L’Ombre des jours/Conte de fée

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Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 71-73).


CONTE DE FÉE


Parfois après la chaude et montante bouffée
Que donne l’amoureuse et mortelle douleur,
On rêve, avec le goût du calme et des fadeurs,
D’un pays de légende et de contes de fée.

On rêve, avec un cœur d’enfant convalescent,
D’un amour qui serait tout en sorcellerie,
Où l’amante et l’amant s’aiment et se sourient
D’une bouche où la rose a remplacé le sang.


Vêtus de lourds habits d’un pourpre de cerise,
Les enfantins amants toujours en apparat
Se sentiraient gênés dans l’âme et dans les bras
Pour le beau désespoir, sa mollesse et ses crises.

Tout aurait la couleur d’argent de l’irréel,
Le vent déplisserait des buissons d’azalée
La nuit blanche serait lisse comme une allée
Où la lune refait son rêve habituel.

Au royaume léger et charmant du fantasque,
Les amants, n’ayant pas le vouloir imprudent
De déchirer leur cœur pour regarder dedans,
Se croiront sur la foi des regards sous les masques,

Sans jamais enlacer ni désirer leur corps,
Ayant toujours un peu de sourire à la bouche,
Ils poursuivront dès l’aube une biche farouche
Au son prodigieux et débordant du cor ;


Ils seraient des héros, des reines et des pâtres,
Habitant des maisons si frêles du dehors,
Comme on en voit trembler et fleurir aux décors
Dans l’ombre merveilleuse et fraîche des théâtres.

Toujours se pavanant, ils oublieraient un peu
Qu’ils sont là pour l’amour et sa sauvagerie,
Et comme il apparaît sur les tapisseries,
La licorne et le chien s’assoiront auprès d’eux.

Et le soir, las de grâce et de cérémonie,
N’ayant plus la ferveur qu’il faudrait pour l’amour
Ils se souhaiteraient un bon soir tour à tour
Sans qu’une main plus chaude à l’autre reste unie.

Alors chacun dormant dans son lit enchanté,
Leurs rêves se joindront aux travers des fenêtres,
Et se pressant en songe ils auront pu connaître
Le bel enlacement sans sa témérité…