L’amour saphique à travers les âges et les êtres/06

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(auteur prétendu)
Chez les marchands de nouveautés (Paris) (p. 29-32).

L’Amour saphique, Bandeau de début de chapitre
L’Amour saphique, Bandeau de début de chapitre

VI

L’AMOUR LESBIEN MODERNE
SES DEUX GRANDES DIVISIONS : LA PASSION
SENSUELLE, LA PASSION SENTIMENTALE


Dans la grande armée des lesbiennes qui, presque avouées ou obstinément mystérieuses, nous coudoie, il faut séparer nettement deux groupes, qui obéissent chacun à des mobiles si différents qu’il est impossible de comparer entre elles celles qui les composent.

Dans le premier se réunissent toutes les hardies soldates de l’amour sensuel, les chercheuses avides de la seule sensation ; dans le second se précipitent les âmes tendres, déçues, chassées du sentier ordinaire par les vicissitudes de leur existence et les cruelles blessures que leur cœur reçut de la part des hommes.

Les premières sont des voluptueuses qui s’inquiètent peu de l’âme de leur compagne, s’énivrent de plaisir ; elles parviennent parfois aux pires exacerbations des sens, aux exaspérations passionnelles les plus terribles, les plus effrayantes. Elles peuvent en arriver au sadisme et à la folie érotique. Elles sont toutes plus ou moins entachées de névrose de cause héréditaire ou acquise.

Les secondes, qu’exalte surtout leur imagination, lorsque leur passion dépasse les limites imposées par la raison, finissent quelquefois dans l’hystérie religieuse, la manie de la persécution, la folie mélancolique.

Bien entendu, nous ne parlons là que des complètes déséquilibrées, de celles chez qui leur passion prend une place disproportionnée dans leur pensée, leur cervelet et leur vie.

Les modérées, qu’elles soient sentimentales ou voluptueuses, mènent parfaitement de front de vives satisfactions sensuelles dues au commerce lesbien, ou des rêves saphiques sentimentaux fort doux avec une existence tout autre.

Il y a des lesbiennes invétérées qui ne s’en montrent pas moins bonnes épouses, bonnes mères et dont la réputation demeure éternellement inattaquée.

Ce fait se rencontre infiniment plus souvent que ne veulent l’admettre les hommes qui posent en principe que la vie passionnelle d’une femme influe de façon capitale sur toute son existence, alors que, contrairement, ils établissent qu’un homme peut être un excellent père de famille, un homme grave et rangé, tout en s’accordant en dehors du foyer conjugal des distractions.

Néanmoins, il faut reconnaître qu’aussi bien chez l’homme que chez la femme, les passions sont de nature à porter atteinte aux autres sentiments plus calmes, et que les individus capables de soutenir à la fois une vie passionnelle accidentée et une existence familiale suffisamment soumise aux devoirs de celle-ci, sont rares.

Nous avons personnellement connu, pourtant, deux exemples de la possibilité de ce fait.

L’un était un homme, un docteur, père de famille tendre et dévoué, remplissant sa profession avec un zèle et une charité vraiment admirables, d’un talent exceptionnel, et qui se signala par des études et des ouvrages d’une valeur reconnue.

Sa vie intime était déplorable.

Sa passion la plus avouable était, à soixante-huit ans, une fillette de dix-huit, qui, du reste, le conduisit à un gâtisme précoce et une mort prompte.

Cependant, le tort de ses dérèglements fut tout personnel et ne s’étendit point à la famille de cet homme, qui se montra excellent pour elle.

L’autre type que nous avons à citer était une femme.

Mariée à un personnage occupant en province une situation très élevée, elle mena pendant vingt ans une existence des plus mouvementées, tout en gardant une apparence de correction parfaite, menant une brillante vie mondaine et élevant trois enfants ni plus ni moins bien que les autres femmes de son milieu, de conduite irréprochable.

Elle goûta à tous les amours avec une fougue, un entrain, une gaieté inouïs ; puis, l’âge venu, elle enraya et devint une charmante et spirituelle vieille femme.

Mais, nous le répétons, ces individus isolés, qu’il serait injuste de passer sous silence, ne sauraient néanmoins servir pour ébranler l’opinion que l’on doit avoir que, en général, une vie passionnelle active ne s’accomplit, pour l’homme aussi bien que pour la femme, qu’au détriment des sentiments et des devoirs qu’impose la famille.


L’Amour saphique, Vignette de fin de chapitre
L’Amour saphique, Vignette de fin de chapitre