L’or maudit/4

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Police Journal Enr (Aventures de cow-boys No. 1p. 18-32).

CHAPITRE IV

LA BATAILLE


Baptiste dit :

— Hugh ?

— Oui, chef ?

Les deux hommes étaient assis dans le bureau de la station.

Le prêtre et sa nièce étaient, eux, restés à la maison.

L’Abbé écrivait une longue lettre à Monseigneur et Huguette s’affairait dans la cuisine, en lutte homérique avec une tarte Lafayette qu’elle était en train de mettre au monde.

Baptiste soupira :

— Ce matin je sens réellement ma vieillesse ; elle s’étend sur tout mon corps comme un vêtement de plomb ; elle pèse sur mon cerveau : Pander, j’ai peur…

— Peur ?

— Oui, je crains que ma main ne tremble au moment de tirer.

Il reprit :

— C’est triste de ne pouvoir plus être le premier cow-boy de l’Ouest comme on m’a appelé, de sentir ses muscles se désagréger, son intelligence devenir morne et lente quand la situation exige de la justesse et de la rapidité.

— Oh, vous exagérez.

— Non… Pander ?

— Si je sors et attaque ce matin, et que je manque mon premier homme, tu sais ce qui va arriver.

— Oui.

— On criera : « Baptiste Verchères est « brûlé » ; envoyons. Alors nous assisterons à une orgie sanguinaire. Il ne faut pas.

Après un silence, le vieillard reprit :

— J’ai donc décidé de ne point participer à la bataille qui s’en vient.

— Ah…

— Oui ; j’ai confiance en toi, Pander, viens.

Ils sortirent tous les deux.

S’adressant aux 40 ou 50 cow-boys qui composaient le posse attendant à la porte de la station de police, Verchères leur dit :

— Merci, mes amis, d’être venus en aussi grand nombre.

Désignant le révérend, il continua :

— Comme je me sens un peu malade et indisposé ce matin je délègue mon autorité à Hugh Pander ici présent, et vous demande d’exécuter ses ordres comme s’ils venaient de moi. Le ferez-vous ?

Ils répondirent :

— Aye, aye, aye.

Aye, le oui du cow-boy.

À ce moment, ils entendirent le bruit significatif d’un cheval qui s’en venait au galop.

Toutes les têtes se tournèrent.

Le cavalier portait un grand mouchoir rouge sur la figure.

En passant près du posse, il tira un coup de feu, un seul, et Baptiste Verchères s’écroula.

Se précipitant, Hugh examina la blessure.

— Rien de grave, murmura-t-il ; cependant la balle a frappé un os et la jambe droite est cassée.

Des cow-boys aidèrent le vieux Baptiste à monter chez lui.

Là, Huguette abandona sa tarte Lafayette et pansa temporairement la blessure.

— Je vais préparer des éclisses, dit Marchildon.

Huguette regarda Gérard, rougit délicieusement et dit :

— Voulez-vous faire vite ; c’est important…

Elle précisa :

— Médicalement important.

Après avoir posé sur elle un regard plein d’affection et de tendresse, il disparut au delà de la porte.

Pander fit signe aux cow-boys de le suivre.

Dehors, s’adressant au posse :

— Avez-vous remarqué quelque chose ? demanda-t-il.

— Non, non, non…

— Eh bien, le cow-boy renégat qui vient de blesser le chef était monté sur MON cheval.

— Comment se fait-il que… ?

— Ma bête était dans l’écurie du chef ; on a dû la voler.

Un rancher demanda :

— Que faisons-nous ?

— Nous allons faire respecter le règlement voté par le conseil de canton.

Il dit au cheval de Verchères qu’il montait :

— Guidap ! suivez-vous.

Au petit trot ils s’approchèrent de la saloune Chiasson.

Pander commanda :

— Dix cow-boys vont entrer dans la saloune avec moi. Les autres cerneront l’établissement.

Le révérend entra pistolets aux poings.

Chiasson était là, derrière le bar.

Assis à une table, Monroe et Dougald buvaient.

Pander les regarda et dit :

— Vous venez de vous construire un alibi.

— Un alibi ? fit Dougald.

— Ne faites pas les innocents ; je sais que ce n’est ni l’un ni l’autre de vous deux qui a tiré sur Verchères ; mais je vous soupçonne d’avoir fomenté le complot.

— Tu peux prouver cela ?

— Non.

Chiasson dit d’une voix froide :

— Tu ne les arrêtes pas, révérend ?

— Non, je ne suis pas encore prêt ; d’ailleurs je sais que bientôt deux balles honnêtes sauront bien dans leurs cas remplacer le bourreau.

— Je suis obligé de t’endurer dans ta capacité officielle ; alors si tu as fini ton travail de policeman, scramme.

— Je n’ai pas fini.

— Non ?

— Quoi encore ?

— Je viens te collecter 10,000 $.

Chiasson ricana :

— Tu te montres sous ton vrai jour, Pander. Ainsi c’est un hold-up ?

— Détrompe-toi, sale salounard. Hier soir il s’est tenu à Squeletteville une assemblée plénière du conseil de canton.

— Qu’est-ce que tu veux que ça me sacre, ça ?

— Ne fais pas ton butor, Chiasson ; le conseil du canton a voté un règlement qui te force à payer 10, 000 $ de licence par année pour opérer ta saloune. Le paiement est exigible aujourd’hui.

— Et si je refuse de payer ?

— Alors ce sera un grand plaisir pour mon posse et moi, de fermer ton établissement après l’avoir dûment saccagé selon le règlement.

Chiasson dit :

— Pour le moment tu gagnes, révérend ; mais je ne garantis rien dans un avenir rapproché.

Le salounard ouvrit son coffre-fort, compta dix mille piastres et les remit à Pander.

— Scramme maintenant.

— Non.

— Hein ?

Hugh tira une balle futile dans le mur et récita :

— Le conseil du canton a voté un second règlement ! Il va te falloir cracher un autre 10,000 $.

— Non, fit Chiasson.

— Pourquoi ? demanda Dougald.

— C’est le taux de la licence exigible des opérateurs de maisons de jeux d’après le nouveau règlement 17.

Le salounard sacra.

— Tu refuses ? Attention, car le règlement prévoit une sanction au cas de refus. Tu payes ou bien c’est la hache que nous mettons dans tes appareils de jeux de hasard. Chiasson demanda :

— C’est tout ? Ou bien avez-vous voté d’autres règlements ?

— Il y en a un troisième et dernier.

— À quoi a-t-il trait, celui-là ?

— Aux salles de danse ; vous dansez ici, ; alors il faut que tu me craches 10,500 $. Ce cinq cents c’est pour le permis de danse.

Quand il eut les 20,500 $, Pander ordonna :

— Sortons, les gas.

Au dehors il conduisit son posse à la station de police et leur dit :

— Il me faut un comité de 10 hommes pour compter l’argent et le placer dans le coffre-fort. Car à la première occasion, Chiasson et les deux autres bandits hurleront que j’ai volé une partie des 20,500 $.

Un quart d’heure plus tard, le posse s’ébranlait.

— Où allons-nous ? demanda un cow-boy.

— Nous allons pincer le gas qui a tenté d’assassiner le vieux Baptiste.

— Mais il est déjà loin.

Le révérend sourit mystérieusement.

— Non, il n’est pas loin, affirma-t-il.

— Comment ça ?

— Bien, à ma demande Verchères n’a pas donné d’avoine à mon cheval et il ne lui a servi que des portions parcimonieuses de foin.

— Allons alors !

— Sus aux bandits…

Ils sortirent de la bourgade au grand galop avec Pander en tête.

Le révérend suivait le chemin de Winnipeg.

Il savait que le fuyard s’en allait dans cette direction.

En effet quelle excellente cachette qu’une grande ville et son anonymat !

Deux heures s’écoulèrent.

Soudain, au delà d’un détour du sentier, le révérend vit un cavalier solitaire qui détalait.

Il donna de l’éperon à sa monture et petit à petit, gagna du chemin.

Bientôt il reconnut son cheval.

Au même moment l’Outlaw se retourna et tira un coup futile.

En même temps il éperonna sa bête qui partit au grand galop.

— Guidap !

Soudain se sentant serré de trop près, le fugitif se retourna de nouveau et brandit son colt.

Mais il n’eut pas le temps de tirer.

Le pistolet de Pander venait de cracher sa mitraille dans la poitrine du bandit qui tomba à bas du cheval du révérend.

Celui-ci siffla et la bête qui lui appartenait vint lui donner un coup de museau amical ; puis regardant de travers le cheval compétiteur, elle hennit, menaçante…

— La paix, gorlot…

Un cow-boy s’était approché en souriant.

Il dit au révérend :

— C’est une vraie honte.

— QUOI ?

— Ben, en tuant le renégat vous nous avez privé du malin plaisir de pendre haut et court l’Outlaw à la première branche d’arbre.

x x x

Mais revenons un peu en arrière.

Entrons dans la saloune Chiasson.

Pander et son posse viennent de quitter la buvette.

Dougald dit à Chiasson :

— Le temps est venu d’agir.

Monroe remarqua en ricanant :

— Certes, oui le temps est venu. Squeletteville n’accorde plus de sécurité ni protection aux honnêtes cow-boys de notre acabit.

— Que faire ? As-tu une suggestion, toi, Artie ? Et toi, Chiasson, que te proposes-tu de faire ?

Sombre, le salounard dit entre ses dents :

— Je me propose d’abord de reconquérir mes 20,500 $ piastres.

— Et après ?

— Après, Dougald, je serai prêt à livrer le bon combat contre le posse de Baptiste Verchères.

Monroe observa :

— Ils sont nombreux, et le révérend est à lui tout seul presque une armée entière.

Dougald ricana :

— J’ai un plan ingénieux pour désorganiser le posse.

— Quoi ?

— Tout vient à point qui sait attendre.

Il reprit :

Mais d’abord où est l’argent ?

— L’argent ?

— Oui, les 20,500 $ ?

Artie parla : — Avant de quitter Squeletteville pour une destination inconnue, le posse a stationné de longues minutes près du poste de police. L’argent est sans doute là dans le coffre-fort.

By jove, s’écria le salounard, tu as raison.

— On y va ?

Chiasson s’écria :

— Oui, on y va, et comment donc !

x x x

Entendant le bruit de sabots de chevaux, Huguette courut à une fenêtre.

De sa chambre, le vieux Baptiste demanda :

— Est-ce notre posse qui s’en revient ?

D’une autre fenêtre, l’abbé Taché répondit :

— Non, M. Verchères, ce sont trois cavaliers.

— Qui ?

— Je ne puis pas encore distinguer leurs traits.

Marchildon remarqua d’une troisième fenêtre :

— Je les reconnais ; ce sont Chiasson, Dougald et Monroe.

Les trois cavaliers s’approchaient au petit trot.

Baptiste demanda :

— Où vont-ils ?

— Je crois que les mauvais larrons s’en viennent à la station de police.

— Oui, oui, c’est ça.

— Ils descendent de leur monture.

— Ils défoncent la porte.

— Ils entrent tous les trois.

Un silence long.

Lancinant comme une douleur…

Puis une explosion.

— Ils viennent de faire sauter le coffre-fort, fit Gérard.

Baptiste murmura :

— J’ai peur !

— Quoi ?

Huguette dit :

— Ils sortent.

D’une voix grave, le prêtre observa :

— Je crois que les trois pécheurs s’en viennent ici.

— C’est là ce que je craignais, dit le chef.

Marchildon s’approcha de Huguette et lui prit la main :

— Je vous protégerai de mon corps, ma chérie, ne craignez rien.

— Non, fit Baptiste.

— HEIN ?

— Non, et c’est un ordre. Viens ici, Gérard et vous aussi, monsieur l’abbé.

Comme Marchildon hésitait, le chef eut un mouvement d’impatience :

— Espèce de fou, ils ont le nombre de leur côté, il ne nous reste que la ruse à utiliser jusqu’à l’arrivée du posse. Mademoiselle ?

— Oui.

— Obéissez aux bandits jusqu’à ce que vous soyez réellement mal prise ; alors criez de toute la force de vos poumons : « GÉRARD ! » Et Marchildon sera là, tout près ; soyez-en sûre.

Les deux jeunes échangèrent un regard amoureux et pudique.

Verchères reprit :

— Maintenant, les deux hommes, cachez-moi sous le lit ; après quoi, tu te cacheras toi-même, Marchildon.

L’abbé Taché questionna :

— Si on nous demande où vous êtes, que leur répondrons-nous ?

— Que Marchildon a attelé la ouaguine pour me transporter chez le premier médecin qui est à 3 lieues d’ici.

Ils venaient de terminer leur besogne de cachette quand les trois outlaws enfoncèrent la porte sans frapper.

Dougald demanda :

— Où sont Verchères et Marchildon ?

Taché répondit par le mensonge blanc dont nous venons de parler.

— Jette donc un coup d’œil dans toutes les pièces, Artie.

Monroe obéit, puis dit :

— Personne ; tout va bien.

Chiasson tira rudement à lui la jeune Huguette et lâchement l’embrassa de ses lèvres immondes.

Dougald remarqua cyniquement :

— Ce n’est pas le temps des scènes d’amour.

La jeune fille cracha de dégoût.

Alors le prêtre crut comprendre le plan impie.

Diabolique.

D’une voix qui contenait à peine sa juste colère, il dit :

— Huguette ?

— Oui, mon oncle…

— Si on te demande de prévariquer, si on dit que seules tes prévarications peuvent me sauver la vie, défends ta vertu jusqu’au bout.

S’adressant aux trois canailles, le prêtre tonna :

— Sodôme et Gomorrhe ont été détruites par le feu du ciel. Il en sera de même pour votre trio impie, assassin et prévaricateur. Les foudres célestes vont vous réduire en charpie, puis en poussière. Memento homo…

Les gas se mirent à ricaner.

Chiasson dit :

— Assez parlé ! Viens, la belle ; je t’engage comme danseuse professionnelle de ma saloune.

Dougald dit :

— Je t’accompagne, Chiasson.

— Et moi ? fit Monroe.

— Toi, va-t-en avec le papiste au camp des mineurs. L’abbé leur donnera la représentation de danse qu’il nous a refusée dimanche dernier.

Ils sortirent.

Marchildon replaça le chef dans son lit.

Celui-ci regarda son assistant et dit :

— Pauvre Gérard, je sais bien que la scène qui vient de se terminer a été dure, très dure pour toi.

— Oui, si je n’avais écouté que mon amour pour la pauvre Huguette…

— Tu serais incapable de la protéger…

Après un silence, il reprit :

En effet, car tu serais actuellement un homme mort. Alors oublie ton amour pour la jolie Huguette ; car l’amour fait trop souvent échec à l’intelligence…

— J’exécuterai vos ordres à la lettre, chef…

— Les voici : Rampe subrepticement jusqu’à la saloune Chiasson, attends et n’entre dans la saloune que quand Huguette t’aura lancé son cri de détresse.

Marchildon s’approcha du lit.

Baptiste lui tendit la main.

Ils se la donnèrent puissante et longue.

— Bonne chance, mon jeune, dit le vieillard.

— Si je ne vous revois pas ici, je vous donne rendez-vous dans l’éternité.

Baptiste eut un pâle sourire :

— Je constate déjà la bienfaisante influence du prêtre ici.

— Comment ça ?

— C’est la première fois que je t’entends prononcer le mot Éternité !

Comme Gérard allait sortir, le chef le rappela :

— Aye, le jeune.

— Oui, boss ?

— Tu n’as plus ni père ni mère, hein ?

— Non.

— Et tes plus proches parents sont sur le Richelieu ?

— Oui.

— Eh bien, sache, mon enfant, que lors de ton prochain mariage avec Huguette Taché, je serai très honoré de te servir de père.

— Oh. merci.

Puis des plis soucieux troublèrent l’harmonie de son front.

— Qu’y a-t-il ?

— Nous oublions monsieur l’abbé.

— C’est drôle, Gérard…

— Quoi ?

— Je suis d’avis que ce prêtre est fort bien capable tout seul de faire face à la situation.

— Mais il n’est pas armé.

Verchères dit gravement, mystérieusement :

— Il y a ici-bas des armes supérieures aux pistolets, ces pistolets fussent-ils des colts.

Gérard hocha affirmativement la tête.

Avait-il compris le sens mystique des paroles du chef ?

Il sortit et se mit à ramper vers la saloune.

x x x

Entrons dans cette saloune.

À leur arrivée, Chiasson avait dit à Huguette :

— J’aime les situations claires, la belle. D’abord, je t’affirme que tu n’as rien à craindre ni de moi ni de Dougald. N’est-ce pas ?

Sandy répondit vulgairement :

— Je me sacre des femmes, moi.

— Moi aussi, dit le salounard. Tout ce que je te demande, la belle, c’est de mettre une toilette de bal et de danser avec moi ici.

— Et si je refuse ?

— Ton oncle le papiste meurt.

Elle demanda :

— C’est bien là tout ce que vous me demandez ?

— Oui… non… j’oubliais quelque chose ; oh, une bagatelle…

— Quoi ?

— Je te maquillerai le visage.

Dougald intervint :

— Acceptes-tu ou faisons-nous boucherie avec ton oncle ?

Huguette réfléchit…

Danser ?

Au fond il n’y avait aucun mal à cela ; n’avait-elle pas appris la valse au couvent ?

Maquillage ?

Ce n’était pas défendu sous peine de péché.

Elle croyait sincèrement que son oncle lui-même aurait toléré, avec réluctance peut-être, mais aurait toléré quand même qu’elle se maquillât et qu’elle dansât, surtout quand une vie humaine était l’enjeu.

— J’accepte à une condition par exemple.

— Laquelle ?

— C’est que la robe de bal ne soit pas trop décolletée.

— Elle ne l’est pas du tout.

Huguette suivit Chiasson jusqu’à la porte d’une chambre où il la laissa respectueusement entrer seule.

Quand elle reparut vêtue d’une splendide robe d’un éblouissant rouge-chinois, Chiasson l’attendait :

— Et maintenant le grimage, dit-il.

Il commença par lui peinturer les lèvres d’un rouge éclatant et vulgaire.

Puis il la maquilla pesamment, lui donnant un air de prostituée classique.

L’orchestre se composait de trois instruments.

L’accordéon.

La musique à bouche.

Le violon.

Chiasson ordonna aux musiciens :

— Préparez-vous et, au premier signe que je vous ferai, jouez…

S’adressant à Huguette, il demanda :

— Que danses-tu le mieux, la belle ?

— Je sais valser.

— Alors vous jouerez une valse, les gas.

— Entendu, boss.

Chiasson dit alors à Dougald :

— Va ouatcher dehors et dès que tu verras le posse revenir, rentre m’en avertir.

x x x

Une grosse heure s’écoula.

Puis soudain…

La porte s’ouvrit.

Sandy parut :

— Le posse s’en vient au grand galop.

Chiasson ordonna :

— La valse, les gas.

Ils jouèrent les premiers accords du DANUBE BLEU.

Le salounard prit Huguette par la taille et ils se mirent à danser.

Le premier à pénétrer dans la saloune fut le révérend.

Il contempla le spectacle.

Son regard se fit dur.

Dangereux.

Mais il ne dit pas un mot, et alla s’asseoir.

Les autres membres du posse étaient tous aux tables quand les derniers accords de la valse moururent…

Dougald se leva et dit :

— Messieurs, il n’y a rien comme voir pour comprendre.

À ce moment, Gérard Marchildon entra et, se dirigeant vers la table de Pander, s’y assit et se mit à parler à voix basse au révérend…

Mais Dougald continuait :

— Messieurs, vous êtes des gens honnêtes, paisibles ; on a trompé votre bonne foi. Regardez Huguette Taché sous son vrai jour. Éméchée, fardée, poudrée, dansante, elle est bien dans son élément. Son oncle, le saint homme, n’est venu ici que pour vous détrousser sous le couvert de la religion.

— ASSEZ ! hurla-t-il.

Il jeta un coup d’œil sur les membres du posse.

Le soupçon, l’indécision, se lisaient sur bien des figures.

C’était le temps ou jamais d’agir.

Il dit :

— Il y a une loi non écrite de l’Ouest qui autorise les posses à siéger en tribunal. Et à condamner les voleurs et les assassins. J’accuse Chiasson et Dougald d’enlèvement de femme, crime punissable de la peine de mort. Vous serez vous-mêmes les juges. J’aurai 4 témoins qui démontreront la culpabilité des deux bandits. Ce sera vous, messieurs et non moi, qui assurerez le fairplay britannique aux deux accusés. Mes témoins sont Baptiste Verchères, Gérard Marchildon, Huguette Taché et son oncle.

Après un regard circulaire, le révérend reprit :

— Je demande aux deux plus vieux ranchers ici présents de procéder à l’arrestation des deux accusés.

Deux hommes se détachèrent du posse.

Dougald et Chiasson, perdant la tête, sortirent précipitamment leurs colts et tirèrent.

Les ranchers tombèrent.

Déjà le révérend avait tiré, et Chiasson et Dougald partirent pour le voyage d’où personne ne revient.

Gérard se précipita vers Huguette et la prit dans ses bras.

Comme il allait pour l’embrasser, Huguette émit l’objection éternelle des jeunes filles :

— Non, Gérard, je vous rougirais de mon maquillage.

What’s next ? demanda un rancher anglais.

Next, dit le révérend, est notre course au camp des mineurs où l’on détient l’abbé Taché prisonnier.

x x x

Quand le posse fut rendu environ à un mille du camp, Pander ordonna une halte.

— À pied, ordonna-t-il. À cheval, nous serions trop visibles. Je vais essayer de prendre le camp par surprise.

Ils s’approchèrent lentement, prudemment.

La dernière centaine de verges, ils la firent en rampant, entendant des salves de coups de pistolets.

Ils dépassèrent le talus qui leur avait caché la vue du camp jusque là.

En tête, Hugh et Gérard poussèrent un sacre.

Il y avait de quoi.

En effet, une vingtaine de mineurs entouraient l’abbé Taché et tiraient à ses pieds, lui commandant de danser.

— Danse ou on te tue comme un chacal.

L’un des bandits chanta dérisoirement :

« Au ciel, au ciel, au ciel, j’irai le voir un jour ».

Mais le prêtre ne bronchait pas.

Seules ses lèvres remuaient.

— Cet homme est incroyable, dit Marchildon, il y a près de 4 heures que ce martyre dure, et il résiste encore.

Pander s’écria :

— Désarmé, seul, devant une meute, il ne fléchit point. C’est un héros.

D’une voix tonitruante, tout en restant caché, le révérend cria :

— Vous êtes cernés, les gars.

Les mineurs cessèrent le feu.

Pander poursuivit :

— Allez immédiatement déposer vos armes aux pieds de l’Abbé Taché ; vous avez exactement 30 secondes pour ce faire ; après quoi nous devenons bouchers, nous faisons boucherie.

Quand le premier mineur jeta son arme dans la direction de Taché, celui-ci eut un pâle sourire…

Les autres l’imitèrent…

Le prêtre et le révérend avaient reconquis Squeletteville à la civilisation chrétienne.

x x x

Trois mois plus tard.

La petite et humble église de Squeletteville est terminée.

Il est 10 heures du matin.

Le cortège nuptial sort du temple.

Marchant l’un près de l’autre, les nouveaux mariés, Huguette et Gérard ne portent pas à terre.

Baptiste, qui boite un peu, dit au révérend :

— Grâce à toi Pander et à l’abbé Taché, Squeletteville est maintenant une ville propre.


FIN