L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre troisième/15

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Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 161-164).


CHAPITRE XV.

DE CE QUE NOUS DEVONS DIRE ET FAIRE QUAND IL S’ÉLÈVE QUELQUE DÉSIR EN NOUS.

1. J.-C. Mon fils, dites en toutes choses : Seigneur, qu’il soit ainsi, si c’est votre volonté. Seigneur, que cela se fasse en votre nom, si vous devez en être honoré.

Si vous voyez que cela me soit bon, si vous jugez que cela me soit utile, alors donnez-le-moi, afin que j’en use pour votre gloire.

Mais si vous savez que cela me nuira, ou ne servira point au salut de mon âme, éloignez de moi ce désir. Car tout désir n’est pas de l’Esprit-Saint, même lors qu’il paraît bon et juste à l’homme.

Il est difficile de discerner avec certitude si c’est l’esprit bon ou mauvais qui vous porte à désirer ceci ou cela, ou même votre esprit propre.

Il s’est trouvé à la fin que plusieurs étaient dans l’illusion, qui semblaient d’abord être conduits par le bon esprit.

2. Ainsi tout ce qui se présente de désirable à votre esprit, vous devez le désirer toujours et le demander avec une grande humilité de cœur, et surtout avec une pleine résignation, vous abandonnant à moi sans réserve et disant :

Seigneur, vous savez ce qui est le mieux ; que ceci ou cela se fasse comme vous le voudrez.

Donnez ce que vous voulez, autant que vous le voulez et quand vous le voulez.

Faites de moi ce qui vous plaira, selon ce que vous savez être bon, et pour votre plus grande gloire.

Placez-moi où vous voudrez, et disposez absolument de moi en toutes choses.

Je suis dans votre main, tournez-moi et retournez-moi en tous sens, à votre gré.

Voilà que je suis prêt à vous servir en tout : car je ne désire point vivre pour moi, mais pour vous seul : heureux si je le pouvais dignement et parfaitement !


PRIÈRE
POUR DEMANDER A DIEU LA GRACE D’ACCOMPLIR SA VOLONTÉ.

3. Le F. Accordez-moi, ô bon Jésus, votre grâce ; qu’elle soit en moi, qu’elle agisse avec moi[1], et qu’elle demeure avec moi jusqu’à la fin.

Faites que je désire et veuille toujours ce qui vous est le plus agréable, et ce que vous aimez le plus.

Que votre volonté soit la mienne ; et que ma volonté suive toujours la vôtre, et jamais ne s’en écarte en rien.

Qu’uni à vous, je ne veuille ni ne puisse vouloir que ce que vous voulez ; et qu’il en soit ainsi de ce que vous ne voulez pas.

Donnez-moi de mourir à tout ce qui est du monde, et d’aimer à être oublié et méprisé du siècle à cause de vous.

Faites que je me repose en vous par-dessus tout ce qu’on peut désirer, et que mon cœur ne cherche sa paix qu’en vous.

Vous êtes la véritable paix du cœur, son unique repos : hors de vous, tout pèse et inquiète. Dans cette paix, c’est-à-dire en vous seul, éternel et souverain Dieu, je dormirai et je me reposerai[2]. Ainsi soit-il.

RÉFLEXION.

Jamais satisfait pleinement de ce qu’il est et de ce qu’il possède, fatigué du vide de son cœur, toujours inquiet, toujours aspirant à je ne sais quel bien qui le fuit toujours, l’homme n’a pas un moment de vrai repos, et sa vie s’écoule dans les désirs. Ce n’est pas seulement une grande misère, mais encore un grand danger ; car la racine de tous les maux est la convoitise, et plusieurs, en s’y livrant, ont perdu la foi, et se sont engagés dans une multitude de douleurs[3]. L’imagination, qui, en cet état, se porte avec force vers tout ce qui l’attire, obscurcit la raison, ébranle et entraîne la volonté même ; et ainsi l’on doit s’attacher soigneusement à la réprimer, lors même que les objets qui l’occupent paraîtraient exempts de toute espèce de mal, et qu’on croirait ne chercher dans ses rêves qu’un soulagement permis et une distraction innocente. La piété, elle-même s’égare aisément, si elle n’est en garde contre les désirs en apparence les plus saints. Nous ne savons ni ce qui nous est bon, ni ce qui nous est nuisible. Tantôt nous souhaiterons d’être délivrés d’une croix nécessaire peut-être à notre salut, tantôt, dans un mouvement indiscret de ferveur, nous en souhaiterons une autre sous laquelle nos forces succomberaient, si elle nous était imposée. Que faire donc ? Demander à Dieu que sa volonté se fasse[4] en nous et hors de nous, y conformer la nôtre, entièrement, et renfermer en elle tous nos désirs. Nous ne trouverons de paix et de sécurité que dans ce parfait abandon entre les mains de notre Père. Mon Père, non pas ce que je veux, mais ce que vous voulez[5].

  1. Sap. ix, 10.
  2. Ps. iv, 9.
  3. I Timoth. vi, 10.
  4. Matth. vi, 10.
  5. Matth. xxvi, 39.