L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre troisième/11

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Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 152-153).


CHAPITRE XI.

QU’IL FAUT EXAMINER ET MODÉRER LES DÉSIRS DU CŒUR.

1. J.-C. Mon fils, il faut que vous appreniez beaucoup de choses que vous ne savez pas encore assez.

2. Le F. Quoi, Seigneur ?

3. J.-C. Vous devez soumettre entièrement vos désirs à ma volonté, ne point vous aimer vous-même, et ne rechercher en tout que ce qui me plaît.

Souvent vos désirs s’enflamment, et vous emportent impétueusement : mais considérez si cette ardeur a ma gloire pour motif, ou votre intérêt propre.

Si c’est moi que vous avez en vue, vous serez content, quoi que j’ordonne ; mais si quelque secrète recherche de vous-même se cache au fond de votre cour, voilà qui vous abat et vous trouble.

4. Prenez donc garde à ne vous pas trop attacher à des désirs sur lesquels vous ne m’avez point consulté, de peur qu’ensuite vous ne veniez à vous repentir, ou que vous éprouviez du dégoût pour ce qui vous avait plu d’abord, et que vous aviez cru le meilleur.

Car tout mouvement qui paraît bon ne doit pas être aussitôt suivi ; de même qu’on ne doit pas non plus céder sur-le-champ à ses répugnances.

Quelquefois il est à propos de modérer le zèle le plus saint et les meilleurs désirs, de peur qu’ils ne préoccupent et ne distraient votre esprit ; ou qu’en les suivant indiscrètement, vous ne causiez du scandale aux autres ; ou qu’enfin l’opposition que vous y trouverez ne vous jette vous-même dans le trouble et dans l’abattement.

5. Il faut aussi quelquefois user de violence, et résister aux convoitises des sens, avec une grande force, sans prendre garde à ce que veut la chair, et à ce qu’elle ne veut pas, et travailler surtout à la soumettre à l’esprit malgré elle.

Il faut la châtier et l’asservir, jusqu’à ce que, prête à tout, elle ait appris à se contenter de peu, à aimer les choses les plus simples, et à ne jamais se plaindre de rien.

RÉFLEXION.

Nous avons un grand combat à soutenir : contre notre esprit, qui nous égare, séduit par de fausses lueurs et par une funeste curiosité ; contre nos désirs, qui nous troublent ; contre nos sens dont les convoitises souillent l’âme et la courbent vers la terre. Lamentable condition de l’homme déchu ! Mais Dieu ne l’a point abandonné : il peut vaincre s’il veut. La foi réprime l’inquiétude maladive de l’esprit, et la fixe dans la vérité. Une entière soumission à la volonté divine produit la paix du cœur, en étouffant les vains désirs et ceux même qui trompent la piété par une apparence de bien. Enfin nous triomphons des sens par la prière, l’humilité, la pénitence, en châtiant le corps rebelle, et le réduisant en servitude[1]. C’est dans cette guerre de chaque moment que le chrétien se perfectionne, et c’est en combattant avec fidélité qu’il peut dire comme l’Apôtre : Je ne pense point être encore arrivé où j’aspire ; mais, oubliant ce qui est en arrière et m’étendant à ce qui est devant, je cours au terme de la carrière pour saisir le prix que Dieu nous a destiné, la félicité céleste à laquelle il nous a appelés par Jésus-Christ[2].

  1. I Cor. ix, 27.
  2. Philipp. iii, 13, 14.