La Belgique et la Crise politique

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LA BELGIQUE
ET
LA CRISE NOUVELLE

LE PARTI LIBERAL ET LE PARTI CATHOLIQUE

I. L’Église et l’État en Belgique, par M. Laurent, professeur à l’université de Gand ; Bruxelles 1862. — II. Von Espen, par le même. — III. La Mainmorte et la Charité, par M. Jean van Damme, 1837. — IV. La Belgique sous le règne de Léopold Ier, par M. Thonissen, professeur à l’université de Louvain, 1861. — V. Assemblée générale des catholiques, première session à Malines, 18-83 août 1863. — VI. Histoire du Parlement belge, 1830-1848, par Ernest van den Peereboom.

Lorsque la révolution de septembre 1830 eut séparé la Belgique de la Hollande, l’assemblée qui se réunit à Bruxelles sous le nom de ambrés n’hésita pas à inscrire dans la constitution qu’elle était chargée d’élaborer des principes à bien des égards nouveaux chez les nations catholiques. Pour réagir contre la politique de compression où le gouvernement déchu s’était obstiné en vue d’un but d’ailleurs louable, la constituante belge adopta et suivit dans toutes ses applications le mot d’ordre de la révolution qui venait de s’accomplir : liberté en tout et pour tous. Avec une confiance juvénile et une généreuse audace qui rappelaient celle de la génération de 1789, elle transforma en lois fondamentales des nouveautés jusque-là universellement condamnées par les politiques prudens, et auxquelles la France, qui, elle aussi, venait de remanier ses institutions, ne semblait pas avoir songé un instant. Elle consacrait en termes aussi nets et aussi absolus que possible ces quatre libertés cardinales symbolisées dans les statues de bronze groupées autour de la colonne que la reconnaissance nationale a élevée depuis à la mémoire du congrès : liberté de la presse, liberté des cultes, liberté de l’enseignement, liberté d’association. C’était placer l’état, complètement désarmé, face à face non seulement avec des individus munis de tous les droits garantis par la constitution, mais avec les groupes d’individus qui pourraient s’unir, se liguer pour le combattre, avec les associations qui pourraient naître à l’avenir, et, qui plus est, avec une association déjà formée, puissante par le nombre de ses membres, par l’empire de ses traditions, par la rigueur de ses doctrines, organisée comme une armée, ayant sa milice répandue dans tout le pays, et son chef suprême à l’étranger, l’église. Il fallait se transporter de l’autre côté de l’Atlantique, aux États-Unis, pour trouver un régime comparable à celui qu’on inaugurait si intrépidement en Belgique. Rien de semblable n’existait et n’existe encore sur le continent européen, ni même en Angleterre, où du moins l’église nationale est dans les mains de l’état. À peu près partout, les pouvoirs publics ont quelques moyens de surveiller les actes ou de limiter le nombre des associations qui leur semblent menacer l’ordre général ou la sécurité du pays. En France, le gouvernement peut invoquer tant de lois, de décrets et d’arrêtés, qu’il lui est facile, soit administrativement, soit en faisant agir la magistrature, d’atteindre toute espèce d’association, fût-ce même une société de bienfaisance, comme celle de Saint-Vincent-de-Paul ou une corporation religieuse, comme celle des capucins, expulsée naguère du département du Nord. La législation est si restrictive, qu’elle va jusqu’à entraver la liberté des cultes, formellement garantie par toutes les constitutions successives[1]. En Suisse, les jésuites bannis du territoire de la confédération, les couvens de l’Argovie et du Tessin supprimés, montrent assez combien les lois cantonales et fédérales différent à cet égard de celles qui règnent en Belgique, et ce n’est certes ni en Allemagne, ni en Espagne, ni en Portugal, ni en Italie, qu’il faut chercher une plus grande tolérance en cette matière. Partout la crainte des clubs ou celle des couvents a dicté des mesures préventives. En Belgique, le droit d’association est absolu ; on peut se réunir en n’importe quel endroit, pour n’importe quel but, en n’importe quel nombre, s’associer d’une manière permanente, se cotiser, former un budget, appeler la foule, la haranguer, lui prêcher l’opposition au gouvernement, couvrir le pays de clubs ou de couvens, assembler des meetings et répandre partout l’agitation ou le mécontentement. Tant qu’il n’y a pas révolte ouverte et voie de fait, le texte formel de la constitution arrête toute intervention de la justice ou de l’administration.

La liberté d’enseignement est également illimitée. Tandis que partout ailleurs on demande à celui qui entend se charger de la délicate mission d’instruire les enfans des preuves de capacité ou tout au moins de moralité, en Belgique chacun peut ouvrir une école là où il lui plaît, et enseigner à son gré. Plus d’autorisation préalable, plus de certificats, plus de surveillance d’aucune sorte. La presse aussi n’a plus à craindre ni restrictions, ni censures, ni entraves. On peut tout dire et tout écrire ; on peut soumettre à la critique non seulement les actes de l’autorité, mais les institutions du pays et jusqu’aux principes qui forment la base de l’ordre social. « La liberté de manifester ses opinions en toute matière est garantie, » dit la constitution. Chacun peut à sa volonté établir une imprimerie ou fonder un journal sans brevet, sans autorisation, sans cautionnement.

Dans les autres pays, l’état, qui paie les ministres des cultes, intervient dans leur nomination et exerce sur eux une autorité plus ou moins effective. Ici le clergé est rétribué, mais il est complètement indépendant du pouvoir civil : plus de droit de proposition pour la nomination aux sièges épiscopaux, plus d’appels comme d’abus pour arrêter les empiétemens de l’église ou pour rétablir l’ordre dans son sein, plus de placet pour empêcher la publication des actes de Rome, comme vient de le faire le gouvernement français à propos de l’introduction de la liturgie romaine dans le diocèse de Lyon. Le pape peut nommer évêques, les évêques peuvent nommer curés qui ils veulent, des étrangers, des hommes immoraux, incapables, hostiles aux institutions du pays : l’état doit toujours les salarier.

On le voit, le congrès n’avait reculé devant aucune des applications de ce large et séduisant programme, liberté en tout et pour tous ; mais n’était-ce pas une entreprise bien périlleuse que de prodiguer ainsi toutes les libertés à un peuple qui en avait toujours été sevré depuis l’indépendance communale du moyen âge, et pour qui le régime hollandais n’avait été qu’une initiation insuffisante et d’ailleurs sans cesse contestée à la vie politique moderne ? N’y avait-il pas imprudence à garantir à une nation émancipée d’hier un ensemble de droits que n’avait pas osé adopter un grand pays voisin mieux préparé à les exercer ? On eût été disposé à le croire, et cependant trente-trois années de prospérité et de paix ont justifié l’œuvre hardie du congrès. Du jour où leur indépendance a été assurée, les provinces belges, si longtemps asservies à l’étranger, si souvent dévastées par les armées ennemies ou ruinées et ensanglantées par leurs propres souverains, sont entrées dans une ère de progrès non interrompus. L’agriculture a doublé ses produits, l’industrie a au moins quadruplé les siens ; la population a augmenté d’un tiers, et la richesse générale s’est accrue dans une proportion bien plus grande encore. Les arts ont couronné d’une manière éclatante ce développement matériel, et le pays a su pratiquer le régime parlementaire et user de ses nombreuses prérogatives avec un bon sens solide et une inaltérable modération qui lui ont valu les sympathies de l’Europe.

Si jusqu’à ce jour l’épreuve de la liberté a réussi en Belgique, c’est un résultat qu’il faut attribuer à des causes complexes dont voici, si je ne me trompe, les deux principales. En premier lieu, ni la nation ni le souverain que la nation s’est choisi n’ont eu peur de la liberté. Tous deux, le roi et la majorité, l’ont scrupuleusement respectée, même quand elle les gênait ou semblait offrir des dangers. Or c’est à la condition de ne s’effrayer ni des violences, ni des excès qui l’accompagnent parfois qu’on parvient à la conserver et qu’on se rend digne d’elle.

Macaulay exprime cette vérité par une image pleine de sens et de poésie. « L’Arioste, dit-il, nous raconte l’histoire d’une fée qui par une loi mystérieuse de sa nature était condamnée à paraître sous la forme d’un hideux serpent. Ceux qui la maltraitaient pendant le temps de sa métamorphose étaient à jamais exclus des bienfaits qu’elle prodiguait aux hommes ; mais à ceux qui, en dépit de son aspect repoussant, avaient pitié d’elle et la protégeaient, elle se révélait plus tard sous la belle et céleste forme qui lui était naturelle : elle accompagnait leurs pas, exauçait tous leurs vœux, comblait leur demeure de richesses et les rendait heureux en amour et victorieux à la guerre. Telle est aussi cette déesse qu’on nomme la liberté. Parfois elle prend la forme d’un reptile hideux : elle rampe, elle menace, elle siffle, elle mord ; mais malheur à ceux qui, saisis de dégoût, essaient de l’écraser, et heureux au contraire les hommes qui osent la recevoir sous sa forme horrible et dégradée ! ils sont magnifiquement récompensés par elle au temps de sa beauté et de sa gloire. »

En 1846, les associations libérales de tous les pays envoyèrent à Bruxelles des délégués qui se formèrent en une sorte de convention pour fixer les principes de leur opinion et pour aviser aux moyens de combattre leurs adversaires, alors au pouvoir. Une haute autorité, pour laquelle le roi professait beaucoup de déférence, lui fit connaître qu’un « tel état de choses était incompatible avec l’existence d’un gouvernement légal et constitutionnel, » qu’il fallait y mettre un terme, maintenir le ministère et ne point transiger avec les délégués des associations. Le roi Léopold se garda bien de suivre ce conseil ; il respecta la liberté. Un an après, l’un des orateurs les plus marquans et les plus hardis de cette assemblée qui avait causé tant d’alarmes entrait dans le ministère nouveau qui guida la Belgique à travers les écueils que les révolutions européennes semèrent sur sa route, et depuis lors la liberté, cette Mélusine du monde politique, a bien récompensé le roi et la nation de la confiance qu’ils ont eue en elle.

La seconde cause qui explique le succès de la constitution de 1831, c’est que jusqu’à présent les deux partis qui se disputent le gouvernement ont su tour à tour être minorité[2]. Or c’est à cette condition seule que le régime parlementaire peut durer. Il faut que la minorité accepte sa défaite, en recherche la raison et se prépare à prendre sa revanche en se faisant l’organe des vœux de la nation et l’interprète de ses véritables besoins. Si elle garde rancune et s’abstient, elle se suicide ; si elle s’insurge, elle tue la liberté et perd le pays. D’ailleurs, chez un peuple vraiment libre, la minorité arrive vite à comprendre sa mission, d’abord parce qu’elle peut user à son gré et sans entraves de tous les moyens qui lui permettent de reconquérir la prépondérance, ensuite parce qu’elle voit que ses adversaires ayant réellement la supériorité numérique, il serait vain et insensé de se soulever contre eux.

La constitution de 1831 ayant produit les heureux résultats qu’on vient d’exposer, il est naturel que le peuple belge s’y soit fortement attaché et lui ait même voué une vénération presque superstitieuse ; mais si, à quelques exceptions près que l’on fera connaître, on respecte généralement les lois fondamentales de l’état, la même unanimité est loin de se retrouver quand il s’agit de tirer de ces principes généraux les conséquences qu’ils renferment. Deux partis se sont formés qui se disputent le pouvoir, non pour s’emparer à l’envi des portefeuilles, comme le dit une vieille calomnie discréditée, mais pour avoir l’honneur d’appliquer leurs idées au gouvernement du pays. Que veulent ces partis ? D’où viennent-ils et quel est leur avenir ? Quelles sont les forces dont ils disposent et les principes qu’ils invoquent ? Ces questions sont d’un intérêt général, car les problèmes qu’on discute en Belgique se retrouvent chez la plupart des autres nations catholiques, en Portugal, en Espagne, en Italie, en France, au Mexique, et en les étudiant en Belgique, c’est-à-dire dans un pays où ils peuvent se débattre en pleine lumière, on aura l’avantage d’en mieux saisir le caractère et la portée.

I

Il y a des contrées où l’on considère l’existence de partis politiques comme un danger pour l’état ; en Belgique, on croit au contraire que le régime représentatif n’est fécond que quand il existe des partis nettement tranchés. Cette division restera en effet une nécessité tant que le pouvoir ne sera pas infaillible, et aussi longtemps que le monde sera imparfait, il y aura des opinions différentes sur les meilleurs moyens d’améliorer ce qui existe. Jamais on ne supprimera les partis qu’au prix de la liberté.

Le régime parlementaire a essentiellement besoin pour vivre de discussions et de lumière ; dans le silence et les ténèbres, il languit et meurt. Qu’on ne s’effraie pas, si les dissidences se dessinent dans toute leur âpreté et si les opinions s’entre-choquent à grand bruit : c’est seulement à cette condition que la liberté peut s’implanter et durer. Il lui faut cet air vif et agité qui trempe les caractères et affermit les convictions. « Chez les peuples libres, dit Tocqueville, on ne gouverne que par les partis, ou plutôt le gouvernement, c’est un parti qui a le pouvoir. Le gouvernement y est d’autant plus puissant, persévérant, prévoyant et fort, qu’il existe dans le sein du peuple des partis plus compactes et plus permanens. » A défaut de principes généraux et de grands partis qui les défendent, les chambres législatives se divisent en de petites fractions qui représentent des intérêts de localité, des opinions isolées ou des prétentions individuelles qu’il faut satisfaire où endormir. Toute ambition personnelle est une voix avec laquelle il faut compter, ou qu’on espère séduire. Ne pouvant s’appuyer sur aucun groupe permanent d’adhésions dictées par la communauté des vues, le ministère est réduit à mendier des votes, à s’humilier devant qui lui résiste, à combler de faveurs qui le soutient, et à diminuer ainsi et lui-même et ceux auxquels il s’adresse. Les cabinets naissent alors au hasard, vivent au jour le jour de concessions et de faiblesses et tombent par surprise sans qu’on sache pourquoi, ainsi qu’on l’a vu souvent dans deux pays d’ailleurs si différens, en Espagne et en Hollande. Au contraire, quand deux partis nettement accusés sont en présence, les hommes qui gouvernent, sûrs d’une majorité tenue de les soutenir sous peine de défection, peuvent dédaigner les exigences individuelles pour imprimer à l’administration une marche ferme et pour ne s’occuper que de l’intérêt général. Les questions sur lesquelles on se divise sont si clairement posées qu’on ne saurait passer d’un parti dans un autre sans avouer qu’on était extrêmement ignorant, ou sans donner lieu de croire qu’on écoute son intérêt plus que sa conscience. Aussi faut-il en Belgique rendre cette justice aux deux partis en présence, que les défections politiques ont été très rares, toujours flétries par l’opinion, et mal accueillies par ceux-là mêmes qui en profitaient. Une lutte constante a porté si haut le niveau de la moralité des hommes publics des deux camps opposés, que jamais le moindre soupçon de corruption n’est venu effleurer le caractère de l’un d’eux. Loin donc de se plaindre de l’existence des partis, on s’accorde à reconnaître que c’est grâce à eux que le régime représentatif a réussi, et que la vie politique s’est répandue dans le pays.

Il n’y a en Belgique que deux partis, le parti libéral et le parti catholique. Le premier a toujours accepté son nom. Le second a longtemps répudié le sien pour essayer de s’emparer de celui de conservateur ; mais depuis qu’il a adopté le mot d’ordre de M. de Montalembert : « alliance de l’église et de la démocratie, » et qu’il a pris l’initiative de certaines réformes dites démocratiques, il ne prétend plus à ce titre, et il semble se résoudre à porter le nom que l’habitude lui a imposé. À première vue, ces désignations paraissent peu caractéristiques, car les partisans des deux opinions se proclament également très catholiques et très libéraux. Les catholiques soutiennent qu’ils sont les vrais représentans et les seuls défenseurs de la liberté, et ils traitent leurs adversaires de despotes. D’autre part, les libéraux déclarent qu’ils sont sincèrement attachés au catholicisme, et ils le prouvent en augmentant le salaire des ministres de ce culte et en prodiguant les subsides pour les églises, les presbytères et les séminaires ; mais si dans les deux camps on respecte également le catholicisme et la liberté, d’où vient cette lutte sans cesse plus ardente qui amène au scrutin jusqu’au dernier électeur valide[3] ? Est-ce, comme on l’affirme, l’effet d’un malentendu, la suite d’une équivoque ? On pourrait le croire, si le débat qui s’agite en Belgique entre catholiques et libéraux n’était pas au fond un simple épisode de la grande lutte engagée partout entre l’église, qui veut maintenir sa domination, et la société laïque, qui la repousse, une des phases principales de cette crise que traversent en ce moment les peuples catholiques[4]. Pour s’en convaincre, il suffit d’interroger l’histoire ; elle va nous montrer comment ces partis sont nés, quels sont leurs antécédens, leurs principes, et comment les libertés inscrites dans la constitution belge devaient inévitablement faire éclater leur hostilité.

Au XVIe siècle, tandis que la Hollande fonde son indépendance en adoptant la réforme, la Belgique, trahie par le clergé et par l’aristocratie, retombe sous le joug de l’Espagne. Alors commence une sombre période qui dure deux siècles. Les glorieuses communes du moyen âge perdent leur population, leur richesse et leur énergie ; le commerce, l’industrie périssent, l’agriculture même déclina : seuls, les couvens se multiplient et s’enrichissent. Tout mouvement littéraire ou scientifique fut comprimé, étouffé. Pendant qu’en Hollande tout un groupe de penseurs éminens se mettait à la tête de la rénovation des sciences et de la philosophie, en Belgique la vie intellectuelle était anéantie. Plongée dans un engourdissement mortel, elle restait entièrement étrangère au réveil des esprits qui signala le XVIIe et le XVIIIe siècle. Le clergé régnait en maître, et les jésuites dominaient le clergé. Pour donner une idée du régime de ce temps, il suffit de rappeler qu’un édit du 12 février 1739 prononçait la peine de mort et la confiscation des biens « contre tous ceux qui auraient osé composer, vendre ou distribuer quelques libelles ou écrits impugnant aucun point de notre sainte religion, » et que même en 1761 l’impératrice Marie-Thérèse était obligée de publier un décret pour s’opposer à la mise à exécution de l’index prononcé contre les œuvres de Bossuet, qu’on voulait partout livrer aux flammes. Un savant canoniste, professeur à l’université de Louvain, un prêtre, un saint, le seul écrivain de mérite de ce temps de complète stérilité, van Espen, était obligé de se retirer en Hollande à l’âge de quatre-vingts ans pour échapper aux persécutions que lui suscitait la compagnie de Jésus, parce qu’il avait osé défendre quelques-unes des libertés gallicanes.

Nulle part les principes ultramontains n’exerçaient un empire plus absolu que dans les provinces belges. Aussi l’on comprend avec quelle indignation, quelle fureur furent accueillies les réformes de Joseph II, imposées sans doute avec une précipitation despotique, mais toutes inspirées par l’esprit moderne : la proclamation de la tolérance et de l’égale admissibilité de tous les citoyens aux emplois, le mariage soustrait à l’arbitraire des tribunaux ecclésiastiques et transformé en contrat civil, la suppression des ordres contemplatifs, et d’autres mesures ayant pour but de relever le niveau de l’instruction du clergé inférieur, maintenu dans une dépendance complète et dans une ignorance profonde. L’archevêque de Malines condamna l’édit de tolérance, souleva le peuple et bénit les armes de l’insurrection. Ainsi donc, par un contraste qu’explique le passé, dans le même temps où la révolution française s’accomplit au nom de la raison pour renverser l’ancien régime, la révolution brabançonne se fait au nom de la théocratie pour repousser les réformes libérales d’un souverain philosophe, et, tandis que l’une est dirigée contre le clergé, l’autre est entreprise par et pour le clergé. On vit naître alors les deux partis qui se combattent encore aujourd’hui, l’un se ralliant autour de van der Noot, l’autre autour de Vonck ; celui-là s’appuyant sur les habitans des campagnes, soutenu par le clergé et n’ayant qu’un but, rétablir la domination de l’église ; l’autre, composé de la bourgeoisie éclairée, imbue des idées de l’époque et avide de réaliser les progrès qui fascinaient alors tous les esprits. Les armées autrichiennes n’étaient pas encore expulsées du territoire, et elles s’apprêtaient à le reconquérir que déjà le parti de van der Noot et du clergé se retournait avec fureur contre les vonckistes, dont l’appui leur avait été nécessaire pour repousser l’étranger. L’archevêque de Malines lance contre ceux-ci un mandement, puis une circulaire adressée à tous les curés, où les partisans des nouveautés sont menacés « de toute la colère du peuple brabançon indigné » et signalés à la vindicte publique. Un comité ecclésiastique dirigé par les jésuites se forme à Bruxelles, et les moines excitent le peuple au pillage comme au temps de la ligue.

La conquête française mit fin à ses dissensions, mais sans ébranler sérieusement l’influence du clergé. Son hostilité sourde contre le nouveau régime, longtemps domptée par une main de fer, se manifesta vers la fin de l’empire[5]. Les évêques belges se rangèrent dans l’opposition au concile de Paris, et en 1813 éclata à Gand une insurrection de séminaristes rappelant celle du séminaire de Louvain, qui avait été le signal de la révolution brabançonne. Quand, en 1815, la Belgique fut réunie à la Hollande, le roi Guillaume voulut donner à son royaume une charte garantissant les droits et les libertés qui forment la base de l’état moderne, la liberté de la presse, la liberté des cultes, l’égale admissibilité de tous les citoyens aux emplois. En consacrant ainsi toutes les conquêtes si chèrement payées de 1789, il crut sans doute mériter la reconnaissance de son peuple ; mais il rencontra encore une fois, devant lui l’opposition intraitable qui avait arrêté et perdu Joseph II. Tous les évêques de Belgique rédigèrent en commun et revêtirent de leurs signatures un jugement doctrinal qui condamnait la constitution si libérale de Guillaume et qui défendait d’y prêter serment. Ils fulminaient l’anathème contre ces nouveautés impies au nom des principes immuables de l’église. — Le jugement doctrinal expose si nettement la politique traditionnelle du clergé belge et jette tant de jour sur l’histoire des partis, qu’il est indispensable d’en donner d’assez longs extraits. Voici d’abord la condamnation des articles 190 et 191 de la constitution, qui garantissaient la liberté de conscience :


« Jurer de maintenir la liberté des opinions religieuses et la protection égale accordée à tous les cultes, qu’est-ce autre chose que de jurer de maintenir, de protéger l’erreur comme la vérité, de favoriser le progrès des doctrines anti-catholiques, de contribuer ainsi on ne peut plus efficacement à éteindre le flambeau de la vraie foi dans ces belles contrées ? L’église catholique, qui a toujours repoussé de son sein l’erreur et l’hérésie, ne pourrait regarder comme ses vrais enfans ceux qui oseraient jurer de maintenir ce qu’elle n’a jamais cessé de condamner. Il est notoire que cette dangereuse nouveauté n’a été introduite pour la première fois dans une église catholique que par les révolutionnaires de France, il y a environ vingt-cinq ans, et qu’à cette époque le chef de l’église la condamna hautement. « Les maux que nous déplorons, dit-il, ont été occasionnés par les fausses doctrines qu’on a répandues depuis longtemps dans une multitude d’écrits empoisonnés qui se trouvent dans les mains de tout le monde, et c’est afin que cette funeste contagion se propageât avec plus de hardiesse et de rapidité par le moyen de la presse, qu’une des premières opérations de l’assemblée nationale a été de décréter la liberté de penser ce qu’on voudrait en matière religieuse, d’exprimer librement et impunément ses opinions à cet égard… (Allocution du 29 mars 1790.) »


Après avoir repoussé l’égale admissibilité de tous aux fonctions publiques, la pièce que nous citons continue :


« Jurer d’observer et de maintenir une loi qui suppose que l’église catholique est soumise aux lois de l’état et qui donne au souverain le droit d’obliger le clergé et les fidèles à obéir à toutes les lois de l’état, c’est s’exposer manifestement à coopérer à l’asservissement de l’église catholique. C’est au fond soumettre, suivant l’expression de notre saint père le pape, la puissance spirituelle aux caprices de la puissance séculière. (Bulle du 20 juin 1809). »


Ce que les évêques réclamaient, c’est que, comme au moyen âge, l’église fût placée hors de l’état, au-dessus de l’état ; et que ses ministres fussent dispensés d’obéir aux lois. C’étaient en un mot l’abdication du pouvoir civil et l’anarchie. Ils ne peuvent admettre non plus que l’autorité laïque règle l’instruction publique qui leur appartient de droit divin ! « On ne peut leur en ôter la direction, disent-ils, sans soumettre la doctrine de la foi et toute la discipline ecclésiastique à la puissance séculière, sans renverser par conséquent tout l’édifice de la religion catholique. » — Le jugement doctrinal se termine ainsi :


« Il est encore d’autres articles qu’un véritable enfant de l’église ne peut s’engager par serment à observer et à maintenir, et dont l’urgence des circonstances ne nous permet pas de nous occuper en ce moment : tel est en particulier le 227e, qui autorise la liberté de la presse et ouvre la porte à une infinité de désordres, à un déluge d’écrits anti-chrétiens et anti-catholiques. Il nous suffit d’avoir prouvé que la nouvelle loi fondamentale contient plusieurs articles opposés à l’esprit et aux maximes de notre sainte religion, et qui tendent évidemment à opprimer et à asservir l’église de Jésus-Christ ; par conséquent il ne peut être permis aux fidèles catholiques de s’engager à les observer. »


L’influence de l’épiscopat était si grande, et l’effet produit par ce manifeste si général, que la nouvelle charte, sans contredit la plus libérale de l’époque, fut rejetée au sein de l’assemblée des notables à laquelle elle était soumise par 796 voix contre 527. L’opposition du clergé persista pendant toute la durée du règne de Guillaume, prince protestant et descendant du Taciturne ; elle s’aigrit surtout quand la loi organique de l’enseignement eut exigé un examen de tous ceux qui voulaient ouvrir une école et après que le gouvernement eut établi à Louvain un collège philosophique où les jeunes clercs devaient passer quelque temps avant d’entrer dans les séminaires des évêques. Guillaume, comme Joseph II, voulait que les ecclésiastiques ne demeurassent point complètement étrangers aux lumières et aux idées de leur temps. Il souleva les mêmes colères et les mêmes résistances. Malheureusement, se défiant trop de la liberté, il s’aliéna, par de maladroites tentatives de compression, un groupe d’hommes éclairés, actifs, énergiques, dévoués aux idées modernes et avides de progrès, sur lesquels il eût dû s’appuyer. L’union des catholiques et des libéraux, — les deux partis portaient déjà ce nom, — provoqua la révolution et détermina la chute du gouvernement hollandais.

Vers cette époque, momentanément entraîné par un courant nouveau loin des traditions du passé, le clergé belge s’était épris des idées d’un prêtre de génie qui, après avoir exalté l’omnipotence papale, avait préconisé la séparation de l’église et de l’état et démontré avec une conviction ardente et une brillante éloquence que, pour accomplir ses glorieuses destinées, le catholicisme devait repousser toute alliance avec l’absolutisme et n’avoir foi qu’en la liberté. Les ecclésiastiques et les catholiques qui en 1830 siégèrent au congrès rivalisèrent avec les libéraux pour prodiguer à la jeune nation toutes les libertés. C’est ainsi que naquit la constitution belge du souffle libéral de Lamennais ; on peut dire qu’elle est en grande partie son œuvre, car sans son influence le clergé eût sans doute fait prévaloir les principes du jugement doctrinal et les maximes traditionnelles de l’église. Bientôt en effet, dans la fameuse encyclique de 1832, le souverain pontife, invoquant la doctrine invariable du catholicisme, condamna hautement les nouveautés téméraires de Lamennais, et par suite les articles de la constitution belge qui les avaient consacrées.


« De cette source empoisonnée de l’indifférentisme, — ainsi par le Grégoire XVI du haut du Vatican, — découle cette maxime fausse et absurde, ou plutôt ce délire (seu potius deliramentum), qu’il faut assurer et garantir à chacun la liberté de conscience (libertatem conscientiœ), erreur des plus contagieuses, laquelle aplanit la voie à cette liberté absolue et sans frein des opinions qui, pour la ruine de l’église et de l’état, va se répandant de toutes parts, et que certains hommes, par un excès d’imprudence, ne craignent pas de représenter comme avantageuse à la religion. Mais, disait saint Augustin, qui peut mieux donner la mort à l’âme que la liberté de l’erreur ?…

« A cela se rattache cette liberté très funeste, très détestable, et dont on ne peut avoir assez d’horreur (nunquam satis execranda), la liberté de la presse, que quelques-uns osent solliciter et étendre partout avec tant de bruit et d’ardeur… La discipline de l’église fut bien différente dès le temps même des apôtres, que nous lisons avoir fait brûler publiquement une grande quantité de mauvais livres. Il suffit de parcourir les lois rendues sur ce sujet dans le cinquième concile de Latran et la constitution qui fut donnée depuis par Léon X, notre prédécesseur, d’heureuse mémoire. « Il faut combattre avec force, dit Clément VIII, notre prédécesseur, d’heureuse mémoire, dans ses lettres encycliques sur la proscription des livres dangereux, il faut combattre avec force, autant que la chose le demande, et tâcher d’exterminer cette peste mortelle, car jamais on ne retranchera la matière de l’erreur qu’en livrant aux flammes les coupables élémens du mal (nisi pravitatis facinorosa elementa in flammis combusta depereant)…

« Nous n’aurions à présager rien d’heureux pour la religion et pour les gouvernemens en suivant les vœux de ceux qui veulent que l’église soit séparée de l’état et que la concorde mutuelle de l’empire et du sacerdoce soit rompue, car il est certain que cette concorde, qui fut toujours si salutaire aux intérêts de la religion et à ceux de l’autorité civile, est redoutée par les partisans d’une liberté effrénée. »


Cet imposant arrêt du juge infaillible des doctrines anéantit le beau rêve d’une alliance féconde entre le catholicisme et la liberté. Devant la décision du souverain pontife, Lamennais se redressa, et, fidèle à la liberté, rompit définitivement avec Rome. M. de Montalembert et Lacordaire s’inclinèrent, gardant toutefois, à l’abri d’une obéissance bien souvent voisine de la révolte, quelques-unes de leurs vieilles et chères illusions. Quant au clergé belge, il renonça d’autant plus facilement à des erreurs condamnées par le Vatican, que, pour revenir aux idées ultramontaines, il lui suffisait de rentrer dans la voie suivie de tout temps par l’épiscopat de son pays ; mais ce changement de front devait rendre inévitable une lutte entre les partisans de l’ancien régime, dociles à la voix de l’église, et les défenseurs des idées nouvelles, décidés à en poursuivre l’application. Cependant l’union entre catholiques et libéraux sembla persister aussi longtemps que la paix définitive avec la Hollande ne fut pas conclue. L’opposition de principes qui les divisait ne commença d’éclater que vers 1840. Jusqu’alors, le nom des deux partis n’était guère prononcé dans les débats parlementaires, et des hommes appartenant aux deux nuances avaient été fréquemment associés dans un même cabinet. Un recueil qui parut vers ce temps, la Revue nationale, vint préciser le sens de la lutte qui s’engageait. Le représentant qui la dirigeait, écrivain distingué, homme d’un caractère antique et d’un esprit élevé, M. Paul Devaux, exposa les raisons d’être du parti libéral, les dangers qu’il devait conjurer et les principes qu’il avait à défendre. La théorie faite, ce parti se trouva constitué, et depuis vingt-cinq ans il n’a cessé de combattre, avec des chances diverses, sur le même terrain, pour les mêmes idées, presque avec les mêmes argumens.

Cet exposé historique démontre jusqu’à l’évidence qu’en Belgique le clergé est une puissance politique habituée, depuis le XVIe siècle, à dominer l’état, assez habile pour s’emparer des souverains qui lui cèdent, assez forte pour renverser ceux qui lui résistent, et toujours religieusement soumise aux volontés de Rome. Ayant dans tout le pays les plus profondes racines, une telle puissance devait faire surgir un parti, et ce parti, quelque nom que prennent ceux qui le représentent, ou quelque langage qu’ils tiennent, doit s’appeler le parti catholique, puisqu’il n’existe que par l’église et pour défendre ses intérêts. Il se compose encore, comme au temps de la révolution brabançonne, des élémens énumérés un peu irrévérencieusement par le gouverneur des Pays-Bas autrichiens, écrivant à l’empereur Léopold : « l’aristocratie, les prêtres, les moines, la populace, et le gros de la nation, qui n’est ni démocrate ni aristocrate, mais qui s’enflamme aux insinuations fanatiques des prêtres. »

Le parti catholique se proclame le vrai parti national et il n’a pas tort, en ce sens qu’il exerce depuis des siècles une influence prépondérante sur la masse de la nation et qu’il est intimement lié à ses traditions historiques. Le parti libéral, pour lui résister, doit demander ses titres aux lointains souvenirs des communes du moyen-âge ou aux principes de la réforme et de la révolution française, c’est-à-dire au droit abstrait et à la raison. Depuis cinquante ans, le mouvement naturel des esprits qui pensent, l’action des conventionnels réfugiés à Bruxelles durant la restauration, la réimpression fréquente des philosophes du XVIIIe siècle, la diffusion des lumières, les avantages de la liberté, toutes ces causes et d’autres encore ont fait pénétrer les idées de 1789 dans la bourgeoisie qui travaille et qui lit. Toutes les villes sont acquises à l’opinion libérale ; mais la grande majorité du peuple et de la noblesse y est restée étrangère ou hostile. Dans les campagnes, où comme toujours les traditions du passé se maintiennent le plus longtemps, la masse des habitans est, il est vrai, satisfaite du régime actuel ; mais, trop peu soucieuse des libertés qu’elle consacre, ignorante et ne lisant pas, elle obéit à la voix respectée du curé. Quant aux classes aristocratiques, elles sont instinctivement effarouchées par des institutions trop libres ; elles regrettent leurs privilèges d’autrefois, ou du moins elles croient voir dans la prépondérance du parti libéral une transition à des tendances plus avancées, un invincible entraînement vers un avenir qu’elles redoutent.

Maintenant que l’histoire nous a expliqué l’existence du parti catholique, il faudrait voir quelles sont ses doctrines, son but, ses aspirations ; mais il n’est point facile de le faire parce que les organes officiels de cette opinion, ses représentans au parlement, n’expriment point les principes du clergé qui assure leur élection. Ils savent très bien qu’en les formulant à la tribune ils perdraient la cause qu’ils ont mission de défendre. Ce qu’on leur demande, ce n’est pas qu’ils exposent les idées, mais qu’ils favorisent les intérêts et la domination de l’église. Ils sont donc amenés, sans qu’on leur en veuille du reste, à déguiser, à désavouer parfois cet ensemble de vœux, de prétentions, de théories qui remplissent chaque jour les feuilles de l’épiscopat, mais dont ils craignent eux-mêmes l’exagération et blâment l’inopportunité. M. Guizot, s’occupant ici même des affaires intérieures de la Belgique, faisait remarquer qu’il n’avait trouvé dans les discours des orateurs du parti catholique « nul esprit de violence et de réaction hostile aux tendances comme aux principes de la société moderne[6]. » Cette remarque est fondée. Pendant une discussion récente à la chambre des représentans, tous les membres de ce parti ont proclamé leur attachement à la constitution ; non contens des libertés qu’elles consacrent, ils ont même découvert deux libertés nouvelles qu’ils accusent leurs adversaires de refuser au pays : la liberté de constituer des personnes civiles, des fondations pour exercer la charité, et la liberté de supprimer ou de réduire la concurrence que les écoles communales et les universités de l’état font aux institutions du clergé. Ils ont été plus loin encore : dans un programme ministériel soumis naguère à l’approbation royale, ils ont proposé d’étendre le droit de voter en attendant le suffrage universel. Ce serait donc injustement, semble-t-il, qu’on les accuserait d’être rétrogrades ; on pourrait dire plutôt qu’ils ne sont pas même conservateurs. D’où viennent donc alors les incurables défiances et l’hostilité ardente qu’ils soulèvent dans une grande partie de la nation ? Sont-ce, comme on le dit, quelques ambitieux qui, pour obtenir ou pour garder le pouvoir, épouvantent les populations abusées en les menaçant du retour impossible de l’inquisition ou de la dîme et en évoquant sans cesse devant elles le spectre noir ?

Il n’est que juste d’écouter comment les représentans du parti libéral expliquent leur attitude. Vous protestez de votre attachement aux libertés modernes, disent-ils à leurs adversaires, et nous n’avons ni le désir, ni le droit de mettre votre sincérité en doute, quoique nous remarquions que vos amis, qui demandent la liberté là où ils sont en minorité, la refusent partout où ils sont les maîtres et la déclarent impossible dans l’état modèle, à Rome ; mais il ne s’agit point de vos sentimens personnels. Ce qui nous préoccupe, ce sont les principes de ceux qui vous patronnent et vous font nommer. Or il est avéré que sans l’appui du clergé Vous ne seriez pas dix, pas cinq au sein du parlement, car par vous-mêmes vous ne représentez rien ; si vous étiez des conservateurs, vous ne proposeriez pas sans cesse des innovations, et si vous étiez les amis sincères du progrès, vous seriez avec nous, ou nous serions avec vous. Acceptant le patronage du clergé, élus par son influence, vous êtes tenus de favoriser sa domination que vous devez d’ailleurs trouver très désirable pour le bien du pays. Ainsi vous serez ses instrumens inavoués, mais dociles, ou vous serez abandonnés, brisés par lui. Il est évident que qui dispose des électeurs saura toujours trouver des hommes prêts à réaliser ses vœux et ses volontés : si vous vous y refusez, d’autres vous remplaceront. Donc, ce que nous redoutons, c’est l’accroissement de l’influence du clergé en matière politique, parce que nous savons qu’il est hostile aux principes de la civilisation moderne et qu’il ne peut pas ne pas l’être. Tous ses membres en effet, depuis le plus humble vicaire de village jusqu’au primat de Malines, ont abjuré à jamais les erreurs de Lamennais, les illusions de Lacordaire et les révoltes du gallicanisme. Tous sont les fils obéissans et soumis de l’église romaine, tous par conséquent condamnent ce qu’elle a condamné. Or n’a-t-elle pas formellement déclaré par la bouche infaillible de son chef qu’entre ses doctrines et celles de la civilisation moderne il y a incompatibilité absolue ? Sans rappeler l’encyclique de Grégoire XVI, le jugement doctrinal de l’épiscopat belge et tous les canons que ces pièces importantes invoquent, Pie IX n’a-t-il pas montré que cette opposition est aussi essentielle que celle des ténèbres et de la lumière ? Il est nécessaire de citer les paroles mêmes qu’il a prononcées dans l’allocution du 18 mars 1861, parce qu’elles tranchent le débat :


« Déjà depuis longtemps nous voyons, vénérables frères, par quelle déplorable lutte née de l’incompatibilité des principes entre la vérité et l’erreur, entre la vertu et le vice, entre la lumière et les ténèbres, la société civile, en nos temps malheureux, est plus que jamais jetée dans le trouble. Les uns soutiennent certains principes qu’ils appellent les principes de la civilisation moderne, les autres défendent les droits de la justice et de notre sainte religion. Les premiers demandent que le pontife romain se réconcilie et fasse alliance avec ce qu’ils nomment le progrès, le libéralisme, la civilisation moderne ; les seconds réclament à bon droit pour que les principes immuables de l’éternelle justice. soient gardés inviolables dans leur intégrité… Mais cette opposition, les patrons de la civilisation moderne ne l’admettent pas, car ils affirment qu’ils sont les amis vrais et sincères de la religion. Quant à ceux qui nous invitent, pour le bien de la religion, à tendre la main à la civilisation moderne, nous leur demanderons si, en présence des faits dont nous sommes témoins, celui que le Christ a divinement constitué son vicaire sur la terre pour maintenir la pureté de sa doctrine pourrait, sans gravement blesser sa conscience, sans devenir pour tous un objet de scandale, faire alliance avec cette civilisation moderne d’où viennent tant de maux déplorables, tant de détestables opinions, tant d’erreurs et tant de principes absolument contraires à la religion catholique et à sa doctrine ? Cette civilisation, qui va jusqu’à favoriser des cultes non catholiques, qui n’écarte même pas les infidèles des emplois publics, et qui ouvre les écoles catholiques à leurs enfans, se déchaîne d’autre part contre les instituts fondés pour diriger les écoles catholiques, contre les communautés religieuses. »


Pie IX, en condamnant ainsi la liberté de penser, l’égalité des cultes et les bases mêmes des constitutions contemporaines, ne fait que répéter ce que disait Bossuet : « Le prince doit employer son autorité pour détruire dans son état les fausses religions. Ceux qui ne veulent pas que le prince use de rigueur en matière de religion, parce que la religion doit être libre, sont dans une erreur impie. »

Supposons maintenant que les vœux du parti catholique soient remplis : le parlement ne renferme plus que des membres nommés par l’influence du clergé et disposés par conséquent à accomplir ses volontés ; toute opposition a disparu, l’église triomphe. Quelles seront alors les institutions données au pays, et quelle part y sera faite à la liberté ? Évidemment on rétablira ce qu’on appelle à Rome le régime de l’état chrétien ; la liberté du bien sera absolue, la liberté du. mal nulle, et le moyen-âge renaîtra. Les journaux catholiques l’avouent avec la plus louable franchise[7], la constitution actuelle n’est tolérée qu’à cause de la dureté des temps, Si l’on veut se faire une idée des lois qui la remplaceraient, on n’a qu’à considérer celles que l’église impose par le moyen des concordats aux états où les catholiques sont les maîtres et où les résistances libérales sont complètement vaincues. Prenons les derniers concordats conclus par Pie IX en avril 1863 avec la république de l’Equateur et cette année même avec celles de Nicaragua et de San-Salvador. La liberté des cultes et des associations est supprimée. « On ne pourra jamais permettre l’exercice d’aucun culte ni l’existence d’aucune association qui auraient été condamnés par l’église (art. 1). » La liberté de la presse, « cette peste, ce délire, » comme l’appelait Grégoire XVI, est également supprimée. « Les évêques et les ordinaires exerceront avec une pleine liberté le droit qui leur appartient de proscrire les livres contraires aux mœurs ou à la religion. Le gouvernement prendra les mesures nécessaires pour empêcher la circulation de pareils livres (art. 3). » La liberté d’enseignement n’est pas plus épargnée : « aucun maître ou professeur ne pourra enseigner sans l’approbation de l’évêque diocésain (article 4). » Les tribunaux ecclésiastiques sont rétablis, ils connaissent seuls de tout ce qui concerne les mariages, la foi, les mœurs, les sacremens, etc. « Dans tous les jugemens rendus par les ecclésiastiques, le magistrat civil en assurera l’exécution, ainsi que l’infliction des peines édictées, par tous les moyens en son pouvoir (art. 8). » Les dîmes, « cette institution catholique, » et le droit d’asile, qui protège les criminels réfugiés dans les églises, seront conservés (art. 10 et 11). Tous ordres et communautés pourront s’établir librement, et « le gouvernement prêtera son appui à de pareilles œuvres (art. 20). » Les concordats conclus récemment avec d’autres états d’Amérique, avec l’Espagne, avec l’Autriche[8], renferment des stipulations plus ou moins semblables à celles-ci. Les exigences du saint-siège étaient et devaient être les mêmes, puisqu’elles sont fondées sur ce qu’il nomme ses droits imprescriptibles ; seulement le pouvoir civil n’y a pas partout également cédé.

Ainsi il est certain que l’église condamne les libertés modernes ; il est encore certain que là où le pouvoir civil cesse de résister, elle en impose l’abrogation ; il semble donc certain aussi que le jour où en Belgique elle aura rempli les chambres législatives de ses partisans dévoués, elle fera donner à ce pays des institutions conformes à l’idéal qu’elle poursuit. C’est pour éloigner ce moment que le parti libéral combat l’influence grandissante du clergé en matière politique et qu’il lutte contre tous ceux qui la favorisent., La défense de la liberté et de la constitution qui la consacre, voilà sa seule raison d’être.

Nous venons d’indiquer quelle est au fond la série d’argumens que les libéraux adressent à leurs adversaires dans leurs journaux et au sein du parlement. Il faut voir maintenant si leurs appréhensions ne sont pas exagérées, et quels sont les principaux points d’application immédiate sur lesquels les partis se divisent.


II

Quand on veut remonter aux causes dernières des débats humains, c’est toujours dans le monde des idées qu’il faut s’élever. Si vous voyez des partis qui se combattent, soyez sûr qu’ils représentent deux doctrines qui s’excluent. Toutes les grandes poésies, Job, l’Iliade, le Paradis perdu, Faust, avant de dérouler le tableau des luttes terrestres, nous font assister à celles des puissances célestes. Sous le nom des deux partis que nous voulons faire connaître, deux systèmes philosophiques sont aux prises, l’un niant, l’autre affirmant les forces naturelles de la raison humaine, le premier menant logiquement à la théocratie, le second à la liberté.

Le premier dit : Il n’existe qu’une société véritable, la société spirituelle, c’est-à-dire l’accord des hommes sur certaines idées vraies d’après lesquelles se régleront les droits et les devoirs. La société civile n’est possible qu’en s’appuyant sur la société spirituelle, lien commun des esprits dans la vérité. La société spirituelle domine donc la société civile, et les règles de celle-ci doivent découler directement des lois immuables de celle-là. Mais qui tracera ces règles, qui déclarera ces lois ? Évidemment celui qui possède la vérité et qui connaît le juste. Le souverain légitime ne sera donc pas la raison humaine, car aucune loi fixe ni partant aucune société civile régulière ne peut sortir d’opinions individuelles toujours variables. Il faut pour base au droit l’idée de justice clairement perçue. Or la raison est incapable d’arriver par elle-même à la possession des idées du vrai et du juste : la révélation est donc nécessaire ; mais si la révélation est nécessaire pour donner à l’homme les notions du vrai, du bien et du juste, base et objet de l’état, il s’ensuit que l’état a sa racine, non dans la raison humaine, mais dans la révélation divine que l’église a conservée et manifeste perpétuellement par son organe infaillible, la papauté. Le souverain légitime des états et de l’humanité est donc le chef de la société spirituelle, c’est-à-dire le représentant de la Divinité, le pape. Que l’état se soumette à l’église, et le pouvoir laïque au clergé, ou sinon il s’abîme dans l’anarchie. Cette doctrine, qui, pour donner un fondement solide à la puissance ecclésiastique, dénie à la raison la force de s’élever par elle-même à la connaissance de la vérité, a été celle de l’église depuis le moyen âge ; elle est la racine même du parti catholique, et elle a été enseignée par l’université catholique de Louvain avec tant de crudité, que les jésuites ont cru devoir protester, et que le pape lui-même n’a pu donner une complète approbation.

Le second système, celui sur lequel s’appuie le parti libéral, admet que la base de l’état est la notion clairement perçue du juste et du bien ; mais il soutient qu’en dehors de toute révélation la raison, intérieurement fortifiée par cette lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde, peut s’élever à la possession de ces notions, et devient ainsi capable, dans sa pleine indépendance et dans sa légitime souveraineté, de constituer et de régir la société civile. Entre ces deux systèmes, il n’y a point de milieu. Ou bien la raison humaine ne peut arriver au vrai que par la tradition, par la révélation, et alors le pouvoir civil reste soumis à la haute direction de l’église, et la constitution imposée par le souverain pontife à la république de l’Equateur et maintenue à Rome est l’idéal des sociétés, ou bien la raison, naturellement unie à Dieu, peut conquérir la vérité, et alors le pouvoir laïque est indépendant et doit conserver son indépendance.

L’opposition de ces deux doctrines a éclaté en Belgique principalement au sujet de deux questions d’application qui ont toujours divisé les partis et passionné les esprits : la question des couvens et celle de l’enseignement. Il sera nécessaire d’en dire ici quelques mots. De la solution dépend en grande partie l’avenir du pays, car au moyen des couvens on peut agir sur les générations actuelles et au moyen de l’enseignement s’emparer des générations avenir.

Dès le moyen-âge, le pouvoir civil a vu avec inquiétude la multiplication des couvens et les envahissemens de la mainmorte. En Belgique, les souverains les plus dévoués à l’église, Charles-Quint, Philippe II, Marie-Thérèse, publient des édits qui défendent aux corporations religieuses d’acquérir des biens sans une autorisation préalable, accordée seulement aux congrégations jugées utiles et qui n’étaient point trop riches déjà, Joseph II et plus tard la révolution allèrent plus loin : ils supprimèrent les couvens, et le code civil français, en vigueur en Belgique, a pris les précautions en apparence les mieux entendues pour empêcher le rétablissement de la mainmorte. Les abus inséparables de ce genre d’institutions doivent être bien grands pour que des états essentiellement catholiques comme l’Espagne et le Portugal les aient radicalement extirpées au point qu’on ne voit plus de moines dans ces pays, où ils ont si longtemps régné en maîtres. En Belgique, au contraire, l’étranger est frappé du nombre incroyable de religieux et de religieuses de toute couleur et de tout costume qu’il rencontre dans les villes et sur les chemins de fer. La multiplication des couvens est vraiment prodigieuse, et l’on conçoit que les âmes pieuses y voient une preuve manifeste de l’intervention divine. En 1830, on comptait 251 corporations avec 3,645 membres ; en 1846, il y avait déjà 11,968 religieux et religieuses, c’est-à-dire juste autant que sous l’ancien régime. En 1856, le recensement officiel constate un nouvel accroissement : on trouve 993 congrégations avec 14,630 personnes, et en 1864 le chiffre des couvens dépasse 1,200, c’est-à-dire qu’on en rencontre plus d’un par deux communes. Tout village un peu aisé a le sien, et les villes en comptent jusqu’à 20 et 30. Comme on le faisait remarquer naguère au sein du parlement belge, le couvent est toujours le monument le plus somptueux[9] de la localité où il s’établit. À en juger par l’apparence, les richesses des congrégations doivent être grandes. Les réclamations fréquentes des familles font voir que ces maisons reçoivent des millions par donation et par testament ; seulement on ne peut plus, comme autrefois, contrôler la fortune des gens de mainmorte, parce qu’ils ne gardent que le moins possible en immeubles. Ils placent leur argent en actions au porteur, et comme ils ont parmi ceux qui les protègent des financiers habiles qui savent opérer le miracle, très goûté de nos jours, de la multiplication des millions, ils tirent de leur avoir un revenu de 7 à 20 pour 100. Un procès récent ayant fait pénétrer l’œil sévère de la justice au fond d’un couvent de bénédictins der l’ordre du Mont-Cassin, on a pu se convaincre que la bibliothèque était remplacée par un coffre-fort garni de valeurs mobilières de toute sorte. Avec la richesse ont reparu ces fautes, ces vices qui avaient perdu le monachisme dans l’opinion avant 89. À chaque instant, des religieux sont condamnés pour des méfaits sans nom, et les ordres les plus rigoureux, où l’abstinence et l’ascétisme poussés aux dernières limites sembleraient devoir éteindre ces coupables ardeurs, ne sont pas à l’abri du mal, qui étend ses ravages jusque dans les cloîtres muets de la Trappe.

En voyant ainsi les couvens se multiplier et s’enrichir, on s’est longtemps demandé comment ils pouvaient reconstituer la mainmorte sur une si vaste échelle, en dépit du code civil, qui l’interdit[10]. Aujourd’hui, à la suite de nombreux procès, le mystère est révélé, et l’on est au fait de tant d’ingénieuses subtilités employées pour passer à travers les mailles serrées du code. Voici par quelle habile combinaison d’actes conformes à la loi on parvient chaque jour la violer. Les membres des corporations signent à leur entrée au couvent un contrat de société par lequel ils déclarent mettre leurs biens en commun, avec la stipulation que la part de l’associé prémourant passera au survivant. Une société civile d’une durée illimitée est ainsi constituée, et, quand le nombre des associés est réduit à deux ou trois, ceux-ci ont soin de s’en adjoindre de nouveaux, de manière que la mainmorte perpétuelle se trouve rétablie. Pour se garantir des réclamations des familles, on a recours à d’autres précautions. La communauté fait faire à chaque religieux un testament par lequel il donne ce qui peut lui rester à tels ou tels membres de la congrégation, et les institués font à leur tour des testamens rédigés dans le même sens. Mais un père, une mère pourraient avoir droit à une légitime ; une dernière garantie est prise contre ceux-ci : ce sont des actes de vente sous seing privé avec le nom des acquéreurs et la date en blanc qu’on peut régulariser au besoin après décès, si cela devenait nécessaire. Le contrat de société, le testament, l’acte de vente, forment ainsi tout un arsenal d’armes défensives où l’on choisit, selon les circonstances, celles dont l’emploi présente le moins de danger et le moins de droits à payer au fisc. Les procès intentés par les héritiers sont rares parce que ceux-ci savent d’avance qu’ils les perdront, tant toutes ces pièces sont bien en règle. Si quelquefois on met les scellés, les associés représentent comme seuls biens du défunt son froc ou son bréviaire, et ils font serment qu’ils ne lui connaissent pas d’autres propriétés, ce qui est vrai, puisque le couvent vient d’hériter de toutes celles qu’il possédait. On a prévu aussi des cas difficiles, douteux, et pour y aviser un conseil se réunit périodiquement à l’évêché[11]. Composé de chanoines et d’hommes de loi habiles et discrets, il a pour unique mission de trouver les meilleurs moyens d’éluder la loi. Le régime nouveau présente d’ailleurs pour l’accroissement des richesses des communautés plusieurs avantages que leur refusait l’ancien régime. Elle sont complètement soustraites à la surveillance de l’autorité ; elles n’ont pas besoin d’autorisation pour acquérir ; les placemens mobiliers leur forment une fortune invisible, insaisissable et d’un très grand rapport ; enfin, tandis qu’autrefois celui qui entrait en religion renonçait à l’héritage de la famille en vertu de cet axiome juridique : « religieux ne succèdent ni le monastère pour eux, » aujourd’hui il vient prendre sa part pour la verser dans la caisse du couvent, qui hérite partout et toujours, et dont nul n’hérite plus.

Mais ces avantages si considérables n’ont point paru suffisans au parti catholique. Il veut restituer la personnification civile aux communautés soit directement, soit par une voie détournée, afin qu’elles puissent joindre aux avantages du droit commun ceux du privilège. Déjà, en 1830, l’archevêque de Malines demandait au congrès qu’il voulût bien « assurer aux associations des facultés pour acquérir ce qui est nécessaire à leur existence. » En 1857, une loi fut présentée qui aurait satisfait à ce vœu ; mais elle souleva dans tout le pays une appréhension et une opposition si vives qu’elle fut retirée. Enfin, en 1863, le président du congrès de Malines, M. de Gerlache, le premier magistrat du royaume et l’un des hommes les plus considérables de son parti, donnait comme mot d’ordre à ce grand concile laïque cette parole de défi : « Oui, il nous faut des couvens ! »

La question de l’enseignement est plus importante encore. Les auteurs de la constitution belge, convaincus que sans l’intervention des pouvoirs publics, état ou commune, l’enseignement serait détestable, décidèrent que ces pouvoirs auraient à s’en charger. Comme, d’autre part, la constitution avait séparé l’église de l’état, il en résultait que la direction de l’instruction publique devait être, comme en Hollande, exclusivement laïque ; mais c’est ce que ne peut admettre le clergé catholique, qui prétend que la haute direction de l’enseignement lui appartient de droit divin, en vertu de la mission que Jésus-Christ lui a donnée, ainsi que le montre très bien le Jugement doctrinal de 1815. Quand, en 1842, une loi fut proposée pour régler l’enseignement primaire, l’évêque de Liège exposa les droits de l’église, ajoutant que, si on n’y avait pas égard, le clergé rendrait l’exécution de la loi impossible et au besoin soulèverait le pays contre elle. Ces menaces produisirent leur effet, et la loi fut faite de manière à satisfaire l’épiscopat. Quand, plus tard, un ministère libéral s’occupa d’organiser l’enseignement moyen, l’opposition de l’épiscopat prit un caractère plus violent, et il lança un manifeste pour condamner la loi qui ne répondait pas à ses exigences. Depuis lors, le clergé n’a cessé d’attaquer les établissemens publics dans le confessionnal et du haut de la chaire. Le thème du parti catholique est que le pouvoir civil, état ou commune, ne pouvant avoir de doctrines religieuses, est incapable d’enseigner, et qu’en outre le principe de la liberté d’enseignement ne permet pas qu’il fasse concurrence aux établissemens privés. Il faut donc, suivant ce parti, que l’instruction publique soit placée sous le contrôle de ce qu’il nomme l’autorité ecclésiastique, en attendant que les institutions de l’état et de la commune cèdent la place aux écoles de tout degré que les jésuites et les autres congrégations ouvrent de tous côtés, et qui ne tarderont pas à suffire, affirme-t-on, aux besoins des populations.

La multiplication illimitée des couvens transformés en personnes civiles avec les droits et sans les entraves de l’ancien régime, et l’enseignement complètement abandonné aux mains des communautés, tels sont donc les vœux du parti catholique, et ils ont été formulés récemment encore au congrès de Malines en deux articles adoptés aux applaudissemens unanimes de cette importante assemblée. C’est pour défendre le terrain conquis en 1789 contre cette restauration du moyen âge que le parti libéral s’est constitué et qu’il combat. On lui a reproché de ne pas faire assez pour le progrès. Le reproche n’est pas tout à fait fondé, puisqu’il s’efforce de répandre les lumières qui rendent tout progrès possible et légitime ; mais il est vrai que ce parti est avant tout négatif et conservateur. Il est facile d’en donner la raison. Dans les pays constitutionnels, il y a généralement deux partis, le parti du mouvement et le parti de la résistance, l’un voulant améliorer et l’autre conserver ce qui existe. Semblables aux deux forces opposées dont la résultante tient les mondes en équilibre dans leur orbite, ils maintiennent debout et font avancer les gouvernemens libres. Or, en Belgique, le parti du mouvement n’existe pas et n’a pu naître ; il a dû se réduire à n’être que conservateur, parce qu’il y a un autre parti, aussi puissant que lui, qui veut rétrograder. Il ne s’agissait pas de savoir si l’on marcherait en avant et par quelle voie l’on cheminerait, il fallait s’assurer d’abord qu’on ne marcherait pas en arrière.

La théorie philosophique qui forme le manifeste du parti catholique et les desseins qu’il avoue, ou qu’on lui connaît, justifient déjà les alarmes et les résistances du parti libéral. On les comprendra mieux encore quand on aura vu que l’adversaire qu’il lui faut combattre n’est autre que l’église elle-même, descendant dans l’arène tout entière depuis son auguste chef jusqu’à son plus humble ministre, avec toutes les armes et toute la puissance que lui donnent son ubiquité, son autorité sacrée et les sentimens pieux des populations belges.

Le clergé s’habitue avec peine au régime moderne, dont pourtant il a su tirer un si merveilleux parti, et dont il recueille tous les avantages. Il n’admet comme légitime que la liberté du bien ; la liberté du mal, en d’autres termes celle des hommes qui ne pensent pas comme lui, le blesse et l’irrite. Ses livres, ses souvenirs, Rome enfin, où il voit son idéal réalisé, lui montrent un ordre meilleur et plus conforme aux dogmes de sa foi. Cet ordre, il désire en doter son pays. Il veut donc de toute la force de ses convictions le triomphe de la religion, c’est-à-dire la domination du clergé. Pour l’assurer jadis dans les états despotiques, il fallait s’emparer du souverain par le confessionnal ; aujourd’hui il faut se rendre maître des chambres par l’élection. Le but est le même, mais l’arme est changée. C’est ainsi que le prêtre a été amené à se lancer à corps perdu dans l’arène des luttes électorales. D’abord la liste des candidats est arrêtée à l’ombre de l’évêché, puis les évêques eux-mêmes interviennent et publient un mandement, lu tous les dimanches au prône, dans lequel ils déclarent que la religion est en danger, que les vrais catholiques doivent voter avec leur curé, et qu’ils sont obligés en conscience d’employer tous les moyens pour faire triompher leur cause. Parfois même le pape apporte dans la lutte le poids de sa parole vénérée, en déclarant « qu’il ne peut contenir sa douleur à la vue des dangers qui menacent le catholicisme en Belgique (juin 1850). » Comme les populations sont restées très attachées à leur culte, dont elles accomplissent scrupuleusement les pratiques, l’effet de ces publications tombant de si haut est immense. Dans les villages, dans les villes, le sermon dominical est consacré à les commenter, à les faire pénétrer dans les âmes, à les appliquer aux adversaires qu’il faut renverser. Le confessionnal est une arme non moins puissante que la chaire, mais on l’emploie surtout pour agir sur les femmes. Comme, malgré leur activité inouïe et leur infatigable dévouement, les prêtres ordinaires des paroisses ne peuvent suffire à toutes les courses, à tous les soins de la croisade, les séminaires leur envoient un nombreux renfort de jeunes missionnaires qui apportent à l’œuvre commune les ardeurs et les violences de leur âge. Ils vont visiter les électeurs, ils s’efforcent de les entraîner, et s’il en est qui résistent, ils s’adressent à leur femme, à leurs filles, ils montrent à celles-ci l’église irritée refusant au malheureux qui lui désobéit ses secours, ses sacremens, ses dernières consolations, son cimetière béni, et comme dernier coup ils affirment qu’il perdra sa clientèle et son âme, son repos dans cette vie et sa félicité éternelle dans l’autre. Cela semble ne pas suffire encore : dans ces derniers temps, à côté de la milice ecclésiastique, des laïques zélés ont formé, sous l’invocation du nom de saint Vincent de Paul, une formidable association qui comptait déjà en 1863 422 conférences et 11,956 membres. Mêlant la politique à la charité, faisant en même temps des aumônes et de la propagande électorale, ils recrutent des adhérens dans toutes les classes et s’assurent des votes en invoquant tour à tour l’ambition, l’intérêt et la crainte. Le jour de l’élection, le curé conduit au scrutin ses ouailles fidèles, et il surveille si bien son troupeau que nul ne manque à l’appel. Le sentiment religieux est un levier incomparable pour soulever les masses. On s’en est servi pour remplir les cadres d’une organisation toute militaire, et l’on est parvenu à réunir ainsi au service de la bonne cause deux vertus qui souvent s’excluent, l’enthousiasme et l’obéissance.

Les moyens d’action du clergé sont immenses : 3,000 chaires, 6,000 confessionnaux, 15,000 religieux, 100,000 membres de congrégations laïques, une foule de journaux, répandent partout ses idées, ses vœux, ses passions. L’enseignement est presque entièrement entre ses mains. Indépendamment des écoles primaires de l’état, qui sont comme les siennes, il a encore celles des couvens, qui sont presque aussi nombreuses. Pour l’instruction moyenne, il a deux fois autant d’établissemens que les pouvoirs civils, et l’éducation des jeunes filles est complètement accaparée par les communautés religieuses. Ainsi il forme sans partage la femme, le peuple, l’aristocratie et même une partie de la bourgeoisie. Par la confiance qu’il inspire aux mères de famille, il dispose des dots opulentes, et les plus riches mariages se concluent par son entremise. Les ressources financières que la piété et la reconnaissance mettent à sa disposition sont énormes. C’est à lui que les âmes troublées, la vieillesse, la douleur, viennent demander un appui et des conseils. Il tient ceux même qui lui sont hostiles par tous les actes solennels de la vie, et il pénètre, il commande presque à leur foyer par l’influence irrésistible d’une épouse chérie. Il enveloppe ainsi la société de toutes parts, il l’enserre, il la tient par ses traditions, par ses racines, par les meilleurs et les plus purs sentimens qui vivent au cœur de l’homme, et toutes, ces forces incomparables, sur un mot de l’épiscopat, il les soulève et les lance dans la lutte électorale pour en accabler son adversaire, le parti libéral. Quand on songe à la disproportion des moyens dont disposent les deux partis, on s’étonne que le libéralisme existe encore, et on est tenté de croire que, si même il l’emporte souvent, c’est qu’il a pour lui ce décret mystérieux de la Providence qu’on appelle la force des choses.

Il est une circonstance qui augmente encore la gravité de la situation. Jadis les souverains avaient un intérêt évident à ne pas laisser usurper leur pouvoir, et les plus soumis à l’église ne cessaient d’élever mille obstacles à ses empiétemens. L’histoire est remplie de ces démêlés. En Belgique, la séparation de l’église et de l’état rend toutes ces précautions impossibles, et d’ailleurs elles seraient vaines, car le corps électoral étant souverain et les chambres faisant les lois, quand l’église emporte la majorité, elle emporte tout. Dans un état libre, avec un ministère à sa dévotion, elle règne donc plus souverainement qu’au temps de Philippe II.

Si l’on veut bien se rappeler maintenant que le Vatican a condamné les libertés modernes, et qu’il les extirpe par le moyen des concordats là où on lui en donne le droit, que le clergé belge est en tout soumis aux inspirations de Rome, qu’il exerce dans le pays une influence immense par l’enseignement, par la chaire, par le confessionnal, par sa discipline, par le budget dont il dispose, par les couvens qu’il multiplie, par les sociétés politiques qu’il organise, si l’on considère en outre qu’il a renversé, dans l’espace de quarante années, deux dynasties qui lui résistaient, et qu’il tend à s’emparer du pouvoir par les représentans qu’il fait élire, alors on comprendra les alarmes si vives du parti libéral.

Il n’est pas facile de prédire l’issue de la lutte, car si le parti catholique a pour lui les forces de l’autorité et de l’organisation, le parti libéral peut compter sur la diffusion des lumières et sur le mouvement naturel des esprits ; mais ce qui est certain, c’est que l’église, en descendant ainsi tout armée dans l’arène politique, crée une situation périlleuse pour tous et principalement pour elle. Les hommes de la génération de 1830 croyaient qu’on pouvait combattre le clergé sur le terrain politique sans s’occuper de la question religieuse, et ils se vantaient de leur attachement à la foi de leurs pères et des faveurs dont ils comblaient le culte. Ceux qu’on appelle les jeunes libéraux, c’est-à-dire ceux de la génération nouvelle, ne semblent plus partager les mêmes idées et tiennent un autre langage. On se sert du dogme pour miner la liberté ; défenseurs de la liberté, ils sont amenés à ne plus respecter le dogme. Étant convaincus que le jour où la grande majorité des citoyens seraient assez bons catholiques pour obéir en tout au clergé, l’intolérance serait rétablie, ils pensent que le seul moyen d’éviter cette extrémité est de transporter hardiment le combat sur le terrain religieux. Il se prépare ainsi une situation qui a peu de précédens dans l’histoire, et où l’on verra les hommes les plus éclairés et les plus dévoués à leur pays en hostilité déclarée avec les ministres du culte auquel ils appartiennent. Dans les théocraties asiatiques, rien de semblable n’était possible. À Rome, les prêtres étaient presque des magistrats civils, et s’ils n’inspiraient pas grand respect, ils ne soulevaient aucune hostilité. Au moyen âge, l’état finit par défendre ses droits contre l’église, mais il reconnut toujours son autorité spirituelle. Au XVIe siècle, certains peuples s’insurgent contre cette autorité ; mais du même coup ils rompent définitivement avec elle. Aujourd’hui, en Belgique et chez la plupart des autres nations catholiques, la situation est autre. Les défenseurs de la liberté attaquent l’église, qui la menace ; ils dénoncent les couvens, ils luttent contre le prêtre, ils prennent acte de ses fautes, malheureusement trop nombreuses, et ébranlent son prestige. De cette façon, le sentiment religieux s’affaiblit, et c’est une grande force qui s’en va ; mais si le mal est grand, ceux-là en sont responsables qui mettent les peuples dans la nécessité de choisir entre leurs droits et leur foi. Le parti catholique semble vouloir maintenant en appeler au suffrage universel. Il se peut en effet qu’il y trouve le moyen d’accroître sa prépondérance ; mais le clergé ne voit-il pas le danger qui le menace, si la lutte religieuse doit être transportée jusque dans les derniers rangs du peuple ? La nation belge était réputée jadis la plus catholique de l’Europe ; à entendre les plaintes de ses pasteurs, elle serait loin de mériter encore cet éloge, et l’incrédulité, l’opposition contre le culte, iraient grandissant.

La Belgique a tenté hardiment l’épreuve de la liberté absolue en tout et pour tous. Jusqu’à présent, elle n’a pas lieu de s’en repentir. Les avantages du nouveau régime sont si évidens, la masse de la nation y est si attachée, qu’il ne court jusqu’à nouvel ordre aucun danger ; mais si plus tard, en s’emparant complètement de l’instruction et en multipliant les communautés, le clergé devait se servir de la liberté pour tuer la liberté même, et s’il démontrait ainsi la vérité de cet axiome ultramontain, que la civilisation moderne et le catholicisme sont incompatibles, ce serait là un triomphe dont l’église, en définitive, n’aurait pas beaucoup à se féliciter.


EMILE DE LAVELEYE.

  1. Voyez l’excellent article de M. Prevost-Paradol sur cette matière dans la Revue du 15 septembre 1858.
  2. Il y a cependant une exception à ce fait, mais elle est toute récente. Le parti qui se dit conservateur, impatient d’être en minorité au sein de la chambre des représentai, vient de refuser de siéger plus longtemps, afin d’obliger le ministère à une dissolution immédiate de la chambre, qui lui rendra, espère-t-il, la majorité.
  3. En 1851, 64 électeurs sur 100 prennent part au vote, en 1852 75, en 1857 84, et en 1863, là où il y a lutte, 90 sur 100. Ce chiffre montre que, déduction faite des morts, des malades et des absens, tous les électeurs ont voté, marque certaine de la passion politique qui anime les deux partis, et preuve évidente que de graves intérêts généraux sont en jeu.
  4. Voyez dans la Revue du 15 février 1863 la Crise religieuse au dix-neuvième siècle.
  5. Cette opposition se manifestait même par de prétendus miracles qui irritaient vivement l’empereur. La situation des esprits ressort clairement de la lettre confidentielle suivante, adressée au préfet du département de l’Escaut et conservée aux archives de Gand.
    « Paris, le 3 mai 1811.
    « Je suis informé, monsieur, que l’idée d’un prétendu miracle qui se serait opéré dans le village de Haesdonck, près de Termonde, a attiré dans ce lieu une affluence si prodigieuse d’individus au diocèse de Gand, que ce n’est pas exagérer en l’évaluant à cent mille personnes. Je ne puis concevoir, monsieur, que vous ayez souffert cette jonglerie, faite pour entretenir parmi les peuples de vos contrées les idées de merveilleux et de superstition auxquelles ils se montrent déjà si enclins. Les ministres de sa majesté devraient-ils être obligés de tracer aux autorités éloignées la marche qu’elles ont à suivre dans des circonstances semblables ?… Je vous invite, monsieur, à donner des ordres pour qu’on fasse disparaître sur-le-champ jusqu’à la dernière trace de ce prétendu miracle, et à faire en sorte que des mystifications de cette espèce ne se renouvellent pas dans votre département. Agréez, etc. »
    « Le duc de ROVIGO. »
  6. Voyez la Revue du 1er août 1857.
  7. Parmi ces feuilles, il faut citer le Bien public, qui parait a Gand sous le haut patronage de l’évêché. L’autorité de ce journal est grande, car il a été honoré récemment, chose bien rare, de l’approbation complète du souverain pontife. Portant en tête la croix du labarum, il expose avec une intrépidité que rien n’arrête les doctrines défendues a Rome par la Civillà cattolica et contenues dans les encycliques du Vatican. Si l’on veut se faire une idée de la situation des partis en Belgique, il est indispensable de consulter la collection du Bien public de 1852 à 1864. Il est rédigé avec une piété ardente et un véritable talent.
  8. Au moment où parut ce concordat, qui est si contraire à l’esprit de notre temps qu’il n’a pu recevoir d’exécution complète même en Autriche, l’évêque de Bruges, le prélat le plus éminent de l’épiscopat belge, ne craignit pas d’applaudir ouvertement à la restauration des abus du passé, u Je me trompe fost, disait-il, ou le concordat conclu récemment entre sa sainteté Pie IX et l’empereur d’Autriche a porté à la politique païenne, au droit public anti-chrétien, une atteinte dont ils ne se relèveront pas. Cet admirable traité a placé dans des conditions nouvelles le rapport des deux puissances. » En prédisant ainsi la chute des libertés modernes, l’évêque de Bruges se trompait. La force que l’Autriche a reconquise, c’est au contraire à la liberté qu’elle la doit.
  9. En parcourant le pays dans toutes les directions pour y étudier l’économie rurale, j’ai trouvé dans tous les villages un peu aisés ou un couvent qui se fondait ou un couvent qui s’agrandissait. L’accroissement se fait d’une manière lente, régulière, ininterrompue, année par année, comme celui des formations géologiques ou des deltas des fleuves. À la couleur plus ou moins foncée des matériaux, on peut reconnaître les époques successives des agrandissemens comme on distingue les assises superposées.
  10. Il faut bien remarquer que la constitution belge n’a rien changé au code civil en cette matière. Elle permet aux individus de s’associer, mais non de constituer une personne civile, un corps moral, éternel, capable de posséder des biens, d’ester en justice et de former ainsi de petits états dans l’état. Un article accordant ce privilège aux associations fut proposé au congrès, mais rejeté. Tout ce qui concerne cette question a été parfaitement élucidé dans un livre, la Mainmorte et la Charité, par Jean van Damme, qu’on a de bonnes raisons de croire écrit par l’éminent ministre des finances à qui la Belgique doit l’abolition des octrois, M. Frère-Orban. La question des couvens occupe aussi l’opinion en Hollande : un magistrat distingué, M. le baron Hugenpoth tôt den Beerenclaauw, a publié à ce sujet un remarquable travail, de Kloosters in Nederland, qui est déjà à sa sixième édition.
  11. Une circulaire secrète de l’évêque de Gand est tombée dans la publicité lors d’un procès récent au sujet d’un couvent, et chacun a pu connaître ainsi les recommandations très curieuses faites par l’évêque à tous les directeurs de maison religieuse. « Examinez soigneusement, dit-il, si la mort d’un des membres de la communauté ne pourrait pas entraîner des suites fâcheuses, des tracasseries de la part des héritiers, légaux, des poursuites de la part des employés de l’état, des procès qui compromettent la stabilité d’une maison. Si l’on croit avoir prévenu ces dangers par des testamens, il faut qu’on soit bien assuré par un jurisconsulte habile que rien ne manque à ces actes, surtout s’ils sont olographes. Si quelque doute s’offre à votre esprit, exposez-les, et la commission, après mûr examen, vous indiquera les moyens que présentent les lois pour éviter de grands dommages. » Instructions du 12 avril 1858.