L’histoire romaine à Rome (RDDM)/II/08

La bibliothèque libre.
L’histoire romaine à Rome (RDDM)/II
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 9 (p. 563-589).
◄  VII
IX  ►
L’HISTOIRE ROMAINE
A ROME


VIII.
COMMENCEMENT DE LA DÉCADENCE. — DE COMMODE A ALEXANDRE SÉVÈRE.
La décadence aussi ancienne que l’empire. — Pertinax vulgaire comme ses traits.— Didius Julianus, l’empire à l’encan.— Les compétiteurs de Septime-Sévère; bustes rares, insignifians comme eux. — Septime-Sévère type africain, perfidie, cruauté, énergie impuissante. — Septizonium. — Arc de Septime-Sévère, soudaineté de la décadence dans l’art. — Caracalla et Géta, ressemblance des deux frères. — Le nom de Géta effacé par son meurtrier. — Thermes de Caracalla, ce qu’étaient les thermes. — Plan et magnificence de Rome sous Caracalla. — Portraits et règne de Macrin. — Les quatre Julie, leur beauté et leurs intrigues. — Héliogabale stupide et vicieux, son portrait. — Les jardins de Varius, mort d’Héliogabale. — Des religions orientales à Rome d’après les monumens.




A dire vrai, la décadence de Rome a commencé avec l’empire. La décadence de l’énergie civique et bientôt de la vertu militaire, on en a vu les preuves[1]; mais, quand une société se dissout au dedans, elle conserve encore assez longtemps un air de grandeur et un semblant d’éclat, trompant ainsi ceux qui ne regardent que la surface. Un mal mortel n’empêche pas toujours le visage d’être coloré et l’œil d’être brillant, il arrive même que les couleurs sont plus vives et que le regard semble s’animer; la mort qui s’approche revêt, en les exagérant, les apparences de la vie. Cependant le mal interne, pour être dissimulé, n’est pas guéri; le cœur, atteint par une altération organique, finit par s’atrophier; une fièvre de langueur use les forces vitales, et l’agonie paraît au front.

Il en fut ainsi de la Rome impériale. Des signes de décadence s’étaient déjà manifestés sous Auguste. La facilité avec laquelle les Romains se laissèrent ravir tous leurs droits était l’indice certain d’un abaissement moral bien profond. Plus tard, le relâchement de l’esprit militaire alla toujours croissant, l’abdication de la dignité de citoyen et d’homme fut toujours plus complète. Au dehors, l’empire semblait encore puissant et assuré; mais il était la proie de cette maladie dont meurent les vieillards qui n’en ont point d’autres, l’impossibilité de vivre.

Le progrès de la décadence, arrêté par quelques bons et grands empereurs, reprit son cours après eux sous Commode. Dès ce moment, le malade ne se relèvera plus que par intervalles, retombant toujours sur son lit de mort, plus faible et plus épuisé, jusqu’au jour où il s’éteindra tout à fait. Cette décadence presque continue date du règne de Commode. Cependant on doit reconnaître que Septime-Sévère eut encore des qualités énergiques. Je m’arrêterai sur cet empereur, digne de quelque estime; mais avant je dois mentionner en passant les faibles concurrens qui disparurent devant lui, et d’abord leur prédécesseur Pertinax, puisque j’ai sous les yeux les bustes de ces hommes, et qu’à défaut d’autres monumens, les lieux qui virent leur élévation rapide ou leur mort non moins prompte me les rappellent.

L’extraction de Pertinax était obscure. Son père, affranchi et marchand de bois, louait aussi des boutiques; lui-même, tour à tour officier et chargé de l’administration des vivres, pendant son exil sous Domitien, fit le commerce par l’entremise de ses esclaves; il le fit encore étant empereur. Pertinax avait étudié quelque peu et même enseigné la grammaire; mais ayant fait, ce semble, à ce métier peu de profit, il quitta l’enseignement pour l’armée, et s’y distingua. Malgré ses goûts mercantiles, il y avait en lui du soldat. Le premier mot d’ordre qu’il donna fut : militemus, combattons. Ce mot d’ordre, remarque son historien, déplut aux prétoriens. Quel signe ! Il avait, comme Galba, du goût pour la discipline, et lui ressemblait par son avarice; mais il valait mieux que Galba[2]. Son élection fut fortuite et furtive. Les principaux auteurs du meurtre de Commode, meurtre auquel il avait pris part, lui donnèrent l’idée de se faire nommer empereur, et le conduisirent au camp des prétoriens. Il leur promit une gratification : c’était tout ce qu’ils demandaient. Ceux qui se trouvaient là le proclamèrent. Descendant le Quirinal, il se rendit de nuit à la curie pour faire ratifier son élection par le sénat : les empereurs créés par l’armée avaient coutume d’observer cette formalité; mais la curie était fermée, et le portier absent. Pertinax traverse le Forum désert, et va s’asseoir dans le temple de la Concorde, attendant le matin et l’empire. Les magistrats et les consuls se rendent à la curie, dont la clé s’était retrouvée, et aussitôt qu’il y paraît, Pertinax est déclaré empereur nuitamment.

Pertinax, qui ne régna pas tout à fait trois mois, n’a pas élevé de monumens, et n’a laissé de lui à Rome que ses bustes. Quoi qu’en dise Capitolin, il n’a rien d’un vieillard vénérable; sa tête est carrée, sa bouche assez fine; sa physionomie commune est bien celle d’un homme d’affaires entendu et d’un soudard déterminé. Il périt dans le palais, tué par les soldats après avoir été élu par eux; trois cents prétoriens vinrent du camp en bon ordre pour égorger l’empereur. Pertinax leur adressa une longue et vigoureuse allocution ; ils semblaient s’apaiser, quand un Germain, un Tongre qui peut-être n’entendait pas bien le latin, ranima leur colère et leurs craintes, et planta sa pique dans la poitrine de Pertinax. Les soldats lui coupèrent la tête, et, après l’avoir promenée par la ville, la portèrent au camp. Cette tête, ramassée là où on l’avait jetée, fut réunie à son corps, qui gisait sur le Palatin; l’une et l’autre furent placés dans une sépulture de famille par le successeur de Pertinax.

Les soldats qui avaient tué Pertinax, n’ayant pas un autre empereur sous la main, en prirent un de rencontre. Il s’appelait Didius Julianus. C’était un homme riche, de mauvaises mœurs, jurisconsulte habile, qui avait fait la guerre et avait été gouverneur en Germanie. Le marché s’était ouvert au camp des prétoriens. Didius Julianus s’y rendit, pour acheter l’empire qui s’y vendait. Un autre acquéreur, nommé Sulpicianus, y était déjà et faisait des propositions. Didius Julianus enchérit. Sulpicianus avait promis aux soldats 25,000 sesterces (4,449 francs 50 centimes) par tête. Les soldats dirent à Julianus : « Voilà ce qu’il offre; toi, qu’offres-tu? » Il proposa 30,000 sesterces pour chaque soldat (5,337 francs). Les prétoriens lui donnèrent la préférence. Pour faire cette offre, il était monté sur le rempart du camp; il en descendit empereur par la grâce de son coffre-fort.

Selon Hérodien, la femme de Julianus l’avait poussé à faire l’acquisition de l’empire. Le prétendu buste de Manlia Scantilla, qui est au Capitole à côté du buste de Julianus, est un portrait de Julie Mammée. Le buste du Braccio Nuovo, au Vatican, est celui d’une jeune femme remarquable par sa beauté; mais je ne lis dans ses traits ni l’ambition, ni l’audace. Cette jolie et douce figure s’accorde mieux avec le récit de Spartien, qui nous montre Manlia Scantilla épouvantée de l’entreprise de son mari et traversant toute tremblante le Forum, pour se rendre au palais où elle entrait malgré elle. Un autre buste du Vatican donne à la femme de Didius Julianus un air plus altier et plus résolu : elle regarde en haut. Le nouveau propriétaire prit possession du palais impérial aussi ignoblement qu’il avait acquis l’empire. Avec un empressement de parvenu, il se fit servir le repas préparé pour Pertinax, dont le cadavre décapité n’avait pas encore été enlevé, trouva le souper mauvais, en demanda un meilleur, puis, après avoir mangé gloutonnement, joua aux dés et fit danser le pantomime Pylade.

L’opération commerciale de Didius Julianus, qui semblait bonne, ne l’était point. L’acheteur paraît avoir éprouvé des difficultés pour ses paiemens, ce qui donna de l’humeur à ses créanciers. Quand Didianus Julius était venu sur le mur du camp offrir aux prétoriens un bon prix de leur marchandise, ils l’avaient proclamé empereur ; mais quand il voulut les faire rentrer dans ce même camp et leur en faire fortifier les tours, ils se révoltèrent : car, et ceci montre encore ce qu’était devenue la valeur romaine par l’énervement de l’empire, « les soldats, dit Spartien, se livraient très à contre-cœur aux exercices militaires, et chacun d’eux, dans les travaux qui lui étaient prescrits, se faisait remplacer en payant. »

Quand Didius Julianus eut acquitté de sa dette tout ce qu’il pouvait solder, les prétoriens, n’ayant plus rien à en tirer, l’égorgèrent. Deux concurrens, outre Septime-Sévère, s’étaient mis sur les rangs pour le remplacer. Par un hasard singulier, l’un s’appelait le noir, Percennius Niger, et l’autre le blanc, Clodius Albinus. Noir ou blanc, pile ou face, c’était le jeu des armées romaines. Chacune avait son prétendant, et jetait son dé pour voir lequel tomberait le premier. Le coup fut nul pour les deux armées ; une troisième, qui portait Sévère, gagna la partie.

Après avoir considéré les portraits rares, souvent peu certains et sans caractère nettement tranché, des rivaux insignifians de Septime-Sévère, on s’arrête avec plus d’intérêt devant ceux de cet empereur. Ils sont authentiques, nombreux, et comme lui bien caractérisés. Sévère était Africain et garda toujours l’accent de son pays. Il y a en effet de l’Africain dans ses traits : son nez est assez ouvert et un peu écrasé, sa chevelure est formée de petites boucles qui semblent disposées de manière à déguiser des cheveux crépus. Après des empereurs espagnols et gaulois, Rome avait un empereur quarteron. Septime-Sévère se montra ce que sont souvent les hommes de sang mêlé, intelligent et perfide, courageux et cruel.

Il était perfide, car il adressa à Clodius Albinus une lettre tout affectueuse, dans laquelle il lui offrait de partager l’empire, mais ceux qui étaient chargés de cette bienveillante missive avaient ordre de poignarder Albinus ; il était cruel, naturâ sœvus, dit Eutrope, car il fit mettre à mort beaucoup d’hommes sous des prétextes fort variés, les uns parce qu’ils avaient plaisanté, les autres parce qu’ils n’avaient rien dit, punissant la parole et le silence. Il s’enrichit par des proscriptions, moyen qu’avaient employé les destructeurs de la république, et auquel les successeurs de la république ne renonçaient pas. Par son ordre, on tua la femme et les enfans de chacun de ses deux compétiteurs. Il fit jeter devant sa tente et tailler en quartiers le corps de Clodius Albinus. Montant le cheval du vaincu, il força l’animal épouvanté à fouler le cadavre de son maître. Enfin il fit périr sans jugement un grand nombre de personnages considérables, — Spartien en cite quarante-trois, — et sans doute un nombre bien plus grand encore de citoyens obscurs. Selon cet auteur, la jeunesse de Septime-Sévère avait été pleine de crimes et de débordemens. Cependant Sévère fut regretté et mérita de l’être, par comparaison avec ses successeurs Caracalla et Héliogabale, et parce qu’au moins il défendit l’empire. Rien ne montre mieux à quel abaissement Rome était descendue que la justice de ces regrets.

La figure de Sévère exprime la fermeté. En effet, il sut faire respecter la discipline. Il étouffa une grave sédition qui avait éclaté presque aux portes de Rome, près des Saxa rubra, au bord du Tibre, là où le christianisme et Constantin devaient triompher du paganisme et de Maxence. Cependant Sévère lui-même ne put empêcher les soldats de demander au sénat 10,000 sesterces, et il ne sut ce jour-là désarmer la sédition qu’en la payant. Il est vrai que les soldats invoquaient le souvenir d’Octave, qui en avait donné autant à ceux qui l’avaient amené à Rome. On voit que les plus mauvaises traditions du régime impérial remontaient au fondateur de l’empire des césars.

Le camp des prétoriens, ce lieu où naguère on débattait les conditions de l’achat du pouvoir souverain, vit un spectacle auquel il n’était pas accoutumé : les gardes prétoriennes, qui étaient les janissaires de l’empire romain, remplacées par d’autres troupes. Le Forum vit passer l’empereur allant du Capitole au Palatin, et faisant porter devant lui, renversés, les étendards qu’il avait enlevés aux prétoriens. On put s’applaudir alors qu’une tyrannie fût détruite par un tyran; mais cette joie ne devait pas durer. Sévère lui-même fut obligé de rétablir les prétoriens et d’en quadrupler le nombre : de douze mille ils furent portés à cinquante mille.

Cet homme ferme et dur ne pouvait rien contre la corruption qui avait atteint l’armée. Une lettre de Sévère au gouverneur de la Gaule contient une satire amère de cette corruption. « Tes soldats vagabondent, tes tribuns se baignent au milieu du jour[3]. Ils ont pour salles à manger les cabarets, pour chambres à coucher les hôtelleries. Ils dansent, ils boivent, ils chantent; leurs repas sont sans terme, et leur intempérance sans mesure. Ces choses se feraient-elles, si nous avions un reste de la discipline de nos pères? » Ce n’est pas moi qui le dis, c’est un empereur guerrier. On croit parfois que le despotisme est favorable à l’esprit militaire; la défaillance de cet esprit sous l’empire prouve qu’il n’en a pas toujours été ainsi.

Sévère, né en Afrique, alla mourir en Angleterre. Son dernier mot d’ordre : travaillons ! a eu l’honneur d’être cité par M. Le duc de Broglie dans un mémorable discours académique. A côté de l’énergie qu’atteste ce mot, une autre parole de Sévère respire un découragement profond. « J’ai tout été, et à quoi bon? » Omnia fui et nihil expedit. Cette appréciation ironique des choses humaines est remarquable chez un ancien. On croit entendre parler Hamlet, ou Macbeth dire après une vie d’ambition et de remords :

Life is a poor player....
« La vie est comme un pauvre acteur. »

Rome, qui allait à sa ruine après tant de brillantes fortunes, pouvait dire comme Sévère : « J’ai tout été, et à quoi bon? » L’amertume de sa décadence est dans ce mot-là.

Septime-Sévère, un des conservateurs et des réparateurs passagers de cet édifice prêt à tomber en ruine qui s’appelait l’empire, montra le même instinct de conservation et de réparation dans le soin qu’il prit d’entretenir les édifices et de rebâtir les ruines. Selon Spartien, Sévère n’avait pas coutume d’inscrire son nom sur les monumens qu’il relevait; Dion dit précisément le contraire. Le Panthéon donne raison à Dion, car une inscription placée au-dessous de celle d’Agrippa nous apprend que Septime-Sévère et son fils Caracalla ont restauré ce monument et l’ont orné. On le reconnaît aussi à l’infériorité de plusieurs détails et au goût médiocre de certains ornemens. Cette inscription nous apprend aussi que le Panthéon était déjà dégradé par le temps, vetustate corruptum ; ces mots auraient pu s’appliquer à l’empire. Sévère restaura même un temple qui remontait à l’époque de la république, celui de la Fortune Muliebre, élevé en mémoire du triomphe qu’avait remporté l’ascendant d’une mère et d’une épouse sur l’orgueil irrité de Coriolan, et, parmi les monumens qui dataient des premiers temps de l’empire, le portique d’Octavie. A ces restaurations Sévère joignit des constructions nouvelles. Il bâtit des thermes qui étaient placés non loin de la porte Capène, et par conséquent voisins du lieu où devaient s’élever les thermes de Caracalla, dont ils furent peut-être l’origine et pour ainsi dire le germe. Il donna son nom à une porte qui se trouvait sur la rive droite du Tibre; cette porte, réparée dans les temps modernes et refaite en partie, s’appelle encore porta Seltimiana; il établit une voie, la via Severiana, qui, partant d’Ostie, suivait le bord de la mer : produits de l’activité d’un empereur dont la devise eût pu être ce mot d’ordre déjà cité : Travaillons (laboremus).

Si je suivais l’histoire monumentale de Rome hors de Rome même, j’aurais à mentionner ce mur ou rempart élevé par Septime-Sévère à travers l’île de Bretagne pour protéger les établissemens romains contre les populations insoumises du nord de l’Angleterre et de l’Ecosse[4], grand ouvrage analogue à celui dont Adrien et Antonin étaient les auteurs, et qui ne suffisait plus. Rome se retranchait déjà; elle élevait contre ses ennemis des remparts aux extrémités de son empire. Le jour approchait où elle serait obligée de reporter en arrière ses moyens de défense et de se fortifier elle-même, en opposant aux Barbares, devenus menaçans pour le centre de l’empire, le mur d’Aurélien.

Il ne reste rien d’un édifice à sept étages bâti par Septime-Sévère, et qu’on appelait le Septizonium. Il l’avait placé devant le palais impérial, vers l’angle méridional du Palatin, pour frapper les yeux de ses compatriotes africains quand ils arrivaient à Rome. C’est peut-être par la même raison qu’il avait construit ses thermes de ce côté. Le sentiment que Spartien prête à Septime-Sévère est un signe curieux de ce patriotisme de province, sentiment nouveau qui venait se mettre à côté du vieux patriotisme romain, et devait l’effacer. L’Africain se retrouve là comme dans les traits de Sévère, comme dans son accent, comme dans son éloquence, qui était carthaginoise. Au sein de l’unité romaine, les nationalités commencent à se dessiner; on pressent la diversité des temps modernes.

La disposition particulière qui donna au Septizonium son nom n’était pas nouvelle. Les régionnaires indiquent un autre Septizonium sur le mont Esquilin, près des thermes de Titus et de la maison où cet empereur naquit. Sévère parait avoir affectionné ce genre de construction, car c’est dans un troisième Septizonium érigé sur la voie Appienne, et destiné par lui à sa propre sépulture, que fut porté le corps de son fils Géta. Quant au Septizonium du Palatin, trois des sept étages existaient encore au temps de Sixte-Quint, le grand bâtisseur, mais qui, comme on l’a fait pendant tout le XVIe siècle et depuis jusqu’à nos jours, n’a bâti qu’en détruisant beaucoup.

Avant d’arriver à l’antiquité la plus considérable qui nous reste de Septime-Sévère, à son arc de triomphe, je dois dire un mot d’un autre arc qui date de son règne. C’est un arc nain dont les sculptures sont très médiocres, et que les changeurs et les marchands de bestiaux qui fréquentaient le marché aux bœufs (forum boarium) érigèrent en l’honneur de Sévère et de sa famille : pauvre petite platitude pauvrement exécutée. Par un de ses caprices ironiques, le temps, qui, avec le secours des hommes, a détruit tant d’admirables monumens, a épargné celui-là; ce lourd et disgracieux colifichet de la décadence est à deux pas de la voûte antique et indestructible de l’égout des Tarquins.

Un arc plus considérable et voisin du premier porte le nom de Janus quadrifrons parce qu’il a quatre ouvertures, et par là quatre façades. C’est un de ces janus près desquels se tenaient les changeurs et les banquiers, qui servaient, d’abri aux marchands et de bourse aux Romains. Ceux du grand Forum ont disparu, celui du Marché aux bœufs subsiste. Il n’offre d’autre intérêt que de nous fournir un spécimen du genre de construction auquel il appartient. L’architecture en est pesante. Canina y voyait un des innombrables janus dont Domitien avait rempli la ville; mais on construisait mieux sous Domitien. Il est plus convenable de le rapporter au temps de Septime-Sévère, qui avait aussi élevé plusieurs janus. Peut-être est-ce par reconnaissance pour la munificence impériale, qui leur aurait donné le plus grand des deux arcs, que les habitués du Marché aux bœufs ont élevé le petit.

Mais passons à l’arc triomphal de Septime-Sévère, l’un des restes les mieux conservés de la Rome antique, l’un de ses plus imposans débris.

Septime-Sévère, empereur vraiment guerrier, était digne d’un arc de triomphe, et le sort a été juste en laissant debout cet hommage auquel il avait droit. L’arc de Septime-Sévère est intact; il se dresse au pied du Capitole, en face du Forum. En le plaçant dans ce lieu, Sévère montrait ce jour-là son indifférence pour les souvenirs de Rome libre, car, dominée par l’arc impérial, l’ancienne tribune aux harangues, devenue inutile, était comme écrasée sous sa masse et perdue dans son ombre. L’arc de Septime-Sévère masquait aussi le temple de la Concorde, dont l’origine remontait à Camille, et que Sévère lui-même avait réparé. Dresser un arc de triomphe devant l’un des plus beaux temples de Rome, c’était déjà de la barbarie. Quand on s’étonne de l’accumulation des monumens au pied du Capitole, on oublie que cette accumulation fut successive. Sous la république, il n’y avait là que deux temples, celui de la Concorde et celui de Saturne; même quand Domitien eut ajouté le temple de son père Vespasien, l’encombrement n’existait pas encore. Septime-Sévère vint planter gauchement son arc de triomphe devant le temple de la Concorde, et par là, le premier, troubla le bel effet d’ensemble que ce lieu présentait. C’est une faute de goût sans doute, mais il ne faut pas nous en étonner, car la décadence arrive; l’arc de Septime-Sévère semble bâti, à son premier avènement, pour la laisser passer.

La décadence paraît surtout dans les sculptures. Si on les compare avec celles du temps des Antonins, on sera frappé de leur prodigieuse infériorité. Il y a entre les unes et les autres la plus grande des distances, la distance du beau au laid, et cependant les deux époques se touchent. Ces chutes soudaines se rencontrent souvent dans l’histoire de l’humanité. De même qu’à certaines heures privilégiées de la vie des peuples le beau semble naître par une éclosion soudaine, de même aux heures fatales le beau meurt de mort subite, comme le jour sous les tropiques commence et finit tout à coup. Cette apparition et cette disparition ne se produisent, il est vrai, que lorsqu’elles ont été suffisamment préparées, mais elles sont parfois presque instantanées. Le lendemain, on ne parle plus la langue de la veille. C’est ainsi qu’en voyage on est souvent étonné de passer sans transition d’une race à une autre race, d’un idiome à un autre idiome. Les différentes périodes de la civilisation, des lettres, des arts, ont aussi leurs frontières, parfois très brusquement tranchées. Un torrent, un sommet sépare des populations entièrement différentes; on passe le torrent, on franchit le sommet, et on ne retrouve plus rien de ce qu’on a laissé de l’autre côté. Pareillement tel pas fait dans l’histoire transporte de la région de la beauté ou de la puissance dans celle de la laideur ou de la ruine.

L’architecture de l’arc triomphal de Septime-Sévère est fort supérieure à la sculpture. J’avais déjà eu l’occasion de faire remarquer que le premier de ces deux arts résiste mieux que le second à la décadence; j’ai eu le plaisir de retrouver cette observation dans une lettre de Raphaël.

Les proportions de l’arc de Septime-Sévère sont encore belles. L’aspect en est imposant; il est solide sans être lourd. La grande inscription où se lisent les épithètes victorieuses qui rappellent les succès militaires de l’empereur, Parthique, Dacique, Adiabénique, se déploie sur une vaste surface et donne à l’entablement un air de majesté qu’admirent les artistes. Cette inscription est doublement historique : elle rappelle les campagnes de Sévère et la tragédie domestique qui après lui ensanglanta sa famille, le meurtre d’un de ses fils immolé par l’autre, et l’acharnement de celui-ci à poursuivre la mémoire du frère qu’il avait fait assassiner. Le nom de Géta a été visiblement effacé par Caracalla. La même chose se remarque dans une inscription sur bronze qu’on voit au Capitole et sur le petit arc du Marché aux bœufs dont j’ai parlé, où l’image de Géta a été effacée comme son nom. Caracalla ne permit pas même à ce nom proscrit de se cacher parmi les hiéroglyphes. En Égypte, ceux qui composaient le nom de Géta ont été grattés sur les monumens.

Les bas-reliefs de l’arc de Septime-Sévère retracent ses victoires en Orient. On y voit son entrée à Babylone et la tour du temple de Bélus. Les armes romaines étaient encore conquérantes, mais ne devaient pas l’être longtemps. Du reste, l’empereur seul et l’armée pouvaient s’enorgueillir de ces victoires, non le peuple romain, qui, lui, était conquis par la servitude. Une nation ne saurait être très fière de ce qu’un despote accomplit de grand en son nom : c’est l’œuvre du maître, ce n’est pas la sienne. Comme sa volonté ne compte point, elle ne saurait revendiquer sa part de gloire dans des guerres entreprises et conduites sans la consulter. Si les Romains éprouvaient de l’orgueil en présence de ces tableaux de la gloire de Sévère, cet orgueil était risible, ainsi que le serait l’orgueil d’un esclave qu’on promènerait dans un char triomphal.

Je passe à Caracalla, que l’arc de triomphe paternel a introduit dans cette histoire comme empereur fratricide, et que le moment de peindre est arrivé.

Septime-Sévère laissa deux fils : Géta et Bassianus, surnommé Caracalla, du nom d’un vêtement long qu’il aimait à porter et à donner au peuple. Caligula avait tué son cousin le jeune Tibère, Caracalla tua son frère Géta. Ce sont les mœurs fratricides du sérail. Le despotisme oriental, en s’établissant à Rome, y amenait les crimes de l’Orient.

A en croire Spartien, Caracalla n’aurait pas eu ces instincts précoces de férocité que trahit Commode enfant. Son enfance fut douce et aimable. Il pleurait quand il voyait les condamnés livrés aux bêtes dans l’amphithéâtre; mais la mauvaise figure qu’a déjà Caracalla dans les bustes où on le représente encore adolescent me porte à penser que cette douceur était feinte et cette sensibilité hypocrite. On dit bien aussi qu’après avoir fait périr son frère, toutes les fois qu’il voyait l’image ou entendait le nom de ce frère, il versait des larmes. Qui pourrait croire à la sincérité des larmes de Caracalla? Caracalla ressemblait aux petits tigres qui jouent avec grâce jusqu’au jour où l’âge a développé leur appétit naturel du sang. Si Caracalla obéit une fois à un bon sentiment, ce fut quand il éleva un portique où étaient représentés les exploits guerriers de son père.

Spartien a dit : Nihil inter fratres simile, les deux frères n’avaient rien de semblable. Au physique du moins ils se ressemblaient. Pour juger de cette ressemblance, il ne faut pas comparer aux rares images de Géta les bustes dans lesquels Caracalla est représenté. comme c’est l’ordinaire, le col tordu et l’air furieux, caricature que les artistes n’auraient pas osé se permettre, mais que dans sa démence Caracalla leur imposait. Il voulait que ses bustes eussent la tête penchée, comme il affectait de la porter pour ressembler à Alexandre, et qu’on lui donnât un air terrible. Malgré tout le bien que Spartien dit de Géta, j’incline à croire avec Dion Cassius qu’au moral il ressemblait aussi à son frère. C’est parfois une bonne fortune d’être tué à propos. L’horreur que fait éprouver le meurtre inspire souvent à l’historien un intérêt excessif pour la victime. Géta n’a point dans ses bustes ce visage de fou furieux qu’affectait Caracalla, mais il n’a pas l’air bon. Ce qui est certain, c’est que les deux fils de Sévère avaient l’un pour l’autre une haine violente. Ils ne pouvaient se supporter ni même se voir, et ils s’étaient partagé les bâtimens impériaux du Palatin, assez vastes pour qu’ils pussent y vivre sans se rencontrer. Ils avaient supprimé toute communication entre leurs demeures. Pendant ce temps, on frappait des médailles où se voyait la double effigie impériale et se lisaient ces mots : Concordiœ perpetuœ, concordiœ œternœ. Malgré cette assurance de concorde perpétuelle, éternelle, l’un des frères devait à la fin être tué par l’autre. Géta n’ayant point tué Caracalla, Caracalla tua Géta.

Géta fut égorgé dans les bras de sa mère Julie, où, blessé, il s’était réfugié. Caracalla s’y était pris adroitement pour se débarrasser de son associé. Il était allé au camp des prétoriens, près d’Albe, — là où est aujourd’hui la charmante petite ville d’Albano, qui occupe l’emplacement de ce camp et du palais de Domitien, et dont la position riante contraste si fort avec de tels souvenirs, — affirmant que son frère avait conspiré contre lui et manqué de respect à Julie, leur mère, puis il l’avait fait frapper dans le palais. Ensuite il ordonna qu’on mît à mort plusieurs de ceux qui avaient servi d’instrument à son crime et qu’on rendit des honneurs à la statue de Géta. C’est le meurtre avec la perfidie et l’hypocrisie de plus.

Caracalla ne commença donc point par effacer sur les monumens le nom et les images de son frère; mais il semble que bientôt les furies vengeresses le saisirent et que le nom de Géta le troubla. Les auteurs n’osaient plus donner à leurs personnages ce nom, qui est souvent celui d’un esclave dans les comédies romaines. C’est probablement alors qu’il voulut aussi imposer silence aux monumens, et qu’il fit mourir tous ceux qui furent soupçonnés de regretter Géta, au nombre, assure Dion Cassius, de vingt mille. Pour moi, dans cette rage qui poussait le meurtrier à supprimer tout souvenir de sa victime, je vois moins encore l’acharnement de la haine que le besoin de fuir l’obsession du remords. Cependant cette suppression impuissante a laissé un vestige qu’on peut reconnaître encore aujourd’hui là où elle s’est accomplie. Caracalla n’a pas si bien fait gratter la pierre des arcs de triomphe que l’on ne retrouve la trace des inscriptions qu’il voulait anéantir. C’est la tache de sang sur la main que lady Macbeth frotte en vain, la tache que tous les flots de l’Océan ne laveraient pas. En cherchant à faire disparaître ces inscriptions, il n’a pu abolir l’histoire; au contraire il l’a rendue par ses efforts mêmes plus présente au souvenir des hommes. Parfois effacer, c’est écrire.

Nous sommes accoutumés à voir les plus mauvais parmi les empereurs se signaler par le zèle qu’ils mirent à embellir Rome. Caracalla continua les réparations que Sévère avait commencées. Ses préférences devaient être pour le cirque; il agrandit les portes du Circus Maximus. On lui a attribué un cirque encore existant hors de Rome, non loin du tombeau de Cecilia Metella; mais la maçonnerie en est trop grossière pour remonter au temps de Caracalla, et l’opinion qui en place la fondation sous Maxence est beaucoup plus vraisemblable. Il éleva partout des temples somptueux à la déesse Isis; enfin il construisit des thermes, auxquels conduisait une rue assez large pour être appelée par Spartien une des plus belles places de Rome.

Caracalla, qui pour l’histoire n’est autre chose qu’un fou sanguinaire, a laissé les débris immenses d’un gigantesque monument, bien connu sous le nom de Thermes de Caracalla. Il s’appelait Thermes Antoniniens; la rue champêtre qui y conduit aujourd’hui, moins large que celle dont parle Spartien, porte encore le nom de Via all’ Antoniana, et rappelle le nom d’Antonin, que, par une vanité qui ressemble à une dérision, osa porter Caracalla, — que son père lui avait donné, parce que rien ne pouvait arracher ce nom du cœur des Romains, et que plusieurs empereurs prirent sans en être dignes, entre autres Héliogabale. Les thermes de Caracalla sont le plus majestueux reste de l’architecture romaine après le Colisée, et peut-être, pour l’effet pittoresque, l’emportent-ils sur l’amphithéâtre des Flaviens. Quand on pénètre dans ces thermes, on croit voir d’abord un chaos de ruines, du sein desquelles des masses confuses s’élèvent comme des tours démantelées, ou des rochers entassés en désordre par un éboulement de montagnes; mais bientôt on voit facilement l’ensemble de ce vaste édifice, et alors rien n’est plus simple et plus régulier.

Si du Palatin ou du Cœlius on embrasse cet ensemble, on s’aperçoit que la partie principale des thermes forme un quarré long dessiné par de hautes murailles. Cette enceinte colossale est d’une parfaite régularité. Pour se former une idée complète des thermes de Caracalla, il faut joindre à ce grand quadrilatère la palestre destinée aux jeux athlétiques et terminée au sud par des gradins formant une anse de panier très évasée, un grand portique qui enveloppait les thermes de trois côtés, et dans les vignes voisines encore quelques dépendances. L’imagination est d’abord étourdie de tant de grandeur. Si l’on entre maintenant dans l’enceinte de murailles qui subsiste presque tout entière, on remarque bientôt l’ordonnance et la symétrie des salles qu’elle renfermait. Aux deux extrémités, deux cours entourées de portiques ; dans l’espace qui les sépare, une salle immense, qui était la grande piscine pour les bains froids ; du côté de la palestre, une salle ronde ; entre ces deux salles, le calidarium pour les bains chauds : telles sont les parties principales de ces thermes, qui comprenaient en outre plusieurs salles plus petites, des chambres de bain, divers lieux de promenade et de récréation. Le tout couvrait un espace dont la circonférence a près d’un mille. L’étendue de ces thermes fait comprendre l’expression hyperbolique d’Ammien Marcellin : des bains qui semblent des provinces. Spartien les appelle très magnifiques.

Tout ce qu’on sait de ces thermes et tout ce qu’on en voit encore atteste en effet leur extrême magnificence. La couverture d’une des salles, la cella solearis, était formée par des barres de bronze et de cuivre d’une telle étendue que les plus doctes mécaniciens ne pouvaient concevoir comment il avait été possible de la construire ainsi. Les ornemens de l’intérieur ont été enlevés, mais on peut encore en admirer plusieurs dans les divers endroits où on les a dispersés. Deux énormes vasques de granit placées devant le palais Farnèse, et qui servent aujourd’hui de fontaine, furent trouvées dans les thermes de Caracalla, ainsi que diverses statues célèbres, l’Hercule Farnèse, le groupe appelé Taureau Farnèse, la Flore et la Vénus du musée de Naples. Les curieuses mosaïques représentant des portraits de gladiateurs, qui ont été transportées au musée de Saint-Jean-de-Latran, formaient le pavé de l’une des salles. Au XVe siècle, les thermes de Caracalla n’avaient pas été entièrement dépouillés, le Pogge y admirait encore une multitude de colonnes et des marbres de toute espèce. Maintenant les murailles sont mies, sauf quelques fragmens de chapiteaux oubliés par la destruction ; mais elles conservent ce que seules des mains de géant pourraient leur ôter, leur masse écrasante, la grandeur de leurs aspects, la sublimité de leurs ruines. On ne regrette rien quand on contemple ces énormes et pittoresques débris, baignés à midi par une ardente lumière ou se remplissant d’ombres à la tombée de la nuit, s’élançant à une immense hauteur vers un ciel éblouissant, ou se dressant, mornes et mélancoliques, sous un ciel grisâtre, — ou bien, lorsque, montant sur la plate-forme inégale, crevassée, couverte d’arbustes et tapissée de gazon, on voit, comme du haut d’une colline, d’un côté se dérouler la campagne romaine et le merveilleux horizon de montagnes qui la termine, de l’autre apparaître, ainsi qu’une montagne de plus, le dôme de Saint-Pierre, la seule des œuvres de l’homme qui ait quelque chose de la grandeur des œuvres de Dieu.

Redescendons dans l’intérieur des thermes de Caracalla, étudions-en les diverses parties, et cherchons à nous faire une idée vraie de ces thermes des Romains, sorte de monumens qui leur fut propre, et qui, en dépit du nom qu’ils portent, n’étaient pas seulement des bains chauds.

Les thermes romains eurent pour type le gymnase et la palestre des Grecs, c’est-à-dire les lieux où l’on se livrait aux exercices corporels. Dion Cassius, qui écrit en grec, désigne les thermes par le mot gymnasion. En Grèce, dans les gymnases, il y avait un bassin d’eau froide et des bains d’eau chaude ; tout cela était subordonné à l’objet principal, la lutte, destinée à développer la force et la beauté. Après ces exercices violens, on avait besoin de se reposer et de se récréer par le bain et la promenade. Les jardins, les portiques se trouvaient aussi dans les gymnases romains, c’est-à-dire dans les thermes. Seulement le bain, qui en Grèce était l’accessoire, devint à Rome le principal, et donna son nom à tout l’établissement ; mais la palestre ne fut pas oubliée, et figure dans les thermes de Dioclétien aussi bien que dans ceux de Caracalla. Les thermes renfermaient aussi des objets d’art, comme nos musées. On y trouvait des salles de conversation et de lecture, des bibliothèques, des emplacemens pour les jeux de balle et de ballon, en un mot tout ce qui est nécessaire à l’amusement d’un peuple civilisé. C’était, sur une vaste échelle, ce que sont en petit nos cercles et nos clubs, où il y a de même des salles de lecture et de conversation, où l’on joue, sinon à la balle et au ballon, au whist et au billard. Les poètes y venaient lire leurs vers, et Martial se plaint de ceux qui l’y poursuivaient. Les inventeurs d’un divertissement nouveau y apportaient leurs inventions. Martial parle aussi d’un certain Ursus Togatus, qui allait, dans les différens thermes de Rome, montrant l’essai d’une balle de verre. Les thermes se fermaient au coucher du soleil ; une cloche avertissait que l’heure de la clôture était arrivée. Alexandre Sévère fut le premier qui les éclaira toute la nuit.

La passion des Romains pour le plaisir du bain donna un grand développement à cette destination partielle et, dans l’origine, secondaire des thermes. On eut, dans tous, des bains froids, des bains chauds et des bains de vapeur. Les thermes prirent, sous les empereurs, des proportions immenses : Caracalla établit dans les siens seize cents sièges de marbre pour les baigneurs, et on voit encore les restes d’un aqueduc dont le seul objet était de fournir à ceux-ci l’eau dont ils avaient besoin. Une semblable création était un grand moyen de popularité. Caracaila inaugura ses thermes en s’y baignant avec la foule, qu’il y admettait. Cette familiarité indécente dut lui faire dans cette foule beaucoup de partisans. Je ne doute pas que l’usage de la grande piscine n’ait été gratuit. Bien que divers passages des auteurs fassent voir que parfois à Rome on payait pour se baigner, ces passages semblent en général se rapporter à des établissemens particuliers. Quelques-uns montrent cependant que l’entrée dans les thermes n’était pas toujours gratuite. Au temps de Lucien, on payait dans les bains publics un droit d’entrée, très faible il est vrai, deux oboles (6 sous) : plus anciennement, nous voyons Agrippa léguer en mourant des fonds à Auguste pour que les Romains pussent être admis gratuitement dans les thermes qu’il avait fondés; mais il y a lieu de croire que ceux de Caracalla étaient ouverts à tous sans rétribution. L’expression de Spartien, populum admittendo, me semble le prouver. Ce plaisir dut être donné gratis, comme ceux du cirque et de l’amphithéâtre, à ce peuple qu’il fallait amuser pour le tenir asservi. Les thermes étaient, on l’a vu, des lieux de divertissement encore plus que d’utilité publique, et il entra toujours dans la politique des mauvais empereurs romains d’acheter la faveur de la multitude par des prodigalités démesurées. Marc-Aurèle bâtissait peu, il ne construisait pas des thermes somptueux, mais il donnait de grands soins aux voies de communication; il s’occupait de l’utile. Caracalla ne fit rien en ce genre; on lui attribue seulement le pavage d’une rue magnifique, mais c’est qu’elle conduisait à ses thermes; il n’éleva de temple qu’à une déesse étrangère, Isis. Dans sa prédilection pour un tel culte et pour les robes longues, qui lui firent donner le nom de Caracalla, on voit se manifester déjà ce goût pour les usages de l’Orient, qui sera une passion chez Héliogabale. Né d’un père africain et d’une mère syrienne, Caracalla n’avait pas dans les veines une goutte de sang européen. Comment eût-il conservé quelque chose de romain? Aussi prodigua-t-il le titre de citoyen, comme il prodiguait tout. Il ne se montra pas plus avare de ce titre, dont la vieille Rome était si jalouse, que ménager des trésors de l’état, dont elle était si économe; mais cette prodigalité était, comme toujours, avide, et pour y subvenir, Caracalla accorda ou plutôt vendit le droit de cité à tous les habitans de l’empire. Grâce dérisoire! S’il déclarait tout le monde citoyen quand personne ne l’était plus, c’était pour que nul n’échappât à l’impôt du vingtième ou de 5 pour 100, et il le porta bientôt à 10 pour 100. On a dit que le monde était heureux sous les plus méchans empereurs, que leurs caprices sanguinaires n’atteignaient qu’un petit nombre de personnages considérables; mille faits démontrent le contraire : celui-ci est décisif. L’impôt étendu à tous et doublé, était-ce une mesure qui frappait seulement quelques personnages considérables? N’était-ce pas le fait d’une tyrannie qui voulait être sans exception, comme elle était sans limites?

Toujours la décadence dans l’art finit par suivre la décadence sociale, mais elles ne marchent pas constamment du même pas; quelquefois la première retarde sur la seconde. Rome était bien abaissée sous Caracalla, mais l’architecture se soutenait à une grande hauteur. Cette époque de honte fut peut-être celle où Rome étala dans ses monumens le plus de magnificence. Ceux qui dataient des siècles précédens étaient encore intacts ou réparés; presque tout ce qui devait leur être ajouté de plus remarquable existait déjà. Si l’on voulait se faire une idée complète de la Rome monumentale des empereurs, c’est, je crois, à l’époque de Caracalla qu’il faudrait se transporter.

Un curieux débris qui paraît provenir de cette époque aiderait, s’il était plus considérable, l’imagination à reconstruire la Rome d’alors : ce sont les fragmens d’un plan de la ville éternelle, où était figurée la disposition relative de tous les monumens. Malheureusement ces fragmens, qui ont été trouvés près du Forum, sont peu nombreux par rapport à l’ensemble que le plan tout entier devait offrir. Tels qu’ils sont, ils ont servi à mieux déterminer la place et la forme de plus d’un édifice. Quand on monte l’escalier du musée Capitolin, entre les deux murs que tapissent les lambeaux déchirés de cette carte de marbre où l’ancienne Rome était représentée, et qu’on imagine ce que cette carte devait être quand elle subsistait tout entière, on croit voir dans leur intégrité les monumens que nous connaissons par leurs ruines, et l’on cherche à deviner l’aspect de ceux dont il ne reste que le nom. Ce plan nous fait apparaître dans une vision vague Rome avec ses temples, ses basiliques, ses théâtres, ses thermes, ses maisons privées, ses rues, ses places. On se perd dans l’effort de cette contemplation imparfaite, mais il en reste une impression immense, bien que confuse, d’admiration et d’étonnement; puis, quand on songe à ce qu’étaient dans cette ville admirable le gouvernement et les citoyens, ce sentiment fait place au mépris et au dégoût.

Rome nous a montré dans les inscriptions et les images effacées sur les arcs de Sévère les traits du fratricide, et dans les thermes de Caracalla l’œuvre du despote qui voulait amuser le peuple; elle ne nous montrera pas le lieu où le meurtrier de Géta, où le despote sanguinaire fut puni. Cette punition ne s’accomplit ni dans le palais impérial, ni au Forum, théâtres ordinaires du châtiment des mauvais empereurs. C’est en Orient que le poignard devait atteindre Caracalla. Sur la route d’Édesse, étant descendu un moment de cheval, il fut frappé par un meurtrier subalterne, agent obscur du préfet du prétoire Macrin. La circonstance dans laquelle Caracalla reçut le coup mortel donne à sa fin quelque chose de honteux et de ridicule. Une telle mort couronne convenablement une abjecte et absurde vie. Son cadavre fut porté la nuit dans le sépulcre de ces Antonins dont il avait profané le nom, c’est-à-dire dans le mausolée d’Adrien, qui était aussi le leur, et que la cendre de Commode avait déjà déshonoré.

Macrin, qui avait fait tuer Caracalla, lui succéda. Meurtrier hypocrite, il feignit de le pleurer, l’appela divin, et jura qu’il avait été étranger à sa mort. Ainsi, dit Capitolin, « il ajouta le parjure à son crime, digne commencement d’un homme tel que lui. » Macrin était de basse condition, il avait vécu honteusement par toute sorte de moyens. Pour ne parler que des professions qu’on peut nommer en français, tour à tour histrion, gladiateur, tabellion, avocat du fisc, attaché à la domesticité du palais sous Caracalla, la bassesse de ses emplois était moindre que celle de son cœur. Ignoble, sordide, débouté, — ce sont les expressions de Capitolin, — tout cela se peignait sur sa figure impudente comme son caractère, animi atque oris inverecundi. Son nez pointu, son front renflé et plissé au-dessus des sourcils, lui donnent l’air de ce qu’il était réellement, un coquin vulgaire et rusé. Devenu empereur, il eut le désir de valoir mieux que par le passé. Comme Galba, il montra des velléités d’énergie et la prétention de rétablir la discipline, mais il était encore moins que Galba digne de la réformer. Sa rigueur fut de la férocité. Il mérita qu’on appelât le palais impérial une boucherie. Macrin admettait des littérateurs à sa table, mais c’était pour que leur conversation mît une borne à son intempérance : singulier hommage aux lettres! Son règne éphémère peut se résumer tout entier dans cette phrase de son historien : « l’empire fut laissé quelque temps à cet homme, qui avait tous les vices. »

Ce procureur fourbe et méchant, Macrin n’était pas autre chose, fut accablé d’épigrammes, auxquelles il répondait par des vers de sa façon. Macrin périt bientôt ridicule et détesté, avec son fils Diadumène, dont la beauté est célébrée par les historiens. Le peuple, qui a toujours besoin de s’attacher à quelqu’un, avait adopté Diadumène. Ce nom faisait, dit-on, allusion à une circonstance de sa naissance, celle qui a donné lieu à cette locution populaire : il est né coiffé; mais l’oracle fut trompeur, car on le tua avec son père. Ses portraits ne me paraissent pas justifier sa réputation de beauté extraordinaire, surtout sa statue du Vatican; il a l’air assez sombre, et probablement il n’aurait pas valu beaucoup mieux que Macrin. Lampride dit qu’il était luxurieux et cruel. Nous avons une lettre de lui écrite à son père pour détourner celui-ci de la clémence, et une autre adressée à sa mère dans le même esprit. On y trouve ces paroles à propos de quelques personnages compromis dans une conspiration dont les chefs avaient été punis : « Si tu veux être en sécurité, il faut frapper ceux-ci. » Cette lettre, le témoignage de Lampride et l’expression de la statue du Vatican m’empêchent de regretter beaucoup le beau Diadumène.

Après l’apparition odieuse et burlesque de Macrin sur le trône du monde viennent les règnes des deux cousins germains, l’exécrable Héliogabale et l’intéressant Alexandre Sévère. L’un et l’autre durent l’empire à des intrigues de femmes. Ici entrent en scène ces princesses syriennes, qui portèrent toutes le nom de Julie, qu’on reconnaît d’abord dans la série des impératrices à un certain air qui leur est propre, et à leurs cheveux, qui ondulent gracieusement des deux côtés de la tête, tels que les portent aujourd’hui les jeunes femmes du Transtevère, coiffure élégante, surtout si on la compare aux toupets monstrueux, à la mode sous les Flaviens et sous Trajan, mais qui souvent est une véritable perruque. Les Julie étaient d’origine syrienne. Être Syriennes à cette époque, c’était être à demi Grecques. Aussi l’inscription funéraire qu’une d’elles, la mère d’Héliogabale, a fait tracer en l’honneur de son mari et de son père, est bilingue, latine d’un côté, grecque de l’autre. La beauté des Julie n’est plus la sévère beauté romaine; ce n’est pas non plus la pureté grecque. Les trois premières Julie sont de charmantes étrangères dont la grâce est presque moderne. Cela est surtout vrai de Julia Domna, qui, en épousant Septime-Sévère, la première rapprocha du trône son obscure famille. Elle a sur le front toutes les élégances de l’Asie. C’était une femme d’Émèse, dont Sévère désira la main parce qu’un oracle avait promis que son époux aurait l’empire. Ses portraits confirment ce que l’histoire dit de sa beauté. Elle est belle et jolie; il y a dans la bouche de la finesse et de la décision. Sa physionomie intelligente ne trompe point; elle aimait le savoir : Dion l’appelle Julie la philosophe. Malgré sa philosophie, Julia Domna fut une épouse peu recommandable, et montra une grande ingratitude pour celui qui l’avait choisie, famosa adulteriis; elle prit même part à une conspiration contre lui : c’était vraisemblablement celle qu’ourdit Caracalla. Caracalla était né d’une première femme de Septime-Sévère, si l’on en croit Spartien; mais selon Hérodien et Dion Cassius, écrivain contemporain, il était fils de Julie; il osa l’épouser après avoir fait mourir son autre fils Géta. Plus tard, humiliée de voir un personnage comme Macrin succéder à Sévère et à Caracalla, la fière parvenue se donna la mort.

Les quatre Julie, savoir : Julia Domna ou Pia, femme de Septime- Sévère, sa sœur Julia Mœsa, les deux filles de celle-ci, Julia Soaemis, mère d’Héliogabale, et Julia Manimea, mère d’Alexandre Sévère, ont un air de famille. L’expression des traits de Julia Mœsa est sérieuse : au musée du Capitole, son regard a une sorte de profondeur; au musée du Vatican, son visage respire une assurance hardie. Elle était intrigante et audacieuse. Chassée de Rome par Macrin, Julia Mœsa s’était retirée en Syrie, où elle possédait de grandes richesses. Elle s’en servit pour acheter les légions, et fit proclamer Héliogabale, qui était son petit-fils. On croit être déjà au temps des Théodora et des Marozia, ces femmes belles, ambitieuses et corrompues, qui dans la Rome du moyen âge faisaient de leurs amans ou de leurs fils non des empereurs, mais des papes. Julia Mœsa répandit le bruit que sa fille avait été aimée de Caracalla et qu’il était le père d’Héliogabale, très digne certainement d’une telle origine. Toutes deux se vantaient peut-être d’une honte à laquelle Julia Soaemis n’avait point de droit, mais les soldats crurent sur la parole de la mère au déshonneur de la fille. Celle-ci avait mené la vie de courtisane. Il n’est pas étonnant que de telles femmes oubliassent la pudeur dans leurs portraits, et que Julia Soaemis y fût représentée en Vénus, comme on la voit au Vatican, à demi nue, sauf sa perruque; Julia Pia s’était bien laissée voir dans un costume pareil à son fils pour lui inspirer le désir de l’épouser.

Le successeur de Macrin fut encore au-dessous de Caracalla. Il se nommait Varius, et osa de même se faire appeler Antonin; la postérité le connaît sous le nom du dieu syrien dont il avait été le prêtre. Héliogabale, élevé dans le temple d’Émèse, fut un Asiatique énervé qui donna aux vices romains les proportions et les difformités de l’Orient. Cet empereur eut les passions d’une femme dépravée, monstrueuses chez un homme. Lampride dit avoir supprimé dans la biographie d’Héliogabale des détails trop honteux pour être rapportés, et il en raconte d’inimaginables; je pousserai la réserve encore plus loin que Lampride. Le portrait d’Héliogabale, qu’on a placé dans la collection des empereurs du musée du Capitole, montre ce que la dépravation peut faire de la beauté. Le jeune prêtre du soleil était beau, et sa figure fut ce qui séduisit d’abord les soldats en sa faveur. Voyez ce qu’est devenu Héliogabale après quelques années d’une puissance sans bornes employée à violer toutes les lois de l’humanité et de la nature; ce visage, dont les traits sont fins et délicats, a pris une expression stupide que rend assez exactement le mot vulgaire de crétinisme. Héliogabale a l’air idole et idiot. C’est bien là celui dont l’histoire raconte tant de turpitudes ridicules. Il fallait que l’on vît une fois à quels excès de dégradation peut arriver la puissance absolue livrée à elle-même. Auguste l’avait fondée; elle produisit Héliogabale. Un empereur qui dissipait les finances de l’état dans les plus folles prodigalités ne pouvait réserver grand’chose pour élever des monumens; il bâtit cependant sur le Palatin un temple à son dieu, qu’il avait apporté d’Orient; il ajouta des bains au palais impérial, mais ce fut dans une pensée infâme. Il ajouta aussi des portiques aux thermes de Caracalla, qu’en tout il s’appliquait à continuer et à surpasser; enfin il attacha à ces thermes un souvenir d’impudicité. Marc-Aurèle avait défendu que les deux sexes se baignassent en commun; Héliogabale, qui encourageait la débauche comme un art libéral, supprima cette défense. Alexandre Sévère devait la rétablir. Après les lieux de désordre, ce qui intéressait le plus Héliogabale, c’était le cirque avec ses joies tumultueuses, le cirque si cher à cette foule, dont peut-être dans sa stupidité il eût négligé de s’occuper, mais dont sa mère et sa grand’mère, plus avisées que lui, songèrent sans doute à flatter la passion. Il déploya dans le Circus Maximus une extravagance digne de lui. On remplissait ordinairement d’eau un canal qui le bordait et qu’on nommait l’Euripe; Héliogabale le remplit de vin. Cette profusion insensée dut charmer la multitude qui avait remplacé le peuple romain, et à laquelle Héliogabale plaisait, comme lui avaient plu Néron et Caracalla. Le bouffon impérial la divertissait par ses folies, par les espiègleries, quelquefois cruelles, que cet enfant imbécile et malicieux faisait subir aux premiers personnages de l’état, et qui humiliaient tout ce qu’une plèbe corrompue aime à mépriser.

Héliogabale ne fut pas même un tyran, mais un fou, car il ne gouvernait pas assez pour beaucoup opprimer. Julia Mœsa et Julia Soaemis régnaient sous son nom. La mère de l’empereur assistait aux séances du sénat, et signait de sa main les décrets que ce sénat était censé rendre. On ne s’étonnera pas, d’après cela, qu’Héliogabale ait institué un sénat de femmes sur le Quirinal. On y décrétait des sénatus-consultes ridicules; on y prononçait sur les parures que les matrones romaines de différentes conditions avaient le droit de porter; on y décidait laquelle, lorsque deux d’entre elles se rencontraient, devait céder le pas à l’autre et être embrassée la première. Les susceptibilités de l’étiquette moderne ne furent donc pas étrangères à l’antiquité : elle a connu des sujets de discussion aussi importans que ceux de la préséance et du tabouret.

Les autres empereurs qui souillèrent le trône conservèrent dans leur démence quelque trace de l’homme. Commode, le plus bestial de tous avant Héliogabale, avait au moins les goûts du chasseur, sinon du guerrier. Il tuait, sans danger il est vrai, des lions dans l’amphithéâtre. Chez Héliogabale, nul vestige d’un sentiment viril; il est puéril dans ses infamies. C’est un enfant qui vit comme une brute. Pour former ce prodige de honte et de délire, il fallait que la toute-puissance se trouvât aux mains d’un empereur élevé dans un temple de l’Orient. Héliogabale, le plus impie des hommes, était dévot, dévot à son dieu Soleil, dont il avait été le desservant, auquel il voulait subordonner tous les autres dieux, et qu’il honorait par des sacrilèges. Il y a dans ses turpitudes du mauvais prêtre, et, si j’osais le dire, du séminariste vicieux; puis il avait été élevé en Syrie au milieu des femmes et des eunuques, véritable éducation de sérail: sa mère fut une sultane Validé, et lui-même un imbécile Ibrahim.

Héliogabale avait d’un despote de l’Orient les fantaisies indicibles, le goût du sang mêlé à la rage des voluptés, et aussi le mépris de toute distinction hiérarchique. Il aimait à choisir les magistrats dans la classe la plus infime : il donna la préfecture du prétoire à un danseur; il nomma commandant des gardes de nuit le cocher Gordius; il nomma préfet des subsistances le barbier Claudius Censor. Cela encore est bien oriental, des pâtres et des matelots sont devenus grands-vizirs. Ceux qui consentent à tout sacrifier à l’égalité, même la liberté, devraient se demander si ce niveau dégradant qui fait descendre les plus hautes fonctions sur les têtes les plus basses, pour les courber toutes, relève beaucoup la dignité humaine, et si elle est bien sauvegardée parce que chacun, comme le cocher Gordius ou le barbier Claudius, peut arriver à tous les emplois.

La fin de Néron, de Caligula, de Domitien, de Commode, de Caracalla, attendait Héliogabale. Cette fois nous pourrons sans quitter Rome, où nous avons été témoins de toutes les ignominies de sa vie, assister aux ignominies de sa mort. La première tentative faite contre lui avorta dans un lieu dont l’emplacement est bien connu, les horti Variani, jardins de Varius, qui étaient situés là où s’élève à une des extrémités de Rome la tour de Sainte-Croix de Jérusalem, dans la solitude et parmi les ruines. Ces jardins étaient ceux de Varius, père légal d’Héliogabale. Après avoir exercé divers emplois secondaires dans l’administration, Varius était devenu, peut-être grâce à la faveur dont sa femme jouissait auprès de Caracalla, préfet du trésor militaire. Entrant ainsi dans l’armée par les finances, le fils de Julia Soaemis avait fait des jardins paternels une villa impériale, et c’est de là qu’un jour il envoya l’ordre de tuer son jeune cousin Alexandre Sévère, dont il redoutait la juste popularité. Dans la joie que lui inspirait par avance le succès de son crime, il préparait une course de chars, car il y avait des hippodromes dans les grandes villas romaines; nous l’avons vu pour les jardins de Salluste, qui furent aussi une résidence impériale, nous le verrons pour la villa des Gordiens. Le cirque d’Héliogabale était, selon l’usage, orné d’un obélisque; c’est celui qui décore aujourd’hui la promenade du Pincio. Mais les prétoriens, las d’Héliogabale, indignés qu’il eût or donné de jeter de la boue sur les inscriptions des statues d’Alexandre, venaient de leur camp, peu éloigné des jardins de l’empereur, lui faire en voisins une terrible visite. Héliogabale, interrompu dans ses divertissemens de cocher, s’échappa, et parvint à se cacher en s’enveloppant dans une portière; il en fut quitte ce jour-là pour la peur, mais il devait bientôt trouver dans une autre cachette plus abjecte une mort moins sale que sa vie.

On était parvenu à écarter les prétoriens, en petit nombre, qui avaient pénétré dans les jardins de Varius; cependant près de là, dans le camp, l’agitation n’était pas apaisée. Les soldats demandaient qu’on mît à mort les indignes favoris d’Héliogabale, qu’on préservât avec soin Alexandre des embûches de son cousin, et que celui-ci changeât son genre de vie. A ces conditions, ils consentaient à l’épargner; mais l’insensé refusa de s’y soumettre : il osa réclamer ses favoris, s’obstina, comme un enfant qui a de l’humeur, à ne pas vouloir paraître en public avec Alexandre, et enfin essaya encore de le faire périr. Cette fois les soldats, qu’Héliogabale avait trompés, et le sénat, qu’il avait chassé de Rome, perdirent patience. On alla le poursuivre jusque dans un lieu secret où il s’était réfugié. C’est là qu’il mourut. Nous suivons pied à pied l’histoire de la décadence de l’empire, voilà où elle nous a conduits. J’ai dit ailleurs ce que devinrent les restes d’Héliogabale.

Le règne d’Héliogabale marque le degré le plus bas de l’avilissement auquel un peuple qui renonce à toute liberté s’expose à descendre. Après cela, l’empire ne pouvait pas se déshonorer davantage, mais il lui restait à périr. Avant de suivre l’agonie de Rome jusqu’au jour où, délaissée par les empereurs, elle sera livrée aux Barbares, à ce moment où nous venons de voir chez Héliogabale l’incarnation du despotisme dans un prêtre de l’Orient, nous nous arrêterons un peu pour demander aux monumens des preuves visibles de l’invasion de l’Orient dans la religion romaine, invasion que personnifie l’avènement d’Héliogabale.

On a exagéré la tolérance des Romains en matière de religion, afin de rendre les chrétiens responsables des persécutions qu’ils subirent. A Rome, l’idée de la tolérance était repoussée par l’énergie de l’orgueil national. Les superstitions étrangères, comme on les appelait, y furent toujours suspectes. Dans l’affaire des bacchanales, sous la république, quand on découvrit avec terreur que des milliers d’adeptes, hommes et femmes, avaient été initiés à ces honteux et sanglans mystères, le consul prononça ces paroles : « Combien de fois, au temps de nos pères et de nos ancêtres, les magistrats ont été chargés d’interdire les cultes étrangers, de chasser les prêtres et les devins, de rechercher et de brûler les livres prophétiques, d’abolir toute discipline de sacrifice qui s’écartait de la coutume romaine, car ces hommes qui possédaient à fond le droit divin et humain, ils ne jugeaient rien plus propre à détruire la religion que de sacrifier, non d’après les usages de la patrie, mais selon les usages étrangers! » Ce qui a pu faire illusion, c’est que les Romains, comme les Grecs, étaient conduits par leur orgueil même à ne voir dans les croyances des différens peuples qu’un reflet de la leur. S’ils reconnaissaient une divinité indigène sous un nom barbare, ils consentaient à lui donner droit de cité ; mais un dieu entièrement différent de leurs dieux, une religion fondée sur une idée contraire ou même distincte, cela, ils ne pouvaient l’admettre. C’était quelque chose d’ennemi qu’ils haïssaient et combattaient avec violence. Ils épargnaient les peuples qui consentaient à se fondre avec eux, et ils exterminaient ceux qui voulaient conserver leur indépendance; ils traitaient les religions insoumises comme les races indomptées.

Parcere subjectis et debellare superbos.


De là cette haine que leur inspiraient les Juifs et les chrétiens, avec leur dieu, le vrai Dieu, unique, immatériel, exclusif, qu’on ne pouvait placer à son rang dans l’Olympe, et qui ne souffrait aucune idole à ses côtés. Le judaïsme fut moins persécuté que le christianisme, surtout parce que ses sectateurs n’avaient pas de penchant à faire des prosélytes; mais à Rome on n’aimait point les Juifs. Septime-Sévère défendit également qu’on se fît juif et chrétien, et sous son règne on voit un Juif battu de verges pour sa religion. Les autres cultes venus de l’Orient furent souvent proscrits. Ici on est frappé d’un singulier contraste : ils sont embrassés avec passion et repoussés avec sévérité. C’est ce qui est sensible surtout dans les vicissitudes de la religion égyptienne chez les Romains.

Les preuves de la présence de la religion égyptienne à Rome sont nombreuses. Elle pouvait, comme l’art de l’Egypte, y avoir pénétré par l’intermédiaire des Étrusques. L’âme, représentée par un oiseau à tête humaine, symbole égyptien, a été trouvée dans des tombeaux de l’Étrurie. Ce qui est certain, c’est que les divinités et les cérémonies égyptiennes ont laissé à Rome plus d’un vestige dans des bas-reliefs où sont figurées des pompes isiaques, dans des chapiteaux où paraît la fleur sacrée du lotus, dans des tombeaux, comme celui d’une prêtresse d’Isis qu’on remarque sur la voie Appienne, enfin dans des statues d’Isis et de Sérapis. Ces statues nous font voir comment les Romains s’étaient en quelque sorte approprié les divinités qu’ils avaient empruntées à l’Égypte. Le dieu Sérapis était devenu chez eux une sorte de Pluton ou de Jupiter souterrain. Rien ne rappelle sa provenance égyptienne que l’air sombre donné à ses bustes, et quelquefois la couleur noire du basalte dans lequel on les a taillés. Au Vatican, une de ces hideuses figures égyptiennes qu’on appelle des typhons a été affublée de la peau du lion de Némée, comme Hercule. Il y a dans le même musée plusieurs Isis romaines ; on y remarque facilement les altérations que le type égyptien a subies. Ainsi jamais les Égyptiens n’ont donné de voile à Isis ; mais quand le génie métaphysique des Grecs eut fait de l’épouse d’Osiris le symbole de la nature, ils la supposèrent voilée. De là une phrase célèbre placée dans la bouche d’Isis : « nul n’a soulevé mon voile. » Les sculpteurs romains, qui étaient sous l’empire de cette conception abstraite, entièrement étrangère à la théologie plus simple de l’Égypte, eurent soin de donner à Isis un voile. La remarquable Isis du corridor Chiaramonti au Vatican est voilée. Il ne lui restait des attributs égyptiens que les colliers qui descendent sur sa poitrine et la fleur de lotus dont sa coiffure était ornée. Dans une autre partie du même musée, une tête d’Isis, d’une disposition assez élégante, porte aussi le voile et la fleur de lotus. Celle-ci est formée ou plutôt indiquée par une touffe de cheveux placée au-dessus du front de la déesse : procédé ingénieux de l’art gréco-romain que l’art hiératique de l’Égypte n’aurait pas imaginé.

Ces transformations montrent combien la religion égyptienne s’était altérée à Rome, et combien on l’y connaissait mal. Les Grecs ne l’avaient guère mieux connue. La marque la plus éclatante de leur ignorance en ce genre est d’avoir inventé un prétendu dieu égyptien du Silence, posant sa main sur ses lèvres, qu’ils nommèrent Harpocrate, et cela à l’occasion d’un hiéroglyphe représentant un homme portant la main à sa bouche, ce qui est l’hiéroglyphe de la parole. Les Romains et les anciens en général se firent presque toujours une idée assez fausse de la religion égyptienne. On peut s’en convaincre en comparant ce qu’ils disent avec le témoignage des monumens interprétés par la science nouvelle que Champollion a créée. Tantôt les anciens s’exagéraient la profondeur des mythes égyptiens, et y retrouvaient les abstractions philosophiques qu’ils y avaient mises eux-mêmes : c’est ce qui est arrivé par exemple à Plutarque ; tantôt ils parlaient de cette religion avec un mépris non moins exagéré, affirmant que les Égyptiens adoraient des animaux et des plantes, l’ail et le poireau. Les Égyptiens n’adorèrent jamais ni l’ail ni le poireau[5]. Ils n’adoraient pas des animaux, mais des dieux représentés avec une tête ou même un corps entier d’animal, ce qui est très différent. Bien ou mal comprise, la religion égyptienne avait de nombreux temples à Rome. Une des quatorze régions portait le nom d’Isis et Sérapis, qu’elle devait sans doute à un édifice consacré à ces deux divinités. On sait que l’une et l’autre avaient aussi un temple près du lieu où depuis a été bâtie l’église de San-Stephano in Cacco, et dans plusieurs autres endroits de la ville.

Cette religion singulière frappa et attira de bonne heure l’imagination grave des Romains. Dès le temps de la république, Métellus avait dédié un temple à Isis sur le Cœlius, et le sénat, déjà ennemi, comme il le fut toujours, de ce qui était étranger et nouveau, avait fait démolir celui d’Isis et de Sérapis par la main du consul. Après la mort de César, un décret des triumvirs, rendu entre deux proscriptions, rétablit ce temple au moment où le désordre prévalait dans l’état.

Auguste, avec sa mesure accoutumée, interdit le culte égyptien dans l’enceinte sacrée du pomœrium, et le permit à la distance d’un mille. C’est ainsi qu’on permet aujourd’hui aux protestans d’avoir une chapelle hors de la ville. Tibère avait moins de ménagemens : il fit jeter dans le Tibre la statue d’Isis et crucifier ses prêtres. Othon releva le culte proscrit et en célébra les rites, revêtu d’une robe de lin. Les Flaviens, qui avaient besoin de popularité pour s’établir, furent favorables à cette religion populaire. Commode la protégea par la même raison; il porta dans les processions l’image d’Anubis. Caracalla, nous l’avons vu, éleva des temples en l’honneur d’Isis. Tous les empereurs qui voulaient gagner la multitude flattèrent son penchant aux religions étrangères, toujours suspectes de licence, que repoussait la sévérité cruelle de Tibère, et que n’autorisa jamais l’austérité philosophique des deux grands Antonins. Ces alternatives de persécution et de faveur, ces idoles, ces temples successivement abattus et relevés, montrent que les zélateurs du culte égyptien formaient à Rome un parti assez nombreux pour que tantôt on voulût le détruire, que tantôt on se résignât à lui céder. En dépit des proscriptions plusieurs fois renouvelées qu’il subit, ce culte était difficile à extirper, car on le trouve encore chez les paysans de la Gaule au IVe siècle.

La religion égyptienne ne fut pas la seule religion de l’Orient que les Romains connurent, et dont tour à tour ils admirent ou rejetèrent les pratiques. Aux divinités sévères de l’Egypte, ils associèrent les divinités sensuelles ou sanguinaires de l’Asie. C’est de là que leur vint cette étrange déesse dont la statue n’est pas rare dans les musées, parce que son culte était très répandu, qu’on appelle Cybèle, et qui est certainement la grande déesse, la grande mère, c’est-à-dire la personnification de la fécondité et de la vie universelle : bizarre idole qui présente le spectacle hideux de mamelles disposées par paires le long d’un corps comme enveloppé dans une gaîne, et d’où sortent des taureaux et des abeilles, images des forces créatrices et des puissances ordonnatrices de la nature. On honorait cette déesse de l’Asie par des orgies furieuses, par un mélange de débauche effrénée et de rites cruels; ses prêtres efféminés dansaient au son des flûtes lydiennes et de ces crotales, véritables castagnettes, semblables à celles que fait résonner aujourd’hui le paysan romain en dansant la fougueuse saltarelle. On voit au musée du Capitole l’effigie en bas-relief d’un archigalle, d’un chef de ces prêtres insensés, et près de lui les attributs de la déesse asiatique, les flûtes, les crotales et la mystérieuse corbeille. Cet archigalle avec son air de femme, sa robe qui conviendrait à une femme, nous retrace l’espèce de démence religieuse à laquelle s’associaient les délires pervers d’Héliogabale. A son costume, on pourrait le prendre pour Héliogabale lui-même. Au-dessous d’un autre bas-relief qui se rapporte également aux cultes de l’Asie, est une inscription moitié en langue grecque, moitié en langue palmyrienne; ce mélange indique bien la fusion qui s’opérait alors entre l’Orient et l’Occident. Il y est parlé d’un Aglibol qui paraît être le même que celui dont le nom altéré a fait le nom d’Héliogabale[6].

L’alliance des voluptés et du sang était le caractère de ces religions de l’Asie occidentale; un tel caractère semblait les désigner pour être les religions de l’empire. C’est en effet sous l’empire que leur vogue devint très grande; mais l’introduction du culte de Cybèle à Rome datait de plus loin. Il y avait été apporté d’Asie avec la déesse du temps de Scipion l’Africain. L’austérité républicaine s’alarma bientôt, et les prêtres de la déesse d’Asie ne tardèrent pas à être chassés. Son culte ne fut cependant point aboli, et c’est celui-là sans doute que les matrones romaines étaient autorisées à célébrer en secret dans ce qu’on appela les mystères de la bonne déesse. Bientôt les prêtres mutilés de Cybèle, les galles impurs reparaissent, les historiens et les poètes en font foi. C’est que, comme je l’ai plu- sieurs fois remarqué, les mœurs de l’Orient entraient dans Rome à la suite du despotisme oriental. Il fallait qu’elles y eussent déjà pénétré bien avant sous Septime-Sévère pour que Plautius ait osé, le jour du mariage de sa fille, faire cent eunuques de cent Romains libres, — comme on l’était alors. Dans le même temps, le sénat se remplissait d’Orientaux. Ils devaient se trouver là comme chez eux.

Une autre importation de l’Asie fut le culte de Mithra. Les monumens mithriaques représentent tous un sujet semblable : l’immolation, par un homme portant un costume asiatique, d’un taureau que mutile un scorpion, et dont un serpent vient lécher le sang. Ces monumens singuliers ne sont pas rares dans les collections de Rome. Ils ont été rencontrés dans presque toutes les parties de l’Europe, jusqu’au bord du Rhin, jusqu’au fond de la Hongrie et de la Transylvanie, où les avaient portés sans doute les légions romaines. C’est pendant le IIIe et le IVe siècle de l’empire que paraît s’être propagé le culte de Mithra, culte accompagné de mystères homicides remplacés ensuite par des représentations où le meurtre était simulé. Commode y rétablit les meurtres véritables. On a trouvé aussi près du Vatican, — lieu anciennement consacré par la religion étrusque et où devait être le centre du christianisme, — dans quelques inscriptions, la trace des sanglantes cérémonies elles-mêmes, bien vraisemblablement d’origine orientale, dans lesquelles on se purifiait avec le sang d’un taureau, et auxquelles se soumit Héliogabale.

Cette époque était à la fois sceptique et inquiète, incrédule et superstitieuse; elle cherchait le surnaturel dans l’inconnu. On se sentait entraîné vers les cultes les plus étranges par le besoin religieux qui remuait sourdement les âmes, tandis que le polythéisme romain s’affaissait avec l’empire romain, et par l’attente d’une foi nouvelle que le christianisme allait apporter. Telle était la cause de cette extension des cultes impudiques ou barbares de l’Orient dans une société dont elle hâtait la chute. La vieille religion romaine, fondement de l’ordre politique, était minée sourdement par les religions de l’Orient, qui sapaient sa base. On a découvert une grotte souterraine de Mithra creusée sous les fondations du temple de Jupiter au Capitole.

La religion chrétienne, il faut le proclamer, car c’est sa gloire, concourait à la décadence d’un pouvoir qui méritait de finir : non assurément qu’elle secondât les mauvaises tendances qui devaient le perdre, mais parce qu’en les combattant elle attaquait le principe vicieux sur lequel il était fondé. Je n’ai pas aujourd’hui à traiter ce sujet, que je me réserve pour d’autres études; mais j’ai dû, en présence des monumens, parler de l’invasion des religions orientales dans le monde romain, quand je parlais de celui qui fut lui-même une monstruosité de l’Orient tombée à Rome, de l’odieux et bizarre Héliogabale.


J.-J. AMPERE.

  1. Voyez les livraisons du 15 octobre, 1er novembre, 15 décembre 1856, 15 janvier, 15 février, 15 mars et 15 avril 1857.
  2. Dion Cassius est très favorable à Pertinax, mais il avait ses raisons : lui-même nous apprend que l’empereur qu’il loue outre mesure, et dont il tait les cruautés, l’avait comblé d’honneurs, et qu’il lui devait la préture.
  3. C’était un grand signe de mollesse de se baigner avant le soir.
  4. Je suis d’autant moins tenté d’empiéter sur un sujet placé en dehors de ces études, que je le sais en bonnes mains, car il ne peut manquer d’être savamment traité dans l’écrit que prépare M. Noël Desvergers sur la domination des Romains en Angleterre.
  5. Je crois pouvoir expliquer cette assertion si souvent répétée, bien que totalement dénuée de fondement. Nulle trace d’un tel culte n’a jamais été aperçue sur les monumens de l’Égypte. L’erreur est provenue, je crois, d’un hiéroglyphe mal compris, celui qui exprime l’idée de temple par un carré désignant un édifice, et dans lequel est un poireau. Le poireau est le signe de la blancheur, et l’hiéroglyphe tout entier veut dire maison blanche ; mais pour les Romains il a pu sembler vouloir dire la maison du poireau. De là l’opinion que des temples étaient consacrés à ce végétal ou à d’autres semblables, et qu’ils étaient adorés.
  6. Alagabalus, Élégabal dans les inscriptions.