L’Onanisme (Tissot 1769)/Introduction

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INTRODUCTION.


Nos corps perdent continuellement ; & si nous ne pouvions pas réparer nos pertes, nous tomberions bientôt dans une foiblesse mortelle. Cette réparation se fait par les aliments, mais ces aliments doivent subir dans nos corps différentes préparations, que l’on comprend sous le nom de nutrition. Dès qu’elle ne se fait pas, ou qu’elle se fait mal, tous ces aliments deviennent inutiles, & n’empêchent pas qu’on ne tombe dans tous les maux que l’épuisement entraîne. De toutes les causes qui peuvent empêcher la nutrition, il n’y en a peut-être point de plus commune que les évacuations trop abondantes.

Telle est la fabrique de notre machine, & en général des machines animales, que, pour que les aliments acquièrent ce degré de préparation nécessaire pour réparer le corps, il faut qu’il reste une certaine quantité d’humeurs déjà travaillées, naturalisées, si l’on veut me permettre ce terme. Si cette condition manque, la digestion & la coction des aliments reste imparfaite, & d’autant plus imparfaite, que l’humeur qui manque est plus travaillée, & d’une plus grande importance.

Une nourrice robuste, qu’on tueroit en lui tirant quelques livres de sang dans vingt-quatre heures, peut fournir la même quantité de lait à son enfant, quatre ou cinq cents jours de suite sans en être sensiblement incommodée, parce que le lait est de toutes les humeurs la moins travaillée, c’est une humeur qui est presqu’encore étrangère, au lieu que le sang est une humeur essentielle. Il en est une autre, la liqueur séminale, qui influe si fort sur les forces du corps, & sur la perfection des digestions qui les réparent, que les Médecins de tous les siecles ont cru unanimement que la perte d’une once de cette humeur affoiblissoit plus que celle de quarante onces de sang. L’on peut se faire une idée de son importance, en observant les effets qu’elle opère dès qu’elle commence à se former ; la voix, la physionomie, les traits même du visage changent ; la barbe paroît ; tout le corps prend souvent un autre air, parce que les muscles acquièrent une grosseur & une fermeté qui forment une différence sensible entre le corps d’un adulte & celui d’un jeune homme qui n’a pas passé la puberté. L’on empêche tous ces développements en emportant l’organe qui sert à la séparation de la liqueur qui les produit ; & des observations vraies prouvent que l’amputation des testicules, dans l’âge de la virilité, a procuré la chute de la barbe, & le retour d’une voix enfantine[1]. Peut-on douter, après cela, de la force de son action sur tout le corps, & ne pas sentir par-là même, combien de maux doit procurer la profusion d’une humeur si précieuse ? Sa destination détermine le seul moyen légitime de l’évacuer. Les maladies en procurent quelquefois l’écoulement. Elle peut se perdre involontairement dans des songes lascifs. L’auteur de la Genese nous a laissé l’histoire du crime d’Onan, sans doute pour nous transmettre celle de son châtiment ; & nous apprenons par Galien, que Diogene se souilla en commettant le même crime.

Si les dangereuses suites de la perte trop abondante de cette humeur ne dépendoient que de la quantité, ou étoient les mêmes à quantité égale, il importeroit peu, relativement au physique, que cette évacuation se fit de l’une ou de l’autre des façons que je viens d’indiquer. Mais la forme fait ici autant que le fond, qu’on me permette encore cette expression, mon sujet autorise des licences de cette espece. Une quantité trop considérable de semence perdue dans les voies de la nature jette dans des maux très-fâcheux ; mais qui le sont bien davantage, quand la même quantité a été dissipée par des moyens contre-nature. Les accidents, que ceux qui s’épuisent dans un commerce naturel éprouvent, sont terribles : ceux que la masturbation entraîne, le sont bien plus. Ce sont ces derniers qui sont proprement l’objet de cet ouvrage ; mais la liaison intime, qu’ils ont avec les premiers, empêche d’en séparer le tableau. c’est ce tableau commun qui formera mon premier article : il sera suivi de l’explication des causes, second article dans lequel j’exposerai celles qui rendent les suites de la masturbation plus dangereuses : les moyens de guérison, & des remarques sur quelques maladies analogues finiront l’ouvrage. Je joindrai par-tout les observations des meilleurs auteurs à celles que j’ai faites moi-même.

  1. Boerhaave, prælectiones ad institut §. 658, t. 5, p. 444, edit. Goett.