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L’Inceste royal/07

La bibliothèque libre.
Éditions Prima (Collection gauloise ; no 29p. 33-38).

vii

Nuit de noces


L’heure vint enfin pour le roi et la reine de se retirer dans leurs appartements priyés.

Ils furent salués une fois encore par tous les personnages


Une jeune femme apparut (page 34).
de la cour, et Benoni XIV accompagna la reine Yolande jusqu’au seuil de sa chambre en lui disant :

— Je vous laisse, madame. Je ferai demander tout à l’heure à Votre Majesté de bien vouloir me recevoir.

Sur quoi il s’inclina en baisant la main de la reine.

Chaque fois, depuis deux jours, que les lèvres du roi se posaient sur sa main, Hector éprouvait une bizarre sensation.

Mais il l’attribuait à l’étrangeté des circonstances dans lesquelles il se trouvait.

La reine-mère vint bientôt le rejoindre, et elle éloigna les dames de la cour, en les priant de la laisser seule avec l’épouse de son fils.

Elle ouvrit alors un placard secret dont elle remit la clé à Hector.

— Vous trouverez, lui dit-elle, chaque soir des vêtements d’homme. Vous pouvez les prendre. Je vous le demande même. Attendez-moi ici. Je vais dans une heure venir vous rechercher.

Le fils du sénéchal était bien aise de troquer sa robe contre des habits de son sexe. Aussi s’empressa-t-il de le faire.

— Ah ! dit-il, je me sens mieux ainsi. Mais pourquoi diantre la reine-mère va-t-elle revenir me chercher. C’est peut-être pour me conduire vers la princesse dont elle m’a parlé.

De nouveau, il conçut l’espoir que cette princesse pouvait être sa bien-aimée Séraphine. Mais il n’osait y croire.

La reine Radegonde avait dit une heure, mais le temps parut beaucoup plus long à Hector.

Enfin une porte dissimulée s’ouvrit, et la mère du roi reparut.

— Venez, dit-elle.

Le jeune gentilhomme suivit la souveraine, qui le conduisit à une chambre ignorée de lui.

Elle y pénétra la première, puis dit à Hector :

— Entrez, messire…

Le fils du sénéchal sentit son cœur battre bien fort lorsqu’il franchit le seuil de cette chambre mystérieuse.

Il n’y avait personne. Pourtant, le grand lit recouvert d’un dais orné d’un écusson aux armes royales était défait, tout prêt pour ceux qui devaient s’y coucher. Deux oreillers y étaient disposés…

— Voici, dit Radegonde, la couche où vous passerez la nuit en compagnie de celle que vous pouvez appeler votre femme. Elle va venir, dès que je serai sortie. J’espère que vous lui ferez honneur et qu’elle effacera en vous l’image de toute autre.

Ayant prononcé ces paroles, la reine-mère se retira.

Alors, une tapisserie se souleva et une jeune femme apparut.

Celle qui s’avançait au-devant d’Hector était vêtue d’une robe de mariée, avec un long voile blanc, et une couronne était posée sur sa tête. Ce n’était pas la princesse Séraphine, mais le jeune homme fut bien obligé de reconnaître qu’elle était merveilleusement jolie.

Elle était brune et son épaisse chevelure relevée sur la tête en une lourde torsade encadrait un visage d’une grande finesse de traits. La bouche était petite ; les yeux noirs et profonds avaient une expression de langueur prenante ; le front était légèrement bombé, le corsage moulait un torse bien pris et une poitrine ronde et ferme ; le cou d’une blancheur de lait naissait entre deux épaules qu’Hector ne put s’empêcher d’admirer…

Mais tout de suite, en voyant la marche, l’allure générale, le regard surtout, et la lueur qui brillait dans les yeux noirs lorsqu’ils se fixaient sur lui, le comte ne put s’empécher de s’écrier :

— Dieu me damne, Altesse… mais vous ressemblez au roi comme si vous étiez sa sœur.

Or, nul ne connaissait de sœur au roi Benoni XIV. Qu’était donc cette princesse qui ressemblait de façon si frappante au souverain, au point d’en avoir jusqu’au regard ?…

Le lecteur qui est au courant du mystérieux entretien que nous avons relaté entre le grand sénéchal et la reine-mère pensera sans doute que c’était là une fille bâtarde de ces deux personnages, ce qui eût expliqué pourquoi ils avaient parlé d’inceste à ce propos…

Hector, qui ignorait cet entretien, ne savait que penser.

La princesse qui n’avait pas encore prononcé une parole ouvrit enfin la bouche et ce qu’elle dit laissa le jeune homme confondu. Certes, il s’attendait à quelque chose d’extraordinaire et de stupéfiant, mais ce qu’il entendait dépassait tout ce qu’il eût pu imaginer.

La princesse dont la reine-mère lui avait dit : « Celle que vous pouvez appeler votre femme », la jeune altesse qui était seule avec lui dans cette chambre, devant le lit qu’il était invité à partager avec elle, cette beauté mystérieuse qui ressemblait tant à Benoni XIV venait de lui dire, de la même voix douce et chantante qui était celle du souverain :

— Je ne suis pas la sœur du roi !… Je suis le roi !

La jeune femme s’assit et elle parla ainsi :

« Messire, voici le moment où vous devez connaître le secret de ma naissance.

Vous vous rappelez que lorsque je vins au monde, de mon sexe dépendait le sort de la couronne. Si la reine avait un fils, il serait roi, si elle avait une fille, le trône revenait à mon cousin le duc de Boulimie.

Or, ce fut une fille qui naquit. Mais la reine ma mère, d’accord avec votre père, alors colonel des hallebardiers de la garde, décida de cacher la vérité afin que mon cousin ne reçut pas la couronne, et l’on proclama qu’un prince était venu au monde, un prince qui fut reconnu roi sous le nom de Benoni XIV.

Vous pensez ce que fut mon enfance. Élevé officiellement comme un garçon, j’étais une fille ! Ce n’était que lorsque je me trouvais seule auprès de ma mère que je pouvais avouer mon véritable sexe.

On avait aménagé spécialement cette partie du palais. C’est ici que je me délassais des heures de la journée où je devais jouer le rôle du roi. Ici, Benoni XIV devenait la princesse Églantine, et je pouvais, retirant mes habits d’homme, me parer comme une femme, revêtir des robes, dénouer mes cheveux emprisonnés sous une perruque, me coiffer, être enfin coquette comme les autres jeunes filles.

Depuis l’âge de quinze ans surtout, cette situation m’était intolérable.

Et puis vint un jour où l’amour s’éveilla en moi. J’en avais le droit comme toutes les autres, n’est-ce pas ?… Malheureusement, nul prince, nul gentilhomme ne pouvait s’éprendre de ma personne.

Vous représentez-vous quel fut mon supplice ? Alors que tous se demandaient quelle princesse j’épouserais, j’appelais moi, un chevalier à qui donner mon cœur !…

Ce chevalier, je le remarquai enfin un jour, je l’aimais. Et j’étais décidé à me presenter à lui secrètement sous mon véritable aspect. Oui, j’avais conçu le projet de m’évader le soir, de jouer ce double rôle, et de me placer sur son chemin, espérant qu’il distinguerait cette inconnue et s’éprendrait ainsi de moi !…

J’étais résolue à tout abandonner s’il le fallait : couronne, pouvoir, et à crier publiquement la vérité pour être aimée ainsi que les autres femmes.

Or, un soir que j’errais seule, pensive, réfléchissant à ces choses dans les jardins du palais, je fus attirée par des bruits de voix vers le pavillon isolé que vous connaissez, hélas, aussi bien que moi…

J’entrai ! Ah ! Plut au ciel que la curiosité qui me poussa alors ne se fût jamais emparée de moi… Souvent depuis, je l’ai maudite, car peut-être eût-il mieux valu que je ne connusse pas la douloureuse vérité…

La princesse Séraphine m’avait volé le cœur de celui que j’aimais ! »

Et la pauvre petite reine, baissant la tête, les larmes plein les yeux, disait encore :

— Hector !… Hector !… Pardonnez-moi !… Je vous aime !…

Comprenez-vous maintenant mes fureurs, ma colère contre vous et contre elle ?

Comprenez-vous pourquoi j’ai voulu toute cette mise en scène. Roi, je ne pouvais pas vous épouser… C’est alors que je me suis dit ; « Qu’il disparaisse pour tous, il ne restera homme que pour moi !… Ainsi il sera bien à moi seule ! Et je pourrai devenir sa femme, sans renoncer à ce rôle qu’on m’impose ! »

Elle regardait le comte, attendant ce qu’il allait dire.

Lui marchait nerveusement. Ses idées se heurtaient dans son cerveau.

Il était profondément ému par cette déclaration : l’amour de la princesse pour lui le stupéfiait.

Un moment, il avait eu envie de lui crier :

— C’est Séraphine que j’aime !… Rendez-la-moi !…

Mais il avait compris que c’était se perdre à tout jamais et perdre aussi Séraphine, car le roi, ou du moins celle qui était le roi, n’aurait pas pardonné.

Il avait eu raison jadis d’attribuer à la jalousie l’attitude de Benoni XIV lorsqu’ils avaient été surpris, Séraphine et lui, mais ce n’était pas de lui que le roi était jaloux, c’était de Séraphine qu’Églantine était jalouse !…

Il tenait, en effet, entre ses mains, la clé d’une énigme qui était un formidable secret d’État.

Mais il ne pouvait le révéler ; il était obligé de se faire complice de cette supercherie qui durait depuis vingt ans et dont son père le premier avait été l’un des ouvriers.

Ah ! Le duc de Boulimie serait heureux s’il apprenait jamais ce qui s’était passé… Mais si le duc de Boulimie l’apprenait, le scandale rejaillirait sur son père…

Et puis, il ne pouvait trahir non plus celle qui venait ainsi de se livrer à lui…

Le pauvre Hector était bien malheureux…

Il regardait Églantine qui l’implorait presque à présent.

— Pauvre petite ! dit-il.

Elle se jeta dans ses bras :

— Ô Hector ! lui dit-elle !… Vois, j’ai voulu paraître devant toi comme l’épousée le soir de ses noces… Je me suis parée pour venir te dire : Prends-moi ! Aime-moi !… Ne pense plus à l’autre !… Regarde… Je suis aussi belle qu’elle peut l’être… et elle ne peut pas t’aimer plus que je t’aime…

La pauvre Séraphine était absente, enfermée dans son couvent.

Églantine était là, qui s’offrait, jeune, vierge, amoureuse ; Hector la sentait trembler tout contre lui. Il ne sut pas résister à la tentation… Il la déshabilla doucement, il la trouva belle et désirable, et, il la porta vers le lit préparé pour les nouveaux époux…

Elle se laissait faire, heureuse, toute énamourée, frémissante sous les baisers et les caresses de son amant-épouse, auquel elle se donna avec autant de passion qu’avait pu en manifester pour le même Hector la fille du duc de Boulimie.

Et c’est ainsi que, bien que la princesse Yolande ne fût autre que le comte de Vergenler, fils du grand sénéchal, le mariage du roi Benoni XIV fut quand même consommé, mais pas à la façon que se figurait le bon peuple du royaume de Sigourie.

Le grand sénéchal, qui était certes au courant de la vérité aussi bien que la reine-mère et la princesse Églantine elle-même, avait donc raconté une fable à son fils en lui parlant d’un prétendu mariage secret du jeune roi. Qu’on ne s’en étonne pas ; il avait, pour cela, une bonne raison. Il avait, en effet, fort justement pensé qu’Hector, s’il avait été prévenu a l’avance, n’eût jamais consenti à jouer jusqu’au bout le rôle qu’on attendait de lui.

— Lorsqu’il se trouvera en présence d’une jeune et jolie princesse, s’était dit le père de la pseudo-Yolande, la chair sera la plus forte, il ne pourra résister à l’appel de ses sens et il oubliera complètement sa Séraphine.

Les faits avaient prouvé que le grand sénéchal ne se trompait pas.

Une seule chose le chagrinait un peu : c’est, nous l’avons vu, qu’Hector et Églantine étaient frère et sœur, le grand sénéchal et la reine-mère Radegonde considérant la princesse-roi comme le fruit de leurs amours coupables, ce en quoi d’ailleurs ils n’avaient nullement tort, car la mère d’Églantine-Benoni était certaine que feu le roi Benoni XIII, malade depuis fort longtemps, n’avait même pas collaboré à la confection de la moindre parcelle du lobe de la petite oreille de la princesse qui était devenue roi sous le nom de Benoni XIV.