L’Hypnotisme et les Religions/Appendice

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X. X.
Marcellin Lacoste (p. 109-112).

APPENDICE



MENTEZ, MENTEZ, MES AMIS

OU LES

VÉRITABLES APÔTRES DU MENSONGE

Il est un procédé de polémique fort commode et encore plus malhonnête, mais d’un usage trop fréquent parmi les controversistes. C’est celui qui consiste à isoler un passage des ouvrages d’un auteur, et à le présenter ainsi au public, sans un mot de contexte, sans indication du sujet auquel il se rapporte, de façon à pouvoir lui prêter un sens et une portée manifestement contraires à sa véritable signification.

Telle a été en mainte circonstance la conduite des détracteurs de Voltaire. C’est ainsi qu’ils sont parvenus à représenter comme l’apôtre même du mensonge l’homme qui a tant combattu et tant souffert, pendant une si longue vie, pour la cause sacrée de la vérité et de la justice[1].

On peut excuser les naïfs et les ignorants, habitués à jurer par les paroles des autres et incapables de juger par eux-mêmes ou de rechercher les preuves d’une assertion audacieusement mensongère. Mais que penser de ceux qui ont sciemment induit en erreur des générations entières, en dénaturant, avec une mauvaise foi insigne, des passages dont la véritable signification leur était manifestement connue ?

Voici la vérité sur cette légende. Lorsque Voltaire livra sa tragédie de l’Enfant prodigue à la scène, il eut grand soin de le faire sous le couvert de l’anonyme, par crainte de la cabale cléricale qui n’eût pas manqué de mettre tout en œuvre pour faire tomber la pièce.

C’est ce qui était arrivé à la tragédie de Mahomet dont les représentations ne purent continuer. Voltaire eut alors l’idée de la dédier au Pape, qui, plus intelligent que le reste des croyants, l’en remercia par une lettre élogieuse. Voltaire la fit imprimer en tête du volume et la pièce fut ainsi sauvée.

Diverses personnes ayant soupçonné le nom du véritable auteur de l’Enfant prodigue, Voltaire, alarmé, écrivit à tous ses amis pour les conjurer de démentir ce bruit.

C’était un mensonge qu’il leur demandait. Aussi a-t-il bien soin de leur représenter que, dans une pareille circonstance, le mensonge est nécessaire, par suite innocent. Il les supplie donc de ne pas craindre de mentir et de nier hardiment, toutes les fois que l’occasion l’exigera, qu’il fût l’auteur de la pièce menacée.

Nous allons donner tous les passages de ses lettres qui ont trait à ce sujet. On n’y trouvera pas la fameuse phrase qu’on lui attribue, bien qu’elle n’ait été écrite ni par lui ni par personne (Mentez, il en restera toujours quelque chose). Mais on y trouvera toutes celles dont le travestissement a permis à ses détracteurs de ternir sa réputation par des procédés empruntés à Escobar et à Basile, leurs immortels prototypes : Calomnions, calomnions, il en restera toujours quelque chose.

Hélas ! oui, il en reste toujours quelque chose, car personne ne se donne la peine de remonter aux sources et de consulter les textes. C’est pourquoi nous croyons utile de fournir au lecteur toutes les pièces du procès.


« 10 Octobre 1737.

» À M. Berger.

» À l’égard de l’Enfant prodigue, il faut, mon cher ami, soutenir à tout le monde que je n’en suis point l’auteur. C’est un secret uniquement entre M. d’Argental, Mlle Quinault et moi. M. Thiriot ne l’a su que par hasard ; en un mot, j’ai été fidèle à M. d’Argental, et il faut que vous me le soyez. Mandez-moi ce que vous en pensez, et recueillez les jugements des connaisseurs… »


« 15 Octobre.

» À M. Thiriot.

» Je demande le secret plus que jamais sur cet anonyme qu’on joue. Vous connaissez l’Envie, vous savez comme ce vilain monstre est fait. S’il savait mon nom, il irait déchirer le même ouvrage qu’il approuve. Gardez-moi donc, vous Pollion et Polymnie[2], un secret inviolable. N’êtes-vous pas faits pour avoir toutes les vertus ? Je vous le demande avec la dernière instance… »


« 18 Octobre.

» À M. Berger.

» Il faut que le secret soit toujours gardé sur l’Enfant prodigue… J’ai mes raisons. Vous ne sauriez me rendre un plus grand service que de dérouter les soupçons du public… »


« 21 Octobre.

» À M. Thiriot.

» Le mensonge n’est un vice que quand il fait du mal. C’est une très grande vertu, quand il fait du bien. Soyez donc plus vertueux que jamais. Il faut mentir comme un diable, non pas timidement, non pas pour un temps, mais hardiment et toujours. Qu’importe à ce malin de public qu’il sache qui il doit punir d’avoir produit une Croupillac ? Qu’il la siffle si elle ne vaut rien, mais que l’auteur soit ignoré ; je vous en conjure au nom de la tendre amitié qui nous unit depuis vingt ans. Engagez les Prevost et les La Roque à détourner les soupçons qu’on a du pauvre auteur. Écrivez-leur un petit mot tranchant et net. Consultez avec l’ami Berger. Si vous avez mis Sauveau du secret, mettez-le du mensonge. Mentez, mes amis, mentez ; je vous le rendrai dans l’occasion… »


Chacun peut maintenant juger par soi-même de quel côté sont les véritables apôtres du mensonge et de la calomnie.

  1. On sait que Voltaire fit réhabiliter Calas, Lally-Tollendal et un grand nombre d’autres victimes d’erreurs judiciaires.
  2. M. et Mme de la Popelinière.