L’associée silencieuse/00

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Éditions Édouard Garand (16p. i).

Pourquoi ce Roman ?



N’en déplaise à mon ami Bernard et à la phalange de pseudo-critiques qui se sont donnés la main pour chanter les louanges de « L’Homme Tombé », je trouve son roman franchement mauvais et ce, non seulement dans sa facture et dans sa langue ; mais dans son essence même : par la thèse absolument erronée qu’il y développe et surtout par les peintures fausses, injustes et outrageantes qu’il y fait de Saint-Hyacinthe et de sa brave population.

Je lui aurais pardonné de grand cœur sa thèse sur la parité nécessaire de la culture des époux, conception dont la vie se chargera de lui démontrer la fausseté, je lui aurais aussi, quoiqu’avec moins bonne grâce, passé le souffle de défaitisme qui règne à travers toute son œuvre ; mais ce que je ne puis digérer, en vrai mascoutain que la nostalgie fanatise peut-être, ce sont les fausses assertions, que contient le volume, ces tableaux fantaisistes de la vie de la population mascoutaine… Critiquer les travers d’une ville ne consiste pas à les inventer de toutes pièces et celui qui, même pour faire montre d’esprit, a recours à la fausseté n’en est pas moins un menteur… Où diable Bernard a t-il pris sur le vif les scènes disgracieuses qu’il décrit au chapitre VIII de son roman ? Certainement pas à Saint-Hyacinthe, la ville policée par excellence, la ville canadienne où la tradition française s’est conservée dans la plus inaltérable pureté !

Que l’on dise et que l’on écrive toutes les sornettes que l’on voudra ; mais qu’un esprit bilieux, sous couleur d’observation, réunisse tous les vieux clichés et revête de ce manteau informe, ridicule et infamant les épaules d’une charmante population, nous devons au moins avoir le droit de crier haro !

Avant de me décider à écrire ces pages, j’ai attendu de longs mois, espérant que la population chatouilleuse de ma chère ville natale se chargerait de clamer sa protestation ; mais on semble sommeiller au vieux Maska, on y parait disposé à avaler passivement la pilule… bien plus, ce brave chanoine Duranleau n’a-t-il pas, au cours d’un long article, en quelque sorte apposé son « nihil obstat » à l’orthodoxie de la thèse de Bernard et Henri d’Arles, qui a longtemps habité Saint-Hyacinthe et devrait mieux connaître la vie cordiale, douce et en quelque sorte fraternelle de sa population ne gobe-t-il pas d’emblée la légende à l’effet que Saint-Hyacinthe soit : « une petite ville cancanière où les castes sont tranchées, où la sotte vanité met comme un abîme entre ce qui se veut l’aristocratie et la classe ouvrière » mise de l’avant par mon jeune ami ? Tant il est vrai que Voltaire avait raison de dire : « Mentez ! mentez, il en restera toujours quelque chose ! »

Le malheur est, pour ce roman, qu’il a été conçu et commencé à Ottawa, dans la pensée de son auteur, c’est au milieu du cosmopolitisme de la Capitale que devaient évoluer ses personnages, ce n’est qu’au hasard d’un déménagement qu’il doit de les avoir transportés à Saint-Hyacinthe. C’est ce qui explique que si le texte est parsemé de noms mascoutains, on n’y sent pas la vie de chez nous et ses personnages sont des intrus dans notre bonne ville…

Hélas ! la calomnie n’en demeure pas moins et ses effets persistent…

Pourquoi ce roman ? C’est parce que Bernard a écrit « l’Homme Tombé ». C’est parce que, de toute nécessité, il fallait une protestation et que cette protestation, personne encore n’avait songé à la faire.

Au cours de ces pages, vous verrez évoluer tous les divers personnages du roman de Bernard. Je me suis efforcé de leur conserver le plus possible leur individualité morale et intellectuelle. Ne vous attendez pas à trouver de longues et pompeuses descriptions, des peintures d’état d’âme à la Bourget, des complications laborieuses ; j’ai fait évoluer mes personnages dans les banalités de la vie ordinaire, la seule vraie en somme.

Je ne me cache pas tout ce qu’il y a d’osé à présenter ainsi la réplique à un roman qui a obtenu l’approbation à peu près unanime de la presse canadienne française et que « l’officialité » a en quelque sorte consacré ; mais je suis de ceux qui prennent difficilement des vessies pour des lanternes et que les jugements des pseudo-critiques laissent en une sainte indifférence.

L’AUTEUR.