut d’avis de ne pas interrompre son sommeil, dût-on retarder le déjeuner.

Blanchette, comme d’habitude, entra dans la chambre de Mme Saint-Ybars. Étonnée de ne pas voir la mère de Démon debout et déjà habillée, elle regarda du côté du lit. Mme Saint-Ybars paraissait dormir. Cependant, Blanchette trouva qu’elle était bien pâle. Elle approcha et écouta ; elle n’entendit pas le souffle de la respiration. Alors, toute tremblante, elle posa sa main sur la joue de Mme Saint-Ybars. Elle recula en chancelant.

Pélasge était sur la galerie de devant, respirant l’air frais qui venait du fleuve, et lisant un journal. Une main le prit par le bras ; il leva les yeux : la figure bouleversée de Blanchette lui porta un coup au cœur.

« Qu’est-ce donc ? demanda-t-il, qu’as-tu, Blanchette ? »

Incapable d’articuler une parole, elle l’attira à elle, et le conduisit dans la chambre. Pélasge toucha le corps de Mme Saint-Ybars ; il était raide et froid. La mort avait dû la surprendre dès le commencement de la nuit. Quel coup pour Démon à son réveil ! rien que d’y penser, Pélasge se sentit brisé comme si la maison se fût écroulée sur lui.

Démon supporta ce nouveau malheur avec une fermeté virile. Pas une plainte ne sortit de sa bouche, pas un cri de colère contre le sort qui semblait le poursuivre avec un acharnement implacable. Seulement il lui en resta une sombre tristesse. Pélasge eût voulu adoucir son chagrin ; mais comme Démon ne parlait jamais de la mort de sa mère, personne n’y faisait allusion devant lui. L’attitude de Démon donnait du souci à Pélasge. Tous les Saint-Ybars avaient manifesté, plus ou moins, un penchant à la superstition : Vieumaite seul avait fait exception à cette règle. Pélasge craignait que ce défaut de famille n’existât aussi chez Démon. Il soupçonna que son jeune ami se croyait sous le coup d’une fatalité inexorable. Il ne se trompait pas : Démon avait des pressentiments lugubres ; s’il les taisait, c’était par fierté ; il n’eût voulu, pour rien au monde, s’exposer à s’entendre dire qu’il y avait là une faiblesse d’esprit ou un manque de caractère. Dans le secret de sa pensée il ne douta plus qu’il ne fût né pour le malheur ; il se raidit intérieurement contre la mauvaise volonté du sort, et attendit ses nouveaux coups dans un silence stoïque.