L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre troisième/05

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Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 135-139).


CHAPITRE V.

DES MERVEILLEUX EFFETS DE L’AMOUR DIVIN.

1. LE F. Je vous bénis, Père céleste, Père de Jésus Christ, mon Seigneur, parce que vous avez daigné vous souvenir de moi, pauvre créature.

O Père des miséricordes, et Dieu de toute consolation[1], je vous rends grâces de ce que, tout indigne que j’en suis, vous voulez bien cependant quelquefois me consoler !

Je vous bénis à jamais, et je vous glorifie avec votre Fils unique et Esprit consolateur, dans les siècles des siècles.

O Seigneur, mon Dieu, saint objet de mon amour ! quand vous descendrez dans mon cœur, toutes mes entrailles tressailliront de joie.

Vous êtes ma gloire et la joie de mon cœur.

Vous êtes mon espérance et mon refuge au jour de la tribulation.

2. Mais, parce que mon amour est encore faible et ma vertu chancelante, j’ai besoin d’être fortifié et consolé par vous : visitez-moi donc souvent, et dirigez-moi par vos divines instructions.

Délivrez-moi des passions mauvaises, et retranchez de mon cœur toutes ses affections déréglées, afin que, guéri et purifié intérieurement, je devienne propre à vous aimer, fort pour souffrir, ferme pour persévérer.

3. C’est quelque chose de grand que l’amour, et un bien au-dessus de tous les biens. Seul, il rend léger ce qui est pesant, et fait qu’on supporte avec une âme égale toutes les vicissitudes de la vie.

Il porte son fardeau sans en sentir le poids, et rend doux ce qu’il y a de plus amer.

L’amour de Jésus est généreux ; il fait entreprendre de grandes choses, et il excite toujours à ce qu’il y a de plus parfait.

L’amour aspire à s’élever, et ne se laisse arrêter par rien de terrestre.

L’amour veut être libre et dégagé de toute affection du monde, afin que ses regards pénètrent jusqu’à Dieu sans obstacle, afin qu’il ne soit ni retardé par les biens, ni abattu par les maux du temps.

Rien n’est plus doux que l’amour, rien n’est plus fort, plus élevé, plus étendu, plus délicieux ; il n’est rien de plus parfait ni de meilleur au ciel et sur la terre, parce que l’amour est né de Dieu, et qu’il ne peut se reposer qu’en Dieu, au-dessus de toutes les créatures.

4. Celui qui aime, court, vole ; il est dans la joie, il est libre, et rien ne l’arrête.

Il donne tout pour posséder tout ; et il possède tout en toutes choses, parce qu’au-dessus de toutes choses il se repose dans le seul Être souverain, de qui tout bien procède et découle.

Il ne regarde pas aux dons, mais il s’élève au-dessus de tous les biens, jusqu’à celui qui donne.

L’amour souvent ne connaît point de mesure ; mais, comme l’eau qui bouillonne, il déborde de toutes parts.

Rien ne lui pèse, rien ne lui coûte ; il tente plus qu’il ne peut ; jamais il ne prétexte l’impossibilité, parce qu’il se croit tout possible et tout permis.

Et à cause de cela il peut tout, et il accomplit beaucoup de choses qui fatiguent et qui épuisent vainement celui qui n’aime point.

5. L’amour veille sans cesse ; dans le sommeil même il ne dort point.

Aucune fatigue ne le lasse, aucuns liens ne l’appesantissent, aucunes frayeurs ne le troublent ; mais, tel qu’une flamme vive et pénétrante, il s’élance vers le Ciel, et s’ouvre un sûr passage à travers tous les obstacles.

Si quelqu’un aime, il entend ce que dit cette voix.

L’ardeur même d’une âme embrasée s’élève jusqu’à Dieu comme un grand cri : Mon Dieu ! mon amour ! vous êtes tout à moi, et je suis tout à vous.

6. Dilatez-moi dans l’amour, afin que j’apprenne à goûter au fond de mon cœur combien il est doux d’aimer, et de se fondre et de se perdre dans l’amour.

Que l’amour me ravisse et m’élève au-dessus de moi-même, par la vivacité de ses transports.

Que je chante le cantique de l’amour, que je vous suive, ô mon bien-aimé, jusque dans les hauteurs de votre gloire ; que toutes les forces de mon âme s’épuisent à vous louer, et qu’elle défaille de joie et d’amour.

Que je vous aime plus que moi, que je ne m’aime moi-même que pour vous, et que j’aime en vous tous ceux qui vous aiment véritablement, ainsi que l’ordonne la loi de l’amour, que nous découvrons dans votre lumière.

7. L’amour est prompt, sincère, pieux, doux, prudent, fort, patient, fidèle, constant, magnanime, et il ne se recherche jamais : car dès qu’on commence à se rechercher soi-même, à l’instant on cesse d’aimer.

L’amour est circonspect, humble et droit, sans mollesse, sans légèreté ; il ne s’occupe point de choses vaines ; il est sobre, chaste, ferme, tranquille, et toujours attentif à veiller sur les sens.

L’amour est obéissant et soumis aux supérieurs ; il est vil et méprisable à ses yeux. Dévoué à Dieu sans réserve, et toujours plein de reconnaissance, il ne cesse point de se confier en lui, d’espérer en lui, lors même qu’il semble en être délaissé, parce qu’on ne vit point sans douleur dans l’amour.

8. Qui n’est pas prêt à tout souffrir et à s’abandonner entièrement à la volonté de son bien-aimé, ne sait pas ce que c’est que d’aimer.

Il faut que celui qui aime embrasse avec joie tout ce qu’il y a de plus dur et de plus amer pour son bien-aimé, et qu’aucune traverse ne le détache de lui.

RÉFLEXION.

Dieu est amour, et celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu en lui[2]. Mais l’amour a ses temps d’épreuve, comme ses temps de jouissance, et cette vie tout entière ne doit être qu’un continuel exercice d’amour, ou la consommation d’un grand sacrifice, dont une vie éternelle ou un amour immuable sera le prix. Tous les caractères de la charité, détaillés par saint Paul[3], nous rappellent l’idée de sacrifice ; et l’amour infini lui-même n’a pu se manifester pleinement à nous que par un sacrifice infini. Dieu a tant aimé le monde, qu’il a donné son Fils unique[4] ; et notre amour pour Dieu ne peut non plus se manifester que par un sacrifice, non pas égal, il est impossible, mais semblable, par le don de tout notre être ou une parfaite obéissance de notre esprit, de notre cœur et de nos sens à la volonté de celui qui nous a tant aimés. C’est alors que s’accomplit cette union ineffable que Jésus-Christ, à sa dernière heure, conjurait son Père d’opérer entre lui et la créature rachetée[5]. Pendant que la nature vit encore en nous, quelque chose nous sépare de Dieu et de Jésus ; et l’amour de Jésus nous presse[6] d’achever le sacrifice, et de prononcer cette parole dernière, que le monde ne comprend pas, mais qui réjouit le Ciel : Tout est consommé[7].

  1. II Cor. i, 3.
  2. I Joan. iv, 16.
  3. I. Cor. xiii,
  4. Joan. iii, 16.
  5. Joan. xvii, 21, 23.
  6. II Cor. v, 14.
  7. Joan. xix, 30.