L’Onanisme (Tissot 1769)/Préface

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PRÉFACE


Je sentis les défauts de l’original latin de ce petit Ouvrage en le composant ; j’en fis mes excuses, & j’indiquai mes raisons de justification dans la Préface. Ces défauts me frappèrent encore plus vivement après l’impression ; & je les ai trouvés intolérables, en examinant une traduction françoise qu’on désiroit que je revisse.

Outre beaucoup d’observations nouvelles à ajouter, il falloir remédier à des fautes d’ordre considérables, & donner une juste étendue à des articles qui n’étoient que des premiers linéaments, presque incapables de faire saisir ce que j’avois voulu dire.

Tant de corrections rendoient l’ouvrage à peu près neuf, & beaucoup plus long. La difficulté d’exécuter cette entreprise en langue vivante, & tous les désagréments qu’elle entraînoit ne m’échappèrent pas. Il n’y avoit qu’un motif aussi puissant que celui de l’utilité, dont cette entreprise, bien exécutée (c’est sans doute dire mieux que je ne l’ai fait) pouvoit être à l’humanité, qui pût me décider ; & c’est en effet le seul qui m’ait décidé. Il est triste de s’occuper des crimes de ses semblables ; leur considération afflige & humilie ; mais il est doux d’espérer qu’on contribuera a diminuer leur fréquence, & à adoucir les misères qui en sont les suites.

Ce qui a rendu ce travail beaucoup plus pénible qu’il ne l’eût été si j’eusse écrit en latin, c’est l’embarras d’exprimer des images dont les termes & les expressions sont déclarées indécentes par l’usage. Il m’en auroit infiniment coûté s’il eût fallu me dispenser de cette attention ; & cette disposition, dont j’ose me glorifier, m’a rendu le travail moins coûteux qu’il ne l’auroit été si malheureusement elle m’eût manqué ; cependant je l’ai encore trouvé hérissé de difficultés. J’ose assurer que je n’ai négligé aucune précaution pour donner à cet ouvrage toute la bienséance dans les termes dont il étoit susceptible. Il y a des écueils inséparables de la matière ; comment les éviter ? Falloit-il se taire sur des objets aussi importants ? Non sans doute. Les Auteurs sacrés, les Pères de l’Église, qui presque tous écrivoient en langues vivantes, les Auteurs Ecclésiastiques, n’ont pas cru devoir garder le silence sur les crimes obscenes, parce qu’on ne pouvoit pas les désigner sans mots. J’ai cru devoir suivre leur exemple ; & j’oserai dire avec Saint Augustin, Si ce que j’ai écrit scandalise quelque personne impudique, qu’elle accuse plutôt sa turpitude, que les paroles dont j’ai été obligé de me servir pour expliquer ma pensée sur la génération des hommes. J’espere que le lecteur pudique & sage me pardonnera aisément les expressions que j’ai été obligé d’employer. J’ajouterai, à ce que dit ce saint homme, que j’espere mériter la reconnoissance & l’approbation des gens vertueux & éclairés, qui connoissent la turpitude de l’Univers, & qui loueront, sinon mes succès, au moins mon entreprise.

Je n’ai pas touché, non plus que dans la première édition, la partie morale ; & cela par la raison d’Horace.

Quod Medicorum est
Promittunt Medici.

Je me suis proposé d’écrire des maladies produites par la masturbation, & non point du crime de la masturbation ; n’est-ce pas d’ailleurs assez en prouver le crime, que de démontrer qu’elle est un acte de suïcide. Quand on connoît les hommes, on se persuade aisément qu’il est plus aisé de les détourner du vice par la crainte d’un mal présent, que par des raisonnements fondés sur des principes dont on n’a pas allez de soin de leur inculquer toute la vérité. Je me suis appliqué ce qu’un homme, dont notre siecle se glorifiera chez la postérité la plus reculée, fait dire à un Religieux : On nous fait entreprendre de prouver l’utilité de la prière à un homme qui ne croit pas en Dieu ; la nécessité du jeûne à un autre qui a nié toute sa vie l’immortalité de l’ame. L’entreprise est laborieuse, & les rieurs ne sont pas pour nous[1]. Marphurius doutoit de tout, Scanarelle lui donna des coups de bâton, & il crut.

Ces Zoïles de la société & de la littérature, qui ne font rien, & qui blâment tout ce qu’on fait, oseront dire que cet ouvrage est plus propre à répandre le vice qu’à l’arrêter, & qu’il le fera connoître à ceux qui l’ignorent. Je ne leur répondrai point ; on s’avilit en leur répondant. Mais il est des ames foibles, quoique vertueuses, sur lesquelles ces discours pourraient faire impression ; je leur dois cette réflexion générale ; c’est que mon livre est à cet égard-là dans le cas de tous les livres de morale : il faut les interdire tous, si c’est multiplier un vice que d’en montrer les dangers. Les Livres Saints, ceux des Pères, ceux des Casuistes doivent tous être prohibés avant le mien. Quelle est d’ailleurs la jeune personne qui s’avisera de lire un ouvrage sur une matière de Médecine dont elle ignore le nom ? Il est à souhaiter qu’il devienne familier aux personnes appellées à diriger l’éducation ; il leur servira à démêler de bonne heure cette détestable habitude, & les mettra à même de prendre les précautions qu’elles jugeront nécessaires pour en prévenir les suites.

Ceux qui n’entendent pas le latin trouveront peut-être qu’il y a trop de vers en cette langue ; je leur répondrai qu’il n’y en a point qui ne soit lié à la matière, puisqu’il n’y en a aucun qui ne m’ait été rapellé par la chaîne des idées. J’ai cependant fait en sorte par-tout qu’on pût les sauter sans interrompre le fil du discours. Ceux qui les entendent m’en sçauront gré : le voyageur au milieu des bruyères est réjoui par la beauté d’une verdure. Enfin si c’est un tort, il est léger ; & dans un ouvrage aussi ingrat, on peut permettre ce délassement à l’Auteur. S’il n’y en a pas de françois, ce qui auroit été plus naturel, c’est peut-être la faute des Poètes plutôt que la mienne.

Cet ouvrage au reste n’a rien de commun avec l’Onania Anglois, que le sujet ; & à deux pages & demi près que j’en ai tirées, cette rapsodie ne m’a fourni aucun secours. Ceux qui liront les deux ouvrages sentiront, j’espere, la différence totale qu’il y a de l’un à l’autre : ceux qui ne liront que celui-ci auroient pu être trompés par le rapport des titres, & portés à supposer quelque ressemblance entre les deux livres ; heureusement il n’y en a aucune.

Les additions augmentent cette nouvelle édition, presque d’un tiers, & je souhaite qu’elles soient accueillies favorablement par les personnes qui sont en état d’en juger. L’on me fera peut-être deux objections ; l’une, que j’ai ajouté un grand nombre d’observations & d’autorités qui ne sont presque que des répétitions de celles qui se trouvoient déjà dans la première ; l’autre, que dans quelques endroits je suis trop sorti de mon titre, & que j’ai envisagé le danger des plaisirs de l’amour sous un point de vue général. Je réponds à la première, que dans une matière comme celle-ci, où l’on doit moins espérer de convaincre par des raisons, que d’effrayer par des exemples, l’on ne peut pas trop en accumuler. Je réponds à la seconde, 1°. que quand deux matières sont étroitement liées, plus on veut en isoler une, & moins bien on la traite ; 2°. que j’ai été bien aise de rendre cet ouvrage d’une utilité plus générale. Quelqu’un m’a dit que c’est cette lecture qui a fait horreur à un Professeur illustre. Je ne puis pas le croire ; mais si le fait est vrai, je le prie de vouloir bien lire cette Préface, sur laquelle il n’avoit sans doute pas jetté les yeux.

En écrivant sur l’Inoculation je me suis proposé de propager la méthode la plus propre à arrêter les ravages d’une maladie meurtrière, & j’ai la satisfaction d’avoir opéré au moins quelque bien : en composant cet ouvrage, j’ai espéré d’arrêter les progrès d’une corruption plus ravageante peut-être que la petite vérole ; & d’autant plus à craindre, que, travaillant dans les ombres du mystere, elle mine sourdement, sans même que ceux qui sont ses victimes se doutent de sa malignité. Il étoit important de la faire connoître ; & j’ai actuellement plusieurs raisons pour croire que j’ai eu le bonheur d’être utile, que les yeux de la jeunesse se déssillent, & qu’elle apprendra peu à peu a connoître le danger en même temps que le mal : ce seroit un des plus sûrs moyens de prévenir cette décadence dont on se plaint dans la nature humaine, & peut-être de lui rendre, dans quelques générations, la force qu’avoient nos aïeux, & que nous ne connoissons plus qu’historiquement, ou par les monuments qui nous en restent. Mais pour parvenir à ce but il est à souhaiter que MM. les Médecins veuillent bien faire quelqu’attention à cette cause trop négligée jusques à présent ; j’en ai vu, depuis la dernière édition de cet ouvrage, qui croyoient que j’en avois exagéré les dangers, & m’assuroient qu’ils n’avoient jamais vu de maladies occasionnées par cette cause ; je puis les assurer, à mon tour, que le mal est plus grand encore que je ne l’ai peint, qu’il est extrêmement fréquent, & qu’ils ont traité très-souvent des malades de ce genre, mais sans le soupçonner, parce que cette cause, presqu’omise par le plus grand nombre des auteurs, ne se présentoit pas à leur esprit. Aujourd’hui les coupables que la ressemblance de leurs maux avec ceux que je décris dans cet ouvrage, force à s’en avouer la cause, sont les premiers à l’indiquer, & bientôt tous les Médecins pourront juger si j’ai eu raison.

Veuille celui qui peut tout, répandre sur mes vues cette bénédiction, sans laquelle nos foibles travaux ne peuvent rien ! Paul plante, Apollos arrose, c’est Dieu qui donne l’accroissement.

A Lausanne le 13 Mai 1768.

  1. Lettres Persan. 49.