L’Inde après le Bouddha/Livre 2/Chapitre 1

La bibliothèque libre.

LIVRE II
Açoka
(276 ou 264-222)
CHAPITRE PREMIER
LÉGENDE DE LA CONVERSION DU ROI

Dans le royaume Tchamparna qui appartenait à la génération des Kourous, régnait Némita de la race du soleil. Il avait six fils légitimes et, de la fille d’un marchand, un 7e fils Açoka auquel il donna en apanage la ville de Patalipoutra (Patna), en récompense de ses victoires sur les habitants du Nepaul et autres montagnards. Némita envoya ses fils à Magada contre un Brahme qui y régnait et ils s’emparèrent de ses provinces du Magada. Némita étant mort subitement, les grands proclamèrent Açoka. Il attaqua de suite ses frères, les tua et fit de si grandes conquêtes que son empire s’étendit de l'Himmalaya aux Monts Vindhya, embrassant ainsi le Nord et le centre de la Péninsule.

Pendant les dix premières années de son règne qui précédèrent sa conversion, le roi favorisa beaucoup les Brahmes. Il se signala d’abord par son amour des plaisirs et on le surnomma « Kamachoka, l’homme du plaisir charnel » puis par des cruautés et on le nomma « Tchandachoka, l'homme des supplices ».

À son avènement au trône, il, fit mettre à mort ses 99 frères, dont l’un seulement lui avait disputé la couronne.

Il fit tomber, de sa main, la tête de cinq cents ministres qui l’avaient contredit ; pour une légère offense, il fit bruler ensemble sous un monceau de bois ses cinq cents femmes ; puis sachant que le peuple, à cause des exécutions auxquelles il prenait part, l’avait surnommé « le furieux », il prit pour bourreau un monstre de férocité nommé Tchandagorika, lui fit construire une maison de belle apparence que l’on appela la maison agréable et lui promit que quiconque y entrerait, n’en sortirait plus et serait abandonné à sa cruauté. Sept jours après, il lui envoya une femme des appartements intérieurs et un jeune homme entre lesquels on avait surpris des signes d’intelligence. Tchandra les broya dans un mortier d’airain avec des pilons.

Un Biksou étranger à la ville, entra dans cette maison dont il ignorait la destination. Témoin du supplice des deux infortunés, il se confirma dans le mépris de l’existence et s’abandonna au bourreau.

Mais tous les instruments de torture et de mort furent sans action sur le Religieux que préservaient d’innombrables mérites acquis dans des existences antérieures.

Le roi en fut informé et se rendit à la prison pour voir le fait de ses propres yeux. En ce moment, le religieux était assis tranquillement, impassible et invulnérable dans un chaudron chauffé au rouge blanc et rempli de matières bouillantes dans lesquelles le bourreau l’avait plongé. Reconnaissant que le moment était venu de convertir le Roi en déployant son pouvoir surnaturel, il s’élança dans l’air semblable à un cygne ; de la moitié de son corps jaillissait de l'eau, de l’autre moitié du feu. Produisant tour à tour de la pluie et des flammes, il resplendissait dans le ciel comme le sommet embrasé d’une montagne d’où s’échapperaient des sources.

Le roi lui dit : qui es-tu, toi dont la puissance est surhumaine et l’essence parfaite ? Je suis, répondit le religieux, un fils de Bouddha, le plus miséricordieux et le plus éloquent des hommes. Dompté par le Héros qui s’est dompté lui-même, calmé par ce sage qui est parvenu au comble de la quiétude, j’ai été affranchi de l’existence.

Et toi, ô grand Roi, ta venue a été prédite par Bhagavat ; c’est de toi qu’il a dit :

Cent ans après que je serai entré dans le Nirvana complet, régnera à Palipoutra un roi juste, souverain des quatre parties de la terre, qui fera la distribution de mes Reliques et qui établira 84,000 (nombre bouddhique) édits de la Loi.

Cependant tu as fait construire cette demeure, image de l’enfer, où des milliers d’hommes sont mis à mort. Ô roi des hommes ! donne, en la détruisant, la sécurité aux êtres qui implorent la compassion !

Le roi joignant les mains en coupe répondit :

« Pardonne-moi, ô fils du sage, cette mauvaise action dont je m’accuse devant toi ; je me réfugie auprès de Bouddha, de la Loi et de l’Assemblée. Je couvrirai la terre de Dzeddis (Stoupas) qui brilleront comme l’aile du Cygne, comme la Conque et comme la Lune.

Le roi voulut alors quitter la prison, mais Tchandagorika lui dit les mains jointes : Ô roi, tu m’as promis qu’aucun homme entré ici n’en sortirait plus ! Tu voudrais donc me mettre aussi à mort, s’écria Açoka. Oui, répondit le bourreau. Quel est, reprit le Roi, celui de nous deux qui est entré le premier ? Moi, dit Tchanda Gorika ; « alors tu dois mourir d’abord ». Il le livra à ses propres aides et fit démolir la maison agréable.

Telle est, sur la conversion d’Açoka, la légende du Népaul tout à fait dans le goût hindou.

La légende birmane, beaucoup plus sobre, fait opérer la conversion par un jeune religieux dont la distinction, l’éloquence et la sainteté gagnèrent le cœur du roi.

À partir de ce moment, Açoka fut un protecteur de plus en plus déclaré des Bouddhistes qui, alors l’appelèrent Darmachoka. Son empire s’étendit au Nord au-delà du Thibet et au Sud jusqu’à l’Océan.

Il rendit un grand nombre d’édits en faveur de la morale et de la religion. On en retrouve inscrits sur des piliers ou gravés sur des Stèles et sur le roc en vingt endroits de l’Inde, à Gunar, à Khalsi, à Jaugada, à Deuli, à Kandaghiri. Il y a à Allahabad un édit, dit de la Reine ; Ces inscriptions de Pyadaci sont les plus anciennes que nous possédions de ces pays.

Plusieurs des édits étaient accompagnés de la représentation gravée sur le rocher d’un éléphant, ou de l’arbre Boddhi ou de quelque autre symbole bouddhique. Dans le 13e édit l’éléphant est qualifié de grand éléphant, d’éléphant par excellence. On sait que l’éléphant blanc est une représentation symbolique du Bouddha.

Les sept premiers édits sont antérieurs à la conversion officielle du roi : mais on reconnaît facilement qu’il était déjà favorable au Bouddhisme, car il protège les Ascètes qui tendaient à se substituer aux Brahmes. Les édits suivants ont en vue surtout de répandre parmi les peuples les doctrines morales du Bouddha ; Schlagenweit nous apprend qu’ils étaient en caractères phéniciens ; sans doute ces caractères auront servi à représenter les mots de plusieurs dialectes parlés par les peuples divers au milieu desquels étaient placées les inscriptions, en sorte que celles-ci présentent un grand intérêt linguistique. Depuis 50 ans les Orientalistes s’appliquent à les déchiffrer et à les traduire. Cunningham leur a consacré un livre spécial et prétend que la langue employée est au sanscrit, ce que l’Italien est au Latin.

Ces édits sont tous d’une grande élévation morale, et ont un prix immense pour l’histoire des religions et la géographie historique. C’est le seul document complètement précis que nous ait laissé l’Inde livrée toute entière à la fable et à la Légende. On ne peut y ajouter comme ayant une réelle valeur historique que les Annales Monastiques de Ceylan, c’est-à-dire la Chronique du Mahanvansa et du Dîvapansa.

Dans leur ensemble, les édits nous révèlent un Açoka bien supérieur à celui des Légendes, un Saint-Louis, un Charlemagne du monde Indien ; la tradition bouddhiste ne nous donnait qu’un Constantin bouddhiste, finissant par l’absorption dans la dévotion la plus aveugle.

La traduction la plus satisfaisante des Édits est celle que M. Senard a donnée dans le Journal Asiatique, années 1880 et 1882 ; nous lui empruntons les citations de l’abrégé qui suit.