L’Origine de nos Idees du Sublime et du Beau/X

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Traduction par E. Lagentie de Lavaïsse.
Pichon et Depierreux (p. 75-77).

SECTION X.
De la Beauté.

La passion qui concerne la génération, considérée simplement en elle-même, n’est que lubricité. C’est ce qui parait avec évidence dans les brutes, dont les passions sont moins complexes que les nôtres, et qui poursuivent leurs desseins plus directement que nous. La seule distinction que ces animaux observent entre eux, est celle du sexe. Il est vrai qu’ils s’attachent particulièrement à leur propre espèce, par préférence à toutes les autres. Cependant je ne pense pas que cette préférence naisse d’aucun sentiment de beauté qu’ils trouvent dans leur espèce, comme le suppose M. Addison, mais plutôt d’une loi de quelque autre genre à la quelle ils sont soumis : c’est ce qu’on peut raisonnablement conclure de leur défaut apparent de choix parmi les objets auxquels ils sont réduits par les bornes de l’espèce. Mais l’homme, créé pour des relations plus étendues et plus compliquées, unit à la passion générale l’idée de quelques qualités sociales, qui dirigent et animent cet appétit qu’il a en commun avec tous les autres animaux. N’étant pas destiné.

comme eux à une vie isolée, il convient que quelque chose puisse déterminer sa préférence et fixer son choix, et que ce soit en général quelque qualité sensible, puisqu’il n’en est point d’autre capable de produire un effet si prompt, si puissant, si inévitable. L’objet de cette passion mixte, qu’on appelle amour, est donc la beauté du sexe. Les hommes sont portés vers le sexe en général, parce que c’est le sexe, et par la loi commune de la nature ; mais ils sont attachés en particulier par la beauté personnelle. Je dis que la beauté est une qualité sociale : car lorsque des hommes et des femmes, et non-seulement eux, mais encore d’autres animaux, nous causent par leur présence une sensation de plaisir, (et il y en a beaucoup qui produisent cet effet) ils nous inspirent des sentimens de tendresse et d’affection pour leurs personnes ; nous aimons à les rapprocher de nous, nous entrons volontiers dans une sorte d’intimité avec eux, à moins que de fortes raisons ne nous obligent d’agir différemment. Mais de découvrir la fin pour laquelle cela se passe ainsi, c’est ce qui m’est impossible ; car je ne vois pas de raison pour que l’homme entre plutôt en liaison avec divers animaux formés d’une manière si séduisante, qu’avec quelques autres qui manquent entièrement de cet attrait ou qui le possèdent dans un moindre degré. Il est probable cependant que la providence n’a établi cette distinction que pour la faire concourir à quelque grand dessein ; et s’il nous est impossible de l’apercevoir, c’est que sa sagesse n’est pas notre sagesse, ni nos moyens, ses moyens.