L’Ombre des jours/Frissons du soir

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Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 61-62).


FRISSONS DU SOIR


Le feuillage bruit imperceptiblement,
L’enfantine terreur du soir est sur les choses,
Les cygnes, au milieu de l’étang se reposent,
Le chant sec du grillon jette son craquement.

La chauve-souris brusque et tombante s’engage
Dans les mailles de l’air étroit, dormant et gris,
Voici venir encor d’autres chauves-souris
Qui dans l’obscurité font un cendreux sillage.


— Ah ferme la fenêtre et que je ne voie plus
La nuit, la nuit divine au versement d’étoiles,
Pose la lampe avec son abat-jour de toile
Sur la table, et reprends ce livre qui m’a plu.

Le jardin, dans la nuit si tranquille et si grande,
Comme il était secret, ironique et blafard,
On y voyait passer les morts qui viennent tard,
Cela avait un air de ballade allemande ;

Comment avons-nous pu frôler tantôt encor
Le feuillage envahi de tout ce clair de lune,
Cette ombre ensorcelée et ces phalènes brunes !
— À la vitre voici les choses du dehors,

L’allée en cailloux semble une âme de damnée,
Ferme cette fenêtre un peu plus, s’il te plaît…
— Ah ! demain, par la fente étroite du volet
Te revoir, soleil d’or des belles matinées ! …