L’Abîme (Rollinat)/L’Oubli

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L’Abîme. PoésiesG. Charpentier et Cie, éditeurs. (p. 202-203).


L’OUBLI


Outre les heures du sommeil
Dont la trêve est souvent mensonge,
Puisque plus d’un horrible songe
Vient nous y redonner l’éveil,

Il est des heures de magie
Pendant lesquelles, sans pensers,
On existe tout juste assez
Pour savourer sa léthargie.


Alors le projet en chemin
D’un seul coup s’arrête et se fige :
On perd jusqu’au dernier vestige
De son harcèlement humain.

Dans un croupissement d’extase
Gît votre personnalité,
Aplatie en totalité
Sous l’énorme oubli qui l’écrase.

Maint coupable connaît cela :
Il aspire à ces moments-là
Où sur son âme noire et double,

Vide de remords et de mal
Il flotte inerte et machinal
Comme un crapaud sur de l’eau trouble.