L’histoire romaine à Rome (RDDM)/I/01

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L’histoire romaine à Rome (RDDM)/I
Revue des Deux Mondes2e série de la nouv. période, tome 9 (p. 657-678).
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L’HISTOIRE ROMAINE
A ROME



La Grèce est la patrie naturelle de la poésie, Rome est par excellence le pays de l’histoire. J’ai autrefois, dans cette Revue, publié des études sur la poésie grecque en Grèce[1] ; aujourd’hui j’entreprends d’étudier l’histoire romaine à Rome. Je voudrais, par le spectacle des lieux et des monumens, animer, vivifier ce que nous enseignent les livres, et peut-être même y ajouter. Il va sans dire que je n’écris pas une histoire romaine complète. Je ne parle des événemens qu’à propos de ce qui dans Rome et aux environs en réveille le souvenir, en retrace le caractère. Dix voyages dans l’ancienne capitale du monde m’ont familiarisé avec ses ruines; lisant au milieu d’elles les annales du peuple romain, il m’a semblé que je comprenais mieux les événemens que ces annales racontent sur le théâtre où ils s’accomplirent, et que l’histoire revivait sous mon regard. Cette comparaison de l’histoire lue et de l’histoire contemplée m’a conduit quelquefois, ce me semble, à des résultats inattendus. De plus, une observation attentive et mille fois renouvelée des nombreuses images de Romains célèbres qui peuplent les musées et les galeries de Rome m’a mis avec eux en relation et comme en contact. J’ai cru que dans ce commerce intime de chaque jour, dans la fréquentation habituelle de ces grands hommes, il se manifestait à moi quelque chose de leur personnalité vraie. Même chez les Romains d’aujourd’hui, à tant d’égards si différens de leurs pères, j’ai surpris certains traits altérés sans doute, mais reconnaissables encore, du caractère des Romains d’autrefois. Enfin les contrastes entre l’état ancien de Rome et son état actuel n’ont pas dû être négligés, car ils offrent aussi un intérêt historique en montrant le chemin qu’ont fait en marchant les siècles. Je voudrais associer mes lecteurs à l’instruction et à l’émotion que m’a communiquées l’antiquité romaine présente et pour ainsi dire parlante dans ses débris.

Si l’on cherche l’ancienne Rome dans la Rome actuelle, on a d’abord un peu de peine à la trouver. Que sont quelques ruines épargnées par le caprice aveugle du temps en comparaison des innombrables monumens que le temps a détruits ? Les lieux même ont changé de face, une ville moderne a recouvert la ville antique. A cet aspect, on est tenté de s’écrier : Rome n’est plus dans Rome. On se tromperait, Rome est dans Rome, l’ancienne ville est dans la ville moderne; il reste assez de traces de la première pour la reconstruire par la science et la retrouver par l’imagination. On peut, il est vrai, la perdre de vue momentanément, mais on ne tarde pas à la ressaisir. Dans les quartiers les plus prosaïques, la poésie du passé reparaît tout à coup. La douane est dans le temple de Neptune, le Panthéon élève au-dessus d’une place populeuse la sereine légèreté de son portique à peu près intact; la colonne d’Antonin se dresse au milieu des fiacres, le portique d’Octavie abrite le marché au poisson. Montez au premier étage d’une maison voisine de la place Trajane, et vous trouverez une portion des portiques dont cette place était ornée; entrez chez un charpentier qui loge au Forum, il vous montrera parmi ses planches les restes de la Curie. Si vous voulez louer une loge d’opéra, il faut aller au Capitole, où les bureaux de la municipalité sont établis dans le Tabularium, dépôt des archives de la république romaine. Les plafonds des églises sont soutenus par des colonnes, et leurs parois sont revêtues de plaques de marbre empruntées aux temples païens; dans les murs des palais sont encastrés ici une inscription, là un bas-relief; il n’y a presque pas de maison où l’on n’ait placé au fond de la cour une fontaine dont l’eau coule jour et nuit, recueillie dans un sarcophage, image de la vie, qui filtre ici éternellement à travers les ruines. Sur la place du Peuple, la plus moderne de Rome, est planté un obélisque âgé de trente siècles. Perdu dans les détours des rues souvent étroites et tortueuses, on peut oublier un instant l’antiquité, qui semble disparaître; mais qu’on s’élève un peu, et soudain se montreront les grands restes du Forum, la silhouette gigantesque du Colisée, les thermes de Caracalla, dont les débris semblent des rochers amoncelés et précipités en désordre, les aqueducs traversant la campagne d’une ligne immense et droite, ou semant çà et là comme des îles de ruines; au plus épais des maisons et des cheminées, on apercevra la colonne de Trajan et la colonne de Marc-Aurèle élever au-dessus du niveau brun des toits leur cime aérienne, ou étinceler sous les feux du soleil la coupole métallique du Panthéon.

Si la Rome antique est dans la Rome moderne, on pourrait dire aussi que la Rome moderne est dans la Rome antique; elle y est contenue du moins. L’enceinte des murailles élevées par les empereurs du IIIe siècle est trop vaste pour la population d’aujourd’hui. La ville actuelle n’occupe qu’une partie de cette enceinte; il semble, selon l’expression un peu exagérée d’un Romain homme d’esprit, voir le petit poucet qui s’est logé dans une de ses bottes de sept lieues.

Enfin, et cela surtout est véritable, l’ancienne Rome est sous la Rome de nos jours. Creusez où vous voudrez cette couche de débris qu’ont accumulés les siècles[2], et partout vous trouverez le sol antique, vous verrez reparaître à la lumière les puissantes dalles de la montée triomphale ou de la voie Sacrée, vous foulerez le pavé déterré nouvellement de la basilique Julienne, et de ces profondeurs vous entendrez les bruits de la terre au-dessus de votre tête passer comme une chose étrangère; dans les arrière-boutiques et dans les caves, vous découvrirez les gradins des amphithéâtres. On ne peut remuer le sol, que la pioche ne sonne contre un débris. Naguère les moines d’un petit couvent, en creusant un puits pour leur usage, ont rencontré une statue; c’était le Dtrigillaire dont parle Pline, une des plus remarquables œuvres du ciseau antique. Ce qui reste à découvrir et qui attend est immense, beaucoup de quartiers n’ont jamais été fouillés. Quand on se promène dans les rues de Rome, on peut se dire : Chaque fois que le talon de ma botte frappe le pavé, il indique peut-être le gisement d’un chef-d’œuvre.

Si l’on a la patience de chercher, les auteurs anciens à la main, et en s’aidant avec prudence des bons travaux archéologiques[3], l’emplacement probable des édifices les plus importans dans l’ordre où les énumèrent ces indicateurs du IVe siècle qu’on appelle les régionnaires, on parvient à se faire une idée assez exacte de la topographie monumentale de l’ancienne Rome. Peu à peu on s’accoutume à voir en esprit ce qui n’existe plus pour les yeux, et l’on se sent comme transporté dans cette cité qu’on a refaite avec des textes et des débris. Si alors on reprend ces promenades dont à Rome on ne se lasse jamais, au milieu des ruelles, des places, des carrefours, les temples, les portiques, les théâtres, les amphithéâtres, les mausolées se dressent dans votre pensée. La foule qui vous entoure fait place à celle qui circulait au même endroit il y a deux mille ans. Vous suivez cette foule qui va voter dans les septa, saluer les triomphateurs au Capitole, contempler les courses du Cirque, les jeux sanglans du Colisée, ou bien se promener sous le portique de Pompée, errer dans le grand bois qui entoure le mausolée d’Auguste. Le présent a disparu, les fantômes du passé finissent par vous obséder et se mettre entre vous et la réalité. Vous étiez sorti pour aller voir des amis via Baboino, et voilà que vous rencontrez sur votre route le tombeau de Sylla; vous alliez lire le journal à la place d’Espagne, et vous y trouvez le monument de Marins; vous aviez le projet de visiter dans l’intérieur de la ville la galerie d’un prince romain, mais vos études et vos souvenirs vous reviennent en mémoire, et il n’y a plus ni galerie ni prince romain; il n’y a que le Champ-de-Mars où l’on célèbre sur de vertes pelouses les jeux équestres, où les belles dames de la Rome impériale viennent se promener parmi les fontaines et les ombrages. Dans les parties les plus dénuées aujourd’hui de monumens, vous allez, grâce à une hallucination savante, de monument en monument; vous longez les colonnades, vous passez sous les arcs de triomphe, et devant vous les édifices distribués sur les pentes des collines s’étagent les uns au-dessus des autres et pyramident dans les airs. Cette rue sale et mal pavée est remplacée par l’élégant quartier des Carines, ces échoppes de l’Esquilin par la maison de Mécène, ces bouges fiévreux par les forums splendides d’Auguste et de César. On marche au sein d’un rêve magnifique à travers une réalité misérable : homme du XIXe siècle, on habite à son choix la Rome d’Évandre, de Tarquin, de Scipion, d’Auguste ou d’Aurélien. Cette promenade à travers les âges successifs de Rome est celle que nous allons entreprendre, en commençant par l’époque reculée et obscure où la ville qui devait conquérir le monde naissait dans l’ombre sans que le monde s’en aperçût.


I.
COMMENCEMENS DE ROME.


La campagne romaine. — L’autre de Cacun. Souvenirs de phénomènes volcaniques. — Les bœufs dans le Forum. — Les sept collines, leur état primitif et leur aspect actuel, leurs noms et leur histoire. — Le Palatin et les Pélasges. — Souvenirs populaires d’Enée. — Le Vélabre. — Poème de Romulus. — Situation de Rome et mystère de sa destinée. — La Rome carrée. Première influence étrusque. — Le camp romain. — L’Aventin et le meurtre de Rémus. — Le Quirinal. — Les Romains assujettis par les Sabins. — Numa et la fontaine de la nymphe Egérie.


Si vous voulez avoir une vue claire et un sentiment vrai de l’état primitif et de la formation de Rome, venez vous placer avec moi aux lieux mêmes où Rome s’est formée, observons la configuration du pays qui est devant nous : ne fermons pas nos livres, mais ouvrons nos yeux.

Le pays qui s’étend des deux côtés du Tibre, entre les Apennins et la mer, n’est point une plaine unie ou ondulée comme la pairie américaine ; c’est une plaine abrupte. De vastes plateaux sont interrompus çà et là par des dépressions subites ou des escarpemens inattendus, et tandis que la campagne paraît au premier coup d’œil sans arbres et sans eaux, des eaux profondes, encaissées dans des lits étroits, courent ou se traînent sous des masses de verdure. On trouve même au milieu de ce qui semblait d’abord une plaine immense et nue des vallons plantés de grands arbres, souvent un petit bois de chênes verts ou de chênes-liège apparaît sur un monticule aux flancs jaunes et ravinés ; mais en général ce qui frappe dans la campagne romaine, ce sont de vastes espaces bornés par de splendides horizons. Il est inutile d’ajouter, pour ceux qui ont vu cette contrée extraordinaire, que nulle part la nature ne se montre avec une telle sublimité. Changeant d’aspect avec les saisons sans jamais changer de caractère, la campagne est tantôt verdoyante comme une savane, tantôt dorée par de vastes moissons, ou, vers l’automne, revêtue d’une teinte fauve qui lui donne la couleur du désert, dont elle a la grandeur sans en avoir l’uniformité, car partout d’âpres collines semblent sortir de cette grande mer un peu houleuse comme des îles ou des écueils.

À l’époque où commencent les plus anciennes traditions romaines, sur un grand nombre de ces collines qui se dressent dans la campagne était un lieu fortifié où l’on pouvait se retrancher et se défendre, où en cas de guerre on enfermait les troupeaux, et d’où en temps de paix on descendait cultiver les champs, comme le pratiquent encore les habitans des petites villes de l’état romain. Tels étaient ces établissemens de pasteurs armés, établissemens pour lesquels le nom de ville semble trop ambitieux, et que désignerait mieux le mot de bourgade. Du reste, l’usage s’est maintenu de donner le nom de ville à ce qui ailleurs serait un village ou un bourg; il n’y a pas de villages aux environs de Rome : Albano, Lariccia, Frascati sont des villes. Ce coup d’œil rétrospectif sur la campagne romaine et sur les monticules dont elle est semée n’était pas inutile pour comprendre comment Rome s’est formée par l’agglomération de plusieurs de ces monticules qu’il faut se représenter presque tous comme occupés par une petite peuplade de pâtres et de cultivateurs.

Dans un repli du Tibre s’étendaient quelques prairies entrecoupées de marais et bordées par un demi-cercle de collines : ce coin agreste du Latium devait être Rome.

Quel aspect offraient ces collines ? quels étaient leurs habitans quand Rome a commencé ? Avant de confronter avec l’aspect des lieux les légendes qui contiennent l’histoire primitive du peuple romain, il faut dire un mot d’une tradition mythologique qui se rapporte à un temps où Rome n’existait pas encore, tradition qui atteste la présence d’anciens désordres des élémens dans ce pays où de violentes convulsions de la nature ont précédé les longues secousses de la société.

Le sol de Rome et de la campagne a certainement une origine ignée. Des courans de laves le traversent. Les gracieux lacs d’Albano et de Némi sont d’anciens cratères de volcan; ce que la nature a de plus terrible a produit ce qu’elle peut offrir de plus doux. Un géologue avait même cru reconnaître que le Forum était dans un cratère. Le forum romain était digne de ce brûlant berceau, mais par malheur le géologue se trompait. Il demeure vrai que le terrain sur lequel Rome est bâtie doit son origine à l’action du feu, et, pour le dire en passant, cette circonstance géologique a peut-être décidé de la splendeur et de la magnificence de Rome. Le peuple bâtisseur a trouvé sous sa main une pierre volcanique solide et facile à tailler en gros blocs pour construire ses plus anciens et ses plus durables monumens, une lave indestructible pour paver ses routes, un sable volcanique (la pouzzolane) pour former ce ciment dont les procédés les plus récemment découverts par la science moderne ont pu seuls égaler la ténacité. La nature des terrains géologiques influe beaucoup sur la destinée et l’aspect des villes. Elle apprend pourquoi Gênes est bâti en marbre, Paris en pierre de taille et Londres en brique. Elle explique aussi la solidité et le nombre des monumens de Rome par les matériaux qu’on avait sous la main pour les construire.

Si l’on excepte le Janicule, toutes les collines de Rome ont dû être le siège de phénomènes volcaniques. L’aventure d’Hercule et de Cacus sur le mont Aventin est une allusion évidente à ces anciens désastres. Dans le flanc du mont Aventin, le premier cicérone venu vous montrera l’antre de Cacus, et il ne tiendra qu’à vous de le croire. Sans être aussi dévot aux mythes païens, on peut remarquer que cette désignation d’une caverne de l’Aventin par le nom d’antre de Cacus n’est pas une docte imagination des érudits de la renaissance, mais repose sur une tradition qui remonte au IVe siècle et qui s’est perpétuée jusqu’à nos jours ; car dans un lieu voisin, où était le marché aux bœufs des anciens Romains, on trouve à toutes les époques un lieu appelé tantôt antre, tantôt maison, palais de Cacus (atrium Cad), selon qu’on tenait ce personnage pour un brigand ou pour un seigneur, deux conditions qu’à Rome surtout il était permis de confondre au moyen âge.

Dans l’hypothèse d’une allusion à des effets volcaniques, tous les détails du récit merveilleux reproduit par Virgile s’expliquent parfaitement. Hercule poursuit Cacus dans son antre de l’Aventin, et malgré les feux souterrains et les torrens de fumée dont le fugitif s’environne, le demi-dieu l’arrache du sein de la montagne et l’étouffe dans ses bras. Comment ne pas voir dans cette fable un souvenir des phénomènes physiques qui ont dû se produire en ce lieu ? Ce qui le confirme encore, c’est qu’il y eut près de là un autel à Neptune qui ébranle la terre, et qu’on y éleva plus tard un temple à une divinité singulière, la Fumée. La lutte de ce Cacus et d’Hercule est l’expression poétique de ces phénomènes chez Virgile, de même que chez Pindare, le géant Typhée, écrasé par l’Etna et lançant vers le ciel des torrens de feux et des colonnes de fumée, figure les éruptions du volcan de Sicile. L’antiquité aimait à tout personnifier : la géologie, comme les autres sciences, se transformait en poésie.

Cette tradition si longtemps conservée de Cacus mis à mort par Hercule pour avoir dérobé ses bœufs contient une autre indication importante ; elle fait voir que Rome fut pastorale dès son berceau et même avant son berceau. Vingt passages des auteurs anciens lui attribuent ce caractère. On célébrait la fondation de cette cité de pâtres le 21 avril, jour de la fête de Palès, divinité protectrice des troupeaux, et c’est ce jour-là que les antiquaires de Rome se réunissent pour célébrer cet événement encore national. l’on croit voir les pelliti paires de Properce, ces sénateurs primitifs vêtus de peaux de bêtes, quand on voit dans la rue Montanara les paysans romains hérissés de leurs peaux de mouton. L’aspect pastoral de Rome est frappant même aujourd’hui : des chèvres broutent l’herbe qui pousse entre les pavés des rues, des vaches paissent sur le chemin qui va de Saint-Jean de Latran à Sainte-Croix de Jérusalem. Pour revenir à l’antiquité, Hercule, le dieu de l’ancienne colonie pélasgique, est un dieu pasteur. Aussi, non loin de l’antre de Cacus, au lieu où s’élevait le grand autel consacré à Hercule vainqueur, les Romains avaient placé le marché aux bœufs (forum boarium). Près de là se trouvait la Porte Mugonia, ainsi nommée du mugissement des troupeaux. Aujourd’hui encore tout ce quartier est plein de bœufs et de bouviers, et le Forum, au pied du Palatin, s’appelle le champ du bétail, campo vaccino[4].

Le champ du bétail au lieu du Forum romain! quel contraste! Mais si l’on remonte plus haut, si l’on remonte jusqu’aux temps qui ont précédé Romulus, quel rapprochement plus étrange encore ! Virgile, parmi les magnificences de l’époque d’Auguste, se reportant par-delà l’origine de Rome à la cité antique d’Évandre, ne trouvait pas d’image plus frappante du changement produit par les siècles que la présence de troupeaux de bœufs dans le lieu qui était devenu le Forum. « On les a entendus, disait-il, mugir dans le Forum et dans les somptueuses Carines. » Les Carines étaient le quartier brillant de Rome.

Romanoque foro et lautis mugire Carinis.

Eh bien! un jour devait venir où ce qui était pour Virgile un passé lointain et presque incroyable se reproduirait dans la suite des âges. Le Forum devait de nouveau être un lieu agreste, ses magnificences s’en aller, et les bœufs y revenir. J’aime à les regarder, à travers quelques colonnes, reprendre possession de ce sol d’où les avaient chassés la liberté, la gloire, Cicéron, César, et où devaient les ramener, après vingt siècles, les plus grandes vicissitudes de l’histoire : la destruction de l’empire romain et la venue des Rarbares. Ce que Virgile ne pouvait prévoir s’est accompli. Les bœufs mugissent dans le Forum; ils s’y couchent et y ruminent aujourd’hui, de même qu’au temps d’Évandre, et comme s’il ne s’était rien passé.

De ces temps primitifs, il reste seulement les collines, que l’orgueil romain appelait des montagnes, et dont plusieurs ont conservé leur nom; mais leur aspect étonne et désappointe d’abord un peu, il faut même prendre quelque peine pour les reconnaître, et parfois pour les apercevoir; le Viminal, entre autres, est assez malaisé à découvrir. On trouve le Capitole peu imposant, et on s’étonne que les Gaulois aient eu tant de peine à gravir la roche Tarpéienne. On se demande où était cette cime escarpée et d’une grande hauteur dont parle Sénèque. Cependant, malgré l’exhaussement du sol qui a diminué cette hauteur, et malgré les éboulemens qui ont rendu l’escarpement moins abrupt, en cherchant bien, on trouve encore moyen en certains endroits d’admirer l’agilité des Gaulois et de comprendre le supplice de Manlius.

A l’époque de la splendeur de Rome, plusieurs de ces collines, l’Esquilin, le Cœlius, l’Aventin, n’offraient peut-être pas un aspect très différent de celui qu’elles présentent de nos jours. Elles étaient alors couvertes de jardins, parmi lesquels s’élevaient un grand nombre de temples, comme elles sont aujourd’hui presque entièrement occupées par des villas et des églises. Mais nous n’en sommes pas encore à l’âge de la splendeur romaine, nous sommes à la veille de la naissance de Rome, et il faut nous représenter ce qu’étaient alors les collines que Rome devait occuper un jour. Les noms de ces collines peuvent nous y aider, car leurs noms sont des monumens de leur histoire.

L’Esquilin était primitivement boisé. Un de ses sommets portait un bois de hêtre, d’où lui venait le nom de Fagutal, qui peut se traduire par la faye, dont le diminutif est la fayette. Le Cœlius, avant de porter ce nom, qui, nous le verrons, contient le souvenir d’un fait historique important, s’appelait Querquetulana, ce qui veut dire la colline des chênes, — la chesnaye, — comme le Viminal était la colline des osiers, l’oseraie. La tradition plaçait des chênes verts sur l’Aventin. Ovide en décrit les noirs ombrages :

…….. Locus niger ilicis umbrà.


De plus, nous savons qu’au temps de Tite-Live il existait, sur le Palatin, des sources abondantes, ce qui en faisait un lieu de pâturage. Le lieu où fut depuis le Forum était un fond marécageux dans lequel s’élevait à l’origine un petit bois, abattu, dit-on, par Romulus et Tatius. Partout à l’entour croissaient des saules, arbre qui se plaît au voisinage des lieux inondés. On y voyait aussi ces grands roseaux si fréquens dans tous les endroits humides de la campagne de Rome.

Nil prœter salices canaque canna fuit[5].

Il y avait des figuiers au pied du Palatin; c’est ce que prouve le figuier ruminai sous lequel on prétendait que Romulus avait été allaité par la louve, et qui subsista cinq cents ans près des comices. Toutes les collines étaient couvertes de bois d’espèces diverses et hérissées de broussailles, horrentia dumis, dit Virgile. On peut juger qu’il a dit vrai, car ces monticules devaient ressembler à ceux qu’on voit dans la campagne de Rome, et qui sont garnis d’un taillis sauvage toutes les fois qu’on ne les a pas dépouillés de leur végétation native. Telle était la rude physionomie de ce sol si bien fait pour l’âpreté du génie romain.

Outre l’aspect primitif des sept collines, — il y en a huit en comprenant le Janicule, — aspect qu’il importe d’avoir devant les yeux pour se transporter en imagination au sein des origines de Rome, les noms de ces collines nous enseignent quelque chose de leur histoire; ils nous apprennent quelles populations y avaient eu ou y avaient encore des établissemens à l’époque de la fondation de Rome.

L’Aventin doit avoir été habité par des Albains, car la tradition dérive son nom d’un roi d’Albe nommé Aventinus. Le Janicule, situé sur la rive droite du fleuve et par conséquent en pays étrusque, a dû être occupé cependant par une population latine, car le dieu Janus, qui lui donna son nom, était un dieu latin. On peut en dire autant du mont qui, avant de s’appeler Capitolin, s’était appelé Saturnien, Saturne étant par excellence le dieu des tribus latines. Suivant la tradition, Janus et Saturne s’étaient partagé amicalement les deux côtés du fleuve, l’un occupant le Janicule, l’autre le Capitole. Cette tradition semble indiquer sur l’une et sur l’autre collines deux petits établissemens latins vivant en bonne intelligence, et alliés pour se maintenir contre les Étrusques. Le Quirinal Porte encore aujourd’hui le nom national des Sabins (Quirites). L’histoire y montre en effet les Sabins menaçant et, comme nous le verrons tout à l’heure, assujettissant les Romains. Quant au Palatin, on admet en général qu’il a reçu de la colonie arcadienne d’Évandre le nom d’une ville d’Arcadie, Palantium[6]. On disait mont Palatin, comme on a fait de Capitole mont Capitolin. La destinée de ce mot Palatium a été singulière, et contient pour ainsi dire l’histoire de tout le développement de la civilisation romaine. La colline occupée d’abord par des pâtres arcadiens fut couverte avec le temps par les demeures des Romains opulens, qu’on appela , palatia, et enfin par l’habitation des césars, laquelle, pour cette raison, s’appela Palatium. Nous en avons fait le mot palais, et, chose curieuse, dans presque toutes les langues de l’Europe, le terme qui désigne un séjour royal provient du nom primitif donné à la colline d’Évandre, au temps où l’on n’y voyait encore que des cabanes de bergers.

Le nom du Palatin conserve donc le souvenir traditionnel de l’immigration antique d’une colonie arcadienne. Les Arcadiens appartiennent à cette race mystérieuse des Pélasges que les historiens de l’antiquité nous montrent errans sur la terre, poursuivis et dispersés par la colère des dieux, enfin disparaissant du monde après avoir concouru à la civilisation des Hellènes, dont les Pélasges semblent avoir été les frères aînés. Cette race des Pélasges, à laquelle appartiennent les premiers habitans du sol romain, n’a laissé de son passage sur la terre qu’un vestige, mais il est gigantesque : ce sont ces murs, composés de pierres immenses et irrégulières, qu’on a d’abord appelés cyclopéens, et qu’on serait tenté d’attribuer aux Titans. On trouve de ces constructions singulières et puissantes en Asie-Mineure, en Grèce, dans l’Italie méridionale jusqu’au Tibre, — de la plaine de Troie à la campagne de Rome. Une partie de la Sabine, les montagnes qui s’élèvent au sud de Rome, en offrent de considérables débris. A Segni, ces murailles forment une triple enceinte. A Alatri, les murs de la citadelle pélasgique sont debout; ils ont quarante pieds de haut, quelques-unes des pierres huit à neuf pieds de longueur. Le faîte d’une des portes de la ville est formé par trois blocs posés l’un à côté de l’autre, et dont la largeur totale est de dix-sept pieds[7]. Ces masses n’ont point été entassées au hasard, telles que les fournissait la nature; les roches calcaires, sauf là où il s’est produit des éboulemens, se présentent en couches étendues et non en fragmens irréguliers. De plus, on voit que ces masses ont été taillées avec soin et ajustées avec art : l’agencement des angles saillans et des angles rentrans est d’une grande perfection, le joint des pierres parfait. Ces murs ne sont point un essai informe de constructions barbares; ils sont le produit d’un système adopté pour obtenir de la solidité, et demandaient une habileté plus grande que la superposition en assises de moellons taillés régulièrement. C’est un ouvrage de géans, mais de géans adroits.

On n’a point trouvé de murs pélasgiques sur le Palatin, où auraient pu en élever les Pélasges, s’ils vinrent en effet d’Arcadie y habiter au temps d’Évandre. Cet établissement fut probablement trop peu considérable pour exiger ces grands travaux. Norba, dont les murs pélasgiques existent encore sur le plateau sauvage d’où elle a disparu, Norba était, à cette époque reculée, bien autre chose que la petite bourgade du Palatin. Les Pélasges n’ont marqué ici leur présence que par un nom, et ce nom est celui de Rome même, ce nom prophétique de Roma, qui en grec veut dire la force, et qui n’a pas de sens en latin. Aussi durable, aussi indestructible que les murs élevés par ces peuples, dont la destinée était de périr en laissant des vestiges impérissables, ce nom est presque le seul parmi ceux des villes anciennes d’Italie qui ne se soit pas altéré en traversant les siècles. Florentia s’est changé en Firenze, Neapolis en Napoli, Mediolanum en Milano, Bononia en Bologna; Rome s’appelle encore, et, on peut le croire, s’appellera toujours Roma.

On ne s’attend pas à trouver des monumens de la visite d’Énée au roi Évandre, visite dont nous n’avons pas d’autre garant que Virgile, ni même de la venue plus que douteuse des Troyens dans le Latium. Pour trouver aujourd’hui un vestige de la présence d’Énée en Italie, il faudrait admettre avec la tradition populaire, répétée par les ciceroni du lieu, qu’un certain anneau de fer à Lanuvium est l’anneau même auquel Énée attacha son vaisseau. Lanuvium est assez loin de la mer, et la seule ressemblance du nom l’a fait confondre avec Lavinium, voisin du lieu où l’on plaçait le débarquement d’Énée. Chacun voit quel compte on peut faire de cet anneau. Ce qui est vraiment curieux, c’est que le souvenir de la tradition adoptée par Virgile, qui faisait des fugitifs de Troie les ancêtres des Romains, vive encore aujourd’hui dans le peuple de Rome. L’homme du Trastevere, quartier dont les habitans se croient, peut-être avec raison, les plus purs descendans des anciens Romains, l’homme du Trastevere ne s’en tient pas là, mais dit qu’il est de sang troyen, sangue trojano. La truie fatidique est figurée sur la Porte d’Albano, et un bas-relief qui la représente avec sa progéniture se voit dans une rue de Rome à laquelle il donne le nom de rue de la Truie (via della Scropha), C’est ainsi qu’on montre aux étrangers le tombeau d’Anténor dans une rue de Padoue.

Revenons à Rome ou plutôt à ce qui va être Rome. Il y a des Arcadiens sur le Palatin, des Albains sur l’Aventin, des Latins sur le Janicule. Nous l’avons appris des noms mêmes de ces collines[8]. Rome, qui doit les renfermer dans son sein, n’existe pas encore. D’où sortira-t-elle cette Rome, jusqu’à cette heure invisible ? Il semble qu’il n’y a pas de place pour elle. Les cimes sont occupées, elle sortira de la fange d’un marécage.

Là où l’Aventin domine le Tibre de ses pentes escarpées, commençaient des marais qui, se confondant avec les débordemens perpétuels du Tibre, s’étendaient entre le Capitole et le Palatin, puis, tournant la base de ce dernier, venaient se répandre dans l’enfoncement où depuis fut le Forum. Ces marais portaient le nom étrusque de Vélabre, conservé aujourd’hui dans la petite église de Giorgio in Veîabro. Ce lieu sauvage fut le théâtre du poème de Romulus.

Je crois à Romulus sans croire, bien entendu, aux fables indigènes et grecques dont on a entouré sa mémoire. En général, la légende prête beaucoup à ses héros, mais elle ne les crée pas. On a certes bien raison de ne pas prendre pour de l’histoire les récits évidemment en grande partie fabuleux des premiers temps de Rome; mais on va trop loin, ce me semble, quand on nie l’existence des rois. Je crois que, si la tradition ajoute beaucoup à la réalité, il y a toujours une certaine réalité au fond de la tradition la plus mensongère. Selon moi, elle invente les faits beaucoup plus que les personnages; en ne voyant dans ceux-ci que des mythes, on se trompe sur la nature des procédés naturels de l’imagination populaire. On arrive ainsi à récuser sans preuves l’existence d’Homère, de Lycurgue et de Jésus-Christ. À ce compte, je ne sais pas ce qui resterait de l’histoire, car tout peut s’expliquer par des symboles. En appliquant ce système sans trop l’exagérer, on est parvenu à établir d’une manière assez plausible que Napoléon n’a jamais existé.

Quant à moi, je dois le dire, le spectacle des lieux ne m’a point inspiré un scepticisme absolu sur l’histoire de la Rome primitive. Cette histoire, en la dépouillant de ce qui est évidemment légendaire, s’accorde trop bien dans ses traits fondamentaux avec l’état ancien des lieux pour avoir été inventée après coup et artificiellement adaptée à la notion d’un état qui avait changé. La légende ne connaît pas ces habiletés et ces finesses; elle procède plus naïvement et ne fait point, pour employer le jargon moderne, de la couleur historique. D’autre part, les allures de grand monarque données à Romulus dans certains livres d’histoire semblent bien plaisantes sur le terrain, et quand on s’est transporté en esprit à cet humble début de la grandeur romaine. Néanmoins la légende, en la prenant pour ce qu’elle est, c’est-à-dire pour un souvenir naïvement altéré de l’histoire, la légende est pleine d’une poésie incomparable que l’on sent plus profondément aux lieux qui l’ont inspirée.

Quand on rôde aux approches de la nuit dans ce coin désert de Rome où fut placée la scène des premiers momens de son premier roi, on y retrouve, même à présent, quelque chose de l’impression que ce lieu devait produire il y a vingt-cinq siècles, à l’époque où, selon la tradition, fut abandonné un soir sur la plage le berceau de Romulus. On voit sourdre encore un reste des eaux du Vélabre sous une voûte sombre et froide tapissée de mousse et où de grandes herbes frissonnent dans les ténèbres. Près de là, l’église de Saint-George-en-Vélabre, qu’on n’ouvre qu’une fois dans l’année, est elle-même à l’intérieur humide et comme moisie. En dehors, tout a un aspect triste et abandonné, abandonné comme le furent au bord des marais, suivant les vieux récits, les enfans dont on croit presque, dans le crépuscule, entendre les vagissemens. En vérité, l’imagination n’a pas trop de peine à se représenter les arbres aquatiques et les grands roseaux que baignait l’eau que voilà, et à travers lesquels se glissait vers cette heure la louve qui venait boire à cette eau. Ces lieux sont assez peu fréquentés et assez silencieux pour qu’on se les figure comme ils étaient alors, quand ils n’offraient que des solitudes désertes. Vastœ solitudines erant.

En réalité, Romulus fut un pâtre hardi, fort semblable à ceux qui, près d’ici, après un mauvais coup, s’en vont à la montagne. Cet homme résolu s’empara du Palatin où paissaient les troupeaux du roi, j’aimerais presque mieux dire du seigneur d’Albe. Des outlaws s’étaient réfugiés sur le Capitole, qui s’appelait alors le mont de Saturne. Probablement Romulus n’ouvrit point cet asile, qui s’était formé avant lui sous la protection de Saturne, dieu des esclaves et des misérables. Le droit d’asile dans l’antiquité appartenait aux temples et aux lieux sacrés, comme dans l’Italie moderne il appartient aux églises et aux couvens. Il n’y a là rien d’impossible, et on aime à croire que Rome fut d’abord un asile, car elle a toujours été un refuge pour les infortunes et comme l’asile du monde. Ces réfugiés, ces proscrits, hommes de la trempe des galériens échappés qui habitent aujourd’hui l’asile du Campo-Morto, placèrent Romulus à la tête de leur bande et commencèrent à piller les troupeaux du voisinage. Il fallait un lieu pour mettre en sûreté les hommes et le butin, et ainsi une ville pareille à celles qui étaient perchées sur les autres collines fut fondée sur le Palatin. Rome existait. La cime du Capitole qui est en face du Palatin, qui s’appelait et s’appelle encore le rocher tarpéien, fut, pour les habitans de la Rome primitive établie sur le Palatin, la citadelle, ce que les Romains appelaient arœ et les Grecs acropolis, lieu élevé et en général, dans les temps anciens, situé hors de la ville pour la protéger. C’est ce qui se voit à Fidènes, à Veies, à Cære comme à Athènes. Ainsi la ville sur le Palatin, la citadelle sur le rocher tarpéien, voilà toute la Rome de Romulus.

Il en reste parmi le peuple des traditions merveilleuses. Niebuhr a trouvé sur la roche tarpéienne une petite fille qui lui a raconté avec beaucoup de grâce l’histoire de la belle Tarpeïa, habitant l’intérieur de la montagne et entourée de trésors et de bijoux : souvenir évident des colliers promis par les Sabins à la Tarpeia de Tite-Live. Pour moi, j’ai été moins heureux : je n’ai jamais rencontré là que d’effrontées et opiniâtres petites mendiantes qui certainement ne savaient rien de la belle Tarpeia. Quand je considère cette plate-forme du Palatin dont on peut faire le tour en une demi-heure, et dont un jardin de médiocre grandeur occupe une grande partie, et quand je songe que Rome a tenu dans cet étroit espace, je ne puis m’empêcher de me demander pourquoi ce point plutôt qu’un autre est devenu le centre du monde. Où est la cause de cette incroyable fortune ? quel avantage avait cette poignée de gens sans aveu sur le reste du genre humain ? Ce n’était pas une supériorité de race. Ils appartenaient à la même race que les autres populations du Latium et des montagnes, les noms propres et le peu de mots que l’histoire a conservés de la langue des Albains, des Sabins, des Volsques, le prouvent suffisamment. Ce n’était pas que leur situation fût meilleure que celle de leurs voisins, elle était très semblable, et la campagne romaine est remplie de petites hauteurs toutes pareilles au Palatin. Il y a plus, cette situation était pleine de périls : la nouvelle ville qui venait de se fonder, oserai-je dire le repaire qui venait de s’ouvrir, n’était séparée que par un fleuve, qui n’est qu’un large torrent, d’un grand peuple civilisé et guerrier, les Étrusques, car l’Étrurie venait jusqu’au Tibre. Du temps d’Horace, la rive droite de ce fleuve s’appelait la rive étrusque, et plus tard Stace la nommait encore la rive lydienne, par la raison que les Étrusques passaient pour être venus de Lydie. Ils avaient même franchi le fleuve, et Fidènes leur appartenait. Ils avaient probablement fondé ou conquis Tusculum, le nom de cette ville l’indique[9], et peut-être s’étaient-ils avancés jusqu’à Ardée, comme paraissent le prouver des tombeaux qu’on y a récemment découverts. C’était une redoutable voisine que la puissante Étrurie.

A cinq ou six lieues, du côté de l’est et du sud, les Romains étaient cernés par des montagnes qu’habitaient des peuples rudes et belliqueux, les Æques, les Herniques, les Volsques : ceux-ci s’étendaient jusqu’à la mer. Plus près se pressaient Cécina, Gabie, Crustumerium, et beaucoup d’autres villes dont l’emplacement est connu. Une demi-lieue séparait Rome d’Antemne, qui dominait la plaine d’Aqua-Acetosa, en ce moment champ de manœuvre de la division française. Plus près encore s’élevaient les collines qui touchaient presque la cité naissante, qui pouvaient être occupées, et dont quelques-unes le furent en effet par des ennemis. Les Sabins étaient au Quirinal[10]. On ne saurait être plus menacé, plus exposé à périr : cependant Rome ne périt point, elle fut sauvée comme miraculeusement pour accomplir les desseins de la Providence sur le genre humain.

Dans une forêt de chênes, vingt glands tombent sur le sol et vingt pousses s’élèvent pressées; dix-neuf périssent, une survit, voilà l’histoire de la destinée des peuples. Pourquoi de toutes ces petites villes, campées chacune sur son éminence comme l’était Rome sur le Palatin, fut-ce Rome qui survécut ? Pourquoi l’arbre que Romulus avait planté étouffa-t-il successivement toutes les autres pousses, en apparence aussi vigoureuses, sous son ombrage, qui devait couvrir l’univers ? L’histoire ne le sait pas, c’est le secret de Dieu.

Cela veut dire que nous ignorons les causes qui agirent alors, et qu’on n’a pas encore su découvrir. Hegel affirme que les Romains durent leur puissante organisation à ce qu’ils furent d’abord une société de brigands. J’en demande pardon à ce puissant esprit; mais c’est pousser un peu loin la méthode de philosophie historique au moyen de laquelle on voit toujours dans un fait qui précède la cause nécessaire d’un fait qui suit. Ce que Hegel expliquait par les antécédens peu honorables du peuple romain, M. Mommsen l’explique par la situation géographique de Rome. Selon lui, Rome aurait dû sa supériorité à sa position sur le Tibre, non loin de l’embouchure du fleuve, aux confins du pays latin et du pays étrusque, position qui faisait de la ville un marché naturel pour le commerce des deux peuples. A l’appui de sa thèse très nouvelle, le savant épigraphiste fait observer que sur d’anciennes monnaies romaines est la figure d’un vaisseau, et que, dès les premières années de la république, Rome fait un traité de commerce avec Carthage. Quand on accepterait cette opinion hardie, qui place sous une influence commerciale les commencemens de la belliqueuse ville de Rome, Rome, tout le prouve, n’en resterait pas moins par son fond et son origine essentiellement agricole et guerrière. Je reviendrai sur cette vue originale de M. Mommsen. Je l’indique dès à présent, parce qu’elle se rapporte à ce qui m’occupe en ce moment, l’importance de la position topographique de Rome pour expliquer, s’il est possible, le mystère de ses destinées.

La proximité du peuple étrusque se fit d’abord sentir aux Romains, sinon par la conquête, du moins par une influence bien naturelle; on en aperçoit la trace dans la fondation même de Rome. Le Palatin, dont la masse s’élève si nettement quadrangulaire entre le Forum et l’Aventin, entre le Cœlius et le Capitole, le Palatin m’avertit par cette forme quadrangulaire que l’influence étrusque précéda dans Rome l’apparition des rois de cette race. Je reconnais la Rome quarrée ou équarrie, Roma quadrata, telle que la charrue de Romulus en traça le contour, et ce contour, nous le savons, fut tracé selon le rit étrusque.

Romulus, qui ressemblait beaucoup à un chef de bande et même à un chef de bandits, pourrait bien avoir été dévot comme ses pareils le sont encore. La terre étrusque était la patrie des prêtres et des devins, des cérémonies mystérieuses. Qu’y a-t-il de plus naturel que Romulus ait fait venir de là quelques hommes connaissant les formules sacrées par lesquelles on inaugurait les villes naissantes, comme un paysan romain fait venir un moine pour bénir la maison qu’il a bâtie ? On creusa d’abord un grand trou au lieu où devaient être les comices, et où ne se rassemblent plus aujourd’hui que les charretiers qui amènent là leurs bœufs pour boire dans une auge de pierre occupant à peu près la place de la fontaine de Juturne, près de laquelle Castor et Pollux furent vus après la bataille de Régille, où ils avaient combattu pour Rome, essuyer leur sueur et celle de leurs coursiers divins. Chacun des assistans jeta dans le trou une poignée de terre apportée de son pays, car il y avait là des réfugiés des diverses contrées d’alentour; on mêla le tout, et, selon l’usage étrusque, on nomma cet endroit mundus. Cette expression désignait la région souterraine des mânes, et aussi la région supérieure habitée par les dieux. Quoi qu’il en soit, le mot fut prophétique. Sans le savoir les augures avaient deviné juste, car des hommes de toutes les régions de la terre devaient venir là, les intérêts de tous les peuples devaient s’y débattre, et Rome devait être le monde. Puis, partant d’un endroit consacré à Hercule par la religion arcadienne, endroit qu’on peut déterminer, car là s’éleva toujours le grand autel (ara maxima) du dieu Pélasge, Romulus, dessinant un carré, selon le rituel de l’Etrurie, conduisit la charrue sacrée tout autour du Palatin; il creusa un fossé le long du sillon qu’elle avait tracé, la soulevant trois fois pour chacune des trois portes dont l’emplacement peut être reconnu : c’était ainsi qu’on délimitait le lieu d’une ville étrusque, et il me paraît évident, quand du Palatin je vais au camp des Prétoriens, dont l’enceinte subsiste encore en grande partie, que là est l’origine de la forme constamment donnée au camp romain. Ce camp, que les Romains établissaient avec soin lorsqu’ils s’arrêtaient quelque part, était aussi une enceinte carrée entourée par un vallum, c’est-à-dire un fossé et un rempart formé par la terre rejetée en dehors du fossé. Ainsi jusqu’au dernier jour de l’empire, dans toutes les parties du monde où ils portèrent leurs aigles victorieuses, depuis les déserts de l’Orient jusqu’au fond des forêts de la Germanie, les Romains dessinèrent et fortifièrent leur camp d’après le type sacré de la Rome primitive, dont le Palatin nous montre encore aujourd’hui la forme quadrangulaire, et dont le camp était l’image.

A cette délimitation augurale de la Rome du Palatin se rattache le récit de la mort de Rémus, tué, disait-on, par son frère pour avoir franchi par dérision le fossé que celui-ci avait creusé. Si l’on se souvient que Rémus prit les auspices sur le mont Aventin, ainsi nommé d’un roi d’Albe, Aventinus, à qui la tradition donne un Rémus pour père, et si l’on considère que la tradition plaçait aussi sur l’Aventin une ville de Remuria, on arrivera, je pense, à trouver bien vraisemblable que le meurtre de Rémus, dont les circonstances sont un peu singulières, soit l’expression légendaire de la destruction de la cité albaine de l’Aventin par la Rome primitive fondée sur le Palatin. Le chef de cette cité albaine pouvait facilement être appelé frère de Romulus, puisque celui-ci passait pour descendre des rois d’Albe. Ce chef ne fut pas mis à mort pour avoir sauté en se jouant par-dessus un fossé, mais, ayant franchi les armes à la main le fossé et le rempart qui marquaient autour de la ville l’enceinte consacrée par la religion, c’est-à-dire ayant envahi Rome, lui et son peuple furent exterminés.

Le mont Aventin, qui s’élève en face du mont Palatin comme un rival et un ennemi, a toujours été un mont funeste. La tradition y plaçait l’augure néfaste de Rémus suivi du fratricide. Jamais sous la république on ne l’admit dans l’enceinte sacrée de Rome, qu’on appelait le Pomœrium, pour cette raison, les plébéiens, les déshérités des privilèges religieux et du pouvoir politique s’y retirèrent à plusieurs reprises comme sur le mont sacré. Là Caïus Gracchus lutta une dernière fois pour les droits populaires. Là il fut vaincu, et, fugitif devant l’aristocratie triomphante, descendit à pas précipités les pentes rapides de l’Aventin pour aller, de l’autre côté du Tibre, tomber sous le fer patricien dans le bois consacré aux furies vengeresses. Ce passé sinistre semble encore planer sur l’Aventin désert. C’est la plus abandonnée des collines de Rome. Nul n’y habite à cette heure, sauf quelques moines. Ses églises dispersées dans la solitude lui donnent un aspect désolé qui semble raconter sa lugubre histoire.

Le Quirinal devait être plus formidable que l’Aventin pour le Palatin et le Capitole. Il est aisé de comprendre combien la présence des Sabins sur la colline qui Porte leur nom (Quirites, Quirinal) était dangereuse pour la petite ville de Romulus. Si l’on veut se rendre compte de ce danger, il faut rétablir par la pensée l’ancienne disposition des lieux. Aujourd’hui une vallée sépare le Quirinal du Capitole : cette vallée est l’œuvre de Trajan, qui abaissa le sol de cent pieds pour bâtir son forum et sa basilique, et donna cette hauteur à sa colonne, comme nous l’apprend une inscription gravée sur la colonne même; mais primitivement les sommets du Quirinal et du Capitole se touchaient. Le Capitole formait la continuation du Quirinal, où les Sabins étaient postés. Ils pouvaient aller de plain-pied de leur campement jusqu’à la base de la roche tarpéienne, c’est-à-dire de la citadelle de Romulus. De plus, le Quirinal a plus de surface que le Palatin, et tandis que celui-ci est entièrement isolé, le mont Sabin est soudé au Viminal, qui lui-même l’est à l’Esquilin, la plus considérable des sept collines. Le Quirinal, le Viminal, l’Esquilin s’avancent vers le Capitole et le Palatin comme les trois doigts d’une main dont la paume serait la campagne romaine. Rien n’indique que d’autres populations fussent en possession du Viminal et de l’Esquilin; on peut donc regarder toute cette portion orientale de Rome comme ayant été occupée par les Sabins. De ce côté, les montagnes de la Sabine s’élèvent à huit ou dix lieues; les Sabins pouvaient donc être en communication avec leur pays, et comme d’un poste avancé menacer les hommes de Romulus isolés sur le Palatin, séparés par une vallée de leur citadelle du Capitole, tandis que celui-ci, formant comme un prolongement du Quirinal, était sans cesse exposé à être envahi par les Sabins. Il le fut en effet dans la guerre contre Tatius, et la citadelle placée sur la cime la plus escarpée et la plus éloignée du Quirinal eut le même sort. Aussi, à travers les réticences inspirées aux historiens romains par l’orgueil national, on aperçoit très clairement que les Sabins eurent l’avantage dans cette guerre, et qu’elle finit par un véritable assujettissement des Romains.

On a vu que j’étais très éloigné d’un scepticisme systématique; mais il faudrait une crédulité bien confiante pour prendre au pied de la lettre les récits des historiens romains sur les époques primitives, quand Tite-Live lui-même, dans sa préface, les donne pour une sorte de poésie. En outre la partialité pour les Romains est évidente chez leurs annalistes. Comme le dit naïvement un scoliaste, « lorsqu’ils arrivent à quelque malheur du peuple romain, ils ne disent rien et passent outre de peur de sembler s’en réjouir. » Il me paraît certain que la domination des Sabins sur les Romains a été dissimulée, mais a laissé pourtant d’irrécusables vestiges.

En effet, quand Romulus a mystérieusement disparu, c’est un roi sabin qui gouverne les deux peuplades, je ne puis me résigner encore à dire les deux peuples, c’est-à-dire une poignée d’hommes établis sur le Palatin et un certain nombre de Sabins établis sur le Quirinal. Ce n’est pas cette colline seulement qui Porte le nom national des Sabins. Ce nom (Quirites) est imposé aux Romains. N’y a-t-il pas là une preuve de la supériorité qu’ont prise sur eux leurs ennemis ? Les Gallo-Romains ont fini par s’appeler des Français et les Bretons des Anglais, parce que les Francks et les Angles, avec leurs alliés, étaient les vainqueurs et les maîtres du pays. Cette preuve suffirait, quand Servius ne nous dirait pas expressément que dans l’antiquité les vaincus prenaient le nom des vainqueurs. Les Romains s’appelleront donc Quirites, c’est-à-dire Sabins. Pour eux, le droit sabin, jus quiritium, sera le droit civil par excellence, l’optimum jus, le droit auquel il sera pour les populations de l’Italie le plus avantageux de participer. Il en était ainsi de la loi francke pour les populations de la Gaule. Ce n’est pas tout, Festus nous apprend ce fait singulier, que les Sabins désignaient les Romains par le mot verna (serviteur), qui s’est depuis appliqué aux esclaves. Enfin Romulus lui-même, après sa mort, perd son nom, qui était celui de son peuple, et c’est sous le nom de Quirinus (le Sabin) qu’il est adoré. Je le demande, le Quirinal ne l’a-t-il pas emporté sur le Capitole ? C’est le résultat de ce triomphe qu’il faut voir dans le règne de Numa[11].

Il ne reste aucun monument de ce règne, qui fut véritablement l’empire des Sabins à Rome, car on ne peut faire remonter à Numa le nymphée, beaucoup plus moderne, auquel on a donné le nom de Fontaine de la nymphe Egérie. Ce lieu charmant, que connaissent tous les voyageurs, et qui a inspiré à lord Byron des vers délicieux, ce gracieux vallon, dominé par un bouquet d’arbres qu’on dirait le reste d’un bois sacré, n’est certainement pas celui où les anciens plaçaient les entretiens mystérieux de la divine conseillère et du sage roi. La véritable fontaine de la nymphe Egérie était moins éloignée de la maison de Numa, du moins à en croire la tradition, qui plaçait celle-ci près du Forum. Cette fontaine se trouvait dans l’enceinte actuelle de Rome, au pied du mont Cœlius, nous le savons par Juvénal. Juvénal, en attendant près de la Porte Capène la voiture qui doit l’emmener, s’amuse à décrire la source limpide, et avec un sentiment des beautés naturelles qu’on attendrait mieux de Byron et qui pourrait presque s’appeler romantique, le satirique romain regrette que ces eaux soient emprisonnées dans le marbre, au lieu de n’avoir d’autre bordure qu’un vert gazon. Quoi qu’il en soit, le nom de Fontaine de la nymphe Egérie, bien que mal appliqué, subsiste encore et consacre la légende, j’allais dire le roman de Numa. En effet, bien des siècles avant que M. de Florian eût fait de Numa Pompilius le soupirant d’Égérie et l’élève de Zoroastre, les anciens en avaient fait l’époux de cette nymphe et le disciple de Pythagore. Déjà dans Plutarque le personnage de Numa a quelque chose de romanesque. Vivant dans la retraite, occupé de l’étude des choses divines, ses vertus ont attiré l’attention du roi Tatius, qui lui donne pour épouse sa fille Tatia. Le sage Numa continue à vivre dans ces montagnes, occupé à soigner son vieux père. Tatia, de son côté, préfère au séjour royal du sien la solitude avec son époux. Elle meurt au bout de treize ans de ce bonheur conjugal et champêtre. Numa, inconsolable, erre à travers la campagne, passant sa vie dans les bois divins, les forêts sacrées, les lieux déserts. Enfin, renonçant à la société des mortels, il s’éprend d’une nymphe qui lui enseigne les choses divines et qui devient un peu sa Béatrix. On voit que l’imagination avait déjà au temps de Plutarque singulièrement modifié la figure du rude Sabin qui, par le droit de la victoire de son peuple, régna sur Rome après Romulus, et probablement ne ressemblait pas au Numa de Plutarque beaucoup plus qu’au Numa de Florian. Mais comment l’empire de ces pâtres guerriers, de ces Sabins, qui s’appelaient eux-mêmes les hommes de la lance[12], a-t-il laissé la mémoire d’une époque pacifique durant laquelle les lois furent fondées sur la religion ?

Je crois reconnaître encore ici l’influence civilisatrice des Étrusques ; je crois qu’ils avaient communiqué aux Sabins, peut-être plus anciennement même qu’aux Romains, quelque chose de leur religion et de leur discipline. Parmi les douze autels élevés par le roi sabin Tatius, il en est plusieurs qui sont consacrés aux divinités de l’Étrurie. Le grand augure Attus Navius, auquel on rapportait la fondation de la science augurale chez les Romains, était Sabin. De qui aurait-il appris cette science, si ce n’est des Étrusques ? Plusieurs des institutions religieuses de Numa semblent se lier à l’Étrurie[13]. On voit un augure consulter avec Numa lui-même les présages du ciel avant de le déclarer roi. Tite-Live entre dans tous les détails de cette curieuse inauguration étrusque de la royauté sabine.

Ainsi, sous Numa comme sous Romulus, se montre déjà l’action du sacerdoce de l’Étrurie sur les premiers commencemens de la société romaine. Dès le principe, on peut définir les Romains des paysans disciplinés par des prêtres. Nous n’avons pu demander aux monumens la preuve de ce fait important, l’influence de l’Étrurie sur Rome naissante, parce que les monumens n’existent pas encore; mais la disposition des lieux, les noms, la forme, la relation des sept collines nous ont fourni d’assez curieux enseignemens. Quand les monumens seront venus, ils confirmeront ce que les indices topographiques nous ont porté à affirmer par avance. Nous allons rencontrer en effet les ouvrages encore subsistans de la période des rois, et ces grands ouvrages, les plus anciens, à quelques égards les plus remarquables des Romains, nous feront, pour ainsi dire, toucher au doigt cette vérité, que Rome, sous la domination de rois venus d’Étrurie, après avoir été soumise à l’empire des Sabins, subit l’influence des Étrusques. Cette influence a été affirmée et contestée tour à tour. Je ne veux point l’exagérer; mais quand nous n’aurions pas pour l’établir les témoignages de l’histoire et les monumens dont je parlerai bientôt, le fait seul de l’extrême proximité d’un empire civilisé et d’une chétive bourgade, asile d’une population à demi barbare, suffirait pour démontrer qu’il a dû en être ainsi. Or le sentiment de cette proximité est bien vif à Rome, où chaque jour, quand on passe le pont Saint-Ange ou la barque de Ripetta pour aller à Saint-Pierre, on va en Étrurie, où une course du matin vous conduit à Veies, l’une des douze grandes cités de la confédération étrusque. A Rome, une promenade est une révélation de l’histoire.


J.-J. AMPERE.

  1. Voyez les livraisons des 15 juin et 1er juillet 1844.
  2. L’exhaussement considérable du sol moderne au-dessus du sol antique frappe tous les voyageurs. Il était déjà sensible du temps de Frontin, qui l’attribuait aux incendies.
  3. Le travail le plus complet sur les antiquités de Rome, et dans son ensemble le plus sage et le plus sûr, est le grand ouvrage de M. Canina, gli Edifizj di Roma antica, 4 vol. in-folio. Ceux qu’effaient les in-folios se serviront avec fruit du volume in-8o intitulé Roma antica du même auteur.
  4. De vaccine, bêtes à cornes dans le langage romain.
  5. Ovide.
  6. Les Arcadiens seraient les dignes aïeux des Romains, — dur peuple de montagnards auxquels leurs législateurs, pour adoucir leurs mœurs, faisaient apprendre la musique jusqu’à l’âge de trente ans.
  7. Ces mesures ont été prises sous mes yeux par M. Noël Desvergers, avec qui j’ai eu le plaisir de faire une visite aux villes pélasgiques du pays des Volsques et des Herniques.
  8. Nous avons vu du moins qu’elles ont été occupées par ces différens peuples, et il n’y a aucune raison de croire que tous les aient abandonnées au moment où Rome paraît.
  9. Selon Tite-Live, Tarquin, banni de Rome, alla s’y établir auprès de Manilius Octavius, son gendre. Faux ou vrai, ce fait semble montrer qu’on croyait à un rapport entre l’Étrurie et Tusculum. Les rapports des Étrusques avec Gabie sont aussi très vraisemblables.
  10. On pourrait croire que les Sabins n’y vinrent que plus tard, quand, à la suite de l’enlèvement de leurs filles, ils firent la guerre aux Romains; mais le récit, fondé ou non, de cet enlèvement même porte à penser qu’ils y étaient déjà établis quand il eut lieu. Pourquoi aurait-on supposé qu’eux en particulier seraient venus de leurs montagnes de Rieti voir célébrer les jeux de Romulus au moment où il venait de fonder son humble bourgade ? La tradition qui les fait assister à ces jeux semble admettre qu’ils étaient tout proche, comme les autres petits peuples de Cécina, de Crustumerium, d’Antemne, qui y assistaient avec eux. Cette tradition s’explique très bien en les supposant dès lors établis sur le Quirinal et voisins immédiats des Romains.
  11. Cette thèse de l’assujettissement des Romains par les Sabins après Romulus a été déjà soutenue par le savant professeur Orioli. J’ai ajouté aux argumens que M. Orioli a tirés de l’histoire ceux que l’aspect des lieux m’a fournis.
  12. C’est l’étymologie la plus probable du mot quirites.
  13. Les prêtres saliens avaient été établis d’abord à Veies. L’institution des vestales, rapportée tantôt à Romulus, tantôt à Numa, pourrait bien avoir une origine étrusque, car on les voit, quand Rome est menacée par les Gaulois, se réfugier, en emportant tout l’attirail du culte de Vesta, dans la ville de Cœre. Le nom de la nymphe Égérie semble étrusque, car un neveu de Tarquin le Superbe s’appelait Égérius. Enfin la nymphe elle-même enseigna, dit Ovide, à Numa comment les foudres devaient être expiées. Or cela faisait nécessairement partie de la science fulgurale des Étrusques.