L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre quatrième/11

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Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 311-316).


CHAPITRE XI.

QUE LE CORPS DE JÉSUS-CHRIST ET L’ÉCRITURE SAINTE SONT TRÈS NÉCESSAIRES A L’AME FIDÈLE.
Voix du disciple.

1. Seigneur Jésus, quelles délices inondent l’âme fidèle admise à votre Table où on ne lui présente d’autre aliment que vous-même, son unique bien-aimé, le plus cher objet de ses désirs !

Oh ! qu’il me serait doux de répandre en votre présence des pleurs d’amour, et d’arroser vos pieds de mes larmes comme Madeleine !

Mais où est cette tendre piété, et cette abondante effusion de larmes saintes ?

Certes, en votre présence et celle des saints Anges, tout mon cœur devrait s’embraser et se fondre de joie.

Car vous m’êtes véritablement présent dans votre Sacrement, quoique caché sous des apparences étrangères.

2. Mes yeux ne pourraient supporter l’éclat de votre divine lumière, et le monde entier s’évanouirait devant la splendeur de votre gloire.

C’est donc pour ménager ma faiblesse que vous vous cachez sous les voiles du Sacrement.

Je possède réellement et j’adore celui que les Anges adorent dans le ciel : mais je ne le vois encore que par la foi, tandis qu’ils le voient tel qu’il est et sans voile.

Il faut que je me contente de ce flambeau de la vraie foi, et que je marche à sa lumière, jusqu’à ce que luise l’aurore du jour éternel, et que les ombres des figures déclinent[1].

Mais quand ce qui est parfait sera venu[2], l’usage des Sacrements cessera, parce que les bienheureux, dans la gloire céleste, n’ont plus besoin de secours.

Ils se réjouissent sans fin dans la présence de Dieu, et contemplent sa gloire face à face ; pénétrés de sa lumière et comme plongés dans l’abîme de sa divinité, ils goûtent le Verbe de Dieu fait chair, tel qu’il était au commencement et tel qu’il sera durant toute l’éternité.

3. Qu’au souvenir de ces merveilles, tout me soit un pesant ennui, même les consolations spirituelles ! car tant que je ne verrai point le Seigneur mon Dieu dans l’éclat de sa gloire, tout ce que je vois, tout ce que j’entends en ce monde ne m’est rien.

Vous m’êtes témoin, Seigneur, que je ne trouve nulle part de consolation, de repos en nulle créature ; je ne puis en trouver qu’en vous seul, mon Dieu, que je désire contempler éternellement.

Mais cela ne peut être tant que je vivrai dans ce corps mortel.

Il faut donc que je me prépare à une grande patience, et que je soumette à votre volonté tous mes désirs.

Car vos Saints, Seigneur, qui, ravis d’allégresse, règnent maintenant avec vous dans le ciel, ont aussi, pendant qu’ils vivaient, attendu avec une grande foi et une grande patience l’avènement de votre gloire.

Je crois ce qu’ils ont cru ; ce qu’ils ont espéré, je l’espère ; j’ai la confiance de parvenir, aidé de votre grâce, là où ils sont parvenus.

Jusque-là, je marcherai dans la foi, fortifié par leurs exemples.

J’aurai aussi les Livres saints pour me consoler et m’instruire, et par-dessus tout votre sacré Corps, pour remède et pour refuge.

4. Car je sens que deux choses me sont ici-bas souverainement nécessaires, et que sans elles je ne pourrais porter le poids de cette misérable vie.

Enfermé dans la prison du corps, j’ai besoin d’aliments et de lumière.

C’est pourquoi vous avez donné à ce pauvre infirme votre chair sacrée, pour être la nourriture de son âme et de son corps, et votre parole pour luire comme une lampe devant ses pas[3].

Je ne pourrais vivre sans ces deux choses : car la parole de Dieu est la lumière de l’âme et votre Sacrement le pain de vie.

On peut encore les regarder comme deux tables placées dans les trésors de l’Église.

L’une est la table de l’autel sacré, sur lequel repose un pain sanctifié, c’est-à-dire le Corps précieux de Jésus Christ.

L’autre est la table de la loi divine, qui contient la doc trine sainte, qui enseigne la vraie foi, qui soulève le voile du sanctuaire, et nous conduit avec sûreté jusque dans le Saint des saints.

Je vous rends grâces, Seigneur Jésus, lumière de l’éternelle lumière, de nous avoir donné, par le ministère des prophètes, des apôtres et des autres docteurs, cette table de la doctrine sainte.

5. Je vous rends grâces, ô Créateur et Rédempteur des hommes, de ce qu’afin de manifester votre amour au monde, vous avez préparé un grand festin, où vous nous offrez pour nourriture, non l’agneau figuratif, mais votre très saint Corps et votre Sang.

Dans ce sacré banquet, que partagent avec nous les Anges, mais dont ils goûtent plus vivement la douceur, vous comblez de joie tous les fidèles, et vous les enivrez du calice du salut, qui contient toutes les délices du ciel.

6. Oh ! qu’elles sont grandes, qu’elles sont glorieuses les fonctions des prêtres, à qui il a été donné de consacrer le Dieu de majesté par des paroles saintes, de le bénir de leurs lèvres, de le tenir entre leurs mains, de le recevoir dans leur bouche, et de le distribuer aux autres hommes !

Oh ! qu’elles doivent être innocentes les mains du prêtre, que sa bouche doit être pure, son corps saint et son âme exempte des plus légères taches, pour recevoir si souvent l’auteur de la pureté !

Il ne doit sortir rien que de saint, rien que d’honnête, rien que d’utile, de la bouche du prêtre qui participe si fréquemment au Sacrement de Jésus-Christ.

7. Qu’ils soient simples et chastes, les yeux qui contemplent habituellement le corps de Jésus-Christ. Qu’elles soient pures et élevées au ciel, les mains qui touchent sans cesse le Créateur du ciel et de la terre.

C’est aux prêtres surtout qu’il est dit dans la Loi : Soyez saints, parce que je suis saint, moi le Seigneur votre Dieu[4].

8. Que votre grâce nous aide, ô Dieu tout-puissant ! nous qui avons été revêtus du sacerdoce, afin que nous puissions vous servir dignement, avec une vraie piété et une conscience pure.

Et si nous ne pouvons vivre dans une innocence aussi parfaite que nous le devrions, accordez-nous du moins de pleurer sincèrement nos fautes, et de former, en esprit d’humilité, la ferme résolution de vous servir désormais avec plus de ferveur.

RÉFLEXION.

Qu’est-ce que la terre ? Un lieu d’exil, une vallée de larmes, comme l’appelle l’Église. L’homme y cherche dans les ténèbres la vérité, qui est la vie de son intelligence ; il y cherche, au milieu de maux sans nombre, un bien, il ne sait quel bien, immense, inépuisable, éternel, qui est la vie de son cœur : et tout ce qu’il cherche lui échappe. Le doute, l’opinion, l’erreur fatiguent sa raison épuisée. Ce qu’il a cru des biens se change en amertume. Il trouve au fond de tout le vide et l’ennui. Est-il seul, son âme retombe avec douleur sur elle-même : il a besoin de support, et malheur à lui s’il met sa confiance dans les autres hommes ! Ils se masquent pour le surprendre, ils profanent pour le tromper le nom d’ami : tandis que leur bouche lui sourit, ils lui tendent des pièges dans l’ombre, et quand, à force de ruses, de mensonges et de basses noirceurs, ils l’ont enveloppé de leurs rets, tout à coup, se dévoilant, ils se ruent sur lui et le dévorent comme l’hyène dévore sa proie. Lamentable condition ! Mais Dieu n’a pas abandonné sa pauvre créature dans ces extrémités de la misère. Il l’éclaire par sa parole, il la soutient par sa grâce, il l’anime, il la console par la foi d’une vie meilleure, par l’espérance de posséder, après ces jours d’épreuve, le bien auquel elle aspire, le bien infini, qui est lui-même. Et ses dons merveilleux d’un amour inénarrable, rassemblés, concentrés, en quelque sorte, dans la divine Eucharistie, y sont offerts à nos désirs sans autre mesure que ces désirs mêmes. Toutes les fois que nous approchons de cet auguste Sacrement, nous recevons en nous la Sagesse, la Lumière incréée, le Verbe de Dieu, la Parole vivante ; nous recevons l’Auteur de la grâce, le Consommateur de la foi, le gage immortel de notre espérance : la chair crucifiée pour nous s’incorpore à notre chair, le sang qui a sauvé le monde se mêle à notre sang ; un saint baiser unit notre âme à l’âme du Rédempteur ; sa divinité nous pénètre, et consume en nous tout ce que le péché avait corrompu : l’ami fidèle repose dans notre sein, il nous parle, il nous dit : Pose-moi comme un sceau sur ton cœur ; car l’amour est plus fort que la mort[5] : et alors, embrasés de cet amour ardent comme le feu[6], nous ne voyons plus que le bien-aimé, nous n’avons plus de vie que la sienne, et la tristesse de notre pèlerinage s’évanouit dans les joies du ciel.

  1. Cant. ii, 17.
  2. I Cor. xiii, 10.
  3. Ps. cxviii, 105.
  4. Lev. xix, 2 ; xx, 7.
  5. Cant. viii, 6.
  6. Cant. viii, 6.