L’Onanisme (Tissot 1769)/Article 3/Section 10

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SECTION X.


Pratique de l’Auteur.


IL y a quelques maladies dans lesquelles il est difficile de démêler exactement la cause, & par-là même de déterminer l’indication, & de régler le traitement, mais qui se guérissent avec assez de facilité quand on est parvenu à ce point ; il n’en est pas de même dans la consomption dorsale. L’on sçait quelle est la maladie ; l’on en connoît la cause : c’est, comme le dit M. Lewis, une espece particulière de consomption, dont la cause prochaine est une foiblesse générale des nerfs : l’indication est aisée à former ; l’on ne peut pas être partagé par-là même sur l’essentiel du traitement ; mais souvent le meilleur traitement échoue ; c’est une raison de plus pour en fixer les détails avec exactitude. Le relâchement général des fibres, la foiblesse du genre nerveux, l’altération des fluides sont les causes du mal. Il dépend de l’affoiblissement de toutes les parties ; il faut leur rendre leur force, c’est l’unique indication. Elle a ses subdivisions tirées des différentes parties affoiblies ; mais comme les mêmes remèdes servent à les remplir toutes, il est inutile de les détailler ici ; elles l’ont été dans le cours de cet ouvrage.

Ceux qui ignorent parfaitement la Médecine, & qui en parlent cependant plus que ceux qui la sçavent, croiront qu’il est fort aisé de remplir cette indication, & : qu’avec de bons aliments & des cordiaux, dont nos boutiques abondent, on fortifie bien aisément ; de tristes expériences ont au contraire appris aux plus grands Médecins que rien n’étoit plus difficile.

Il est bien aisé, dit M. Gorter, de diminuer les forces ; l’on n’a presque aucun secours pour les réparer[1]. On le comprendra aisément si l’on réfléchit que les aliments & les remèdes ne sont autre chose que les instruments dont la nature se sert pour s’entretenir, réparer ses pertes, & remédier aux dérangements qui surviennent dans le corps. Et qu’est-ce que la nature ? L’aggrégat des forces du corps distribuées harmoniquement. C’est la force vitale distribuée respectivement dans les différentes parties. Quand les forces sont épuisées, c’est donc la nature qui est en défaut ; c’est l’architecte ouvrier qui ne fonctionne plus ; donnez-lui des matériaux tant que vous voudrez, il est hors d’état de les employer. Vous pouvez l’enterrer avec son bâtiment, sous la pierre, le bois & le mortier, sans qu’il se répare un seul pouce de muraille. Il en est de même des maladies qui dépendent de la destruction des forces ; les aliments ne réparent point, & les remèdes n’agissent point. J’ai vu des estomacs si affoiblis, que les aliments n’y recevoient pas plus de préparation que dans un vaisseau de bois ; quelquefois ils s’y arrangent suivant les loix de leurs gravités spécifiques ; & quand enfin une nouvelle dose irrite l'estomac par son poids, on les voit ressortir succesivement par un léger effort, très-séparés les uns des autres. D'autres fois, par un plus long séjour, ils s’y corrompent, & on les vomit tels qu’ils seraient si on les eût laissé gâter dans un bassin d’argent ou de porcelaine. Que doit-on espérer des aliments dans des cas de cette espece ?

L’épuisement n’est pas aussi considérable dans tous : il en est dans lesquels les forces ne sont qu’affoiblies sans être totalement détruites ; il reste alors quelques ressources dans les aliments, & même dans les remèdes. Ce qui reste de la nature tire quelque parti des premiers ; & les derniers doivent être de ceux qu’on a remarqués propres à ranimer ce principe d’action vitale qui s’éteint : ce sont les secours étrangers, dont on aide l’architecte, pour qu’il puisse travailler à son ouvrage, en dépensant le moins possible de ses forces ; c’est, d’autres fois, le coup d’éperon qu’on donne à un cheval foible, pour qu’il fasse un effort dans un mauvais pas. Mais qu’il faut d’habileté & de prudence pour sçavoir juger d’un coup d’œil la profondeur du bourbier, la force de l’animal, & les comparer ! Si l’ouvrage est au-dessus de ses forces, ce coup d’éperon l’obligera, il est vrai, à un effort ; mais si cet effort ne peut pas le mettre au bon chemin, il ne fera que l’épuiser totalement.

La foiblesse produite par la masturbation offre une difficulté dans le choix des remèdes fortifiants, qui ne se présente pas dans d’autres cas ; c’est qu’il faut éviter avec le plus grand soin ceux qui, en irritant, pourraient réveiller l’aiguillon de la chair. C’est une loi de la méchanique animée, si différente de l’inanimée, & si peu soumise aux mêmes régles, que quand les mouvements s’augmentent, l’augmentation est plus considérable dans les parties qui en sont le plus susceptibles : ce sont, chez les masturbateurs, les parties génitales ; c’est donc dans ces parties que l’effet des remèdes irritants se manifestera le plus sensiblement ; & les suites dangereuses de cet effet ne peuvent rendre trop circonspects sur les moyens qu’on emploie. Quels peuvent-ils donc être ? c’est ce que j’examinerai après avoir détaillé le régime. Je suivrai, dans ce détail, la division ordinaire des six choses non naturelles, l’air, les aliments, le sommeil, les mouvements, les évacuations naturelles & les passions.

  1. De perspir. insens. p. 504.