L’ange de la caverne/02/10

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Le Courrier fédéral (p. 156-160).

CHAPITRE X

LIBRES


À peine Samson eut-il quitté la caverne que Paul entra dans la cuisine afin de s’assurer que le cuisinier et René, le marmiton, y étaient et qu’ils seraient occupés pour quelques instants au moins. Quant à René, à présent que Samson était parti, il n’était guère dangereux… S’il avait voulu protester, on l’aurait ficelé tout simplement, puis déposé dans un coin… Mais le cuisinier, c’était autre chose ; c’était un colosse, lui aussi et ce n’est pas le Docteur Stone, affaibli par sa récente captivité, qui en serait venu à bout… Non, le médecin, aidé seulement d’une jeune fille et de deux garçonnets — nous voulons dire Paul et Bamboula — n’auraient rien pu contre le cuisinier.

Mais, dans la cuisine, le cuisinier était à sortir un rôti du fourneau et René tenait dans ses mains un plateau pour y recevoir le rôti. C’était le temps ! Paul quitta la cuisine à pas de loup… Arrivé dans le couloir, il posa le doigt sur un point presqu’imperceptible dans la pierre et un pan de mur glissa aussitôt, sans bruit, sur ses rainures : le cuisinier et René étaient prisonniers dans la cuisine.

« Paul, » dit le Docteur Stone, « je désire me servir du téléphone qui est dans l’étude de M. Castello. »

— « Je vais vous ouvrir la porte de l’étude, M. le Docteur, » répondit Paul. Et quand la porte fut ouverte, le médecin se mit au téléphone, appelant sa propre maison.

« Hello ! » dit une voix que le docteur reconnut aussitôt.

— « C’est vous, Hannah ? »

— « Oui, c’est Hannah qui parle… Mais… ce n’est pas… ça ne peut être… »

— « Oui, Hannah, c’est moi, le Docteur Stone qui parle. »

— « Mais… j’ai cru… tout Smith’s Grove a cru… »

— « Je vous expliquerai tout cela bientôt, Hannah… J’arriverai chez moi dans une demi-heure ou trois quarts d’heure, à peu près… La chambre blanche est-elle prête à recevoir une malade ? »

— « Oui, M. le Docteur. Il n’y a qu’à mettre des serviettes et de l’eau fraîche. »

— « C’est bien… Dans trois quarts d’heure au plus, j’arriverai, accompagné d’une malade, d’une jeune… infirmière et aussi d’un étranger. Que tout soit prêt, n’est-ce pas ? »

— « Tout sera prêt, M. le Docteur ! »

Le Docteur Stone replaça le récepteur, puis il sortit dans le couloir, quand il aperçut Éliane dans le salon. Éliane, voulant emporter ses manuscrits de musique, était entrée au salon afin de les y chercher.

Le docteur, en entrant dans la pièce, qui était vivement éclairée, vit, pour la première fois l’Ange de la Caverne.

« Qu’est-ce que cela ? » demanda-t-il.

Il s’approcha du mur et lut ce qui était gravé sur le piédestal de la statue : « L’ANGE DE LA CAVERNE. »

« Mais, » s’écria-t-il, en s’adressant à Éliane, « cet Ange vous ressemble beaucoup, Mlle Éliane !… Cet Ange de la Caverne… »

— « Une fantaisie de M. Castello, » dit Elaine en souriant.

— « Ah ! je comprends… » murmura le docteur.

— « Savez-vous, Docteur Stone, cette statue m’effrayait un peu, dans les premiers temps ! Mais j’ai fini par l’aimer… Il me semblait que cet ange, qui ressemble aussi à ma mère, il me semblait, dis-je que l’Ange de la Caverne me voyait et qu’il me protégerait…

— « C’est une belle pensée, Mlle Éliane, » dit le Docteur Stone… « Puisse-t-il alors, l’Ange de la Caverne, nous conduire en sûreté hors de ce repaire ! »

— « Oui, je l’aime l’Ange de la Caverne, » reprit Éliane « et cela me fait une singulière impression de regarder cette statue en ce moment où nous allons partir… C’est comme si je laissais un être vivant, un être cher dans la caverne… Quel malheur que nous ne puissions l’emporter l’Ange de la Caverne, n’est-ce pas, Docteur Stone ? » ajouta-t-elle en riant. « Mais partons ! Nous n’avons pas un instant à perdre ! »

Dans le couloir, Éliane et le Docteur Stone aperçurent Bamboula portant deux petites valises : celle d’Éliane et celle de Lucia ; Bamboula se dirigeait vers la porte de sortie.

« Nous allons maintenant délivrer le captif, » dit Éliane au médecin et nous partirons ensuite… Voilà Paul ; il va ouvrir la porte de la chambre du captif… Savez-vous, Docteur, qu’il y a dix ou douze ans que cet homme est prisonnier ici ? »

— « Vraiment ! » s’écria le Docteur Stone. « Espérons que la joie de recouvrer sa liberté ne le tuera pas ; cela peut arriver. »

— « Cela n’arrivera pas cette fois, » répondit Éliane en souriant ; « Dieu est pour nous… Paul, » ajouta-t-elle, « aie donc la bonté d’ouvrir cette porte immédiatement. C’est dans cette chambre qu’est le captif, je crois.

— « Oui, c’est dans cette chambre, Mlle Lecour, » répondit Paul. « J’ai vu souvent Goliath ou Samson entrer dans cette pièce en portant des plateaux sur lesquels il y avait des provisions. »

La porte s’ouvrit… Le captif, qui se tenait tout près de la porte, ne fit qu’un bond dans le couloir.

« Mlle Éliane ! » murmura-t-il, en apercevant la jeune fille. L’Ange de la Caverne ! »

— « Monsieur ! » dit Éliane, en présentant sa main au captif. « Je vous présente le Docteur Stone, Monsieur, » continua-t-elle. « Docteur Stone je vous présente… monsieur… monsieur… »

— « Je me nomme… Pierre, Monsieur Pierre, Mlle Éliane. Oh ! s’écria-t-il soudain, avec beaucoup d’exaltation dans la voix, « libre ! libre ! Je suis libre enfin !  ! »

— « Monsieur, » dit le Docteur Stone, d’une voix qu’il essayait de rendre rude, « vous n’êtes pas libre encore… Il s’agit de sortir de cette caverne d’abord. »

Éliane jeta un regard étonné sur le médecin ; pourquoi prenait-il ce ton pour parler à M. Pierre ?… Mais un signe imperceptible du docteur lui fit tout comprendre : M. Pierre était dans un état d’exaltation tel qu’il fallait l’apaiser ; sans quoi, il pourrait mourir, ou, du moins, devenir fou subitement, de joie.

— « Monsieur, » reprit le Docteur Stone, « veuillez nous donner votre aide pour transporter une malade. »

— « Certainement, » répondit M. Pierre.

On se rendit dans la chambre de Lucia. Elle semblait sommeiller, mais Éliane lui parla et elle ouvrit les yeux. Elle parut surprise en apercevant les deux hommes qui accompagnaient Éliane, mais elle ne dit rien… Chose certaine, elle ne reconnut pas le Docteur Stone avec sa barbe inculte, car le médecin s’était vu obligé de cultiver une barbe depuis son emprisonnement, faute de rasoir.

Avec de grandes précautions, on enleva le matelas sur lequel Lucia était couchée… Pauvre Lucia ! Elle ne pesait guère !… Éliane prit une des extrémités du matelas avec le Docteur Stone et Bamboula prit l’autre extrémité avec M. Pierre. Enfin, on mit le pied dehors !…

Le fourgon attendait tout près de la porte de la caverne et Paul était déjà au volant. Le matelas contenant Lucia fut déposé au fond du fourgon. Éliane se plaça à sa tête (inutile de dire que Rayon était sur les talons de la jeune fille) et Bamboula à ses pieds. Le Docteur Stone et M. Pierre prirent place à côté de Paul ; on était prêt à partir.

« Nous sommes prêts ? » demanda le Docteur Stone.

— « Oui, nous sommes prêts ! » répondit Éliane.

M. Pierre se leva soudain, puis, faisant de grands gestes dans la direction de la caverne, il s’écria :

« Adieu, caverne maudite, dans laquelle j’ai tant souffert ! »

Vite, le médecin fit asseoir M. Pierre, posant, en même temps ses doigts sur le pouls du captif… Le docteur fronça les sourcils : ce pauvre homme allait-il vraiment perdre la raison ?…

« Asseyez-vous, s’il vous plaît, M. Pierre, » dit le Docteur Stone ; « nous allons partir. En avant, Paul ! » ajouta-t-il. « Mettons le cap sur Smith’s Grove ! »

Ils cheminèrent à travers bois pendant quelques minutes, puis ils atteignirent la route carrossable

Ils étaient libres !  !