L’espéranto : Sa Situation actuelle — Son Avenir

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L’ESPÉRANTO
Sa Situation actuelle — Son Avenir


CAUSERIE
Faite à l’occasion de la Fondation du Groupe espérantiste de Tarbes


LE 20 JUIN 1903.


PAR


PAUL MIEILLE
Professeur au Lycée de Tarbes
Éditeur pour la France de l’Annuaire de la Correspondance interscolaire.



TARBES
1.-A. LESCAMELA, IMPRIMEUR DE LA PRÉFECTURE
10, Rue de Gonnés, 10
1903

À Monsieur Henri BOLAND
rédacteur aux guides joanne
chef du service des voyages au touring-club de france


Hommage de respectueuse reconnaissance
et de très vive sympathie.
P. M.

Tarbes, 1er  juillet 1903.


SAUVETAGE D’UN TOAST
noyé dans le champagne


Au Banquet offert par le Syndicat d’Initiative des Hautes-Pyrénées à MM. Ballif et Boland, du Touring-Club de France, le mercredi 10 juin 1903.




Monsieur le Président,

Les Espérantistes tarbais, qui vont former, la semaine prochaine, le vingt-cinquième groupe espérantiste de France, ont délégué leur professeur, délégué lui-même du T. C. F., pour vous apporter, à vous personnellement et à la grande association que vous représentez, l’expression de leur vive reconnaissance.

Le Touring-Club est, en effet, comme qui dirait la Maison-mère, le Collège de France de l’Espérantisme français, et c’est votre distingué collaborateur, M. Carlo Bourlet, qui a jeté ici les premiers bons grains d’une semence qui n’est point tombée en trop mauvaise terre.

En attendant le jour prochain où la cause espérantiste triomphera par ses propres mérites, où cette invention de génie donnera à l’industriel, au négociant, au touriste, donnera, dis-je, aux syndicats d’initiative et à leur action l’instrument idéal de communication internationale ; en attendant ce jour que vous avez tant fait pour rendre proche, Monsieur le Président, c’est encore dans l’autorité de votre nom, dans l’autorité du Touring-Club que nous trouvons le meilleur appui de notre propagande.

Qui oserait, en effet, traiter de chimérique ou d’impossible une entreprise soutenue par le T. C. et son président.

Messieurs, à vous qui êtes déjà Espérantistes, à vous qui le deviendrez bientôt je propose ce toast :

À M. Ballif, président du Touring-Club ! À M. Henri Boland !

Au triomphe de l’Espéranto !
CAUSERIE
SUR LA
LANGUE INTERNATIONALE
« Espéranto »


Mesdames, Messieurs,

Après les aimables discours que vous venez d’entendre, après l’exquise allocution, si pleine d’humour et en même temps si claire et si précise, de notre cher et vénéré doyen des étudiants esperantistes de Tarbes, M. le docteur Duplan ; après le speech présidentiel de M. l’Ingénieur en chef de Thélin, dont la présence apporte à notre cause tant de relief et tant d’autorité, je me trouve, et sans doute êtes-vous de mon avis, souverainement imprudent d’oser prendre la parole.

Mais rassurez-vous. Et que la vue de ces papiers, qu’une mémoire infidèle et un trac trop réel m’obligent à déployer devant vous, avec plus de sincérité que de prudence, ne vous effraye pas plus qu’il ne faut.

Nous ne vous avons pas tendu un piège et vous n’aurez point à subir une conférence. Le mot de causerie même est bien ambitieux pour ce que j’ai à vous dire, et, si vous voulez, nous le laisserons de côté, pour celui de « paroladeto », tout à fait de circonstance.

Il s’agit tout simplement de donner à ceux d’entre vous qui ne sont pas familiers avec la question de la langue internationale les quelques explications que nous avons crues nécessaires et qui suffiront, je l’espère, à vous donner de cette réunion des

raisons suffisantes.

I

Je suis sûr, Mesdames et Messieurs, qu’en recevant notre convocation, plus d’une et plus d’un parmi vous a dû s’écrier : « Encore un groupe ! encore une société ! Le besoin s’en faisait vraiment sentir à Tarbes ! »

Et en jetant les yeux sur la colonne de gauche : « Qu’est-ce que c’est que ce jargon-là ? À quoi ça peut-il bien servir ? »

Je vais donc tâcher de répondre : aux questions, d’abord ; aux exclamations, ensuite.

Ce jargon, vous le savez déjà, Mesdames et Messieurs, c’est l’Espéranto, la langue internationale que ses partisans croient digne de devenir la seconde langue du monde civilisé.

Il en est parmi vous qui déjà connaissent et aiment l’Espéranto. Ceux-là voudront bien appliquer à ce que je vais en dire cette traduction libre de l’adage latin :

Quand on aime une chose, on en reprend deux fois.

Pour les autres, l’Espéranto est plutôt un méconnu qu’un inconnu. Vous ne le connaissez qu’à travers les plaisanteries des petits journaux, c’est-à-dire très mal.

Je devrai donc en parler assez bien pour satisfaire à l’amour des uns, et assez clairement et assez impartialement pour vaincre les préventions des autres. J’ai donc besoin d’indulgence. Je la réclame.

J’allais me mettre à vous parler tout de suite de l’Espéranto, mais je me souviens à temps qu’il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. Et c’est précisément ce qui arriverait si, ayant à vous parler de la langue internationale Espéranto, je ne vous disais d’abord ce qu’il faut entendre par langue internationale et pour quelles raisons l’on cherche une langue internationale.

Nous entendons par langue internationale, Mesdames et Messieurs, non point — ce qui serait absurde — une langue unique qui remplacerait les langues maternelles et serait imposée à tous les peuples, chose évidemment ridicule et chimérique, mais un idiome commun à tous les peuples civilisés, qui leur servirait de langue auxiliaire dans leurs relations réciproques, qui seraient pour chacun d’eux la seconde langue, la langue des relations internationales.

Il n’est pas un homme de bon sens, fût-il plaisantin de métier et misonéiste de tempérament, qui ne tombe immédiatement d’accord avec nous sur la nécessité, sur l’indispensabilité d’une langue internationale.

Il est de fait, et nous avons beau protester, nier ou discutailler, il est de fait, dis-je, que le monde s’internationalise de plus en plus. La vapeur d’abord, l’électricité ensuite, le téléphone et le télégraphe, l’automobile aujourd’hui, le ballon dirigeable demain, ont transformé du tout au tout les relations internationales.

Les peuples ont beau s’armer jusques aux dents, comme des brigands d’opérette, et se regarder en chiens de faïence, rien n’y fait. Les hommes s’agitent, mais la science les mène, et elle les mène, sinon à l’unité, du moins à une communauté de plus en plus étroite de relations et d’intérêts. Avant la fin du siècle, les deux Amériques seront un peuple fédéré, et l’Europe, si elle ne veut mourir étouffée et paralysée par la concurrence américaine, sera obligée de se fédérer aussi.

Eh bien ! à cette communauté d’intérêts, à cette fédération inévitable, il faudra un lien, un instrument, un outil. Et ce sera la langue internationale.

Demandez — je ne dis pas aux rêveurs, aux utopistes — mais aux gens qui passent pour les plus pratiques, aux commerçants, aux industriels, aux voyageurs ; demandez-leur ce qu’ils pensent d’une langue internationale. Interrogez-les et, tous, ils vous diront combien ils sont gênés à tout instant par la diversité des langues, par l’absence d’une langue commune. Car savoir une langue étrangère, quand on la sait — et c’est si difficile que c’est extrêmement rare — ne suffit plus aujourd’hui aux besoins de la vie moderne.

C’est deux, trois ou même quatre et cinq langues qu’il faudrait savoir.

Il y a vingt ans, l’anglais suffisait, ou à peu près ; mais aujourd’hui déjà, demain plus encore, l’expansion inouïe de l’Allemagne commerciale, l’essor immense de l’Amérique espagnole, l’entrée de la gigantesque Russie dans la civilisation industrielle de l’Occident, nous obligent, obligeront, a fortiori, nos fils à savoir quatre ou cinq langues.

Or, cela est-il possible ? est-il pratique ? Je crois que poser la question, c’est la résoudre.

La langue internationale est donc la seule solution possible.

Mais quelle sera cette langue ?

On en a proposé plusieurs. D’abord, le latin, qui, comme vous le savez, fut au Moyen-Âge la langue internationale de la Chrétienté. Mais le latin doit être écarté. Pour ne pas vous retenir trop longtemps, je ne vous donnerai que deux des raisons qui rendent le latin impropre à ce rôle. La première est qu’il est trop difficile ; la seconde qu’il serait incapable de se plier aux exigences de la civilisation moderne. Je ne développe pas ces raisons, je me contente de renvoyer ceux d’entre vous qui désireront de plus amples éclaircissements à notre future bibliothèque espérantiste. Cependant, il est une remarque que je vous prie de faire : c’est que le latin, jouissant aujourd’hui en Europe et en Amérique d’une sorte d’internationalité de fait, puisqu’il est, avec la seule exception des langues maternelles, la langue la plus cultivée, je dis la langue la plus étudiée, celle à qui l’on consacre le plus d’heures d’enseignement, est moribond, mourant ou mort, je ne sais plus au juste lequel des trois peut-être les trois à la fois[1]. Qui, d’entre les 6 ou 7 000 bacheliers que nous lançons bon an mal an dans la circulation ; qui, d’entre les 40 ou 50 000 camarades de nos bacheliers français, gradués des Universités d’Allemagne, d’Angleterre, d’Espagne ou d’Italie, etc., etc., serait capable de rédiger en latin le moindre menu ou d’effectuer la moindre transaction commerciale ?

Et c’est ce moribond que l’on voudrait ressusciter ! Non, Mesdames et Messieurs, laissons les morts enterrer leurs morts.

On a proposé encore d’adopter comme langue auxiliaire une des langues actuelles. Mais laquelle ? Tous les peuples proposant la leur avec un patriotisme égal et des raisons également convaincantes, nous attendrons, pour en reparler, que l’accord se fasse. Et comme il est à craindre que nous n’ayons longtemps à attendre et que le temps presse, nous ferons bien de chercher autre part ce qu’il nous faut.

D’ailleurs, une des objections qui nous font écarter le latin doit également nous faire écarter les langues vivantes actuelles, aussi bien le français que l’anglais ou l’allemand, les trois seules langues proposées avec quelque chance de succès. Ces trois langues sont trop difficiles, et j’en parle avec quelque compétence en ma qualité de professeur de langues. La première et principale qualité de la future langue internationale devra être sa facilité d’acquisition et j’ajoute sa rapidité d’acquisition. Nos langues modernes si compliquées, si bizarrement, si illogiquement prononcées, accentuées et orthographiées, sont des langues de mandarins, inaccessibles au grand public, donc impossibles.

Autre objection : l’adoption d’une langue vivante actuelle donnerait au peuple privilégié dont elle serait la langue maternelle une supériorité morale si évidente, une supériorité commerciale et industrielle si écrasante, qu’elle équivaudrait presque à une hégémonie, à une main-mise de ce peuple sur tous les autres. Ne voyez-vous pas combien il est absurde de supposer que les autres peuples se laisseraient faire ?

Je n’insiste pas. Et je proteste que s’il y avait la moindre raison d’espérer que notre belle langue française eût la plus petite chance d’être adoptée, je jetterais immédiatement au feu tous mes livres d’Espéranto. Mais quant à adopter l’anglais ou l’allemand, je crie de toutes mes forces : jamais ! jamais ![2]

Mais, en écartant le latin d’un côté, les langues actuelles de l’autre, une seule voie nous reste ouverte : celle de l’adoption, comme langue auxiliaire, d’une langue artificielle et créée ad hoc.

Cette création est-elle possible ?

Il me serait facile de répondre : cela est possible puisque cela est. Mais comme vous pensez avec raison qu’une affirmation ne vaut pas une preuve, laissez-moi essayer au moins de vous démontrer cette possibilité.

Il existe déjà des langues internationales universellement acceptées : l’algèbre en est une, les 75 000 signaux de la marine en constituent une autre que tout bon marin doit posséder et possède en effet.

De quoi se compose toute langue ? de la grammaire et du dictionnaire.

Dépouillons la grammaire de toutes ses bizarreries, de toutes ses exceptions ; réduisons-la à un nombre infime de règles fixes et invariables. Prenons ensuite le vocabulaire d’un homme civilisé et choisissons-y les termes les plus internationaux, dont nous ferons la base de notre dictionnaire. Formons ensuite, par dérivation, le reste de notre vocabulaire et, avec cette grammaire simplifiée et ce dictionnaire allégé, nous aurons la langue artificielle demandée.

Tout ceci, Mesdames et Messieurs, est bien sommaire, mais je ne veux pas abuser de votre patience et, d’ailleurs, il importe moins de vous prouver la possibilité théorique d’une langue artificielle internationale que de vous convaincre que cette langue existe et qu’elle n’est autre que l’Espéranto.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Toutefois, avant de vous parler de cette langue, notre langue, j’ajouterai un mot :

On voudrait nous faire passer pour de bons toqués et l’on lit à notre endroit, dans les gazettes, des assertions stupéfiantes. L’un dit que nous sommes une poignée de lunatiques ; l’autre que nous sommes la risée des vrais savants ; un autre encore, que la langue artificielle est la quadrature du cercle, etc., etc.

Eh bien ! nous, les bons toqués ; nous, les lunatiques ; nous la dérision des vrais savants ; nous, les chercheurs de quadrature, comptons dans nos rangs les sommités des scientifiques, les sommités de l’Université, les plus grands noms du monde commercial et industriel.

Je ne rendrai pas à nos adversaires la monnaie de leur pièce en disant que tout ce qu’il y a au monde de gens intelligents est ou veut être Espérantiste ; mais si je ne le dis pas, je ne m’interdis pas de le penser…

II

Ceci entendu, revenons à l’Espéranto…

L’Espéranto est la création du docteur russe Zamenhof, qui en a fait l’œuvre de sa vie entière.

Voici, en bref raccourci, son principe et sa structure ;

La langue internationale devra satisfaire aux conditions suivantes : être de prononciation aisée pour tous les hommes de culture moyenne, avoir une grammaire très simple, posséder un vocabulaire dont l’assimilation soit facile aux Germains, comme aux Slaves ou aux Latins. Ce doit être une langue complète, c’est-à-dire capable d’exprimer toutes les idées avec précision, et telle qu’on puisse, en un temps très court, la lire, l’écrire et la parler.

Le docteur Zamenhof a-t-il satisfait à ces conditions ? Jugez-en, et si vous ne voulez m’en croire sur parole, prenez un manuel d’Espéranto et voyez par vous-mêmes.

1o Prononciation. — L’Espéranto a commencé par éliminer tous les sons spéciaux, tels que, par exemple, le ch allemand, la j espagnole, le th anglais, les sons nasaux français, en ne gardant que les sont communs à tous les civilisés. Puis, il a adhéré sans réserve et sans exception à ce principe phonétique : un son pour une lettre, une lettre pour chaque son. Ses vingt-huit lettres reproduisent donc vingt-huit sons et seulement vingt-huit, et ces vingt-huit sons exactement et absolument traduits par la lettre correspondante sont choisis de telle sorte que tous, sans exception, sont familiers à tous les peuples de race indo-européenne et ne leur imposent aucun travail supplémentaire. En outre, les sons s’écrivent tels qu’ils se prononcent ; le graphisme est strictement phonétique, ce qui supprime toute difficulté orthographique et empêche les variations et les différences de prononciation engendrées par la bizarrerie orthographique et son inutile complication.

Enfin, l’accent en Espéranto est fixe et tombe toujours sur la pénultième ;

2o  Grammaire. — La grammaire de l’Espéranto est tout simplement une merveille de simplicité, de logique et de concision. Elle tient en seize règles. Pas d’exceptions, pas d’arbitraire, la clarté du grand jour, la limpidité du diamant. Exemples :

Un seul article : la, invariable.
O marque le substantif ; ex. : patro, père.
A marque l’adjectif ; ex. : patra, paternel.
E marque l’adverbe ; ex. : patre, paternellement.
J=I marque les pluriels ; ex. : bonaj patroj, bons pères.
N marque le complément direct et le lieu où l’on va ; ex. : mi amas la patron, j’aime le père ; li iras Romon, il va à Rome.
As marque le présent ; ex. : li amas, il aime.
Is marque le passé ; ex. : ni amis, nous aimâmes.
Os marque le futur ; ex. : ni amos, venos, nous aimerons.
Us marque le conditionnel ; ex. : ili amus, ils aimeraient.
U marque l’impératif-subjonctif ; ex. : venu, venez.
I marque l’infinitif ; ex. : paroli, ami, veni, etc., etc., etc.

3o  Vocabulaire. — Le vocabulaire espéranto a été choisi avec l’entente la plus parfaite du but et des conditions de la langue internationale. Il comprend deux éléments : 1o  les mots simples ou mots racines ; 2o  les mots dérivés. Les premiers sont au nombre de 1000 environ ; les seconds sont en nombre illimité et dérivent des premiers, soit par composition ou agglutination, soit à l’aide de préfixes ou suffixes, au nombre de 32.

Pour le choix des 1000 mots-racines, base du vocabulaire, le docteur Zamenhof s’est fait ce raisonnement : Une langue internationale devant a priori être formée d’éléments internationaux, je devrai choisir mes mots en proportion de leur internationalité, c’est-à-dire qu’entre deux mots connus, l’un de cent millions, l’autre de deux cents millions d’Européens, je choisirai le dernier comme le plus international.

Et comme le latin a fourni aux langues européennes un contingent considérable de mots qui forment un fonds commun international, il est arrivé, sans que le docteur Zamenhof l’ait prémédité le moins du monde, que les deux tiers de ses 1000 mots-racines sont pris dans le latin ou les langues néo-latines et sont au premier abord familiers à tout Européen de culture moyenne. L’autre tiers est pris dans les langues germano-slaves, mais paraît familier aux Latins à cause des voyelles o, a, e, i, u, qui terminent tous les mots, et qui donnent à l’Espéranto son aspect caractéristique de langue néo-latine.

À ces 1 000 mots-racines s’ajoutent les 32 affixes pour former le dictionnaire le plus riche qu’on puisse souhaiter.

Je veux être bref, mais voici quelques exemples :

Le préfixe mal indique les contraires : bona, malbona, riĉa, malriĉa, bon, mauvais, riche, pauvre.

Le suffixe in marque le féminin :  patro, patrino, pordisto, pordistino, bovo, bovino, etc., père, mère, etc.

Le suffixe ist indique la profession : militisto, kuracisto, kuiristo, soldat, médecin, cuisinier.

Le suffixe ar indique la collection : arbaro, stuparo, manĝilaro, forêt, escalier, couvert.

Le suffixe il indique l’instrument : hakilo, tenilo, kudrilo, gvidilo, etc., hache, poignée, aiguille, guidon, etc.

Ici, Mesdames et Messieurs, il me semble vous entendre dire : « Très ingénieux votre Espéranto, très habilement agencé, mais enfin, est-ce que ça sert, et à quoi ça sert-il ? Et en supposant que, comme nous, les étrangers l’apprennent, arriverons-nous à nous entendre ? »

Je réponds par des exemples :

Pour l’Espéranto écrit, nous avons des données précises : plusieurs Espérantistes tarbais ici présents sont entrés en correspondance avec des camarades étrangers. Des lettres et des cartes postales ont été échangées avec des Russes, des Allemands, des Anglais, des Espagnols, des Scandinaves, des Hongrois et des Roumains, sans compter les Belges et les Hollandais. Eh bien, l’Espéranto de ces divers correspondants ne diffère pas plus que ne pourrait différer le français de dix correspondants pris au hasard dans les diverses provinces françaises.

Pour l’Espéranto parlé, nous n’avons pas d’expériences personnelles à offrir, mais nous pouvons nous appuyer sur des témoignages dignes de foi. IL y en a des centaines. En voici deux :

Un Espérantiste de Dijon, M. Méray, doyen de la Faculté des sciences, voit, un jour, arriver chez lui un colonel suédois, connaissant l’anglais, mais ne sachant ni le français, ni l’allemand, tandis que lui-même connaissait l’allemand, mais ne savait un mot d’anglais, ni de suédois. Notre Suédois aborde M. Méray en Espéranto. Or, notez bien que M. Méray n’avait jamais eu l’occasion de parler Espéranto, du moins à un étranger. Cependant, à sa grande surprise, non seulement il ne perdit pas un mot de ce que lui disait son visiteur imprévu, mais encore il se trouva tout de suite prêt à lui répondre, et au bout d’un quart d’heure, nos Espérantistes bavardaient comme de vieux amis.

Second exemple plus éloquent encore : Quand, en 1895, vinrent à Odessa deux étudiants suédois qui ne savait que leur langue et l’Espéranto, un journaliste de cette ville voulut les interviewer. Aucune langue commune ne leur permettant de s’entendre, il prit le matin, pour la première fois de sa vie, le manuel de la langue espéranto, et le soir du même jour, il put déjà s’entretenir avec les deux Suédois.

Un troisième exemple pour finir. Il est rapporté par la Review of Reviews et est très significatif au point de vue pratique :

Un grand négociant de Londres avait une affaire à traiter avec un négociant de Lisbonne. L’un ignorait le portugais, l’autre l’anglais. Comment faire ? Le hasard ou la chance voulut que le négociant anglais entendit parler de l’Espéranto et du recueil d’adresses ou adresaro qui publie les noms et adresses de tous les Espérantistes. Il eut l’idée de chercher dans cet adresaro le nom de son négociant portugais, qui, en effet, s’y trouvait. L’affaire fut bientôt arrangée. Notre Anglais se fait prêter un Manuel d’Espéranto, et deux heures après, il écrivait sa lettre d’affaires en cette langue. Inutile d’ajouter que ce négociant est maintenant à Londres un des fervents de l’Espéranto.

III

Ai-je besoin maintenant, Mesdames et Messieurs, de justifier l’appel que nous vous avons adressé et notre projet de fonder, à Tarbes, un groupe de propagande espérantiste ?

Non. J’aime mieux vous supposer tous convaincus, et je vous fais grâce de toutes les pages éloquentes — très éloquentes, Mesdames et Messieurs, croyez m’en sur parole — que j’avais préparées pour vous convaincre.

Au lieu donc de vous exhorter inutilement et de m’exposer au ridicule d’enfoncer des portes ouvertes, je vous dirai très rapidement où en est en ce moment, en France et à l’étranger, la propagande espérantiste, et, enfin, les chances de l’Espéranto à devenir dans un temps très prochain la langue auxiliaire internationale du monde civilisé.

Le mot de propagande que je viens d’employer à plusieurs reprises est bien le mot qui convient à notre cause, à notre but et à nos moyens. Permettez-moi d’y insister quelques instants.

Je ne crois pas exagérer en disant que l’Espéranto a le don de faire naître chez la plupart de ses adeptes cet état d’esprit particulier que traduit à merveille le mot de propagande. C’est, en effet, une sorte de foi et d’enthousiasme qui pousse invinciblement ceux qui ont goûté à l’Espéranto à annoncer à tous la bonne nouvelle. La conviction où nous sommes que le progrès de la civilisation est intimement lié au triomphe de la langue internationale, et que, en travaillant à ce triomphe, quelque obscurément que ce soit, nous accomplissons le devoir qui incombe à chaque homme de chercher la vérité et de la servir, suffirait à expliquer et à légitimer le zèle propagandiste le plus ardent des adeptes de l’Espéranto.

Mais ce n’est pas tout.

L’Espéranto possède un élément plus personnel encore, se je puis dire ainsi, et qui exerce sur les esprits une fascination particulière. À mesure qu’on se familiarise avec lui, l’on subit le charme extraordinaire de sa merveilleuse simplicité unie à la richesse prodigieuse de ses ressources. Il nous apparaît tantôt comme une de ces vérités mathématiques belles et resplendissantes de leur seule lumineuse clarté, tantôt comme un de ces chefs-d’œuvre de la statuaire antique où la noble simplicité des lignes recèle les trésors les plus complexes de l’art et de la beauté.

Alors, l’on s’éprend pour l’Espéranto de cet amour désintéressé qu’inspirent les belles choses, et de cet amour désintéressé au prosélytisme, il n’y a qu’un pas vite franchi.

Je ne pense pas m’abuser, Mesdames et Messieurs, en estimant que c’est là l’esprit qui anime les propagandistes de l’Espéranto. Sans parler de ceux qui, comme Zamenhof lui-même et L. de Beaufront, ont sacrifié à cette cause leur fortune et leur vie, il existe en ce moment, tant en France qu’à l’étranger, des milliers d’hommes que la foi espérantiste pousse à l’action, et, j’éprouve à le dire un vif sentiment de fierté patriotique, notre pays est au premier rang dans cette lutte contre la routine, contre les préjugés, contre les vieilles animosités internationales qui sont au fond de toutes les résistances opposées à la langue internationale.

Pour ne pas mettre votre patience à une trop longue épreuve, je me contenterai d’une énumération rapide des moyens de propagande de l’Espéranto.

Il y a à l’heure qu’il est, dispersées sur tous les points du monde civilisé, 75 sociétés espérantistes, divisées en plusieurs centaines de groupes. (Il m’a été impossible de me procurer nombre exact de ces groupes, mais il est probable qu’il n’y en a pas loin d’un millier.)

Grâce à l’énergique appui du Touring-Club de France, cette puissante société qu’on trouve partout où il y a une idée juste à faire triompher, grâce au concours des Ballif, des Carlo Bourlet, des Cart, etc., etc. la France est à la tête du mouvement.

25 groupes espérantistes, sans compter le nôtre, sont constitués et font de l’excellente besogne. Voici leurs noms :

Groupe espérantiste de : Paris, Amiens, Annecy, Beaune, Besançon, Bordeaux, Boulogne, Chaumont, Dijon, Grenoble, Le Havre, Lille, Lyon, Marseille, Montpellier, Nancy, Épinal, Reims, Roubaix, Saint-Claude, Oyonnax, Saint-Omer, Tournon, Tain, Narbonne, Tarbes, — Troyes et Laon, en dernière heure.

D’autres sont en formation.

À l’étranger, la campagne est menée avec une égale activité. En Angleterre, 12 groupes se sont formés dans autant de villes depuis le mois de septembre dernier, époque où j’ai eu le bonheur de gagner à la cause espérantiste l’appui de la Review of Reviews et de son directeur, M. Stead.

En Allemagne, l’échec du Volapük, qui y avait de nombreux partisans, semblait avoir causé un tort irréparable à la cause de la langue internationale, mais en ce moment même, la propagande s’organise à Berlin[3], à Leipzig, à Munich, dans plusieurs centres universitaires, et bientôt, nous aurons là des milliers d’Espérantistes.

Les pays du Nord sont un appoint des plus sérieux. En Danemark, en Norwège et surtout en Suède, les Espérantistes sont nombreux et enthousiastes. On peut considérer ces pays comme gagnés à la cause.

L’immense Russie, un des pays d’Europe qui a le plus à gagner au succès de la langue internationale, compterait un plus grand nombre de groupes si la liberté d’association y rencontrait moins d’obstacles. Mais les Espérantistes isolés y sont nombreux et nous y comptons d’aimables correspondants.

Dans les pays que baigne le beau Danube bleu, l’Espéranto a rencontré le terrain le plus favorable et s’y développe rapidement. Bulgares, Roumains, Hongrois sont parmi les plus ardents à abattre la Babel linguistique qui les emprisonne.

L’Espagne, l’Italie, la Belgique ont leurs sociétés. Les Amériques ont les leurs, et nous avons au Canada des groupes en qui de chers souvenirs français font chérir l’Espéranto, langue aux deux tiers latine.

En somme, environ 80 000 Espérantistes se partagent l’évangélisation du monde, et la victoire leur appartiendra sûrement si le succès est mesuré à la justice de leur cause et à leur zèle pour son triomphe.

Toutes ces sociétés et tous ces groupes trouvent dans la presse espérantiste un nouveau moyen d’action et un centre commun pour étendre et mesurer leur propagande.

En France, l’Espérantiste, dirigé par M. Louis de Beaufront, celui qui est, après le docteur Zamenhof, le plus vaillant protagoniste de l’Espéranto ; à côté de l’Espérantiste, la Lingvo internacia, dirigé par M. Paul Fruictier, et qui est l’organe d’une importante société de propagande qui étend ses ramifications dans plusieurs pays étrangers.

En Bulgarie, la Rondiranto ; en Belgique, la Belga Sonorilo ; au Canada, la Lumo ; en Angleterre, le supplément de la Review of Reviews, etc., etc.

La création d’autres organes espérantistes est à l’étude dans divers pays, et il faut espérer que les revues ou journaux qui comme Concordia, l’Annuaire de la Correspondance interscolaire, la Svet, etc., font place dans leurs colonnes à l’Espéranto, trouveront bientôt de nombreux imitateurs.

En dehors des organes purement espérantistes, un certain nombre de revues et journaux ouvrent volontiers leurs colonnes à des discussions sur la langue internationale.

La Revue des Revues, la Revue des Questions scientifiques, la Revue philomatique de Bordeaux ont publié d’importants articles, et la Revue du Touring-Club, qui se publie à plus de 80 000 exemplaires, donne tous les mois, sous la signature de M. Carlo Bourlet, une chronique espérantiste des plus appréciées. Le numéro du mois dernier contenait, en outre, un admirable article du général Sebert, membre de l’Institut, appelé à un grand retentissement, vu l’autorité scientifique de son auteur. [4]

À côté de la presse espérantiste se place la littérature espérantiste. Car l'Espéranto est une véritable langue littéraire. La bibliothèque, riche déjà de plusieurs centaines d'ouvrages, est un puissant instrument de propagande. La grande maison d'édition Hachette et Cie, en acceptant de représenter l'Espéranto dans le monde du livre et en éditant la bibliothèque espérantiste, a donné à notre cause une marque de confiance dont il est impossible d'exagérer l'influence. Quand une maison comme la maison Hachette accorde son patronage à une œuvre, on peut dire qu'elle est solide et que son succès est assuré.

IV

Il me reste à vous dire maintenant, Mesdames et Messieurs, sur quoi nous basons notre ardente conviction du triomphe final et prochain de notre cause. Vous vous rendez bien compte que si 80 000 personnes étudient une langue, la propagent autour d'eux, font des conférences, éditent des journaux, écrivent des articles et des livres, ce n'est pas sans avoir de sérieux motifs et des raisons plausibles d'en agir ainsi. À la rigueur, vous trouverez bien, entre trois ou quatre cent millions d'hommes, une douzaine, voire même deux, de Don Quichotte pour se battre contre des moulins à vent, mais 80 000, Mesdames et Messieurs ! voyons, est-ce possible ?

Et ces raisons ne sont pas des raisons de sentiment, de ces raisons du cœur dont Pascal disait que la raison ne les connait pas. Je vais peut-être vous étonner, mais je me risque tout de même. Je veux vous dire que les Espérantistes sont les hommes les plus sensés que le monde ait jamais connus, et que c'est justement l'extrême bon sens de leurs revendications qui les rend suspectes aux gens irréfléchis. Je pense quelquefois que nous avons un peu l'air de nous ficher du monde en voulant démontrer qu'il fait jour en plein midi.

Quand nous disons aux gens : « Voyons ! est-ce qu'une langue internationale ne vous paraît pas utile, nécessaire ? N’êtes-vous pas d’avis que si cette langue existait, il faudrait s’y mettre tout de suite ? Ne croyez-vous pas qu’il serait plus que coupable, ridicule, criminel même de posséder un tel instrument de progrès et de civilisation et de le délaisser ? » Quand nous faisons ces questions et d’autres semblables, la réponse, toujours la même, se résume ainsi : « Mais oui ! Mais évidemment ! Certes, cela va de soi ! » Et toujours aussi cette réponse s’accompagne chez l’interlocuteur d’un regard de côté qui signifie clairement : « Est-ce qu’il me prend pour un imbécile celui-là ? »

Eh bien, Mesdames et Messieurs, ces questions, sous une forme certainement plus parlementaire ou plus diplomatique, les partisans de la langue internationale ont résolu de les poser l’an prochain, non pas à des interlocuteurs vulgaires, mais à l’élite des savants et des écrivains du monde civilisé. Et ils ont l’outrecuidance de croire que, aux termes près, la réponse ne diffèrera pas de celle que j’ai rapportée tantôt.

En 1904, c’est-à-dire l’an prochain, aura lieu à Londres la réunion triennale de l’Association internationale des Académies, composée des représentants les plus éminents de la science, des lettres et des arts du monde entier.

Sur l’initiative de deux savants, qui se sont voués corps et âme à la propagande en faveur de la langue internationale, M. Couturat, professeur à l’Université de Toulouse, et M. Leau, docteur ès-sciences de l’Université de Paris, il s’est formé une délégation chargée de défendre devant la savante assemblée de Londres la cause de la langue internationale. Cette délégation se compose des délégués des congrès internationaux de 1900 et des sociétés françaises et étrangères qui ont adhéré à la déclaration que je vais vous lire et qui est le programme officiel de la délégation :

« Les soussignés, délégués par divers Congrès ou Sociétés pour étudier la question d’une langue auxiliaire internationale, sont tombés d’accord sur les points suivants :

» 1o Il y a lieu de faire le choix et de répandre l’usage d’une langue auxiliaire internationale, destinée, non pas à remplacer dans la vie individuelle de chaque peuple les idiomes nationaux, mais à servir aux relations écrites et orales entre personnes de langues maternelles différentes ;

» 2o Une langue auxiliaire internationale doit, pour remplir utilement son rôle, satisfaire aux conditions suivantes :

 » Première condition. — Être capable de servir aux relations habituelles de la vie sociale, aux échanges commerciaux et aux rapports scientifiques et philosophiques ;
 » Deuxième condition. — Être d’une acquisition aisée pour toute personne d’instruction élémentaire moyenne et spécialement pour les personnes de civilisation européenne ;
 » Troisième condition. — Ne pas être l’une des langue nationales.

» 3o Il convient d’organiser une Délégation générale représentant l’ensemble des personnes qui comprennent la nécessité ainsi que la possibilité d’une langue auxiliaire et qui sont intéressées à son emploi. Cette Délégation nommera un Comité composé de membres pouvant être réunis pendant un certain laps de temps.

» Le rôle de ce Comité est fixé aux articles suivants :

» 4o Le choix de la langue auxiliaire appartient d’abord à l’Association internationale des Académies, puis, en cas d’insuccès, au Comité prévu à l’article 3 ;

» 5o En conséquence, le Comité aura pour première mission de faire présenter, dans les formes requises, à l’Association internationale des Académies, les vœux émis par les Sociétés et Congrès adhérents, et de l’inviter respectueusement à réaliser le projet d’une langue auxiliaire ;

» 6o Il appartiendra au Comité de créer une Société de propagande destinée à répandre l’usage de la langue auxiliaire qui aura été choisie ;

» 7o Les soussignés, actuellement délégués par divers Congrès et Sociétés, décident de faire des démarches auprès de toutes les Sociétés de savants, de commerçants et de touristes, pour obtenir leur adhésion au présent projet ;

» 8o Seront admis à faire partie de la Délégation les représentants de Sociétés régulièrement constituées qui auront adhéré à la présente Déclaration.

» N. B. — Cette Déclaration formule le programme officiel de la Délégation. Elle constitue la base d’entente et le plan d’action des Sociétés et Congrès adhérents, énumérés dans l’État de la Délégation. »

Parmi les signataires de cette déclaration se trouvent des membres des corps ou sociétés suivants :

Académie française, Académie des sciences, Académie des sciences morales et politiques, Collège de France, Faculté de médecine de Paris, Faculté des sciences, des Lettres, École supérieure de pharmacie de Paris, École Normale supérieure, École Polytechnique, Muséum, Conservatoire des Arts et Métiers, Institut Pasteur, Collège libre des sciences sociales, Universités de Besançon, Bologne, Académie royale de Bruxelles, Académie des sciences de Cracovie, Universités de Caen, de Dijon, de Gênes, de Grenoble, de Lausanne, de Lille, de Lyon, de Marseille, d’Aix, de Montpellier, de Moscou, de Poitiers, de Rennes, de Rome, Académie impériale de Saint-Pétersbourg, Université de Moscou, de Toulouse, Académie impériale des sciences de Vienne, etc.

Ajoutons encore : la plupart des Sociétés académiques et littéraires de province, entre autres la Société académique des Hautes-Pyrénées, la plupart des grandes Chambres de Commerce, tous les Touring-Clubs d’Europe, le Touring-Club de France en tête, beaucoup d’Universités populaires, les Congrès et Associations pacifiques, etc., etc.

Et voici quelques noms :

MM. Lavisse, Appell, Carnot, Duclaux, Roux, Poincaré, Perrier, Mérauy, général Sébert, Bergson, Renouvier, Tarde, Lannelongue, Lippmann, Séailles, Painlevé, Rauh, Bourgeois, Laisant, Sarran, Delbet, gérénal de Tilly, de Saint-Germain, Bigot, Adam, Boirac, Compayré, J. Payot, G. Renard, Dr Calmette, Legouis, Oiret, Joubin, Laronze, Ivanovsky, Milesy, Hugo Schuchardt, etc., etc.

— Ceci en réponse à ceux qui osent dire, du haut de leur ignorance, que la langue internationale est une fiction ou un rêve.

Comme vous avez pu le constater, la Délégation, avec une prudence et une impartialité auxquelles il convient de rendre hommage, même si on les juge habiles autant que nécessaires, demande à l’Association internationale de trancher la question de la langue internationale, laissant à cette haute assemblée le soin de se prononcer entre les divers systèmes qui lui seront soumis.

Je ne vous entretiendrai pas de ces systèmes, et j’aime mieux n’en rien dire que d’en dire du mal. Mais ce que je puis et veux dire, c’est que l’Espéranto est le seul système qui ait des chances de succès. Il a, vous l’avez entendu, toutes les qualités qu’on exige de la langue internationale. Il est souple, harmonieux, à la fois très simple et très riche. Nulle autre des langues proposées n’approche, même de loin, l’Espéranto. Comment donc douter qu’il ne rallie tous les suffrages des juges qualifiés auxquels il va être soumis ?

D’ailleurs, nous avons déjà des données suffisantes pour anticiper l’espoir de la victoire. La seule liste des partisans actuels de l’Espéranto est un bulletin de victoire. En France, seulement, il suffit de jeter un coup d’œil sur l’Annuaire espérantiste pour être pleinement rassuré. La haute Université est représentée par les Lavisse, les Compayré, les Boirac, les Joubin, les Payot, les Méray, les Offret, etc., etc. Recteurs d’Académie ou professeurs de facultés, l’Institut, l’armée, le haut commerce, la banque, la grande industrie, les Chambres de commerce, les Sociétés de tourisme, etc., etc., se sont prononcés pour l’Espéranto avec l’unanimité la plus convaincante.

Comment, encore une fois, l’Espéranto ne triompherait-il pas ?

Cette victoire de l’Espéranto, langue internationale du monde civilisé, nous pouvons la hâter par nos travaux et notre propagande. Plus d’adhérents nous lui gagnerons, d’ici 1904, et plus grande sera son influence morale dans l’esprit de ses juges. Si le succès n’est pas douteux, du moins rendons-le aussi éclatant que possible, et souvenons-nous que de me que le philosophe antique prouvait le mouvement en marchant, de même nous ne pourrons mieux démontrer les qualités de l’Espéranto qu’en nous en servant en toute occasion.

Je vous demande pardon de finir sur une note personnelle. Mes cours d’Espéranto seront un des meilleurs souvenirs de ma vie. Avoir eu des élèves comme ceux que vous voyez ici, est un véritable sujet de fierté. Ces élèves, déjà supérieurs à leur maître en tant de points, sont devenus en trois mois les maîtres de leur professeur. Redevenu leur collègue et leur camarade, j’ai voulu leur dire combien j’ai été touché du témoignage d’affectueuse estime qu’ils m’ont si gracieusement donné. Décidément, notre chère langue Espéranto a toutes les qualités : il est désormais évident, à Tarbes, qu’elle est aussi propre à orner l’esprit qu’à cultiver le cœur.

  1. Il est évident que ce qui est dit ici du latin n’infirme en rien sa valeur comme instrument de culture générale.
  2. Nous reconnaissons aux Anglais et aux Allemands le droit de penser de même à l’égard du français.
  3. L’on m’informe que la Société française pour la propagation de l’Espéranto vient de déléguer à Berlin un des plus vaillants Espérantistes parisiens, M. Pagnier, pour s’entendre avec les Espérantistes berlinois sur la propagande à faire en Allemagne.
  4. Voir dans le numéro de juin le remarquable article de M. Laisant, l’illustre et savant examinateur à l’École Polytechnique.