La Bible d’après les dernières découvertes archéologiques en Orient

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La Bible d’après les dernières découvertes archéologiques en Orient
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 97 (p. 572-605).
LA BIBLE
D’APRÈS
LES NOUVELLES DÉCOUVERTES ARCHÉOLOGIQUES

I. Dr Ad. Merz, Archiv für wissenschaftliche Erforschung des alten Testaments, 1867-1869. — II. Ernest Renan, Mission de Phénicie. — III. François Lenormant, Essai de Commentaire sur les Fragmens cosmogoniques de Bérose, 1872 ; Lettres assyriologiques, 1871, t. Ier. — IV. Jules Oppert, Mémoire sur les rapports de l’Égypte et de l’Assyrie, 1869. — V. Waddington, Inscriptions grecques et latines de la Syrie, 1870.

Si, comme l’enseignait Héraclite d’Éphèse, tout change et se transforme éternellement, les sciences historiques doivent subir aussi les effets du flux et du reflux universel des choses, et la vérité d’hier peut devenir l’erreur de demain. C’est surtout dans les sciences dont l’objet est peu accessible à nos moyens d’investigation qu’on observe ces sortes de contradiction et d’oscillation perpétuelle. La mythologie comparée est une de ces études difficiles où l’on ne procède que par approximation délicate. Les formes divines, évoquées par le savant, se pressent, s’agitent, ondoient vaguement comme dans un pâle crépuscule, puis s’évanouissent et vont se perdre de nouveau dans l’abîme des temps. Où est le docteur Faust capable de rappeler à la lumière et de rendre à la vie ces ombres gracieuses ou terribles ? Pour cette œuvre, il ne faut pas seulement une grande pénétration, une large sympathie, un sentiment exquis des nuances les plus fugitives, il faut encore une sorte de divination ou d’intuition supérieure. Un érudit, quelque éminent qu’on le suppose, réunit bien rarement d’aussi hautes qualités ; mais qu’importe ? Une génération réalisera l’idéal qu’une autre a conçu. Notre reconnaissance n’en est pas moins acquise aux savans qui nous guideront dans cette étude. D’autres, viendront, plus puissans peut-être, mais non plus sincères, ni plus désintéressés que ces rares esprits.

C’est dans le système religieux de la Chaldée et de l’Assyrie, tel que nous le connaissons par les textes cunéiformes et par les monumens des empires du Tigre et de l’Euphrate, qu’il faut rechercher l’origine des religions de la Syrie, de la Phénicie et de la Palestine. La religion primitive des peuples de race sémitique fut le polythéisme. Comme les antiques habitans de la vallée du Nil, comme les pères de notre race, les Aryas des bords de l’Oxus, comme toutes les espèces humaines de l’ancien et du nouveau monde, les tribus sédentaires ou nomades qui, dès la plus haute antiquité, se répandirent dans les pays compris entre l’Arménie, le golfe Persique et la Mer-Rouge, — les Assyriens, les Arabes, les Chananéens, les Phéniciens, les Hébreux, — ont d’abord adoré le soleil, la lune et les planètes, la lumière et le feu, la voûte immense des cieux étoiles, les montagnes, ces géans nés de la terre, les fleuves, les forêts et les animaux. Tandis que les Aryas du « pays aux sept fleuves, » où furent composés les plus anciens hymnes védiques, étaient sans cesse émus par le spectacle grandiose des révolutions de l’atmosphère, par les combats d’Indra contre le dragon qui retenait prisonnière l’eau bienfaisante du ciel, et par les mille accidens d’ombre et de lumière qui se jouaient dans les nuées embrasées par les feux de l’aurore ou du couchant, les Sémites, d’Alep à la mer d’Arabie, de l’Égypte au golfe Persique, n’ont guère connu qu’un ciel presque toujours ardent et sans nuage, la morne solitude des vastes plaines de sable, et la splendeur incomparable des nuits où la lune, comme une reine, semble dominer toute l’armée des cieux.

De là la pauvreté relative de la mythologie sémitique. Certes il n’y a point qu’arides déserts dans cette contrée d’Asie. Sans parler du plateau central de l’Arabie, sur le bord de l’Euphrate et dans certaines parties de la Syrie le sol est fertile, largement fécondé par les pluies d’hiver, et produit d’abondantes récoltes. Au pied du Liban, il est de délicieuses vallées où l’oranger, le dattier et le bananier se couvrent de fleurs et de fruits. En automne et au printemps, la Syrie est un paradis ; encore souffre-t-on souvent de la sécheresse et de la disette d’eau. Quand on songe à l’Indus ou au Gange, qu’est-ce que l’Oronte, le Jourdain ou le fleuve Adonis ? Des ruisseaux, des lits de cailloux, que l’on passe à pied sec les trois quarts de l’année.

Tel sol, telle race. Dans ces plaines rocailleuses et sablonneuses, l’être humain, sera petit, maigre, sec, tellement sobre que sa tête est aussi vide que son estomac. Le type de cette race, le Bédouin, l’Arabe nomade ne pense guère et ne sait rien ; son imagination est aussi aride que le désert. Un cheval rapide, une lance haute, et droite, un beau chameau, une belle femme : voilà l’éternel sujet de ses poèmes. Ses sensations, toujours les mêmes, ne créent que des sentimens et des idées d’une simplicité monotone. Simple est aussi la langue, et simple la syntaxe. La déclinaison, la conjugaison, toutes les formes grammaticales sont également pauvres. Point, de termes abstraits pour exprimer des idées générales. Les enfans d’ailleurs, ont-ils des idées générales ? Et en effet, c’est un langage d’enfant que ces discours naïfs ou les propositions s’enchaînent et se suivent sans autre lien que la conjonction et. A coup sûr, de pareils êtres, à l’état nomade ou sédentaire, ne seront jamais de bien grands artistes ; encore moins seront-ils philosophes ou savans. Aristote, Hippocrate, Ptolémée, toute la science grecque devait passer sur ces cerveaux racornis, sans y laisser plus de traces que les pluies d’hiver dans le lit de leurs torrens.

Pour n’être ni artiste, ni philosophe, ni savant, on n’en est pas moins homme. On ne peut vivre, dans un rapport intime avec la nature sans éprouver mille émotions diverses, plus ou moins vives, sans se sentir pénétré de terreur ou d’admirations sans exalter les forces destructives, ou conservatrices de l’univers. Entre toutes ces forces, la plus puissante est sans contredit le soleil, le feu du ciel, père de notre feu terrestre, cause unique et suprême, du mouvement et de la vie sur cette planète, point n’est besoin de raisonner pour comprendre que c’est la vie même et comme le sang de notre père céleste, qui court dans les veines de la terre, notre mère. Dans la saison d’amour, quand le ciel lumineux l’enlace et la pénètre, de son sein fécondé ou voit sortir un monde. C’est elle qui tressaille dans les plaines où l’air humide et chaud courbe mollement les herbes ; c’est elle qui rampe dans le buisson, qui s’élève dans le chêne, qui jette aux solitudes les petits cris joyeux des oiseaux sous la nue ou dans les nids feuillus ; c’est elle qui dans les mers ou dans les eaux courantes, sur les monts, dans les bois, accouple les mâles superbes aux femelles lascives, palpite dans tous les corps, aime avec tous les êtres ; mais toute cette vie terrestre, toute cette chaleur et toute cette lumière ne sont qu’effluves du soleil. « Nous sommes, dit Tyndall, non plus dans un sens poétique, mais dans un sens purement mécanique, nous sommes des enfans du soleil. » Ce que la science, de nos jours, a constaté, la raison des anciens hommes l’avait compris d’instinct.

Loin, bien loin dans le passé, alors que n’existait aucune métaphysique, les hommes adoraient le feu et rendaient un culte au soleil. Au fond des religions sémitiques comme au fond des religions indo-européennes, les principaux mythes sont des mythes solaires. Avant de chercher à deviner, on contempla, on décrivit, on chanta l’univers dans des hymnes et dans des cosmogonies dont quelques parties sont venues jusqu’à nous. Le soleil, la lune et les planètes, les montagnes, les rivières et les végétaux, l’orage, le vent, la foudre, le feu, toutes les forces de la nature furent divinisées, adorées, surtout redoutées, et devinrent pour l’homme, comme aujourd’hui encore pour certaines races inférieures, des créatures douées de vie, de sentiment et d’intelligence. De plus, ce qui naît, se développe, et n’arrive à la maturité que pour décroître et mourir, la terre et ses productions par exemple, fut regardé comme dépendant de ce qui subsiste éternellement, sans altération ni vieillesse, comme le ciel et les astres. On distingua donc dans la nature une cause active et une cause passive, et la divinité, d’après une analogie tout humaine, fut conçue comme mâle et femelle. Ainsi chez les Sémites Baal et Baalath, la force active qui crée, conserve et détruit, la force passive qui conçoit, engendre et enfante. Le symbole de la puissance créatrice de la nature fut universellement représenté dans les sanctuaires et sur les monumens religieux par les organes de la génération. L’unité fondamentale des deux genres de la divinité fit souvent passer les attributs de la divinité mâle à la divinité femelle, et réciproquement : de là les divinités hermaphrodites ou androgynes de la Syrie et de la Phénicie. Parfois même, comme dans le temple d’Hiérapolis, un troisième être symbolisait l’unité des deux.


I

C’est du nord de l’Assyrie, du pays actuel des Kourdes, que vinrent les tribus de Sémites nomades qui, sans doute poussées par quelque invasion, passèrent l’Euphrate et se dirigèrent du nord-est au sud-ouest vers le pays de Chanaan. Les Hammonites, les Moabites, les Édomites, avaient précédé ceux qu’on devait appeler les Beni-Heber ou Hébreux. Partis d’Our, la grande ville des Chaldéens, située près du premier confluent du Tigre et de l’Euphrate, ceux-ci avaient été conduits d’abord par Térah dans la ville de Harrân, puis par Abram, fils de Térah, au-delà du fleuve, et à travers la Syrie jusque dans la terre de Chanaan. Les habitans de ce pays étaient des Sémites au même titre que les tribus qui venaient « d’au-delà » de l’Euphrate. L’intime parenté des Chaldéens et de ces nomades est prouvée par l’identité du langage et de la religion. On ne voit nulle part dans la Bible que ces nouveau-venus aient eu quelque peine à se faire entendre des anciens habitans, et tous les noms propres de villes ou de personnages de cette nation que nous connaissons sont purement sémitiques. Il est en outre démontré que l’élément chananéen domine dans l’hébreu biblique ; Isaïe lui-même n’appelle-t-il pas l’hébreu « langue de Chanaan ? » Toutes ces populations, Amorrhéens, Héthéens, Hévéens, que les Grecs nommaient Phéniciens, étaient alors arrivées à un assez haut degré de civilisation. Depuis des siècles déjà, ils avaient écrasé ou absorbé les races aborigènes, les Néfilim, les Emim, les Refaïm, sortes de géans et d’êtres monstrueux qui rappellent les Auasikas et les Rakshasas, contre lesquels les Aryas eurent à lutter dans l’Hindoustan. Des caravanes de marchands qui allaient vendre en Égypte le baume des térébinthes, la myrrhe, les aromates, etc., traversaient le pays. La monnaie qui avait cours entre les marchands était frappée au coin. On parle dans la Genèse de vaisseaux et de ports. Dans quelques villes, comme Sodome et Gomorrhe, qui paraissent avoir fait sur les naïfs « Bédouins » la même impression que Babylone, on voit régner certains raffinemens de mœurs qui ne conviennent guère à des barbares. Les Chananéens depuis longtemps avaient dépassé le grossier fétichisme que nous trouvons dans la famille d’Abram. Rahel dérobe les idoles de son père. « Pourquoi m’as-tu dérobé mes dieux ? » dit Laban à Jacob. Rahel, les ayant cachés dans le bât d’un chameau, s’était assise dessus, et quand son père pénétra dans la tente, elle trouva un prétexte pour ne pas se lever. Dans un autre passage de la Genèse, Jacob enterre sous un chêne, près de Sichem, les idoles, les talismans et les amulettes des gens de sa maison. A plusieurs reprises, la Bible nous présente les Abrahamides comme idolâtres et polythéistes. Dans le livre de Josué, Térah, père d’Abram, est donné comme païen et polythéiste ainsi que leurs ancêtres, qui dès l’antiquité habitaient « au-delà du fleuve, » c’est-à-dire de l’Euphrate.

Aussi bien, quand la Bible ne nous le dirait pas expressément, nous trouverions presque à chaque page des vieux livres d’Israël et des prophètes du VIIIe siècle des faits qui témoignent de l’idolâtrie fétichiste et du polythéisme naturaliste des Sémites. D’abord on peut énoncer comme une vérité évidente par elle-même qu’il ne saurait exister de différences fondamentales dans les conceptions religieuses de familles de peuples qui habitent les mêmes contrées, parlent la même langue, et, de leur propre aveu, descendent généalogiquement les unes des autres. Or le polythéisme des Assyriens, des Babyloniens, des Syriens, des Phéniciens et des Arabes antéislamiques est un fait incontestable. Non moins incontestable est le polythéisme des Térachites, c’est-à-dire des peuples qui comme les Israélites descendaient de Térah, les Édomites, les Hammonites, les Moabites, les Ismaélites. Toutes ces tribus, venues de la Chaldée et de l’Assyrie, adoraient les astres et le feu ; elles retrouvèrent en Palestine le culte des mêmes dieux. Les noms mêmes de quelques-unes de ces divinités étaient identiques, ce qui prouve leur parenté originelle : Nomina numina, dit l’axiome devenu dans l’école de M. Kuhn la clé de la mythologie comparée.

La Genèse raconte qu’Abram, le « haut père » mythique des Hébreux, rencontra dans le pays de Chanaan Melkitsédek, roi de Schalem, qui était prêtre ou cohen d’El-Élion, père du Ciel et de la Terre. Ce dieu El, qui resta le dieu national des Beni-Israël jusqu’au temps de la sortie d’Égypte, et qui se présente dans le discours presque toujours accompagné d’un attribut comme El-Élion, El-Schaddaï, El-Kanna, El-Haï, ce dieu El paraît avoir été commun à toutes les familles de la race sémitique. On peut voir dans les inscriptions grecques et latines de la Syrie qu’a publiées naguère M. Waddington la mention de monumens du culte de Kronos comme les Grecs appelaient El. On retrouve El dans les colonies phéniciennes, à Carthage. Quant au caractère de l’universalité, El est dans le panthéon sémitique ce qu’est Djaus dans le panthéon indo-européen. L’idée de dieu se rend en assyrien par le mot Ilou, et le caractère idéographique de cette notion avait à l’origine la forme d’une étoile[1]. C’était la plus haute divinité des Babyloniens, comme l’indique le nom de la grande cité, dont El était la divinité poliade, Bal-El ou Bab-Ilou (la Porte d’El). Dans l’Assyrie, il recevait l’appellation exclusivement nationale d’Assur. Les inscriptions le qualifient « roi ou chef des dieux, suprême seigneur, père des dieux. » Quelques rares monumens, appartenant tous à l’Assyrie, donnent à Ilou ou Assur une épouse, dédoublement de lui-même et sa forme passive[2]. Que ce dieu ait primitivement désigné le ciel étoilé ou la lumière, toujours est-il qu’on lui a de tout temps attribué une signification sidérale, qu’on l’a assimilé à la planète Saturne, que Bérose le nomme Kronos, et qu’au dire de Sanchoniathon Kronos s’appelait El chez les Phéniciens.

Ainsi le dieu suprême des Beni-Israël était aussi celui des Chananéens. Nous voyons également les Térachites accepter pour sacrés certains lieux vénérés par les habitans du pays, des arbres, des montagnes, des sources et des Beth-El, ou « maisons de El. » Ces sanctuaires primitifs étaient de grossiers blocs de pierre qu’on dressait en tous lieux, surtout sur les collines, en témoignage de quelque serment ou en mémoire de quelque événement important. On consacrait ces pierres avec une onction d’huile, de gros vin ou de sang du sacrifice. Plus tard, l’origine de ces monumens mégalithiques fut rattachée aux légendes des patriarches, et l’on éleva des autels et des temples sur leur emplacement. Ce sont là ces bâmôth ou « hauts-lieux » dont il est tant parlé dans la Bible, mentionnés également sur la stèle de Mésa comme dans l’inscription de Umm el awâmîd, etc., et où l’on continuait à offrir des sacrifices longtemps encore après la centralisation du culte à Jérusalem.

Toutes ces tribus nomades qui étaient venues s’abattre avec leurs troupeaux sur le pays de Chanaan étaient un fléau pour les habitans. Ils n’entraient pas plus dans les villes que les Bédouins de nos jours ; ils dressaient leurs tentes dans la campagne, mais ils dévoraient jusqu’au dernier brin d’herbe et pillaient la contrée. Plus d’une ville eut le sort de Sichem, où ils égorgèrent les hommes, volèrent tout ce qu’il y avait dans les maisons, et d’où ils emmenèrent les femmes et les troupeaux. Le sol de la Palestine paraît n’avoir pu suffire à la nourriture de toutes ces hordes, car nous voyons au moins les derniers venus, les Beni-Israël, descendre plusieurs fois en Égypte pour échapper à la famine. C’est ainsi que naguère encore 10,000 ou 12,000 Arabes des provinces de Bengazi et de Tripoli, poussés par la faim, ont quitté le pays et traversé le désert pour se rendre en Égypte.

Dès la XIIIe dynastie, les tribus sémitiques du nord avaient commencé à envahir la Basse-Égypte. Des nomades comme e Abraham et les fils de Jacob, dont toute la richesse consistait en troupeaux, ne pouvaient être aux yeux des Égyptiens que « des rois pasteurs, » des Hyk-sôs, comme les autres hordes de l’Arabie, de la Syrie et du pays de Chanaan. Aussi bien la parenté des Hyk-sôs et des Térachites ne fait guère doute aujourd’hui. On sait que, sous la XVIIIe dynastie, les anciens maîtres du pays reprirent peu à peu le dessus, et que les pasteurs durent abandonner Avaris (Tapis) et sortir de l’Égypte. Les Hébreux restèrent. Ils s’étaient établis au nord-est de l’Égypte, dans le pays de Goschen, qui se trouvait sur la route de Chanaan. Située entre la Mer-Rouge et le Nil, cette contrée était si fertile en pâturages qu’on l’appelait « la meilleure partie du pays. » Le Sémite, terriblement fécond, crût et se multiplia tellement que les Pharaons de ce temps-là, qui ignoraient jusqu’au nom de Joseph, ne virent pas sans inquiétude la prospérité de ces pasteurs. Les Égyptiens, qui avaient les pasteurs en horreur, et qui même, d’après Manéthon, les auraient chassés comme impurs, les opprimèrent et les accablèrent de charges et de corvées. Sans parler des peintures de plusieurs tombeaux égyptiens où l’on voit des Sémites fabriquant des briques et élevant des murailles sous l’œil de surveillans égyptiens armés de longs fouets, une inscription hiéroglyphique du règne de Ramsès mentionne les Aberiou, ou Hébreux, parmi les populations employées aux travaux publics. Nulle créature humaine n’était moins faite qu’un fils d’Israël pour ce genre de travail. Les Hébreux sortirent d’Égypte et abandonnèrent le pays de Goschen vers 1320. Selon M. Kuenen, d’accord avec MM. Lepsius, Brugsch, Bunsen et Chabas, l’émigration aurait eu lieu sous le règne de Mérenphtah (Aménophthis), successeur de Ramsès II. Le chef de l’émigration portait un nom égyptien, et, d’après tous les historiens, il avait été instruit dans la science des Égyptiens. Manéthon, qui d’accord avec la Bible désigne Moïse comme le chef politique et religieux des Beni-Israël, fait du futur législateur des Hébreux un prêtre d’Héliopolis. L’on n’en sait et l’on n’en saura sans doute jamais plus sur Moïse. Cinq ou six siècles au moins séparent l’époque de Moïse de celle où furent rédigés les plus anciens documens qui nous parlent de lui. Cette grande et vivante image que l’on admire dans l’Exode et dans les Nombres n’a aucun trait historique. On ne peut démontrer qu’une seule loi du Décalogue remonte à Moïse ; on peut prouver au contraire que cette origine ne saurait être admise pour le plus grand nombre de ces lois, surtout avec les additions qui accompagnent les dix commandemens dans les deux rédactions quelque peu divergentes de l’Exode et du Deutéronome.

Quand les Beni-Israël remontèrent dans le pays de Chanaan, ils étaient idolâtres et polythéistes comme lorsqu’ils en étaient descendus. Leur principale divinité était non plus El, mais Jahveh, que le peuple adorait sous la forme d’un taureau de métal fondu. Point de phénomène plus commun dans l’histoire des religions que cette apparition de dieux nouveaux qui détrônent les dieux antiques. Ainsi, chez les Hindous et chez les Hellènes, Varounas pâlit peu à peu devant Indra, Ouranos devant Zeus. D’ailleurs, si les vieilles divinités ne gouvernent plus, elles règnent toujours. Le dieu El, dont on lit partout le nom dans la Bible, surtout dans les livres poétiques, ne disparaît pas plus devant Jahveh que devant les autres dieux ou Elohim du panthéon sémitique ; mais il n’est plus le dieu national, la divinité tutélaire des tribus israélites confédérées. Jahveh est désormais le dieu d’Israël, comme Kamos était le dieu des Moabites, comme Milcom ou Molech était celui des Hammonites, comme Orotal (lumière ou feu de El) était celui des Édomites et des Ismaélites. On est frappé du caractère singulièrement sombre et terrible de ces divinités. Tous ces dieux sont des dieux du feu, qui se nourrissent de graisse et de sang, et qui dévorent des victimes humaines. N’oublions pas que ces tribus de pasteurs étaient encore à demi sauvages. Plusieurs siècles même après l’époque où nous sommes arrivés, on constate dans la législation des Hébreux la répression d’habitudes bizarres et de goûts dépravés qui ne se rencontrent que chez les peuplades les plus grossières. On leur défend de se tatouer, de se nourrir d’insectes, de reptiles, etc. Les dieux des Térachites étaient naturellement aussi farouches et aussi sanguinaires que leurs adorateurs. Ils conservèrent longtemps un caractère sinistre et sensuel qui les distinguait des divinités chananéennes. Ce n’est pas, je le répète, que ces diverses familles sémitiques adorassent des divinités essentiellement différentes. En dehors des cultes locaux, que l’on retrouve chez tous les peuples, elles n’avaient en somme d’autres dieux que le soleil, la lune et les astres, tour à tour considérés comme cause de production et de destruction dans le monde ; mais, tandis que les unes célébraient dans la joie et dans l’orgie le dieu de la lumière et de la vie, Baal et sa Baalath, le roi et la reine des cieux, les autres étaient plus portées à conjurer par des sacrifices sanglans et par des cérémonies d’une cruauté frénétique la fureur implacable de l’astre flamboyant, du Moloch insatiable, qui chaque année dévore ses enfans. Au fond, c’est au soleil du printemps et au soleil de l’été qu’on rendait un culte. Que le dieu s’appelle El, Bel, Baal, Adonis, Tammouz, Hadad-Rimmon, etc., ou Moloch, Jahveh, Kamos, Milcom, etc., c’est toujours du soleil qu’il s’agit. De même, que la déesse se nomme Baalath, Derkéto, Aschera ou Astarté, c’est toujours d’une divinité tellurique ou céleste, de la terre ou de la lune, qu’il est question. Ajoutons que souvent le soleil et la lune ont été remplacés par des planètes. Le soleil, considéré comme Moloch, a été confondu avec la planète Saturne dès la plus haute antiquité. Adar, dieu originairement solaire, dieu du feu, devint plus tard le dieu de la planète Saturne[3]. Considéré comme Baal, le soleil a été identifié avec la grande étoile de la fortune, la planète Jupiter, et Vénus, comme petite étoile de la fortune, lui était associée.

Il est aujourd’hui démontré qu’au temps de la sortie d’Égypte, dans le désert, et même à l’époque des juges, la lumière et le feu étaient pour les Israélites non pas des symboles de la divinité, mais la divinité elle-même. Jahveh, dieu de la lumière et du feu, n’est autre que le soleil considéré comme Moloch. Comme Moloch, il est représenté sous la forme d’un jeune taureau de métal, — d’airain, de fer ou d’or. Le veau d’or adoré dans le désert n’est pas plus une idole égyptienne que ne l’étaient les deux taureaux de même métal que l’on adorait au temps de Jéroboam dans les sanctuaires de Dan et de Beth-El. Jahveh n’est pas un dieu égyptien ; beaucoup l’ont cru à tort. Le temps n’est plus où l’on ne voyait qu’emprunts successifs et universels dans les religions et même dans les systèmes philosophiques des peuples les plus divers. Ce n’était guère d’ailleurs qu’un moyen facile pour remonter à une prétendue révélation primitive. Une doctrine toute contraire a prévalu dans la science. Et d’abord le moyen d’imaginer que des hordes comme celles des Beni-Israël aient compris quelque chose à la civilisation des Égyptiens et aient été jusqu’à leur emprunter des idées religieuses ? Certes un séjour de plusieurs siècles dans un pays, quatre cents ans et plus, doit modifier les habitudes d’un peuple, et il est certain que les Phéniciens et les Hébreux en particulier ont beaucoup emprunté à l’Égypte, mais ces emprunts furent tout extérieurs et ils n’eurent trait qu’à certains détails matériels de civilisation, de culte et d’institutions sacerdotales, comme l’arche sainte, le pectoral du grand-prêtre, la robe de lin et certaines parties du costume des prêtres, les ustensiles sacrés du sacrifice, etc. C’est ainsi que les Hébreux ont emprunté à l’Assyrie ces « taureaux » ailés à tête humaine qu’on retrouve aux portes de tous les palais, ces keroubim qui gardent l’entrée du paradis terrestre, de l’arche d’alliance et du saint des saints du temple de Salomon, et qui servent aussi de monture à Jahveh. Pour l’Égypte, il est même probable que ces emprunts sont en partie postérieurs à la sortie du pays.

Ces pasteurs, campés sur la vieille terre des Pharaons, auraient pu y rester mille ans sans faire un seul progrès. Ils n’ont vu l’Égypte que du dehors. Plus nombreux, ils eussent sans nul doute écrasé la civilisation des peuples de la vallée du Nil, mais ils ne l’auraient jamais comprise. Ils restèrent aussi étrangers à toute culture supérieure que les Bédouins de nos jours qui, à quelques lieues de Damas ou de Bagdad, conservent leurs mœurs patriarcales. Les autres Sémites nomades qui avaient envahi l’Égypte n’adoptèrent pas non plus la religion indigène. M. de Rougé a cependant constaté l’existence d’une religion commune à l’origine à quelques populations du Delta et de la Syrie. Il admet une parenté primitive de Mitsraïm et de Chanaan. Le dieu Set ou Sutech des monumens égyptiens, avant de devenir le sombre Typhon, l’adversaire d’Osiris, fut le dieu national des pasteurs ; le nom sémitique de Set était Schad. Ainsi on retrouve en Égypte, dès ces temps reculés, le Schaddaï ou « Tout-Puissant » des Hébreux. C’est là encore, comme le remarque M. François Lenormant, une de ces appellations de la mythologie syro-phénicienne dont on a constaté l’origine dans les religions de la Chaldée et de l’Assyrie[4].

Jahveh n’est pas un dieu égyptien, et ce qui le prouve sans réplique, c’est que le nom de cette divinité est chaldéen. Le mystérieux tétragramme, le mot ineffable dont les lettres portent dans la Bible la vocalisation du mot Adonaï, présente d’une manière évidente la racine havah, forme chaldéenne, variété dialectique d’un verbe hébreu qui signifie « respirer, vivre, être. » Le nom de cette divinité, qu’on prononce généralement Jahveh, doit sûrement s’être prononcé Yahavâh à l’origine. Cette forme s’est ensuite contractée en Jâhou et Jâh. Quant à la signification de ce nom, il y a longtemps que les philologues ont vu dans Jahveh le dieu de l’existence, celui qui a et qui donne la vie.

Le nom araméen du dieu Jahveh prouve à la fois et sa haute antiquité et son origine chaldéo-assyrienne. Chacun sait en effet que les cultes du feu et de la lumière viennent de la Haute-Asie. Quand les Térachites abandonnèrent la Chaldée et passèrent l’Euphrate, ils adoraient entre autres le dieu Jahveh, ils l’adoraient lors de leur premier séjour au pays de Chanaan, ils l’adoraient en Égypte, et c’était sans doute l’arche de ce dieu qu’ils portaient dans le désert. Si, à l’origine, il ne paraît pas avoir été aussi populaire que les autres divinités d’Israël, s’il lui fallut des siècles pour devenir la divinité nationale de ce peuple, et des siècles encore pour arriver à être considéré comme le dieu unique de l’univers, il n’y a là rien encore qui doive nous surprendre. Selon toute apparence, le culte de Jahveh appartenait surtout à l’aristocratie des tribus térachites. Max Müller ne nous enseigne-t-il pas que les religions ont appartenu d’abord à des familles et à des sociétés d’hommes extrêmement restreintes ?

Il s’en faut bien d’ailleurs que Jahveh appartînt en propre aux Beni-Israël. S’il faut en croire la Bible elle-même, Balak ben Tsippor, roi des Moabites, menacé d’une invasion des Beni-Israël, aurait envoyé les anciens de Moab et de Madian sur les bords de l’Euphrate, vers un « voyant » fameux, Bileâm ben Behor, pour qu’il vînt maudire les envahisseurs. Or ce « voyant » de Mésopotamie, le devin Bileâm, maudit et bénit au nom de Jahveh. Notons en passant que Bileâm adore en même temps Baal, lui dresse des autels et lui immole des veaux et des béliers. Movers et d’autres ont établi que Jahveh désignait le dieu suprême chez plusieurs peuples sémitiques. Ce nom se retrouve sous sa forme contracte dans un grand nombre de noms propres chananéens ou phéniciens. Les écrivains grecs, comme Diodore de Sicile, connaissent Jaou ou Jao. Le texte le plus curieux qu’on puisse rappeler ici est peut-être celui de l’oracle d’Apollon de Claros, recueilli par Macrobe, et qui n’est point, comme l’ont démontré Lobeck et Movers, l’œuvre apocryphe d’un chrétien gnostique. Il résulte de cet oracle que Jao est le plus grand de tous les dieux, la divinité suprême, le dieu solaire envisagé sous quatre faces, qui sont les quatre saisons de l’année. C’est Hadès en hiver, Zeus au printemps, le soleil en été, et Jao en automne. L’épithète de doux et d’efféminé qu’on donne ici à Jao montre clairement qu’il s’agit d’Adonis, dont le culte central était à Byblos, dans le Liban, et que Sanchoniathon nomme le « Très Haut, » Elion, comme le dieu de Melkitsédek. Ainsi, en Phénicie, Jao est bien la source de vie qui anime toute la nature. Jao est le soleil.

Dans tous les livres du Pentateuque, le Deutéronome excepté, Jahveh n’est pas le dieu unique des Hébreux, il est seulement plus puissant que tous les autres dieux. Jahveh, c’est El Elohim, le dieu des dieux, comme Zeus ou Indra. Ce polythéisme éclate partout dans les vieux livres d’Israël. Ainsi les messagers de Jephté disent au roi des Ammonites : « Ne possèdes-tu pas le pays que Kamos, ton dieu, t’a donné en héritage ? De même nous possédons le pays de tous ceux que Jahveh, notre dieu, a chassés devant nous. » On a remarqué avec raison que tout ce qui se lit sur la stèle, récemment découverte, que le roi de Moab, Mésa, avait élevée à son dieu Kamos, aurait pu se trouver sur un monument du même genre, sur une eben ezer, élevée par un roi de Juda ou d’Israël à son dieu Jahveh. Kamos en effet, irrité contre son peuple, l’avait livré aux mains de ses ennemis ; il lui redevient favorable et il écrase les adversaires du roi de Moab. Jahveh, dont le nom est cité sur cette stèle, ne parle et n’agit pas autrement dans les livres de son peuple.

Le nom de la divinité qui revient presque à chaque verset de la Bible, Elohim, est un pluriel. — Pluriel de majesté, dit-on, pluriel d’excellence. — Soit. Il est bien vrai que, partout où cela était possible, les derniers rédacteurs des livres saints ont mis au singulier les mots qui se trouvaient d’abord au pluriel, mais ils n’ont pu si bien effacer toute trace de polythéisme qu’on n’en retrouve des marques éclatantes dans certaines façons de parler qui ont survécu à la ruine des anciennes croyances d’Israël. Les locutions populaires, monumens les plus sûrs et les plus authentiques des idées d’un peuple, ne se prêtèrent pas toujours aux pieux scrupules des scribes[5]. Dans certains passages parallèles, la rédaction la plus ancienne fait accorder le verbe avec Elohim, tandis que la plus moderne le met au singulier. On fit plus encore. Dans certains morceaux dont on a une double récension, on voit qu’on a substitué partout le mot Jahveh au mot Elohim[6]. Dans les livres des prophètes, c’est le nom de Jahveh qui est sans comparaison l’expression générale pour désigner la divinité. Le mot Elohim est très rare en ce sens, et on ne l’emploie guère que dans certaines formules ou manières de parler consacrées par l’usage. Au contraire plus nous remontons dans le temps vers les plus anciens monumens de la littérature hébraïque, plus nous trouvons l’emploi fréquent du mot Elohim. Le Lévitique et les Nombres (excepté 12-24) sont déjà tout jahvistes, tandis que, dans l’Exode, les documens élohistes et jahvistes sont à peu près d’égale étendue, et que les premiers dominent dans la Genèse. Pour nous, Elohim est bien le pluriel d’Eloah. Elohim implique plusieurs Eloah. Elohim est la preuve indéniable, évidente pour tous, du polythéisme primitif des Beni-Israël.

L’histoire de la religion des Hébreux atteste que, chez ce peuple aussi, l’idée religieuse est née du sentiment de la terreur. « La crainte des Elohim, » voilà le fondement de toute la religion d’Israël. Les passages que l’on pourrait citer ici sont innombrables. Jacob jure par la « terreur » d’Isaac son père. Jahveh, comme Indra et comme Zeus, se manifeste dans les forces de la nature et dans les phénomènes atmosphériques. Le vent est son souffle, sa voix est la foudre qui fait trembler le désert et qui brise en éclats les cèdres du Liban. Il fait tomber la neige et la grêle, il répand le givre, produit la glace et le froid. C’est lui qui soulève la mer quand ses flots se déchaînent. Mais c’est surtout par le feu que Jahveh se révèle à ses adorateurs. La tempête, les éclairs et les tonnerres annoncent sa venue sur l’Horeb et sur le Sinaï, où il apparaît dans la flamme au milieu d’un buisson ardent que le feu ne consume point. On le voit descendre, les ténèbres sous les pieds, porté par le vol d’un keroub. Une fumée s’élève de ses narines, et un feu dévorant sort de sa bouche. Des cieux, Jahveh tonne, et Elion (le Très Haut des Phéniciens, des Carthaginois, etc. ) fait retentir sa voix. Il lance des flèches et disperse ses ennemis, il fait briller l’éclair et les dévore. Dans le désert, Jahveh marchait devant les Beni-Israël, le jour dans une colonne de nuées, la nuit dans une colonne de feu. Il apparaît à Abram au milieu des ténèbres de la nuit comme un « four fumant. » Pour montrer qu’il avait pour agréable un sacrifice, il jaillissait sous forme de flamme entre les morceaux dépecés des victimes étalées sur le bûcher. Il se révèle ainsi à Abraham, à Gédéon, à Élie. Rappelons-nous aussi que, chez les Hébreux comme chez les Perses, le feu est « pur, » que le « feu éternel » devait être entretenu sur l’autel par un prêtre, qu’un même mot désignait à la fois le feu et le sacrifice. Des victimes qu’on lui immole, — taureaux, béliers, brebis, chèvres, oiseaux, — Jahveh se réserve surtout la graisse, dont il trouve l’odeur agréable lorsqu’elle grésille en tombant sur le feu et s’élance vers le ciel en noirs tourbillons de fumée. « Toute graisse appartient à Jahveh, » lit-on dans le Lévitique. Il tressaille de joie à l’idée d’une tuerie, d’un massacre, d’une boucherie d’hommes et d’animaux. Il ruisselle de sang et de graisse. « Le glaive de Jahveh est ivre, dit Isaïe, il dégoutte de sang, il est recouvert de graisse, du sang des agneaux et des boucs, de la graisse des reins des béliers. »

Naturellement le petit de l’homme appartient à Jahveh, comme le petit de l’animal et comme le fruit de l’arbre. Tous les dieux des Sémites, El, Schaddaï, Adôn, Baal, Moloch, Jahveh, Kamos, sont conçus comme des monarques d’Orient. Ils ont des droits absolus sur tout ce qui naît et meurt dans leur empire. L’homme se reconnaît vassal, il adore « le maître, » et apporte à son seigneur les prémices de son troupeau, de son champ, de sa famille. En tant qu’originairement identique à Moloch, Jahveh réclame tous les premiers-nés. « Sacrifie-moi tout premier-né, tout ce qui naît le premier parmi les enfans d’Israël, tant des hommes que des bêtes, car tout cela est à moi. » Les sacrifices humains ont sans doute existé chez tous les peuples, mais ils tiennent surtout une grande place dans les religions sémitiques ; ils n’en ont disparu que fort tard. Partout en effet où ces religions ont pénétré, même chez d’autres races, on retrouve des traces du culte molochique. Dans tous les sanctuaires des colonies phéniciennes établies sur les côtes ou dans les îles de la Méditerranée, à Carthage, en Sicile, à Marseille, à Rhodes, à Salamis, en Crète, il y avait des taureaux de métal ou des statues d’airain du dieu. A certaines époques déterminées, dans certaines cérémonies expiatoires, ou bien encore lorsqu’on voulait conjurer quelque fléau, on jetait dans les flancs du taureau ou sur les bras de la statue rougis à blanc des hommes et des enfans.

Rien n’est mieux établi que l’existence de pareils sacrifices chez les Hébreux en l’honneur de Jahveh, et cela jusqu’au temps de Josias, peut-être même jusqu’au retour de la captivité de Babylone. L’époque des patriarches nous en offre, dans la Genèse (XXII), un exemple fameux. Pendant leur séjour en Égypte, les Béni-Israël continuèrent d’offrir au dieu leurs premiers-nés (Ézéch., XX, 26). Aussi les Israélites passaient-ils aux yeux des Égyptiens pour des adorateurs du mauvais principe, de Typhon meurtrier d’Osiris. A l’époque des juges, qui ne connaît l’histoire de Jephté et de sa fille, de Samuel et d’Agag ? David veut apaiser la colère de Jahveh en mettant à mort sept fils ou petits-fils de Saül, il jette dans la fournaise les prisonniers de guerre. A Guilgal, sanctuaire célèbre, on sacrifiait aux taureaux de fonte de Jahveh des bœufs et des hommes. Il résulte d’un passage de Micha qu’on attachait une vertu expiatoire au sacrifice des premiers-nés. « Offrirai-je mon premier-né pour expier mon crime, — le fruit de mes entrailles pour le péché de mon âme ? » Pendant toute la durée de la monarchie, ces sacrifices ont eu lieu dans les royaumes d’Israël et de Juda, surtout dans la vallée de Ben-Hinnôm, près de Jérusalem, au sud de la montagne de Sion. Là se trouvait le fameux Tophet, sorte de pyrée ou foyer sacré entretenu par des prêtres. Voici quelques paroles d’Isaïe auxquelles on n’a peut-être pas accordé toute l’attention qu’elles méritent, car elles me semblent ne laisser aucun doute sur la nature du Tophet : « Oui, depuis hier (longtemps) Tophet est préparé, il est préparé pour Moloch, il est profond et large. Son bûcher a du feu et du bois en quantité. L’haleine de Jahveh brûle comme un torrent de soufre[7]. » C’est dans ce bûcher que les Hébreux jetaient leurs premiers-nés. Jahveh, la flamme du sacrifice, dévorait ces offrandes. De nombreux passages de la Bible montrent qu’il ne s’agissait pas simplement de faire passer les enfans par le feu, mais bien de les donner en pâture à la flamme.

Plus tard, en effet, après la captivité de Babylone, quand le monothéisme jahviste eut triomphé, on adoucit certaines expressions qui auraient pu scandaliser les Juifs pieux, assemblés dans les synagogues les jours de sabbat pour entendre la lecture des livres saints. Nous avons la preuve que les textes bibliques ont subi des modifications de ce genre dans des passages parallèles comme II Chron., XXVIII, 1-4, et II Rois, XVI, 3. Dans l’un, il est dit que le roi de Juda Achaz « brûla de ses fils au feu ; » dans l’autre, il les fait seulement passer par le feu. Les légendes divines au besoin inspiraient aux peuples et aux rois ces sortes de sacrifices. Eusèbe a conservé un fragment de l’histoire de la Phénicie de Philon de Byblos où Kronos, que les Phéniciens appelaient El, immole son fils unique pour conjurer les périls de la guerre qui menaçait les contrées dont il était roi. C’est ce que fit le roi de Moab Mésa, qui sacrifia son propre fils aîné à Kamos dans les mêmes circonstances, car toutes les formes de Moloch, comme le Milcom des Hammonites et le Kamos des Moabites, à qui Salomon avait bâti des temples sur les collines de Jérusalem, ou comme l’Adrammelech et l’Anammelech des colonies de captifs chaldéens et susiens que Sinacheirib avait fait transporter à Samarie[8], toutes ces formes locales de Moloch avaient comme Jahveh leurs bûchers dévorans et leurs vallées de Ben-Hinnôm. Qu’est-ce que la consécration des premiers-nés à Jahveh ? Qu’est-ce surtout que la circoncision, sinon une transformation de ces sacrifices, amenée fatalement par l’adoucissement des mœurs ? La circoncision, qui comme le sacrifice avait lieu le huitième jour après la naissance, est encore un sacrifice sanglant destiné à apaiser la divinité. La vie des premiers-nés fut rachetée par une indemnité de cinq sicles d’argent pour un mâle, et de trois sicles d’argent pour une fille, lesquels étaient payés aux prêtres.


II

A côté de Jahveh et des autres formes du Moloch sémitique, le dieu qui eut le plus d’autels et de temples dans la Palestine est sans contredit Baal. Pendant la période des juges et de Samuel, qui fut à peu près de deux siècles, les adorateurs de Jahveh associèrent le culte de Baal et d’Aschera au culte du dieu national. Si nous voyons le nom de Jahveh dans des noms propres de ce temps, comme Joas, Jothan, Jonathan, etc., nous retrouvons celui de Baal dans d’autres noms propres de la même époque. Gédéon, un juge d’Israël, s’appelle Jerubbaal. Saül, l’oint de Jahveh, donne à l’un de ses fils les noms d’Esbaal et de Jonathan, et le fils de Jonathan est nommé à son tour Meribbaal. Sous des rois idolâtres et franchement polythéistes comme David et Salomon, sous leurs successeurs surtout, le culte de Baal et d’Aschera fut sans nul doute le plus populaire dans les deux royaumes du nord et du sud. Sous le règne d’Achab, le fameux prophète ou nâbi de Jahveh, Élie, provoque seul quatre cent cinquante nâbis de Baal et quatre cents nâbis d’Aschera. Jezabel, Athalie, si maltraitées par les rédacteurs jahvistes des livres des Rois et des Chroniques, aimaient à s’entourer des prêtres et des prêtresses de ces divinités heureuses et naïvement sensuelles. Les symboles et les cultes de Baal et d’Aschera furent très souvent introduits dans le temple de Jahveh à Jérusalem. A un roi piétiste, comme Ézéchias, qui détruisait les « hauts-lieux, » brisait les stèles de Baal, arrachait, coupait ou brûlait les symboles d’Aschera, succédaient des rois moins intolérans et meilleurs politiques, comme Manassé et comme Amon, qui, pour ne point blesser les croyances du plus grand nombre, rebâtissaient les « hauts-lieux, » replaçaient l’Aschera dans le temple de Jérusalem et rétablissaient le culte de Baal. C’est en vain que Josias lui-même, l’aveugle instrument du coup d’état sacerdotal de Hilkija, renversa tout ce que Manassé avait relevé. Ce Don Quichotte hébreu, l’esprit brouillé par les grimoires de son grand-prêtre, n’eut-il pas la bizarrerie de provoquer Néchao II, un pharaon d’Égypte ? L’homme qui avait égorgé les prêtres de Baal jusque dans les villes de Samarie ne fut guère protégé par son dieu Jahveh, car il resta parmi les morts dans la vallée de Mégiddo.

Après la terreur religieuse du règne de Josias, le polythéisme, et en particulier le culte de Baal, eut un renouveau d’un éclat incomparable, comme l’attestent à chaque page Habakuk, Zacharie, Jérémie et Ézéchiel. « O Juda, s’écrie Jérémie, sous le règne de Joakim, le nombre de tes dieux est celui de tes villes. Autant il y a de rues dans Jérusalem, autant tu as élevé d’autels à l’infamie, d’autels pour encenser Baal ! » Les prophètes de Samarie prophétisaient plus que jamais « au nom de Baal. » Les relations plus fréquentes des Hébreux avec la Phénicie, l’Égypte, l’Assyrie, l’échange des idées religieuses, le scepticisme profond des sages qui, comme l’auteur du livre de Job, ne croyaient plus guère aux rapports nécessaires du bonheur et de la piété, et pour qui Jahveh, son ciel et son Satan, n’étaient plus que des machines poétiques, tout semblait conjuré pour anéantir l’œuvre des grands réformateurs religieux du VIIIe et du VIIe siècle. Heureux d’être, insoucieux de l’avenir, buvant gaîment son vin sous la treille, parmi les chansons bachiques[9] et les danses lascives des filles de Syrie, le voluptueux fils de Jacob se rendait si profondément païen que le prophète, désespéré du triomphe de ces habitudes invétérées d’idolâtrie, disait, découragé : « Comment l’Éthiopien changerait-il sa peau et le léopard ses taches[10] ? »

Ceux qui ont lu la Bible, surtout les vieux livres, savent qu’on n’y rencontre que gens montant vers les « hauts-lieux » ou en descendant, prophètes ou voyans en tête, précédés de joueurs de flûte, de luth, de harpe et de tambourin. Toute colline ombragée par quelque bouquet d’arbres, bois de chêne ou de térébinthe, était un « haut-lieu », un bâmâh, où s’élevait la stèle de Baal à côté du pieu d’Aschera. Nous avons parlé de ces blocs de pierre dressés sur les montagnes, et auxquels se rattachaient certaines légendes des temps mythologiques et héroïques. On avait bâti des sanctuaires sur ces montagnes. Des prêtres y sacrifiaient. Le peuple y montait pour offrir des victimes et de l’encens à Jahveh ou aux autres divinités, mais surtout à Baal et à Aschera. Il en fut ainsi jusqu’au règne de Josias ou plutôt jusqu’à l’époque de l’exil (586). Au temps de Samuel, les « hauts-lieux » les plus renommés étaient Rama, Guilgal, Beth-El et Misspa. Souvent le sanctuaire du « haut-lieu » n’était pas un temple en pierre, mais une simple tente. Sur les autels de Baal s’élevaient des cippes en pierre, des images du soleil ayant la forme d’un cône ou d’une pyramide et figurant la flamme. La mention de ces colonnes est presque toujours accompagnée de celle des ascherim, symboles d’Aschera.

La montagne était à Baal, le bois était à Aschera. Baal ou Bel, c’est le « seigneur, » c’est le « maître du ciel, » Baal-Schammaim, comme l’ont appelé tous les peuples de race sémitique ; c’est, comme l’Apollon homérique, « le dieu qui lance » au loin ses traits, Baal-Schillekh ; c’est le « seigneur flamboyant, » Baal-Hammân, comme il est nommé dans les inscriptions, en un mot, c’est le soleil[11], non plus considéré comme Moloch, c’est-à-dire comme dieu de la destruction et de la mort dans l’univers, mais comme père de la vie, comme dispensateur suprême de la lumière et de la chaleur, comme principe et cause du renouveau qui chaque année couvre la terre d’une végétation luxuriante.

C’est ce dieu, l’antique Baal ou Belitan, auquel la ville d’Itanos, en Crète, rapportait sa fondation, que les plus anciennes colonies phéniciennes ont adoré. Elles mettaient leurs cités sous sa protection et le nommaient Melkarth, « seigneur de la cité. » Sur les cylindres babyloniens, Bel, père des dieux, tient le cercle, image de l’éternité. Chez les Hébreux, on attribuait à Baal l’influence qu’exerce le soleil sur la végétation et les fruits de la terre, comme le blé, la vigne, les oliviers et les figuiers. Les « villes du soleil, » véritables Héliopolis, n’étaient point rares dans la Palestine. En Syrie, le culte du prophète Élie, grâce à la similitude des noms, a remplacé dans beaucoup de lieux le culte du soleil. Quant aux Danites, ils avaient ouvertement adopté ce dernier culte. L’histoire de Samson (Schimschôn, de schêmesch, soleil), l’Hercule de leur tribu, est un mythe solaire. Rappelons aussi que sur l’obélisque de Salmanasar III le soleil est appelé « chef des légions (célestes), » et que le mot employé dans l’inscription pour signifier « légions » correspond au mot hébreu Tsebaoth, « armées, légions, » que l’on rencontre dans la Bible si souvent uni au nom de Jahveh.

Le Jahveh-Tsebaoth des Hébreux est donc bien encore une fois le soleil, l’astre éclatant qui commande à l’armée innombrable des cieux, à la lune, aux planètes et à toutes les étoiles. A côté des grands mythes solaires, dont la signification primitive se perdit avec le temps chez les Sémites comme chez les Aryas, le soleil même fut adoré à Jérusalem dans le temple de Jahveh. Ézéchiel nous montre les adorateurs de l’astre, entre le portique et l’autel, le visage tourné vers l’Orient, prosternés devant le soleil. Les emblèmes du dieu étaient à Jérusalem ces chevaux et ces chars du soleil que les rois de Juda avaient placés à l’entrée du temple[12].

Au-dessous de l’antique Baal, ordinairement désigné dans la Bible par le mot hab-baal, avec l’article, il est un Baal plus jeune, qui, sous mille formes diverses, représente l’action spéciale et variée du soleil sur la terre. D’après les caractères particuliers que lui attribuait la foi populaire, le dieu portait un surnom différent. De là ces Baals qui étaient innombrables dans les royaumes d’Israël et de Juda, et auxquels le prophète faisait allusion lorsqu’il s’écriait : « Tel est le nombre de tes villes, tel est le nombre de tes dieux, ô Juda[13] ! » En Phénicie aussi, comme M. Renan l’a constaté, chaque ville, chaque canton avait son culte, qui souvent ne différait du culte voisin que par les mots ; mais ces mots avaient leur importance. Nomina, numina. Ainsi Baal-Berith, adoré à Sichem, était le dieu ou Baal protecteur de l’alliance politique des tribus. Baal-Zeboub, — le Beelzébub des Évangiles, où l’antique divinité n’est plus qu’un démon, — était un oracle fameux à Ékron, au pays des Philistins, que le roi d’Israël Ahaziah envoya consulter. Balal-Peor était le dieu des voluptés farouches, de l’amour indompté, qui déchire le sein des vierges. Si l’on excepte le culte d’Aschera, dont nous parlerons bientôt, jamais divinité n’eut des rites plus naturalistes.

Quant aux formes locales de Baal, telles que Baal-Hamon, Baal-Hazor, etc., elles sont bien plus nombreuses. Le nom de la divinité parèdre de Baal, de son épouse Baalath, se rencontre aussi plus d’une fois dans la géographie de la Palestine, et atteste l’étendue et l’importance de son culte. Citons seulement Baalath-Béer, ou, comme nous dirions, « Notre-Dame-de-la-Source. » Les inscriptions nous font encore connaître le Jaribol ou Jereah-Beal, Baal uni à la lune (Astarté), l’Aglibol ou Égel-Baal, Baal adoré sous la forme d’un jeune taureau, etc. Sur les monumens figurés, on retrouve en effet Baal sous la forme d’un taureau et Aschera sous celle d’une vache. Au temps des Séleucides, à l’époque d’Antiochus Épiphanes, on grava des images du dieu qui rappellent le Zeus hellénique assis sur son trône, avec son aigle, et des images d’Aschtaroth dont la tête est couronnée de tours.

Mais la forme la plus populaire de Baal, en tant qu’il représente le cours annuel du soleil, était celle d’Adonis (Adôn, Adonaï) ou plutôt de Tammouz. Les religions sémitiques ont connu ces dieux jeunes et beaux comme des adolescens, qui meurent en automne et ressuscitent au printemps. En Palestine, à Jérusalem même, on célébrait les Adonies. « Là se trouvaient assises des femmes pleurant Tammouz, » dit Ézéchiel en parlant du temple. Ce culte devait avoir de bien profondes racines en Judée, car il survécut à la ruine des deux temples de Jérusalem et à la dispersion des Israélites dans le monde entier. Du monastère de Bethléem, en 396, saint Jérôme écrivait à Paulin que « l’amant de Vénus était pleuré dans la grotte où, tout enfant, le Christ vagissait. » il parle encore d’un bois sacré de Tammouz aux environs de Bethléem. Dans la Bible, ce dieu est surtout désigné comme « l’Unique[14]. » Les lamentations funèbres de l’Unique étaient une fête universelle de deuil, surtout parmi les femmes, qui, au milieu des sanglots et des hurlemens des pleureuses, répétaient comme le refrain d’une litanie : « Hélas ! monseigneur ! hélas ! où est sa seigneurie ?[15]. » Ces lamentations étaient passées « en coutume dans Israël. » Ainsi les filles d’Israël pleuraient chaque année pendant quatre jours la fille a unique » de Jephté, adorée comme une déesse par les Samaritains[16].

Mais c’est surtout à Byblos, ville sainte de pèlerinage, parmi ces populations du Liban qui paraissent avoir eu plus de ressemblance avec les Hébreux que les Chananéens de Tyr, de Sidon et d’Aradus, c’est surtout dans la vallée du fleuve Adonis que s’élevaient les sanctuaires les plus vénérés du dieu. Dans une page admirable de sa Mission de Phénicie, M. Renan a décrit ces montagnes du Liban, ces « Alpes riantes, » et la race actuelle du pays de Byblos, vive, éveillée, bonne, sensuelle, où l’on retrouve des « types revenans » comme en Égypte. « Le charme infini de la nature, dit-il en parlant de cette contrée, y conduit sans cesse à la pensée de la mort, conçue non comme cruelle, mais comme une sorte d’attrait dangereux où l’on se laisse aller et où l’on s’endort. Les émotions religieuses y flottent ainsi entre la volupté, le sommeil et les larmes. Encore aujourd’hui les hymnes syriaques que j’ai entendu chanter en l’honneur de la Vierge sont une sorte de soupir larmoyant, un sanglot étrange[17]. » Dans la vallée subsistent encore de nombreux restes de ces « tombeaux d’Adonis, » sortes de « saints sépulcres, » où les femmes des mystères antiques, dans l’ivresse d’une voluptueuse douleur, venaient couvrir de larmes et de baisers le cénotaphe du bel adolescent qu’une bête sauvage, un ours ou un sanglier, avait tué dans la montagne, et dont le sang rougissait l’eau du fleuve ; aujourd’hui encore, après la saison des pluies, le Nahr-Ibrahim, prend chaque année une teinte rougeâtre. La piété des Libaniotes avait certainement localisé en divers lieux la mort d’Adonis. A Ghineh, on voit sculptée sur deux pans de rocher la passion du dieu. Ici, un homme vêtu d’une tunique courte reçoit, la lance en arrêt, l’attaque d’un ours. Là, une femme assise sur un siège dans l’attitude de la douleur. C’est la Baalath, l’épouse inconsolable du dieu de lumière et de vie, « la grande déesse, » la « déesse céleste, » comme l’appellent les inscriptions de Syrie ; c’est l’amante inconsolable, enfiévrée d’amoureux désirs, qui ne veut ni ne peut croire à la mort du bien-aimé, et qui partout cherche son Adonis, comme Isis son Osiris et Cybèle son Atys.

C’est après la moisson, en automne, quand du haut de l’éther le soleil défaillant n’envoie plus que quelques pâles rayons à la nature en deuil, qu’avaient lieu à Byblos les fêtes d’Adonis. Pour représenter symboliquement la mort du dieu, les femmes plantaient dans des vases de la laitue, de l’orge et du fenouil, et exposaient ces plantes sur les terrasses des maisons. Bientôt fanées et flétries, ces plantes étaient l’image du dieu défunt. Dans le sanctuaire, des flots d’encens montaient autour du lit funèbre où, sur des tapis. « plus moelleux que le sommeil, » gisait le simulacre d’Adonis, embaumé dans la myrrhe aux acres parfums et dans des herbes aromatiques d’une senteur énervante. Plus tard, on alla jusqu’à descendre le dieu dans une chambre sépulcrale. Au septième jour, Adonis ressuscitait, si la résurrection suivait immédiatement la fête des larmes, et alors éclataient ces accens de joie délirante qui, en Orient, succèdent si rapidement aux gémissemens et aux sanglots. Toute femme, et non pas seulement les pleureuses d’Adonis, devait sacrifier au dieu sa chevelure, ou s’abandonner un jour entier aux étrangers et consacrer à la Baalath le prix de la prostitution sacrée.

Comme dieu du printemps, Adonis avait une seconde fête à laquelle le mois de mai (ijar) était consacré. L’ardeur dévorante de juin, — mois qui, chez les Araméens, s’appelle haziran, mois du sanglier, — tuait le soleil de la jeune année, que l’on pleurait en juillet sous le nom de Tammouz. Ce mois portait le nom du dieu dans le calendrier syrien et hébreu, qui est, comme on sait, d’origine chaldéo-assyrienne. C’est cette fête de Tammouz que l’on célébrait à Jérusalem, dans toute la Palestine, comme en Syrie et en Phénicie, et qui pénétra même en Babylonie. C’est au mythe d’Adonis ou de Tammouz, tué par un sanglier dans les forêts du Liban, qu’il convient sans doute de rapporter la défense, encore en vigueur chez les Israélites, de manger de la viande de porc. Ce qui paraît prouver que cette interdiction est non le résultat d’une nécessité hygiénique, mais bien l’effet d’une idée mythologique, c’est qu’on retrouve la même coutume chez tous les peuples où le culte d’Adonis a pénétré, quels que soient le sol et le climat, chez les Phéniciens et chez les Syriens comme chez les Arabes, chez les Sabiens comme dans l’île de Cypre.


III

La bonne déesse Aschera, la Baalath de Baal, moins pleureuse que celle d’Adonis, n’était ni moins tendre ni moins voluptueuse. Fécondée chaque année par l’amant céleste, elle respire la joie, la sérénité, la profonde paix des déesses mères de la race aryenne, de notre Déméter par exemple. Et en effet, en tant que divinité parèdre du dieu de lumière, de chaleur et de vie, en tant qu’épouse de Baal, Aschera n’est autre que la nature sortie du lourd sommeil d’hiver. Aux chauds rayons d’avril, elle s’éveille, elle écoute bruire les germes innombrables, les semences des choses qui s’agitent dans son sein, et, tandis que son corps, baigné dans l’air lumineux, se couvre d’une végétation monstrueuse, elle fait foisonner le poisson dans l’eau visqueuse des havres et augmente l’ardeur de ses colombes dont les nids peuplent les noirs cyprès. Comme Isis, cette déesse pourrait être qualifiée de « Myrionymos. » A Ninive c’était Bélit, à Askalon Derkéto. Voilà pourquoi, jusqu’aux temps modernes, les femmes relevées de couches, les lépreux, etc., apportaient au temple des colombes et des tourterelles. Voilà pourquoi, aujourd’hui encore, le culte antique des poissons, très populaire dans toute la Syrie, s’est conservé dans le village de Deschon et dans une petite mosquée musulmane près de Tripoli. Identique au fond à l’Astarté des Phéniciens, à la Tanit ou Rabat-Tanit de Carthage, à l’Alilat (Alilâhet) des Arabes, à la Baaltis de Byblos, à la déesse syrienne d’Hiérapolis et à la Mylitta (Zarpanit) assyrienne, Aschera doit pourtant être distinguée de toutes ses sœurs divines. Chez des peuples aussi dénués d’imagination plastique et de sens artistique, les dieux restèrent toujours à l’état de formes vagues, indécises et flottantes. Nulle fermeté dans les contours, nulle détermination sensible, rien qui rappelle la vie et la personnalité des dieux homériques. Les divinités sémitiques ressemblent plutôt à ces dieux de l’enfance de la race aryenne, à ces divinités presque sans consistance encore des Védas, où Varouna, Indra, Agni, se confondent si souvent, et où le dieu qu’on invoque, Indra, Savitri ou Roudra, est toujours le plus haut et le plus puissant des dieux. On peut encore les comparer aux Titans grecs, à Okéanos, à Hélios, à Géa, ou mieux encore, aux abstractions divines des Romains, comme Fides, Virtus, etc. Il est donc très difficile parfois de distinguer avec précision les divinités diverses du panthéon sémitique. Aussi voyons-nous dans la Bible que El, Baal, Moloch et Jahveh ont été fréquemment confondus. Il y a là cependant au moins trois dieux bien distincts pour la mythologie. De pareilles distinctions ne font guère saisir qu’une différence dans le même, si l’on peut parler ainsi, elles ne sont qu’affaires de nuances et d’approximations délicates, parfois subtiles, mais elles ne sont point arbitraires, et reposent souvent, comme c’est le cas pour Aschera, sur de solides argumens historiques et géographiques.

Cette déesse, dont le culte était associé dans les royaumes de Juda et d’Israël au culte de Baal et même à celui de Jahveh[18], appartenait à l’origine aux tribus chananéennes du sud, mais nullement à la Phénicie ni au pays des Philistins. Bannie par les rois piétistes, comme Ézéchias et Josias, elle eut néanmoins partout des autels et des adorateurs, — et dans le temple même de Jérusalem, — jusqu’à la captivité de Babylone, puisque Jérémie parle encore d’elle, et que le Deutéronome, un siècle après Isaïe, défend de dresser son symbole auprès de l’autel de Jahveh. Toutefois, comme on ne lit son nom dans aucun auteur classique, on peut croire que le Culte d’Aschera avait presque entièrement disparu avant la période hellénique de l’Orient.

Astarté (Aschtoreth), qui ne fut jamais populaire chez les Hébreux, est seule connue des écrivains grecs. Jusqu’à Movers, Aschetta et Astarté ont même été confondues par la science. On a retrouvé l’Astnarté des Phéniciens dans le nom pluriel de la double Istar de l’Assyrie, l’Istar d’Arbèles et celle de Ninive ; le caractère guerrier de la première répond très bien à l’Astarté de la Phénicien et le caractère voluptueux de la seconde à la bonne déesse Aschera de la Palestine. Ces deux faces de la divinité féminine chez les Sémites paraissent aussi dans Anat, déesse parèdre d’Anu, qui entre dans la composition d’un grand nombre de noms propres de la Palestine, et dont on peut étudier les deux aspects, répondant aux deux côtés de son rôle divin, sur trois stèles égyptiennes de la XIXe dynastie. Ici, elle est représentée nue, vue de face, comme la Zarpanit de Babylone, debout sur un lion passant, avec un ou deux serpens dans la main gauche et un bouquet de lotus dans la droite. Là, elle est vêtue, casquée, armée de la lance, du bouclier et de la hache.

Aussi bien, les livres de Samuel et des Rois nous disent clairement qu’Astarté est une divinité étrangère adorée par les Phéniciens et par les Philistins. Quoique le nom d’Astarté, soit seule, soit associée à Baal, paraisse de bonne heure dans la Bible[19], elle n’est citée nulle part dans le Pentateuque. La déesse était pourtant connue, dès une haute antiquité, sur les côtes de la Syrie et à l’est du Jourdain, où se trouvait la ville d’Aschteroth-Karnajim, « Astarté aux deux cornes, » dont la Genèse fait mention. Un passage de Sanchoniathon nous représente en effet Astarté comme ayant une tête de taureau ou de vache. Nul doute qu’à l’origine Astarté n’ait été une déesse céleste plutôt qu’une divinité tellurique comme Aschera. En Phénicie et dans les colonies phéniciennes, les cornes d’Astarté figuraient le croissant de la lune. De là les noms de « Luna, » de « Séléné » et « d’Aphrodite céleste » que lui ont donnés les écrivains grecs et latins. C’est Salomon qui introduisit officiellement en quelque sorte le culte d’Astarté à Jérusalem, et, jusqu’à Josias, la déesse eut un temple dans cette ville. C’est elle sûrement que Jérémie appelle la « reine des cieux, » melecheth ha schmmnaim. Le prophète nous montre les enfans ramassant du bois, les pères allumant le feu et les femmes pétrissant la pâte pour faire les gâteaux du sacrifice qu’elles offraient à la déesse avec des libations et des encensemens. Qu’est-ce que les « bénédictions de la lune » que récitent encore les Israélites, du septième au seizième jour de chaque néoménie, le soir, quand la lune se lève, sinon un reste de ce vieux culte naturaliste ? On dit trois fois : « Que cela soit d’un bon présage pour nous et pour tout Israël ! » En adressant cette prière à la lune nouvelle, l’Israélite « s’élance au-devant d’elle ; » il ajoute, les yeux toujours fixés sur le croissant céleste : « Que sur mes ennemis tombent la terreur et l’épouvante !… Qu’ils deviennent immobiles comme des pierres !… Selah ! Selah ! Selah ! »

D’après I Samuel, XXXI, 10, on voit que les Philistins, qui adoraient aussi cette déesse, déposaient dans son temple les armes et les dépouilles des vaincus. Ce caractère guerrier est un des traits qui peuvent servir à distinguer Astarté d’Aschera. C’est dans le temple d’Astarté, peut-être à Askalon, où était le plus ancien temple de la déesse, que les armes de Saül furent placées, tandis que, selon la Chronique, on aurait envoyé la tête du héros dans le temple de Dagon. Ce dieu étrange, dont le nom indique clairement le caractère et la forme (dag, poisson), avait des temples fameux desservis par un grand nombre de prêtres, à Asdod, à Gaza, à Askalon, etc. Les noms de lieux Kephar-Dagon, Beth-Dagon, attestent que son culte était aussi très répandu dans la Palestine au temps des juges. On sait aujourd’hui que ce dieu est, avec Marduk, une des formes secondaires du Bel démiurge de Babylone. Dagon avait une tête coiffée de la tiare et deux mains à l’état libre, non attachées au corps, lequel, du tronc à l’extrémité inférieure, représentant une queue de poisson. On a retrouvé ce dieu sur les médailles phéniciennes, les bas-reliefs de Ninive et les cylindres babyloniens. La déesse parèdre, Derkéto, avait la même forme. Ce sont là des divinités sémitiques d’une antiquité prodigieuse et dont on ne pouvait arriver à bien déterminer la nature qu’après une étude immédiate des monumens de Ninive et de Babylone.

Quant à Aschera, nous ne la connaissons que par quelques textes hébreux de la Bible. Nous avons dit que son symbole s’élevait à l’ombre des arbres verdoyans, sur les hautes collines, à côté de la stèle de Baal. Comme divinité tellurique, manifestant surtout sa puissance dans la végétation, Aschera était particulièrement adorée dans les bois et dans les forêts. Le culte des arbres ne disparut que très tard en Syrie. Si les livres des Rois et des Chroniques n’en parlent plus guère, il n’en est pas de même dans des livres plus anciens des Juges et de Samuel et dans la Genèse. Tout arbre, tout bois sacré était aux jours antiques un lieu de sacrifice. Quand Abram vint s’établir sous les chênes de Mamré, il y bâtit un autel. Le bouquet d’arbres que ce patriarche avait plantés à Beer-Shéba et où Isaac avait élevé un autel était même devenu au temps du prophète Amos un foyer d’idolâtrie des plus renommés. Au temps de Josué, l’arche sainte était sous les chênes et sous les térébinthes de Sichem. C’est sous un arbre, « qui était près de l’arche de Jahveh, » que le héros dressa une pierre en disant au peuple : « Voici, cette pierre nous servira de témoignage, car elle a entendu toutes les paroles de Jahveh, qu’il a prononcées avec nous… » La fameuse pierre noire de la Kaaba des Arabes antéislamiques avait aussi des yeux et des oreilles. Au temps des juges, c’est encore sous les chênes de Sichem que les Sichemites se rassemblent pour délibérer sur les affaires publiques. Il y avait là un chemin appelé le chemin d’Elon-Meonim, « chênes des enchanteurs. » La prophétesse Déborah rend des oracles sous un palmier. Le murmure des arbres sert d’oracle à David. Les arbres les plus gros et les plus grands, ceux qui conservent leurs feuilles en toute saison, ont été adorés comme des dieux. Un grand nombre de mythes sémitiques se rattachent aux végétaux. Ainsi le grenadier, renommé pour la richesse de sa graine, était consacré à Adonis et à Aphrodite. L’amandier qui, alors que la nature semble inanimée, sort le premier du sommeil d’hiver, l’amygdale, c’est-à-dire la « grande mère, » avaient donné naissance à une foule de légendes sémitiques. Que, parmi les cèdres et les cyprès du Liban, quelques-uns aient été adorés pour leur grand âge ou pour leur beauté, c’est ce qui ressort de quelques passages d’Isaïe et d’Habakuk[20].

C’est sur l’emplacement des bois sacrés, auprès des arbres vénérés, que se sont élevés les sanctuaires des divinités qui ont été successivement adorées dans ces lieux, depuis Aschera, Baal et Jahveh jusqu’à saint George, saint Maroun et le Christ. Dans le Liban, toujours une chapelle a remplacé un vieux temple en ruines. Un caroubier séculaire, un petit bois de chênes ou de lauriers, abritent d’ordinaire ces débris. Sozomène nous parle d’une fête païenne qu’on célébrait encore au temps de Constantin sous la chênaie de Mamré. C’était une sorte de foire où l’on se rendait en foule, et où l’on sacrifiait des bœufs, des boucs et des brebis, avec. force libations et encensemens[21]. Malgré le judaïsme, le christianisme et l’islam, la vénération des arbres a persisté en Palestine. Les voyageurs ont tous vu quelques-uns de ces arbres isolés, auxquels les habitans rendent un véritable culte. Il n’est pas rare non plus de rencontrer dans ce pays des arbres tout couverts de haillons et de lambeaux d’étoffes. Ces chiffons ont été suspendus aux branches par des Arabes ou par des Syriens pour éloigner les fièvres ou pour obtenir la guérison de certaines maladies.

Ainsi en Palestine les bois appartenaient au culte d’Aschera. Voilà ce qui explique pourquoi, en faisant mention de ce culte, la Bible par le souvent des « arbres verdoyans, » des « arbres au feuillage touffu, » des chênes, des peupliers, des térébinthes, à l’ombre desquels des prêtresses d’Aschera observaient les rites Voluptueux de la bonne déesse[22]. Ces sanctuaires d’Aschera étaient des lieux charmans, des bois ombreux au vert feuillage, souvent arrosés par des eaux courantes, de mystérieux asiles où l’on n’entendait guère que le roucoulement des colombes consacrées à la déesse. Le symbole d’Aschera, un simple pieu, un tronc d’arbre dépouillé de ses branches et de ses feuilles, était l’emblème de la puissance génératrice. Il était également consacré comme symbole de la fécondité de la nature à toutes les déesses sœurs d’Aschera, à Astarté, à la déesse syrienne, à celle de Cypre, etc. Aschera est l’Istar de Ninive, l’Istar voluptueuse, appelée aussi Asurit, « l’heureuse, » « la bonne fortune. » Sur la stèle de Mésa, on lit : Astar Kamos. On a identifié Istar avec l’Athtâr des inscriptions himiarites ([23]. Selon M. Merx, Aschera ne peut signifier que « l’heureuse, » « la fortunée, » la déesse qui donne le bonheur.

Le symbole d’Aschera n’était pas plus rare en Palestine que ne l’était celui de ses sœurs divines en Phénicie, en Syrie, en Égypte, et chez presque tous les peuples de la terre. Ces pieux symboliques ont été plus tard assimilés à des idoles ; on les plaçait aussi, comme chez les Latins, dans les jardins et dans les plantations. Jérémie et Isaïe ont, comme Horace, des railleries pour ces « dieux des jardins. » Ceux dont on se servait pour l’usage du culte étaient toujours en bois ; de là les mots : « couper, » « arracher, » « brûler, » qui reviennent toujours dans la Bible quand on parle de la destruction des ascherim. La grandeur de ces idoles dut être souvent considérable. Du bois coupé d’une Aschera, que dix hommes ont abattue avec lui, Gédéon construit un bûcher sur lequel il offre en holocauste un bœuf entier ; mais plus tard, sous les rois de Juda et d’Israël, le symbole d’Aschera devint certainement un objet de piété vulgaire que l’on rencontrait dans toutes les maisons. Ainsi, dans nos provinces de France, on voit encore sur les grandes routes, aux carrefours, des bois qui servent de reposoirs à l’époque de la Fête-Dieu, de grandes croix géantes, tandis que, sous les porches des églises, les marchands de pacotille religieuse vendent pour quelques sous de petits christs en bois ou en métal. Les femmes riches d’Israël, les bourgeoises de Jérusalem, portaient sur elles des symboles d’Aschera en or ou en argent, sortes’ de médailles de la Vierge de ces temps-là, qui étaient à la fois des bijoux et des objets de dévotion[24]. Ce culte en général a toujours été la chose des femmes, comme en témoigne l’histoire de la reine Maacha. Le fils de cette reine, un roi piétiste de Juda, Assa, mit brutalement en pièces et brûla dans la vallée de Cédron l’idole que cette pieuse princesse avait fait faire pour Aschera. Au printemps, comme chez nous à l’époque des Rogations, de longues processions de prêtres et de hiérodules promenaient dans les champs où le blé commençait à germer le naos d’Adonis, représenté par un symbole du même genre.

Après les sacrifices humains, la prostitution sacrée est ce qui caractérise essentiellement la religion primitive des Beni-Israël. Il en a naturellement été de même dans les autres familles de la race sémitique ; mais ne parlons que des Juives et des Syriennes. Certes ce n’est pas sans raison que, dans le Deutéronome (XXIII, 17), vrai livre de piété édifiante écrit quelques années avant la captivité de Babylone, la prostitution est défendue aux fils et aux filles d’Israël. Jamais race humaine n’eut un tempérament plus voluptueux[25]. La Juive a l’impudeur naïve, la lèvre rouge de désir, l’œil humide et singulièrement lumineux dans l’ombre. Affolée de volupté, superbe de ses triomphes, ou simplement féline et caressante, c’est toujours la créature « insatiable, » la fille a aux sept démons » dont parle l’Écriture, sorte de fournaise ardente où le blond Germain fond comme cire. Autant qu’il était en elle, de ses bras souples et nerveux, la Syrienne a traîné dans la tombe les derniers fils épuisés de la Grèce et de Rome. Mais qui dira la grâce et les molles langueurs de ces filles syriennes, leurs grands yeux noirs cernés, les tons bistrés et chauds de leur peau ? A voir cette créature humble et douce, affaissée et comme accablée par un secret malaise, traînant ses babouches sur les dalles d’un gynécée, on eût dit une esclave stupide. Quand la fureur des sens était apaisée, elles tombaient dans un accablement infini, et tandis que leurs visages ruisselaient de larmes involontaires, leurs bouches exhalaient ces lamentations douloureuses et mystiques dont nous retrouvons un écho dans les litanies de Tammouz. Ces filles, morbides et enfiévrées, étaient très fines, très intelligentes, d’une habileté tout à fait consommée. Hier esclaves, reines aujourd’hui. Comme la Sulamite du Cantique, elles unissaient très bien l’instinct profond de la volupté au sens pratique des affaires. Elles n’en gardaient pas moins toujours, au sein même des raffinemens du plaisir les plus inouïs, je ne sais quoi de grave et de religieux qui faisait des femmes de cette race les vraies, les seules prêtresses de l’amour.

C’était généralement sur les « hauts-lieux, » où l’on offrait des sacrifices, à côté de la tête de Baal ou de Jahveh et du symbole d’Aschera, que se dressaient les tentes des prostituées sacrées[26]. La Bible désigne la fête des prostitutions sacrées sous le nom de Soucoth Benoth, « les tentes des filles. » Il s’agit de la fête des Sacées. L’opinion de Movers, qui compare ce nom à celui d’une des grandes solennités de l’année juive, la fête des tentes ou des tabernacles, a aujourd’hui prévalu dans la science. Diodore signale à Carthage une fête analogue importée sans doute de la Phénicie. Quand Ézéchiel personnifie Jérusalem et Samarie sous les traits de deux prostituées, il les désigne par des noms que Movers a dérivés avec raison d’un mot hébreu signifiant tente. Ajoutons qu’il y avait en Palestine une ville dont le nom vient sûrement de soucoth, « tentes[27]. » A Babylone, cette « fête des tentes » était originairement consacrée à Zarpanit, déesse qui, nous le verrons bientôt, personnifiait la puissance génératrice de la nature.

Ces tentes étaient tissées et ornées de figures par les prêtresses d’Aschera. Revêtues d’habits splendides, la chevelure humide de parfums, les joues couvertes de vermillon, le tour des yeux noirci d’antimoine, les cils allongés avec un mélange de gomme, de musc et d’ébène, les prêtresses attendaient sous ces tentes[28], sur des lits spacieux[29], les adorateurs de la déesse ; elles faisaient leur prix et leurs conditions, et versaient l’argent dans le trésor du temple. Aux jours de fête, les pèlerins se rendaient en foule au sanctuaire et visitaient les tentes. Souvent ces prêtresses d’Aschera n’appartenaient pas au sanctuaire. Assises aux carrefours des villes, sur le bord des chemins, le front ceint d’une corde, elles se livraient à tout venant, et consacraient à la déesse le bouc ou les quelques pièces d’argent que l’étranger leur avait donnés[30]. Le bouc était l’animal offert à la déesse par les prostituées dans tous ses sanctuaires ; mais le plus souvent, le présent consistait en une pièce d’argent, comme à Babylone, où l’étranger disait en la leur jetant sur les genoux : « Que Bélit te protège[31] ! » Dans la lettre dite de Jérémie, on voit ces femmes assises en longue file dans les rues. Quand l’une d’elles a été emmenée, elle raille celle de ses compagnes dont la corde n’a pas encore été rompue. Souvent c’étaient des femmes stériles qui se vouaient au culte de la déesse pour devenir mères.

Déesse de la terre fécondée, Aschera l’était aussi de la conception. M. François Lenormant remarque que la Mylitta d’Hérodote reproduit fort exactement l’épithète de Mulidit, « la génératrice, » que portait la grande déesse nature de l’Assyrie, Bélit, mère de tous les dieux et de tous les êtres. Considérée comme Mulidit, Bélit était confondue dans la religion de Babylone avec Zarpanit ou Zir banit, « la productrice des germes, » associée comme épouse à Bel Marduk. Sur les cylindres babyloniens, Zarpanit est représentée nue, toujours de face, les deux mains sur la poitrine. Cette déesse, à qui étaient consacrées les « tentes des filles » en Babylonie, est aussi invoquée comme présidant aux enfantemens, et son attribution de Lucine l’a même fait identifier avec Héra par Diodore de Sicile. Dans l’inscription découverte à Babylone parmi les ruines du temple de la déesse, on lit une prière, traduite par M. Oppert, qui confirme pleinement ce caractère. On a retrouvé dans la même inscription le singulier du mot qui sert à désigner dans la Bible les « tentes » dont nous parlons. Le sanctuaire de Zarpanit était une sorte de karavanséraï, un grand bâtiment muni de cellules. Des cellules du même genre, servant au même usage, existaient à Jérusalem, dans le temple même de Jahveh, où Aschera avait son symbole et était adorée. « Il (Josias) démolit les maisons des prostitués. qui étaient dans le temple de Jahveh, où les femmes tissaient des tentes pour Aschera[32]. »

On le voit, les prostitués étaient des deux sexes. Les hommes étaient appelés kedeschim, les femmes kedeschoth, c’est-à-dire « saints, voués, consacrés. » Le Deutéronome atteste que les uns et les autres apportaient au trésor du temple de Jahveh le produit de leur prostitution. Voilà ce qui payait en partie les frais du culte à Jérusalem, comme à Byblos, à Carthage, à Paphos, à Hiérapolis. Ces frais devaient être immenses, si l’on en juge par le caractère somptueux des cérémonies religieuses, et par le nombre presque infini des prêtres de tout rang et des hiérodules des deux sexes. A Comana de Cappadoce, Strabon n’en vit pas moins de six mille. En Arménie et dans les pays voisins, où le culte d’Anaïtis, l’Anat babylonienne, l’épouse d’Anu, montant vers le nord avec l’influence de la civilisation chaldéo-assyrienne, avait pris un développement aussi considérable qu’à Comana de Cappadoce, à Comana du Pont et à Zéla, la déesse possédait autour de son temple un vaste territoire, cultivé par de nombreux esclaves de l’un et de l’autre sexe, en qualité de hiérodules ou de serfs de la déesse. Le culte d’Anaïtis était accompagné de prostitutions sacrées pareilles à celles de Babylone.

On comptait différentes classes de prêtres. Au sommet de la hiérarchie, un grand-prêtre, le premier après le roi, comme à Comana de Cappadoce, dont la dignité était souvent héréditaire, comme chez les Hébreux, en Phénicie, à Paphos. Ensuite venaient les prêtres et les théophorètes, puis tous ceux qui, comme les lévites d’Israël, remplissaient dans le temple des fonctions inférieures, les chantres, les joueurs de flûte et de harpe ou kinnor, ceux qui coupaient, fendaient le bois des bûchers où l’on brûlait la chair des victimes, ceux qui apportaient l’eau pour les lustrations, etc., enfin les netinim ou esclaves du temple. Les prêtres de tout sanctuaire important possédaient en propre une ou plusieurs villes, avec des domaines considérables que mettait en rapport une population de laboureurs et de bergers, vassaux du temple. On sait que les lévites pouvaient résider dans un grand nombre de villes situées sur le territoire des tribus d’Israël, avec le droit de pâturage hors les murs de chacune de ces villes. Ils possédaient quarante-deux villes et six villes de refuge. Ils prélevaient en outre la dîme sur les fruits des champs et des jardins et sur les animaux domestiques.

Parmi les prêtres, les uns demeuraient dans le temple, les autres vaquaient ça et là dans les campagnes et dans les villes, prenant du service là où ils en trouvaient[33]. Car, aux jours antiques, tout chef de famille qui pouvait entretenir un ou plusieurs prêtres dans sa maison ne s’en faisait faute. Micha en achète un, un lévite de Bethléem de Juda, au prix de dix pièces, d’argent par an. Micha avait sous son toit une idole en fonte, sans doute un taureau de métal, un éphod et des téraphim, si bien que sa maison était pour les gens du pays une « maison des dieux, » Beth-Elohim. Mais les bandes de hiérodules se composaient surtout de kedeschim. Ces cinèdes, plusieurs fois expulsés du royaume de Juda par quelques princes piétistes, comme Assa et Josaphat, s’y trouvaient encore en grand nombre aux derniers temps de la royauté, puisque le Deutéronome les désigne comme habitant dans le temple même de Jérusalem. Le saint livre donne à ces dévots d’Aschera le nom significatif de « chiens. » Ces eunuques sacrés portaient des vêtemens de femme aux couleurs éclatantes, ils se coiffaient d’un turban de lin ou de soie jaune, ils se fardaient le visage et se mettaient de l’antimoine aux yeux. En tout, ils voulaient paraître femmes. Leurs molles attitudes, leur air lascif et provoquait, allaient parfois jusqu’à donner le change[34]. Qui ne connaît le mythe d’Hercule et d’Omphale ? Qui ne sait que l’union d’Adonis et d’Astarté fut figurée par des représentations hermaphrodites ? L’aphrodite de Cypre avait une barbe au menton. Voilà pourquoi on lit dans le Deutéronome (XXII, 5) : « Une femme ne prendra point le costume d’un homme, ni un homme des vêtemens de femme. »

Ces kedeschim allaient donc par les bourgs et par les villes, précédés de joueurs de flûte et de musiciens qui soufflaient dans des trompes. Les bras nus jusqu’aux épaules, ils brandissaient des coutelas, des fouets garnis d’osselets, sorte de disciplines, et dansaient dans les rues aux sons d’une musique sauvage de flûtes, de crécelles, de sistres, de fifres, de cymbales et de tambourins. Arrivés dans la cour d’une ferme ou sur une place publique, ils se mettaient à pousser des hurlemens, et, la tête renversée, le cou tordu, ils se tailladaient les bras avec des couteaux. Puis le plus furieux de la bande, tout ruisselant de sang, commençait à prophétiser[35] . Le tout se terminait par une quête dans laquelle les kedeschim recueillaient des figues, de l’huile, du froment et quelques pièces. d’argent. L’es hiérodules femmes, les kedeschoth, parcouraient aussi le pays en jouant du tympanon ; des cymbales et de la double-flûtei. Les Syriennes ont toujours eu dans l’antiquité la réputation d’être bonnes musiciennes. Ces sortes de bayadères paraissent avoir été fort nombreuses dans les villes de La Phéniciè et de la Judée. Isaïë[36] nous a conservé un fragment de chanson populaire qu’on avait faite sur elles : « Prends ta cithare, parcours la ville, courtisane oubliée ! Joue bien, chante beaucoup, pour que l’on se souvienne de toi ! »

Nous avons essayé de démontrer que la religion primitive dès Beni-Israêl, comme celle de la Chaldée et de l’Assyrie, était une religion naturaliste où dominait l’élément sidéral. Et cependant nous n’avons rien dit du culte des astres et des constellations du zodiaque en « mansions célestes, » que le peuple de Jahveh adorait sur les terrasses des maisons et dans les parvis mêmes du temple de Jérusalem, comme on les adorait sur les bords de l’Euphrate et du Tigre. Parmi les divinités qui, dans le système religieux chaldéo-assyrien, sont placées au-dessous de Bel, on a retrouvé le dieu du sort, Manu, associé à la déesse de la fortune) Gad, dont parle Isaïe ; Bau, qui est évidemment le chaos de la Genèse ; Usu, l’Esaü de l’époque mythologique de la Bible ; Kimmut, le dieu de la constellation du Serpent, ou plutôt des Pléiades, du livre de Job, etc. Nous n’avons rien dit des fleuves sacrés qui, comme l’Adonis de Gébeil et le Bélus de Saint-Jean-d’Acre, portaient le nom d’une divinité. Se plonger sept fois dans les eaux du Jourdain guérissait de la lèpre[37]. Nous n’avons rien dit du lac Méron ni des autres lacs consacrés aux déesses d’Askalon et d’Hiérapolis, ni de la source vénérée du Jourdain et des autres sources également saintes de la Palestine. Nous avons rappelé qu’on sacrifiait sur les collines et sur les montagnes, et que tous les temples fameux des Sémites avaient été bâtis sur des hauteurs ; mais nous n’avons point parlé du Morijah, du Tabor, de l’Horeb, de tous ces monts sacrés où Jahveh se révélait dans la flamme à ses adorateurs. Il habite à jamais sur la montagne de Basan[38] . Il se montre lui-même avec toute sa majesté aux yeux de l’homme dans le passif du cap Théou-Prôsopon (Phaniel ou Phanuel), « visage de El. » Une ramification de l’Anti-Liban, le neigeux Hermon, est appelée la montagne de Baal-Hermon[39], et était encore, au IVe siècle de l’ère chrétienne, révérée comme un dieu par les populations syro-phéniciennes. Dans les traditions juives, cette montagne devint même une sorte de Brocken où, comme dans une nuit de Walpurgis, les anges s’étaient unis aux filles des hommes. Les Hébreux ont certainement adoré le Liban comme un dieu. Le Carmel, où se trouvait encore au premier siècle de notre ère un oracle célèbre, était bien tout à la fois, comme le dit Tacite, une montagne et un dieu[40].

Enfin, après avoir étudié les divinités des cieux, des fleuves, des lacs, des sources et des montagnes, il aurait encore fallu rechercher quelles étaient ces divinités des plaines et des forêts, ces satyres qu’Isaïe nous montre bondissant çà et là dans le désert, s’appelant et se rencontrant dans les solitudes[41]. Les Hébreux ont connu les spectres du matin, les démons du midi, et l’essaim malfaisant des esprits de la nuit[42]. Les divinités babyloniennes et phéniciennes sont souvent devenues des démons chez les Juifs, et plus tard chez les premiers chrétiens. M. François Lenormant nous apprend à ce sujet que, dans les formules magiques de la feuille d’argent d’origine juive entrée au Louvre avec la collection Campana, les démons serpentiformes sont nommés barbar, appellation accadienne du dieu Marduk (planète Jupiter). Les Hébreux ont surtout dans leur démonologie un monstre étrange et vraiment sémitique, c’est Lilith, à l’origine une des épouses du dieu assyrien Samas, le soleil, et dans laquelle il faut voir la nuit, sorte de goule funèbre, larve nocturne qui prend la forme et la parure d’une jeune épousée, démon de luxure et de cruauté, qui sournoisement tue les enfans et égare le voyageur attardé dans le désert, le guette à l’heure sombre où le sommeil le dompte, l’enlace de ses bras de spectre et boit sa vie dans un baiser de feu.

Aussi bien, le déchiffrement des inscriptions cunéiformes et l’étude des monumens de la Chaldée, de l’Assyrie et de la Phénicie nous offriraient bien d’autres sujets de haute méditation, si nous interrogions ces sciences sur les plus vieux mythes cosmogoniques des peuples sémitiques. Les deux récits de la création dans la Genèse hébraïque, la tradition du déluge, la construction de la tour des langues, la notion du « dieu-loi, » Thouro ou Thora, les dix patriarches antédiluviens identiques aux dix rois antédiluviens de Babylone, dont le caractère sidéral et zodiacal n’est pas douteux, voilà autant de questions d’archéologie orientale dont les élémens derniers sont tous réductibles à la théologie et à la mythologie chaldéo-assyrienne.

La mythologie des Sémites, moins riche assurément que celle des Aryas, est cependant une de ces études d’infinie portée sans lesquelles on ne peut guère comprendre le développement historique des peuples de notre Occident. Les vieilles nations de l’Asie ne nous ont pas seulement donné les religions actuelles. Les Grecs, qui nous ont civilisés, ne devaient-ils pas leur civilisation à la Phénicie, à l’Assyrie et à l’Égypte ? S’il y a pour nous un abîme entre les monumens de l’art asiatique et le grand art idéaliste des Hellènes, si une science tout empirique et sans idées générales ne saurait être comparée à la conception scientifique du monde d’un Démocrite ou d’un Aristote, si des tables astronomiques et des recettes médicales nous laissent bien loin du Traité du Ciel, de la Physique et de l’Histoire des animaux, toujours est-il que ces œuvres du génie grec et tous les progrès ultérieurs de la civilisation occidentale supposent une initiation lente et laborieuse, pendant laquelle les Hellènes durent apprendre à lire, à écrire, à compter, à mesurer, à faire des observations astronomiques. L’Égypte et la Chaldée avaient sur la Grèce une avance de plusieurs milliers d’années. Aussi est-ce toujours vers ces antiques civilisations de l’Orient qu’il nous faut remonter lorsque, pour comprendre ce qui est, nous voulons connaître ce qui a été.


JULES SOURY.

  1. Oppert, Expédition en Mésopotamie, II, 109. Cf. Diod. Sic, II, 30.
  2. François Lenormant, Essai de commentaire sur les Fragmens cosmogoniques de Bérose, p. 60 et suiv.
  3. Le nom du dieu Kévan, adoré dans le désert par les Israélites (Amos, V, 27), vient d’être lu dans la forme assyrienne sur une tablette qui explique par ce mot la seconde partie du nom de la planète Saturne en accadien, Lubat-Sakus.
  4. Le nom Asit ou Asid qu’on lit dans le plus ancien monument épigraphique de l’Assyrie (XIXe siècle avant l’ère chrétienne), donné quelquefois à Assur, avec un a prosthétique qui ne peut empêcher de reconnaître la racine, est le même que l’hébreu Schaddaï. Or Assur n’est autre que la forme nationale assyrienne du dieu suprême
  5. Gen., XX, 13 ; XXXV, 7 ; Exod., XXXIII, 4, 8 ; Dout., v, 23 ; Jos., XXIV, 19 ; cf. I Sam., XVII, 28, 30 ; II Sam., VII, 23 ; I Reg., XIX, 2 ; Ps. LVIII, 12 ; Jérém., X, 10 ; XXIII, 36.
  6. Psaumes XIV et LIII.
  7. XXX, 33.
  8. Tous les noms, sauf un seul, des populations qui furent ainsi transportées dans la Palestine ont été retrouvés dans les inscriptions cunéiformes. Ils sont tous en rapport avec les dernières campagnes de Sinacheirib contre Suzub et avec l’expédition du même monarque assyrien en Élam l’an 687 avant notre ère. Voyez François Lenormant, Lettres assyriologiques, I, 63 et suiv.
  9. Amos, v, 5 ; Is., v, 12.
  10. Jénîm., XIII, 23.
  11. Sanchoniathon, dans Eusèbe (Prepar. evang., I,10), et II Rois, XXIII, 5, interprété par Munk, Palestine, p. 89.
  12. Ézéch., VIII, 16 ; Deut., IV, 19 ; II Rois, XXIII, 11.
  13. Jérém., XI, 13.
  14. Jérém., VI, 20 ; Amos, VIII, 10 ; Zach., XII, 10 ; cf. Chron., XXXV, 25.
  15. Jérém., XXII, 18 ; cf. XXXIV, 5.
  16. Movers, Die Phœn., I, 248.
  17. Mission de Phénicie, p. 216.
  18. Deut., XVI, 21 ; II Reg., XXI, 7 ; XXIII, 15 ; XVII, 16.
  19. Juges, X, 6, etc.
  20. Is., XIV, 8 ; XXXVII, 24 ; Habak., H, 17.
  21. Sozom., Hist., II, 4.
  22. II Reg., XVI, 4 ; Jérôm., II, 20 ; III, 16, 13 ; Ézéch., XX, 28 ; VI, 13 ; Hos., IV, 13.
  23. Dr Schlottmann, Die Siegessäule Mesa’s, Königs der Moabiter. Halle 1870, p. 26-27, cf. p. 43-54.
  24. Ézéch., XVI, 17.
  25. Tacit., Hist, V, 5, Projectissima ad libidinem gens.
  26. Is., LVII, 7 et suiv. ; II Reg., XVII, 30 ; XXIII, 7 ; Èzéch., XXIII, 14 ; Hos., IV, 13.
  27. Voyez Fr. Lenormant, Lettres assyriologiques, I, 80.
  28. Num., XXV, 8.
  29. Is., LVII, 8.
  30. Gen., XXXVIII, 14 ; Jérém., III, 2.
  31. Hérod., I, 199.
  32. II Reg, XXIII, 7.
  33. Jud., XVII-XVIII.
  34. Saint Augustin, De civil. Dei, VIII, 26.
  35. I Reg., XVIII, 28.
  36. XXIII, 16.
  37. II Reg., v, 10, 12, 14.
  38. Ps. LXVIII, 17.
  39. Jud., III, 3.
  40. I Reg., XVIII, 32 ; Mich., VII, 14.
  41. Is., XIII, 21 ; XXXIV, 14.
  42. Ps. CXXI, 6. Targ. ; Ps. XC, 6 LXXX ; Cant., IV, G. Tarj.