L’ange de la caverne/02/06

La bibliothèque libre.
Le Courrier fédéral (p. 140-142).


CHAPITRE VI

UNE PROPOSITION DE CASTELLO


Castello entra dans la bibliothèque, tenant son chapeau et sa canne à la main. Il jeta un coup d’œil sur la table et vit qu’Éliane n’avait pas encore touché à son lunch.

« Vous n’avez pas encore pris votre lunch, Éliane ! » s’écria-t-il, « et il est deux heures. »

— « Pas encore, M. Castello. Je voulais terminer la lettre « N » dans le catalogue auparavant ; mais voilà que c’est fini et je vais manger avec appétit, je n’en doute pas. »

— « Je vous verrai au dîner alors, Éliane. Je vais sortir… J’ai reçu une dépêche qui va m’obliger d’avancer mon départ d’un jour ; je partirai demain matin. »

« Si tôt » ! s’écria Éliane, le cœur battant de joie et de soulagement.

Encore, cette fois, Castello s’illusionna sur l’exclamation d’Éliane.

« Chère bien-aimée, » lui dit-il, « est-ce que vraiment mon départ vous affecte à ce point ?… Éliane, » reprit-il, « pourquoi ne m’accompagnez-vous pas dans ce voyage… comme ma femme, j’entends ? »

— « Votre femme ! y pensez-vous, M. Castello, quand vous partez demain matin ! »

— « Rien ne sera plus facile que de faire célébrer notre mariage ce soir même… Vraiment, ma chérie, comment n’y ai-je pas pensé plus tôt !… Épousez-moi ce soir, Éliane et nous partirons ensemble, demain. Quel magnifique voyage de noces nous ferons !… Je vais m’occuper de cela immédiatement et je… »

Pauvre Éliane !… Elle crut qu’elle allait s’évanouir de peur à cette proposition de Castello… Il avait l’air tellement résolu que la jeune fille en frissonna de la tête aux pieds… Allait-elle être obligée de lui jeter son mépris à la face ?… Alors, adieu à la demi-liberté qu’elle avait rêvée pendant l’absence de Castello. Il se méfierait… et peut-être la ferait-il enfermer dans une des chambres de la caverne… Que deviendrait-elle, en ce cas ?… Que deviendrait le Docteur Stone ?…

« Eh ! bien, Éliane, j’attends votre réponse… Vous êtes ma fiancée ; devenez ma femme ce soir. »

— « Cher M. Castello, ” répondit la jeune fille d’une voix qui tremblait, malgré elle, ” je ne puis me marier sans trousseau, n’est-ce pas ? ”

— « Qu’à cela ne tienne ! » répondit Castello. « Votre trousseau, vous l’achèterez à Paris ou à Londres et vous l’achèterez aussi somptueux que vous le désirerez… Rien ne sera jamais trop beau pour la Contessa del Vecchio-Castello !… N’est-ce pas, Éliane que vous… »

— « D’ailleurs, M. Castello » interrompit Éliane, « ce ne serait pas prudent de partir tous deux, je crois et de laisser Lucia seule ici, sans personne pour prendre soin d’elle… Je vous l’avoue, je trouve Lucia bien changée et je crains qu’elle finisse pas tomber réellement malade… Ne croyez-vous pas que nous en éprouverions du remords si l’état de votre sœur empirait durant notre absence ? »

— « Lucia… » murmura Castello. « C’est vrai, elle n’est pas bien et si je n’étais obligé de partir, j’hésiterais à la quitter… Merci, Éliane, » ajouta-t-il, « de m’avoir rappelé mon devoir envers ma sœur, qui a toujours été une si bonne amie pour moi !… Je comprends vos raisons et je les respecte… Mais, aussitôt que je serai de retour, promettez-moi de devenir ma femme ! »

— « Deux mois sont vite passés, vous savez, » dit Éliane, sans répondre directement à Castello ; qu’aurait-elle pu lui répondre, d’ailleurs ?

— « Au revoir, ma chérie, » dit Castello, en regardant l’heure à sa montre ; « nous nous rencontrerons au dîner… J’espère que Lucia sera capable de se joindre à nous. »

— « Je l’espère, moi aussi, » répondit Éliane.

Quand Éliane fut certaine que Castello eut quitté la caverne, elle sonna Paul et aussitôt, il entra dans la bibliothèque, portant une cafetière remplie de café brûlant.

« M. Castello est parti, Mlle Lecour, » dit Paul, « et Mlle Lucia est couchée… Avez-vous des ordres à me donner ? »

— « Mais non, Paul ! Tu viendras chercher le plateau dans une heure à peu près. »

Paul salua et sortit.

« Il est étrange cet enfant ! » se dit Éliane. « Pourquoi m’a-t-il dit que M. Castello était parti et que Lucia était couchée… comme s’il avait voulu me rassurer… Bah !… À treize ans, on aime à bavarder, je suppose ! »

Remplissant de provisions la corbeille en osier et y ajoutant le billet qu’elle avait écrit à l’adresse du Docteur Stone, la jeune fille se dirigea vers la pierre mouvante, qu’elle fit basculer. Aussitôt, le Docteur Stone s’approcha de l’ouverture. Il salua Éliane en souriant, puis il lui remit l’autre corbeille, vide de provisions, mais contenant un billet à l’adresse de la jeune fille… Ils ne pouvaient se parler ; ils s’écrivaient… et, chaque jour les corbeilles devaient contenir des lettres adressées l’un à l’autre. Peut-être se glissait-il dans les lettres du médecin une note tendre, parfois… Éliane le crut vraiment… En fut-elle froissée… ou heureuse ?… Qui peut dire ce que ressent une jeune fille, en ces circonstances ?