L’Ombre des jours/La Petite Ville

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Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 127-132).


LA PETITE VILLE


La ville douce et monotone
Est en montée et en vallon,
Les maisons peinent tout au long,
Et l’une à l’autre se cramponne.

Du soleil versé comme une eau
Est dans la rue et les ruelles,
Les durs pavés qui étincellent
Semblent de lumineux sursauts.


L’église massive et muette
Est sur la place du marché,
Le vent de l’hiver a penché
Le beau coq de sa girouette.

La poste est noire et sans bonheur,
Personne auprès d’elle ne passe,
Il semble que petite et basse
Elle soit là pour le facteur.

La boulangerie est énorme ;
Il entre et sort de larges pains,
Couleur du bois blanc des sapins
Et ronds comme des chats qui dorment.

Le boucher que l’on croit méchant
Pour sa force rouge et tranquille,
Est comme un ogre dans la ville
Et son métier semble un penchant.


Le libraire a quelques volumes
Qui vieillissent sur ses rayons,
Il en vend moins que de crayons,
De cahiers et de porte-plumes.

L’épicerie a un auvent,
Un banc, un air de bonne chance,
Elle a sa table et sa balance,
Ses tiroirs qu’on ouvre souvent.

Elle est prudente et trésorière,
Pleine de soins et d’expédients,
Les gens y causent en riant,
Elle se ferme la dernière.

Et quand vient le jour de Noël,
Toute enduite de neige fraîche,
Elle est belle comme une crèche
Et dévote comme un autel.


Elle est familière et divine,
Tout y est secret et profond,
Il semble que les fées y font
La besogne joyeuse et fine.

— Aujourd’hui que voici l’été,
Presque personne ne travaille,
La ville est en chapeaux de paille,
La vie est pleine de bonté.

Sur le mail clair, au sol s’attache
Un banc avec des pieds rouillés.
Les bordures de buis taillés
Ont le parfum de la pistache.

Dans un coin de rue au soleil,
Sous un store et sous un vitrage,
Des fleurs font un vif étalage
Bleu, orangé, vert et vermeil.


Et la fleuriste aux primevères
Respire, assise entre ses pots,
Une moiteur de terre et d’eau
Et vit dans sa maison de verre…